- 1 https://www.dunod.com/collection/boite-outils-du-professeur
1Publié dans la collection « La boîte à outils du professeur1 » de Dunod, cet ouvrage est un véritable manuel, composé de « fiches visuelles pour une prise en main immédiate » et d’ « exemples d’application en classe ». Pour cette raison, je choisis de rédiger cette note de lecture suivant les mêmes rubriques que chaque fiche-outil, jugeant la synthèse thématique plus opératoire qu’un suivi longitudinal.
2L’ouvrage se compose de sept dossiers : (1) Le genre, un concept pour (re)penser l’école ; (2) Dans la classe, dans l’école et les établissements ; (3) Des disciplines scolaires pour éduquer à la sexualité ; (4) L’orientation ; (5) Construire une leçon ; (6) Mettre en œuvre une leçon ; (7) La langue, un outil pour l’égalité. Chaque dossier comprend d’abord une introduction permettant d’identifier les problématiques principales, de définir les termes clefs et de présenter des recherches sur la thématique. Il est ensuite composé de fiches (le livre propose 37 fiches en tout), chacune porte sur un aspect précis du thème (par exemple, dans le dossier 2, on trouve une fiche « La récréation » ; le dossier 7 contient une fiche « L’enseignement des langues étrangères au prisme du genre »). Une partie des fiches est accompagnée d’un ou de plusieurs exemples développé(s) sur deux pages (ainsi, dans le dossier 5, la fiche « Étudier les productions médiatiques et culturelles » est suivie de trois exemples – les deux premiers sont pour les lycées « Réaliser une revue de presse : le 8 mars » et « Réaliser un magazine alternatif » ; le dernier est pour le cycle 3 ou le collège : « Faire émerger les stéréotypes de sexe présents dans l’univers des jeux vidéo »). Il importe de souligner que tous les niveaux du 1er et du 2nd degré sont abordés, de même qu’une grande variété de disciplines.
3Le premier dossier prend le genre comme objet plutôt que comme outil, il constitue ainsi une introduction à la notion et aux études de genre en général. Une présentation succincte des principales problématiques et thématiques permet de situer et de définir les concepts qui sont mobilisés dans le champ (construction sociale, stéréotypes, domination, privilèges, catégorisation, etc.) et qui serviront ensuite à analyser les situations et à construire les interventions pédagogiques.
4Afin de préciser l’organisation de chaque élément, je prends pour exemple l’outil-fiche n°16, intitulé « Définir le sexe », qui fait partie du dossier sur l’éducation à la sexualité. Celui-ci est suivi de deux exemples, « Les personnes intersexes » (à destination des lycées) et « Connaître et représenter son sexe » (à destination du 1er et du 2nd degré) ; je m’attarderai sur le second, compte tenu de sa transversalité. La fiche s’ouvre sur un « schéma » abstrait (un cercle en quatre parties) distinguant sexe gonadique, sexe chromosomique, hormones et sexe phénotypique. Le résumé commente cette distinction en rappelant que le sexe « ne se limite pas à l’apparence des organes génitaux […] ou à des combinaisons chromosomiques nécessairement binaires : XX ou XY » (p. 62), afin de montrer que la bicatégorisation (femme/homme) est une reconstruction « simplifiée et partielle » de la réalité biologique. L’objectif de la fiche-outil est « d’enseigner aux élèves des connaissance scientifiques exactes sur la sexuation humaine » (p. 63), et ce en ne simplifiant pas le « sexe biologique » lorsqu’il est abordé en classe et en mettant en évidence les points communs sur le plan anatomique entre femmes et homme ainsi que la diversité de l’apparence des organes génitaux externes. Cela passe notamment par le fait de prendre garde à utiliser le pluriel « les sexes » plutôt que d’employer l’expression « les deux sexes » ou encore à ne pas utiliser un vocabulaire pathologisant pour parler des personnes intersexes. Bien sûr, « selon l’âge des enfants, le degré de précision dans les explications données sera différent » (Ibid.).
- 2 Pour plus de détails sur le travail d’Odile Fillod portant sur la représentation et la connaissance (...)
5La fiche rappelle les avantages d’une telle démarche : questionner les normes anatomiques et prévenir les angoisses liées à la taille des organes génitaux. Elle souligne également les précautions à prendre : l’attention à porter au vocabulaire utilisé, et « ne pas confondre la sexuation avec l’identité sexuée » (Ibid.) à savoir le sentiment d’être homme ou femme. Le second exemple développé à partir de la fiche s’intitule « Connaître et représenter son sexe » ; il part d’une illustration, en l’occurrence une modélisation 3D d’un clitoris, élaborée par P.Consentino sur les croquis et consignes d’O.Fillod2. Le texte rappelle que « lorsqu’il s’agit de représenter un sexe de femme, les schémas sont souvent inexacts et imprécis : bien souvent la pilosité pubienne n’est pas représentée, l’hymen n’est pas mentionné, le clitoris est absent » (p. 66). Il s’agit donc de rectifier ces omissions et ces erreurs en dotant les élèves d’informations exactes sur leur corps et sur celui des autres. Pour ce faire, il est possible de demander aux élèves de dessiner des organes génitaux en légendant avec des termes scientifiques ou familiers puis de comparer les dessins pour constater la diversité des représentations et enfin de les confronter à des représentations scientifiques. La description peut aussi se faire avec une trace écrite. Pour les élèves les plus jeunes, un inventaire des mots connus pour désigner le sexe peut permettre de travailler les différents registres de langue et de doter les enfants de termes adéquats. Pour les élèves plus agé·e·s, il est possible de s’interroger sur les normes et injonctions (pilosité, taille, « performance », etc.).
6Le manuel s’appuie sur des sources et des supports variés. On peut citer par exemple le blog Célinextenso (un billet sur féminisme et handicap3), le manga Ranma ½ de Rumiko Takahashi, la tribune sur le foulard islamique de l’association Mamans toutes égales, la chanson Mélissa de Julien Clerc, Médée d’Euripide, une photographie de Joséphine Baker ou encore The Bridge Poem de Kate Rushin.
7S’il a d’abord une visée pratique, on peut ajouter que le manuel représente également une synthèse fiable de plusieurs travaux en français sur les différents aspects du genre en éducation (Nicole Mosconi sur la mixité [1989], Sigolène Couchot-Schiex sur l’EPS [2018], Séverine Depoilly sur les lycées professionnels [2014], etc.)
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La présentation générale est pratique et l’effort de mise en situation et d’exemplification est remarquable.
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Le manuel reprend un certain nombre d’outils et d’acquis bien connus pour les enrichir d’une perspective prenant en compte le genre, ce qui permet de faire le lien avec des grilles d’analyse qui sont familières pour les enseignant·e·s tout en les amendant (par exemple l’effet Pygmalion/Golem, p. 22).
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L’encadré « Limites/précautions à prendre/conseil » qui accompagne chaque fiche est souvent plein de justesse et manifeste une certaine lucidité sur les difficultés qui peuvent se présenter aux enseignant·e·s.
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Le genre n’est pas traité isolément, et l’exigence qui consiste à montrer et à analyser le croisement de différentes discriminations (racisme, validisme, LGBTphobie, grossophobie, etc.) pour mieux lutter contre celles-ci est présente tout au long du manuel.
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- 4 Depuis les manifestations contre « la théorie du genre » et les mobilisations contre les ABCD de l’ (...)
L’ouvrage parvient à traiter de façon claire et argumentée des questionnements qui sont au cœur de débats fortement polarisés, parfois même « brûlants » voire polémiques4 (par exemple au sujet de la laïcité).
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Un index, un lexique plus fourni (avec des termes comme cisgenre, intersexe, non-binaire, intersectionnalité, etc.) et une bibliographie plus longue et organisée par catégories auraient été bienvenus.
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- 5 L’actualité récente montre que ces comportements se retrouvent à tous les niveaux du parcours scola (...)
Le problème du désaccord entre collègues sur ces questions est peu ou pas évoqué, alors qu’il constitue une réalité, sur le terrain, pour beaucoup d’enseignant·e·s. L’enjeu de la cohérence de l’équipe pédagogique sur la question de l’éducation à l’égalité est évoqué à plusieurs reprises (par exemple p. 53 ou encore p. 69 : « s’assurer que l’ensemble de l’équipe adopte un positionnement commun »). Mais concrètement, que faire et comment faire lorsqu’un·e collègue tient des propos sexistes, refuse de genrer correctement un·e élève trans ou encore présente les études de genre comme relevant de l’idéologie et non de la science5 ? Ce type de situation méritait peut-être d’être traité en tant que tel, à travers des ressources réglementaires, par exemple, et en spécifiant les rôles de chacun·e (enseignant·e, directrice/teur, principal·e, proviseur·e, etc.) face à des cas de ce type.
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- 6 Les personnes trans sont les personnes qui sont engagées dans un processus de transition de genre : (...)
Les questions de la non-binarité et de la transidentité ne sont pas toujours traitées de façon complètement claires et tendent parfois à être confondues (par exemple p. 13) ; or les personnes trans ne sont pas forcément non-binaires et inversement6. La transphobie étant un sujet moins bien connu que l’homophobie ou le sexisme, la mobilisation de témoignages peut clarifier et rendre concrètes les situations vécues par les élèves trans (Latour, 2013).
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Plus fondamentalement et au niveau des présupposés même de la démarche, se pose la question d’une possible « psychologisation » voire d’une « moralisation » de la lutte contre la domination de genre. Travailler par l’introspection (p. 13), sur la puissance d’agir individuelle (p. 19) ou encore parler de « classisme » plutôt que de rapports de classe (p. 26), n’est-ce pas participer à une forme de dissolution de la dimension collective de ces mécanismes de domination tout comme de l’action qui vise à les défaire ? L’ouvrage rappelle régulièrement que les différents aspects du genre font système, mais l’accent mis sur l’éducation ne risque-t-il pas de faire de la lutte un enjeu de transformation de la « mentalité » de chacun·e plutôt que des conditions matérielles d’existence (Kergoat, 2004, p. 40) ?
8Le manuel ne manquera pas de devenir une référence, compte tenu de sa richesse, de son accessibilité et de son intérêt pratique. Nul doute qu’un prolongement (sous la forme d’un second tome ?) pour l’enseignement supérieur serait particulièrement utile et pertinent.