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Dossier

L’enseignement supérieur entre professionnalisation et universitarisation : des intentions affichées aux injonctions managériales

Philippe Maubant, Thérèse Perez-Roux, Richard Wittorski et Eric Maleyrot

Texte intégral

1De nouvelles politiques fixant les finalités et les modes d’organisation des formations initiales préparatoires aux professions de l’humain se mettent en place, depuis plusieurs années, dans des établissements de l’enseignement supérieur (universités et écoles professionnelles). En 20191, le ministère de l’Éducation nationale initie une nouvelle, certains diraient une énième réforme de la formation des enseignants (suite à celles de 2010 et 2013), provoquant une nouvelle bronca de la part des chercheurs (Merle, 2020) mais aussi des corps intermédiaires comme les chefs d’établissements, les directeurs des INSPÉ (Institut National Supérieur du Professorat et de l'Education) ou encore certains inspecteurs généraux.

2D’autre part, ces dix dernières années en France, dans le champ de la santé et dans la continuité des accords de Bologne (1999)2, les différentes professions paramédicales ont vécu une réforme des études qui a engagé une réingénierie de la formation : études en soins infirmiers en 2009 (Bouveret et al., 2012), ergothérapie en 2010, pédicurie-podologie en 2012 et masso-kinésithérapie en 2015 (Perez-Roux, 2019). Dans le champ du travail social (Sanchou, 2007 ; Fourdrignier, 2021), différentes réformes impactant la formation initiale et la formation continue, et notamment celle de 20183, visent à souligner le rôle essentiel de ces professions à l’interface du social, du sanitaire et de l’éducatif en mobilisant deux paradigmes : l’interdisciplinarité et l’interprofessionnalité (Couturier, Belzile et Siméon, 2014 ; Perez-Roux, 2021 ; Maleyrot, 2024). Car tel un leitmotiv, l’annonce d’une nouvelle réforme, particulièrement dans ces professions de la relation à autrui, s’accompagne toujours d’un discours d’urgence de la part des décideurs soulignant l’apport essentiel de la profession au grand projet de société. Ces transformations des formations et ces nouvelles lectures de professions, que la pandémie a souvent identifiées comme des professions essentielles pour « tenir » collectivement pendant la tempête sanitaire, sont présentes dans d’autres pays, et pas seulement en Europe ou en Amérique du Nord. La Banque mondiale finance depuis plusieurs années l’adaptation des systèmes éducatifs des Pays du Sud au modèle d’ingénierie des Pays du Nord. La réforme des curricula de formation n’a pas de frontières.

3À la lecture de différentes analyses (Jaeger, 2013), les velléités à réformer les parcours de formation préparatoires à ces professions ont pour genèse des fondements identiques. Ceux-ci appartiennent à des registres de sens, de valeur et de portée différents.

Le virage professionnalisant des universités

4Longtemps missionné pour transmettre des savoirs à une population sélectionnée disposant d’un projet de vie « émancipateur », les universités ont été mandatées également pour assurer la formation des Clercs, en particulier dans le domaine du Droit et de la Médecine. Champy (2012) rappelle combien la notion de professionnalisation s’enracine dans une sociologie fonctionnaliste définissant une organisation sociale des métiers et des professions.

5Désormais, accompagnant l’ambition d’une université accessible à tous, l’enseignement supérieur se professionnalise. Les injonctions ministérielles mettent en avant la participation des publics bénéficiaires, mais également des professionnels en exercice, dans les programmes de formation des établissements de l’enseignement supérieur ; pour autant, les savoirs dont disposent ces nouveaux acteurs trouvent principalement leur légitimité dans leur usage fonctionnel au sein d’une pratique professionnelle et dans l’affirmation de leur pouvoir social.

6Mais cette professionnalisation est aussi le résultat de transformations plus ou moins subies de la part des établissements d’enseignement supérieur : la mise en avant, à côté de savoirs académiques, de savoirs professionnels soutenant des formations soucieuses de l’orientation et de l’insertion des étudiant.e.s ; l’injonction visant à articuler formation et emploi et à déployer son corollaire : la recherche de synergies et de partenaires ; l’encouragement à favoriser tantôt la promotion sociale et professionnelle, tantôt l’insertion, tantôt la poursuite d’études, tantôt le retour aux études et l’apologie de l’entrepreneuriat (Champy-Remoussenard et Starck, 2018) ; l’objectif des branches professionnelles de peser sur une refonte des programmes via le recours à des curricula et à des référentiels (professionnels, de formation et d’évaluation) construits selon différents paradigmes (les capacités, les compétences, les situations professionnelles, les capabilités, les habiletés…) ; l’émergence de nouvelles propositions pédagogiques (pédagogie du projet, des situations-problèmes, etc.) ou de nouvelles ingénieries (de la professionnalisation, des compétences ou de l’alternance) ; le succès d’approches formatives alternatives au modèle de la transmission (l’analyse de l’activité, l’analyse de la pratique) ; l’obligation d’identifier et de transmettre les « best practices » ; la finalité comptable visant à rendre « rentables » les universités (Lessard et Meirieu, 2004) ; l’objectif plus ou moins explicite d’abandonner le mode de pilotage des universités par la communauté scientifique au profit d’une co-gestion employeur-employé sous le regard circonspect de la clientèle étudiante et sous la pression des codes et des normes du Nouveau Management public (Chappoz et Pupion, 2012 ; Rastier, 2013).

7Dès lors, les universités ne semblent pas avoir d’autres choix que de s’engager pleinement dans ce virage professionnalisant (Bourdoncle et Lessard, 2003), en cherchant à agir sur quatre leviers : le partenariat, l’ingénierie de formation, la pédagogie universitaire et la reddition de compte. Une étude rapide des nouvelles professions et des nouveaux outils de gestion témoignent du recours à ces quatre leviers : la création de services dédiés au partenariat (jusqu’alors les services de formation continue assuraient cette tâche) ; le recrutement d’ingénieurs de formation et de conseillers pédagogiques, le recours à des modalités de formation en rupture avec l’académisme pédagogique se traduisant par le recrutement de techno-pédagogues ; la croissance exponentielle d’outils de gestion, de contrôle et d’évaluation conduisant les acteurs de l’université à constater la transformation de leurs tâches et à accepter l’inflation du reporting comme instrument d’une supervision étendue à l’étude des plans de cours et au retour sur investissement des crédits « recherche ». Mais une autre raison conduit les universités à remplacer leur offre de formation par une offre de parcours de professionnalisation : la transformation des champs professionnels.

L’opacité et la perméabilité des champs professionnels

8D’importantes publications scientifiques ont souligné le caractère mobile, nomade, incertain des champs professionnels et des professions (Jaeger, 2020). Ces textes identifient un double processus : expansion, éclatement/morcellement. Tant dans le domaine de l’enseignement et de la formation des adultes que dans les secteurs de la santé et des services sociaux, nous pouvons constater combien les professions et les activités qui les composent et les caractérisent sont repensées au regard d’autres domaines de l’intervention (éducative, socio-éducative, sanitaire et/ou sociale). Dit autrement, chaque profession est redessinée non pas en fonction d’une nouvelle cartographie de leurs activités ou de leurs tâches, mais en fonction du travail réalisé dans des professions en proximité. Les actes professionnels s’en trouvent dès lors ré-agencés. Ils sont annonciateurs de nouvelles prérogatives et de nouveaux pouvoirs d’agir. Mais qu’est-ce qui motive et justifie de tels bouleversements ? Les transformations des publics bénéficiaires de ces interventions expliquent-elles à elles seules la nécessité de redéfinir les référentiels professionnels et de facto les référentiels de formation et d’évaluation ? Ou convient-il de chercher ailleurs l’origine de ces nouvelles conceptions du travail adressé à autrui ? Outre les fondements de ces réingénieries, nous ne pouvons minorer l’analyse des effets tant sur les formateurs, sur les formés que sur les organismes de formation.

Les transformations des identités et des pratiques des acteurs de la formation dans l’enseignement supérieur

9Les enseignants, formateurs, responsables de formation, ingénieurs d’études ainsi que les tuteurs/superviseurs ont constaté ces dernières années l’évolution plus ou moins consentie de leurs fonctions, de leurs tâches et de leurs pratiques. Des recherches ont souligné les effets de ces transformations identitaires (Perez-Roux, 2012 ; Groux et Maubant, 2013 ; Bourassa, 2017), mises en avant par les différents intervenants : des injonctions paradoxales confrontant différentes lectures des missions de l’université, la place renforcée des services administratifs en charge de la supervision des formations et responsables du contrôle des activités de recherche, la dérive comptable de l’édition scientifique, le conditionnement des projets de recherche à leurs effets en termes de transformation de pratiques individuelles et/ou collectives…

10De leur côté les instituts de formation en santé ou en travail social sont engagés dans un processus d’universitarisation qui vient perturber les systèmes antérieurs privilégiant l’apprentissage du métier. La place désormais accordée à la recherche et aux savoirs académiques, les nouveaux formats de cours (CM-TD), la réorganisation des stages et des dispositifs liés à la professionnalisation (démarche réflexive notamment) nécessitent de repenser l’accompagnement sur des modèles jugés plus formels, visant une rationalisation du travail. Par ailleurs, le recrutement d’universitaires pour répondre aux nouveaux enjeux de la formation inquiète les professionnels en poste et les amène à se repositionner (reprise d’études universitaires par exemple). Les formateurs ont le sentiment que le cœur de métier se déplace, que leur identité d’ancien travailleur social ou de soignant qui avait prévalu à leur recrutement et à leur légitimité comme formateur (Verron, 2016) est moins valorisée ; ils doivent faire preuve de leurs compétences dans des domaines qu’ils ne maitrisent pas toujours, ce qui vient réinterroger le périmètre de leur action et de fait, leur professionnalité sous tension (Perez-Roux, Martin et Perez, 2023). Pour Piot (2015, p. 79) « le double mouvement – mutations externes et rationalisation interne – induit des tensions voire des contradictions qui viennent interroger, réorganiser, mettre en tension les compétences et les identités des professionnels du secteur social ».

La professionnalisation/universitarisation des parcours de formation dans l’enseignement supérieur et ses effets sur les étudiants

11Il semble essentiel d’examiner les effets de ces nouvelles politiques de formation sur les représentations des étudiants eux-mêmes, quel que soit leur statut (formation initiale ou continue).

12En effet, les logiques des apprenants concernés par/pris dans ces nouvelles politiques de formation sont à interroger. Du côté des étudiants en formation initiale, qu’est ce qui se joue entre acquisition de compétences mobilisables sur le marché de l’emploi et qualification par un diplôme, entre enjeux de formation académiques et projet d’insertion professionnelle, entre expérience du métier et exigences universitaires ? Quel sens donnent-ils aux études, autrement dit quel rapport au savoir développent-ils et quelles nouvelles attentes vis-à-vis des enseignants/formateurs ? Du côté des professionnels en formation continue, volontaires ou contraints par l’évolution de leur situation professionnelle ou par les demandes de leur employeur, quelles attentes ont-ils d’un retour aux études dans l’enseignement supérieur ? Viennent-ils pour obtenir un diplôme universitaire rendu nécessaire pour le maintien dans leur mission actuelle ou trouver des repères sur le sens de leur activité professionnelle et l’évolution de celle-ci ? Entre actualisation de leurs connaissances et prise de distance par rapport aux compétences référencées dans leur profession et aux situations vécues auprès de leurs publics, quelles considérations ont-ils des apports académiques ? Quelles significations expriment-ils de ce retour aux études universitaires pour leurs pratiques professionnelles ? Que disent-ils de l’évolution ou des changements dans leurs pratiques au contact des concepts théoriques et des incidences tant en termes de plus-value économique qu’en termes de transformation identitaire ?

13Les revues Phronesis et Éducation et socialisation proposent un numéro double portant sur l’évolution professionnalisante des établissements de l’enseignement supérieur. Les articles sélectionnés s’inscrivent dans deux des quatre axes qui structurent cette publication.

14La revue Éducation et socialisation présente sept articles relevant de deux axes :

  • Identifier les fondements idéologiques et politiques du tournant de la professionnalisation dans l’enseignement supérieur ;

  • Décrire et analyser les effets de ce virage professionnalisant sur les organisations, les apprenants et sur les acteurs responsables de sa mise en œuvre au sein des établissements concernés.

15La revue Phronesis présente six articles relevant de deux autres axes :

  • Décrire et analyser les effets de la professionnalisation et de l’universitarisation des parcours de formation à partir de dispositifs ;

  • Confronter les réalités et les invariants opératoires des discours sur la professionnalisation de l’enseignement post-secondaire dans différents pays.

Articles publiés dans le numéro de la revue Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE

16Les trois premiers articles tentent d’identifier les fondements idéologiques et politiques du tournant de la professionnalisation dans l’enseignement supérieur

17Claire Heijboer est directrice scientifique et de la recherche de l’Institut Régional de Travail Social (IRTS) Parmentier à Paris. Elle est chercheuse associée au laboratoire Éducation, Mutations et Apprentissages (EMA-EA 4507) de l’Université de Cergy Pontoise en France. Son texte analyse la convergence entre d’une part, les universités et, d’autre part, les établissements de formation en travail social. Ces derniers ont été encouragés depuis quelques années à mettre en place des « formations par la recherche et avec la société », cette invitation visant in fine à répondre à l'évolution d’une science en dialogue avec la société. Pour l’auteure, cette convergence est induite par l'internalisation progressive de la participation des usagers dans les institutions scolaires, éducatives et sociales. La reconnaissance de l'expertise usagère est, semble-t-il, cruciale dans cette transformation, ce qui requiert selon l’auteure une pédagogie nouvelle intégrant cette dimension. Pour Heijboer, cette intention sociale favorise l'inclusivité, la collaboration et la responsabilité sociale, renforçant possiblement la démocratie et la pertinence de la science. Ce changement appellerait donc à une réorganisation de l'enseignement supérieur, impliquant un partenariat plus nourri entre le monde professionnel, le monde scientifique et les usagers.

18Gilles Rault est ingénieur de recherche à l’Université de Rennes 2 en France. Hugues Pentecouteau est professeur d’université en sciences de l’éducation à l’Université de Rennes 2. Il est chercheur régulier du Centre de Recherche sur l’Éducation, les Apprentissages et la Didactique (CREAD). Les deux auteurs proposent de mettre au jour les effets d’un double mouvement prenant acte de la mutation des universités et des évolutions du cadre économique et législatif de la formation professionnelle. Pour cela, ils mobilisent deux références théoriques : 1). Celle de la psychodynamique du travail (Dejours, 1998), qui montre comment la centralité du travail et les nouvelles organisations du travail impliquent l’évolution de la cité ; 2). Celle de la philosophie et les travaux de Stiegler (2019) sur l’injonction permanente à devoir s’adapter au rythme des mutations d’un monde complexe. Leur lecture porte sur les conséquences des transformations dans les universités en matière de gestion et de développement de la formation continue et sur ce qu’elles créent comme dysfonctionnements organisationnels par des injonctions pouvant être vécues par les acteurs comme étant paradoxales.

19Thérèse Perez-Roux, est professeure émérite en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Montpellier Paul Valéry et Eric Maleyrot, maître de conférences HDR dans cette université. Les deux auteurs nous invitent à examiner les évolutions de la formation initiale des enseignants en France, sur la base des discours institutionnels qui accompagnent les réformes successives depuis la création des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) en 1990. À partir d’une approche sociologique, Perez-Roux et Maleyrot s’intéressent à la manière dont la réforme de 2019 reconfigure les enjeux de professionnalisation et d’universitarisation de la formation en interrogeant notamment les logiques managériales à l’œuvre. Pour ces deux auteurs, l’analyse des discours des responsables de formation (formateurs assurant une fonction de pilotage) révèle un certain nombre d’indicateurs mettant en évidence une approche instrumentaliste du new public management. Temporalités contraintes et difficulté à se projeter, conditions de travail dégradées en raison de logiques économiques, perte des collectifs et flexibilité accrue au niveau des formateurs l’ensemble de ces constats semble bien s’inscrire dans une perspective de contrôle gestionnaire et financier, éloignée de ce qui prévalait lors de la création des IUFM.

20Les quatre articles suivants contribuent à décrire et analyser les effets de ce virage professionnalisant sur les organisations, les apprenants et sur les acteurs responsables de sa mise en œuvre au sein des établissements concernés.

21Patrick Lechaux est chercheur au Centre Interdisciplinaire de Recherche Culture Éducation Formation Travail (CIRCEFT) de l’Université Paris 8. L’auteur explore dans son texte la question de l’universitarisation des écoles professionnelles sous professionnalisation de l’université. L’auteur considère que cette universitarisation peut être assimilée à une transition de genre, par-delà l’opposition historique université-écoles professionnelles. Selon lui, le dispositif de la protection de l’enfance constitue un excellent analyseur de cette transition vers un nouveau genre de formation universitaire. Lechaux affirme que malgré un système très prescrit, l’université garde une réelle marge de manœuvre, empruntant de multiples chemins dans ses façons de mettre en scène la formation comme dans ses rapports aux savoirs de la recherche et aux expertises des acteurs mobilisés. Se dessinent ainsi selon l’auteur des figures contrastées dans les nouvelles façons de faire discipline, en lien avec des dynamiques d’hybridation de diverses communautés épistémiques.

22Rachel Metzger est chargée de mission à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg (ENSAS). Elle est aussi doctorante en sciences de l’éducation et de la formation au Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l’Éducation et de la Communication (LISEC). Jérôme Eneau est professeur à l’université Rennes 2 et chercheur au Centre de Recherche sur l’Éducation, les Apprentissages et la Didactique des Universités (CREAD). Jacques Audran est professeur à l'Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Strasbourg et membre du LISEC. Leur article prend appui sur le contexte des Écoles Nationales Supérieures d’Architecture (ENSA). Metzger rappelle que depuis 1968 l’enseignement de l’architecture en France a connu de nombreuses réformes. La dernière réforme date de 2018. Celle-ci a créé en particulier le statut d’« enseignant-chercheur » au sein des ENSA. Ce statut s’applique uniformément au collectif disparate que forment les enseignants de ces écoles. Or, des difficultés ont vu le jour dans la mise en œuvre de ce nouveau statut, dans son déploiement, dans son harmonisation et sa stabilisation, notamment au regard de la diversité des provenances, des parcours ou des modes d’exercice du métier d’enseignant-chercheur en ENSA. Metzger mobilise une recherche doctorale en cours qui interroge cette réalité plurielle du statut d’enseignant-chercheur au sein des ENSA et examine ici la question des voies de professionnalisation à la recherche et des identités professionnelles des acteurs qui composent ce nouveau métier.

23Cécile Redondo est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne en France. Elle est chercheure au laboratoire Éducation Cultures et Politiques (ECP). Romain Perrier est chercheur au laboratoire de recherche Activité Connaissance Transmission, éducation (ACTé) de l’Université Clermont Auvergne. Magali Roumy Akué est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Est Créteil. Elle est chercheure au Centre d’Étude des Discours, des Images, Textes, Écrits, Communication (CEDITEC). Anita Messaoui est maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Montpellier, chercheure au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Éducation et Formation (LIRDEF). Béatrice Drot-Delange est professeure des universités en sciences de l’éducation et de la formation. Elle est chercheure au laboratoire de recherche Activité Connaissance Transmission, éducation (ACTé) de l’Université Clermont Auvergne. Ce collectif d’auteurs.es s’intéresse à la façon dont les identités et les pratiques professionnelles des ingénieurs et conseillers pédagogiques (IgCP) des Instituts Universitaires de Technologie français (IUT) sont impactées par la réforme du Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) dans le contexte particulier de l’approche par compétences qui se généralise à l’université. Ils et elles mettent en évidence un processus somme toute classique en sociologie des organisations : une réforme ouvrant des perspectives d’autonomie pour une catégorie professionnelle, ici les IgCP dans un contexte d’enseignement supérieur court prolongé d’une année de formation. Les auteurs.es de cet article constatent que l’identité professionnelle est avant tout définie « par le haut ». Les professionnels (ingénieurs et conseillers pédagogiques) manquent de reconnaissance. Mais ils trouvent des opportunités d’une redéfinition « par le bas » de leur travail en mobilisant des dimensions classiques de leur activité revisitées par le nouveau contexte de formation qui joue ainsi un rôle de révélateur.

24Gilles Pinte, docteur en sciences de l’éducation, enseigne à l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) de Vannes en France. Son texte analyse la mise en place dans les IUT du Bachelor. Ce développement du Bachelor prend appui sur l’approche par compétences. Or, la mise en œuvre d’un nouveau dispositif de formation entraîne souvent une série de leviers et de freins au sein d’une communauté éducative. Le modèle d’analyse ternaire des dispositifs proposé par Albero (2010) distingue trois grands champs : la dimension « idéelle » portée par les valeurs constitutives d’un projet politique ou institutionnel ; la dimension « fonctionnelle de référence » qui regroupe les outils, les méthodes, les règles de fonctionnement ; la dimension du « vécu » des acteurs qui peuvent être les formateurs, les apprenants, les accompagnateurs, mais aussi plus généralement les adultes en formation. Pour l’auteur, ces trois dimensions peuvent se compléter ou s’opposer dans une logique d’interactions, ce qui permet de reconstruire voire de reconfigurer les dispositifs de formation. Dans cette perspective, la mise en place du Bachelor commence à faire ressortir plusieurs évolutions. Cet article, dans une approche ethnographique, propose d’identifier et de catégoriser les questionnements et les difficultés des enseignants-chercheurs dans la mise en place d’un diplôme dont l’ingénierie se réclame de l’approche par compétences. Ces questionnements et difficultés transparaissent dans les pratiques pédagogiques des enseignants-chercheurs, mais aussi dans leurs rapports à la recherche.

Articles publiés dans le numéro de la revue Phronesis

25Quatre d’entre eux ont pour visée de décrire et analyser les effets de la professionnalisation et de l’universitarisation des parcours de formation à partir de dispositifs

26Laurent, P. Ferrier, docteur en psychologie, post-doctorant à l’université de Montpellier Paul Valéry et Sylvain Connac, responsable du projet Nexus et professeur en sciences de l’éducation et de la formation dans cette même université, sont membres du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique Education et Formation (LIRDEF). À partir d’une recherche mixte et hybride auprès d’étudiants de licence 3, ils s’intéressent à la démarche portfolio qui s’inscrit dans le débat actuel de l’approche par compétences. Mobilisant un cadre socioconstructiviste, les auteurs présentent dans quelle mesure la démarche portfolio permet un accompagnement par rétroactions et participe à une forme de renouveau des enjeux pédagogiques de l’université. Ils montrent par ailleurs comment cette démarche amène les étudiants à incarner leur formation en lui donnant du sens. Les résultats quantitatifs et qualitatifs convergent en montrant que la démarche portfolio étudiée contribue au développement du sentiment de professionnalisation des acteurs.

27Séverine Behra est maître de conférences en sciences du langage à l'université de Lorraine / INSPÉ de l'Académie de Nancy-Metz, membre du laboratoire Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF). Laurent Husson est maître de conférences en philosophie à l’Université de Lorraine / INSPÉ et membre du Centre Écritures. Dominique Macaire est professeure émérite en sciences du langage de l’université de Lorraine, rattachée au laboratoire ATILF. Dans leur contribution, les auteurs s’intéressent à la question de la professionnalisation et de l’universitarisation dans le cadre de la formation des futurs enseignants de l’école primaire. À partir d’une enquête administrée à 761 étudiants en Master MEEF 1er degré dans un INSPÉ, la contribution interroge la perception des acquis de formation attribués aux périodes de stages. Les résultats indiquent un conflit de légitimité entre les différents espaces-temps de formation au profit des stages. Les tensions qui en découlent éclairent le processus de professionnalisation à l’aune de représentations et d’un applicationnisme qui constitue un frein à l’action de changement. Bien que l’articulation des espaces-temps formatifs reste délicate, les résultats indiquent que le renforcement de la relation entre universitarisation et professionnalisation pourrait réduire les tensions, renforcer la cohérence de la formation et le sens que peuvent lui donner les (futurs) enseignants.

28Delphine Guyet est maître de conférences associée à l’Institut de Formation et de Recherche en Santé (IFRS) de Normandie. Éric Saillot est professeur en sciences de l’éducation et de la formation. Tous deux travaillent à l’université de Caen Normandie et sont membres du Centre Interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation (CIRNEF). Dans un contexte de restructuration universitaire des études paramédicales françaises, les auteurs proposent une étude de cas portant sur un institut de formation normand, afin de questionner la tension universitarisation-professionnalisation et de comprendre ce qui peut renvoyer à la fois à des formes de blocages ou de créativité pédagogique. Ainsi Guyet et Saillot montrent dans quelle mesure ce contexte de réforme peut générer de nouvelles ingénieries pédagogiques visant de réels enjeux de professionnalisation. La contribution s’inscrit dans un cadre scientifique qui articule sciences de la santé et sciences de l’éducation et de la formation, en particulier une orientation didactique professionnelle. Les analyses qu’ils opèrent se centrent sur quatre innovations pédagogiques particulièrement emblématiques issues de ce virage universitaire.

29Silvia Valentim-Regard est directrice des études en Établissement de Formation en Travail Social (EFTS) et docteure en sciences de l’éducation. Jacques Doctobre est cadre pédagogique en EFTS et docteur en sociologie. Pierre Dugue est responsable de formation en EFTS et docteur en sciences de l’éducation. Marie Top est cadre pédagogique en EFTS et docteure en sciences de l’éducation. Leur contribution s’intéresse à la manière dont est pensée et mise en œuvre la formation initiale en travail social au sein de deux EFTS. Après avoir présenté quelques tensions constitutives du double processus d’universitarisation-professionnalisation, les auteurs mettent en lumière la manière dont les dynamiques repérées interrogent et recomposent la formation initiale des travailleurs sociaux. Conçues comme des ressources, les normes et les prescriptions, les évolutions des rapports aux savoirs, l’ingénierie de formation, les interrogations et recherches de sens par les étudiants, suscitent des controverses et des démarches d’agencement pédagogique visant à renforcer des relations concordantes entre pratiques de formation et situations de travail.

30Les deux dernières contributions permettent de confronter les réalités et les invariants opératoires des discours sur la professionnalisation de l’enseignement post-secondaire dans différents pays.

31Hénaba Loïs Silas Amangoua est docteure en sciences de l’éducation et de la formation de l’université de Limoges et membre de l’Unité de recherche Éducation et Diversité en espaces Francophones (FrED). Sa contribution porte sur les universités ivoiriennes qui, comme d’autres universités francophones d’Afrique subsaharienne, ont depuis 2009 la mission d’accompagner l’insertion professionnelle des étudiants. Cette mission est d’autant plus d’actualité que le taux de chômage des diplômés ne cesse d’augmenter. L’article analyse les transformations qu’a occasionné ce virage de professionnalisation marqué par l’adoption du système licence-master-doctorat (LMD). L’auteure observe comment les institutions universitaires ont mis en œuvre des dispositifs visant l’insertion de leurs diplômés. Les entretiens qualitatifs réalisés avec les acteurs institutionnels de deux universités ivoiriennes font ressortir une lente implémentation de la professionnalisation des universités, ainsi que des actions et dispositifs insuffisants et/ou inadaptés à l’environnement socio-économique ivoirien. Enfin, les résultats mettent en avant la nécessité de construire des dispositifs plus endogènes qui feraient dialoguer l’expertise des acteurs institutionnels de l’université et ceux du monde socioéconomique.

32Régis Malet est professeur en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Bordeaux et membre du LAboratoire Cultures Education Société (LACES). Son article traite des mutations et de l’internationalisation de l’enseignement supérieur en Europe. Il met en avant le fait que, dans le contexte actuel de l'enseignement supérieur européen, une tension croissante se manifeste entre l'idéal de coopération académique et la logique de compétition induite par le paradigme du capital humain. Dans cette perspective, Malet examine les défis spécifiques auxquels sont confrontés les pays dits "périphériques" de l'Europe dans leur quête d’adaptation, entendu sous les angles spécifiques de l’internationalisation de la professionnalisation de l'enseignement supérieur. Il montre comment le capitalisme éducatif (Malet 2024) et la course aux classements internationaux influencent les priorités des universités, et dans quelle mesure ces dynamiques peuvent entrer en conflit avec les besoins sociétaux locaux et la mission de service public de l'enseignement supérieur dans des sociétés pluralistes. En adoptant cette approche comparative, son étude contribue à une compréhension plus nuancée des processus d'internationalisation de l'enseignement supérieur. Elle permet de dégager des pistes de réflexion pour préserver la dimension éthique et humaniste de l'université dans un contexte de mondialisation et de compétition accrue.

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Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Maubant, Thérèse Perez-Roux, Richard Wittorski et Eric Maleyrot, « L’enseignement supérieur entre professionnalisation et universitarisation : des intentions affichées aux injonctions managériales »Éducation et socialisation [En ligne], 75 | 2025, mis en ligne le 31 mars 2025, consulté le 21 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/edso/31335 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13m0w

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Auteurs

Philippe Maubant

Université de Sherbrooke, LISEC

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