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Dossier LéA

Principes de travail collaboratif entre chercheur·e·s et enseignant·e·s : le cas du LéA RMG

Principles of collaborative work between researchers and teachers: the case of the LéA RMG
Cécile Allard, Julie Horoks et Julia Pilet
p. 49-66

Résumés

À l’issue de sept années de collaboration fructueuse entre enseignants·e·s et chercheur·e·s, dans le cadre du LéA « Réseau de collèges Roger-Martin-du-Gard », portant sur l’enseignement et l’apprentissage en mathématiques au secondaire et sur l’évaluation des apprentissages, nous, chercheur·e·s de ce collectif, explorons les raisons d’une telle durabilité. Nous dégageons quatre principes de travail collaboratif. Tout en les mettant en perspective avec d’autres recherches sur la collaboration entre chercheur·e·s et praticien·ne·s en éducation, nous explicitons leur opérationnalisation dans le LéA. Nous développons en particulier ce en quoi, selon nous, ces principes permettent de combiner deux enjeux forts d’un tel collectif : répondre aux besoins des enseignant·e·s tout en produisant des savoirs scientifiques sur un temps long.

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Notes de la rédaction

Article soumis le 16/09/2020 et accepté le 20/09/2021

Texte intégral

Tout ce travail n’aurait pu se réaliser sans l’accompagnement de Brigitte Grugeon-Allys. Nous remercions l’ANR et l’IFé pour le financement de la recherche sur l’évaluation des apprentissages des élèves en algèbre et du LéA RMG ainsi que tous les enseignant·e·s qui ont participé et participent toujours activement.
Cet article n’aurait pu voir le jour sans les travaux de l’ensemble de l’équipe du LéA Réseau de collèges Matin du Gard, et notamment : Alberto Ahumada, Olivier Belbis, Guillaume Didier, Sabrina Dos Santos, Intissar Essoussi, Maëlle Gallais, Marine Gastou-Gervais, Brigitte Grugeon-Allys, Geoffroy Laboudigue, Florian Paulou, Chloé Poirson, Thomas Thelisson, Marine Viet, Vasoughy Vissouvanadin, Ayse Yaman.

Introduction

  • 1 Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques : centres de recherche et de formation (...)
  • 2 Institut National de Recherche Pédagogique, ayant pour objectifs d’accueillir des recherches pédago (...)

1Les recherches en éducation associant chercheur·e·s et praticien.n·e·s sont nombreuses et ont des origines dans des ancrages théoriques et des cultures du métier différentes. Par exemple, les Lesson Studies (Takeshi et Winslow, 2009) ont leur ancrage au Japon. Les recherches collaboratives sont nées en Amérique du Nord, tout d’abord impulsées par (Desgagné et al., 2001) aux États-Unis, puis plus précisément en mathématiques au Canada (Bednarz, 2013). En France, les recherches-actions (Barbier, 1996) se sont développées dès le début des années 1980, tant dans les réseaux des IREM1 qu’à l’INRP2. Plus récemment, les ingénieries coopératives (Sensevy et al., 2013) sont présentées comme relevant des Design Based Research (Cobb et al., 2003 ; Collins et al., 2004) et les ingénieries didactiques de développement et de formation (Perrin-Glorian, 2019) ont nourri la problématique de la diffusion des ingénieries didactiques dans les pratiques enseignantes.

2Ces divers courants traduisent une volonté commune de développer des savoirs sur les manières et les raisons de travailler ensemble, en théorisant le travail collaboratif, tant du point de vue épistémologique, éthique que didactique.

  • 3 Le collectif qui fait l’objet de ce texte est initialement inscrit dans un projet de Lieu d’Educati (...)

3Dans cet article, nous nous intéressons à une collaboration entre enseignant·e·s de collège et chercheur·e·s, dont une partie sont des auteures de cet article et désignées par “nous”. Initialement née comme un Lieu d’Éducation Associé3, intitulé LéA RMG pour « Réseau de collèges Roger-Martin-du-Gard » (le dispositif de LéA est défini dans la première partie du texte), cette collaboration n’a pas été a priori conçue pour s’inscrire dans l’un des courants rappelés ci-dessus. Nous soulignons le « a priori », car nous avions malgré tout été acculturées à ces différents courants, ce qui a probablement influencé nos interventions de chercheur·e·s dans ce dispositif.

4Aussi, notre objectif n’est pas d’enrichir l’un de ces courants ou de montrer comment nous nous y inscrivons mais plutôt de questionner les raisons pour lesquelles, après sept années de travail commun, ce collectif est toujours pérenne et continuer de s’étoffer au fil des années tant sur le nombre de participants (voir fig. 1 pour constater que les enseignant·e·s intègrent plus le groupe qu’ils et elles ne le quittent) que sur les thématiques traitées et perspectives envisagées. Tout au long de l’article, nous appuyons notre propos sur ce qui peut expliquer la pérennité de ce collectif à partir des réponses de 11 enseignant·e·s du collectif, à un questionnaire en ligne, non anonyme, posé à l’ensemble des enseignant·e·s en juin 2020. L’objectif était de faire le bilan de six premières années de travail collaboratif et d’envisager la suite à donner.

Figure 1. Années d’intégration et de départ des enseignant·e·s dans le collectif (N =11 enseignant·e·s)

Figure 1. Années d’intégration et de départ des enseignant·e·s dans le collectif (N =11 enseignant·e·s)

5Cette pérennité se constate à la fois par la production de résultats de recherche et par leur diffusion en formation d’enseignant·e·s, ainsi que par les effets sur le métier des enseignant·e·s, certain·e·s des enseignant·e·s du collectif s’étant par exemple engagé·e·s dans la formation. En ce qui concerne leurs pratiques d’enseignement, ils et elles déclarent avoir ressenti des effets du travail collaboratif sur leurs pratiques (voir fig. 2, pour ce qui est du travail sur le thème de l’algèbre), en particulier en ce qui concerne les contenus qu’ils et elles choisissent (préparation, tâches, traces écrites, attentes envers les élèves) et leur gestion des déroulements en classe (erreurs et interactions), mais un peu moins sur leur façon de travailler avec leurs collègues d’établissement ou du collectif, ou sur leur rapport aux élèves, même si, pour ce dernier point, leur ressenti sur les apprentissages de leurs élèves est globalement positif.

Figure 2. Ce sur quoi la participation au LéA a eu un impact déclaré dans la pratique des enseignants (réponses au questionnaire posé en juin 2020 après 6 ans de projet, à la question : « Ta participation au LéA RMG sur la thématique de l’algèbre a modifié en particulier… »)

Figure 2. Ce sur quoi la participation au LéA a eu un impact déclaré dans la pratique des enseignants (réponses au questionnaire posé en juin 2020 après 6 ans de projet, à la question : « Ta participation au LéA RMG sur la thématique de l’algèbre a modifié en particulier… »)
  • 4 Le LéA intitulé LéA2TEM pour deux territoires en mathématiques traite de la résolution de problèmes (...)

6De plus, la poursuite de cette collaboration dans d’autres projets nous semble être un autre indicateur de cette pérennité. La mise en place d’un nouveau collectif avec des enseignant·e·s de l’école primaire (le LéA4 2TEM), en 2018 par l’une des chercheur·e·s de ce premier dispositif, soulève aussi la question de sa reproductibilité en termes de fonctionnement. Il nous paraît alors primordial d’identifier ce qui peut expliquer la longévité du dispositif, pour envisager la possibilité de transposer nos manières de travailler dans d’autres collectifs d’enseignant·e·s et de chercheur·e·s, avec d’autres contextes et pour d’autres recherches.

7Pour cela, nous questionnons ce qui fonde la collaboration. Comment – avec quels moyens et dans quelles conditions – reproduire ou transférer ce type de travail, indépendamment des personnes impliquées ? Qu’est ce qui fédère le groupe ?

8Ces questions sont d’autant plus importantes que les demandes institutionnelles actuelles (rapport Villani et Torossian, 2018) incitent à travailler avec les enseignant·e·s, notamment selon le modèle des Lesson studies. Les conditions de transfert et de viabilité des modes de travail entre praticien·ne·s et chercheur·e·s prenant en compte les spécificités institutionnelles des pays et des contextes sont donc des questions vives dans l’institution scolaire française et ont conduit à modifier la formation continue.

9Nous commençons dans cet article par présenter le cadre de la collaboration et les conditions de son développement, et nous illustrons à partir des thématiques travaillées au sein du collectif comment la problématique commune s’est construite et un fonctionnement itératif s’est mis en place. Nous discuterons de leur impact possible sur les enseignant·e·s, en nous appuyant en particulier sur le questionnaire que nous leur avons proposé aux en juin 2020. Cela nous conduit à détacher quatre principes qui sous-tendent et décrivent notre travail collaboratif. Nous montrerons, a posteriori, les proximités voire les particularités de notre travail avec les autres travaux portant sur les recherches sur le travail entre praticien·ne·s et chercheur·e·s.

Présentation du LéA RMG : vers des premières hypothèses sur des conditions favorables à un travail sur un temps long

10Dans cette partie, nous présentons le cadre de la collaboration dans ses modalités de travail et dans ses thématiques afin de dégager ce qui a pu favoriser la collaboration sur le long terme.

Un dispositif de LéA soutenu par l’institution scolaire

11La collaboration s’est déroulée en grande partie dans le LéA RMG qui, après 6 ans (2014-2017 puis 2017-2020), est devenu un groupe de travail de l’IREM de Paris5 (depuis 2020). Notons que la liberté d’organisation de la collaboration dans les Lieux d’Éducation Associés entraîne une grande diversité de manières de travailler ensemble pour produire des savoirs pour la recherche et la formation. Le présent article a pour ambition de décrire le travail développé spécifiquement dans l’un de ces LéA, sans prétendre les décrire tous.

12Le LéA RMG est né d’une proposition de chercheur·e·s pour enrichir et faire évoluer les connaissances sur l’évaluation en mathématiques, inscrite dans le cadre d’un projet de plus grande ampleur6. Compte tenu des résultats faibles en mathématiques des élèves français du secondaire aux évaluations nationales (Cycles des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon (CEDRE) pour la fin du collège) et internationales (comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) pour des élèves de 15 ans), cette proposition a été accueillie favorablement par l’institution scolaire française, qui a mis en relation chercheur·e·s et enseignant·e·s. Dès la construction du projet, l’institution scolaire a été impliquée à différents niveaux, si bien que de nombreuses démarches en ont été facilitées, comme l’aménagement des emplois du temps pour rendre tous les enseignant·e·s disponibles sur une même demi-journée, le défraiement des enseignant·e·s impliqué·e·s, l’intégration de ce projet dans le projet d’établissement porteur du LéA, la mise à disposition de locaux pour les réunions, la prise en charge par les directions d’établissement des autorisations de captations audio et vidéo dans les classes ainsi que de la communication aux élèves et aux parents sur les enjeux du projet. De plus, les appuis de l’éducation nationale, de l’IFÉ contribuent à diffuser le travail en dehors du LéA.

Des habitudes de travail en commun déjà installées avant le projet

13Le collectif s’est construit sans que les enseignant·e·s et les chercheur·e·s ne se connaissent préalablement. Mais les enseignant·e·s entre elles et eux, tout comme les chercheur·e·s, étaient déjà fédéré·e·s par des habitudes de travail en commun dans leurs institutions respectives.

14Les quatre enseignant·e·s ayant accepté initialement de s’engager dans un travail de longue durée, appartenaient en effet à une même équipe et avaient construit des habitudes de travail : construction de progressions communes, partage de documents de préparation ou de sujets d’évaluation sommative. Le collectif a ensuite rassemblé entre quatre et douze enseignant·e·s, d’expérience plus ou moins longue (entre 3 et 25 ans) dans l’enseignement et provenant de plusieurs établissements scolaires. Notons que la composition de ce collectif n’est pas figée. Au fur et à mesure des années du projet, l’équipe enseignante s’est étoffée (fig. 1), avec quelques départs dus à des mutations, mais surtout des arrivées de collègues, nouvellement recruté·e·s dans l’éducation nationale ou en provenance d’établissements appartenant au même réseau d’éducation prioritaire. Cette collaboration est par ailleurs la motivation principale des enseignant·e·s pour intégrer le LéA (fig. 3). 

Figure 3. Collaborations ayant motivé les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA. (Réponses au questionnaire, posé en juin 2020, à la question : Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ?)

Figure 3. Collaborations ayant motivé les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA. (Réponses au questionnaire, posé en juin 2020, à la question : Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ?)

15Le nombre de chercheur·e·s a lui aussi varié, au fil des contrats doctoraux ou post-doctoraux, autour des trois chercheur·e·s présentes depuis le départ puis avec l’arrivée d’une quatrième. Les chercheur·e·s du LéA appartiennent au même laboratoire, enseignent dans le même établissement et sont impliqué·e·s dans des projets de recherche communs. Ces appartenances institutionnelles communes ont favorisé l’accompagnement des nouveaux et nouvelles chercheur·e·s entrant : les occasions de travailler ensemble, les temps d’échanges informels sont réellement facilités par ces proximités. 

Une organisation structurée qui rend possible une symétrie entre les différents acteur/trice·s

16La charte des LéA conduit à nommer un correspondant IFÉ (chercheur·e) et un correspondant LéA (enseignant·e). Nous n’y avons pas vu une distinction entre ceux et celles qui penseraient et ceux et celles qui pratiqueraient, mais une première opportunité pour assumer d’une part l’asymétrie de leurs connaissances avec celles des enseignant·e·s et, d’autre part, la symétrie des appartenances à un même collectif. Les participant·e·s ont en effet tou·te·s un rôle à jouer, qui dépasse les tensions supposées entre acteur/trice·s du terrain et chercheur·e·s. Ainsi, les enseignant·e·s ont été impliqué·e·s dans la rédaction du projet et des bilans annuels, notamment en ce qui concerne la problématisation de la recherche, l’impact sur les apprentissages de leurs élèves, le fonctionnement et le calendrier du dispositif. Les ordres du jour des réunions mensuelles du collectif ont été régulièrement discutés entre les deux correspondant·e·s. Lors de la présentation des travaux du LéA à l’IFÉ ou en formation, les interventions ont été autant que possible assurées par les deux correspondant·e·s. Le collectif a souhaité conserver cette symétrie lorsqu’il est devenu un groupe IREM à la rentrée 2020.

Une évolution des thématiques qui permet de maintenir la collaboration

17Au fil des années, les objectifs du LéA ont été amenés à évoluer, pour aborder des thématiques qui soient au cœur de l’actualité des préoccupations de recherche et d’enseignement, notamment de questions vives dans l’institution scolaire (résultats aux évaluations nationales et internationales, etc.). Cette évolution des thématiques et des manières de travailler s’est faite selon deux axes.

18Un premier axe concerne la progression par rapport aux contenus mathématiques explorés, de l’algèbre de cycle 4 (de la 5e à la 3e, en traitant un seul niveau scolaire chaque année) à un élargissement vers l’amont et l’aval de cet enseignement. Au commencement du projet, le choix de l’algèbre s’est imposé d’une part parce que c’est un domaine de recherche investigué par certaines des chercheur·e·s impliquées dans le LéA (Grugeon et al., 2012), et, d’autre part, parce que ce domaine est au cœur des interrogations des enseignant·e·s, qui avaient manifesté, au départ de ce projet, un grand intérêt pour une formation à l’enseignement de l’algèbre.

19Le deuxième axe concerne les apports scientifiques des chercheur·e·s qui ont évolué d’une centration sur les contenus mathématiques, nécessaires pour poser les bases épistémologiques du travail commun, à une prise en compte des déroulements en classes (conditions de mise en place des contenus construits a priori) et des pratiques d’évaluation. Ce choix de progression est lié en particulier aux hypothèses des chercheur·e·s sur les pratiques enseignantes et sur des leviers pour les enrichir, choix explicités plus loin dans ce texte.

20L’évolution du travail dans le LéA sur sept années est présentée de manière synthétique dans le tableau 1. Celui-ci présente les thématiques abordées et la manière dont le travail a été planifié sur chacune des sept années en intégrant quasiment conjointement les apports de la recherche (des outils et des résultats essentiellement), l’analyse des pratiques habituelles des enseignant·e·s et la conception et rédaction des ressources.

Tableau 1. Évolution des thématiques abordées dans le collectif année par année

Tableau 1. Évolution des thématiques abordées dans le collectif année par année

21En conclusion, l’intégration de la collaboration dans un dispositif reconnu par l’institution scolaire et favorisant la symétrie entre les participant·e·s, des habitudes de travail en commun, des thématiques de travail qui évoluent tout en faisant écho à des préoccupations institutionnelles ont certainement été des conditions motrices à la mise en place de la collaboration et à son maintien sur la durée. Nous explicitons la façon dont le premier questionnement du LéA sur l’évaluation des apprentissages des élèves au collège est devenu un objet d’exploration commun.

Genèse d’un questionnement commun et d’un fonctionnement itératif : le cas de l’évaluation des apprentissages des élèves en algèbre

22Dans les différents courants de recherche associant chercheur·e·s et praticien·ne·s, la façon dont le questionnement commun se construit apparaît comme une étape cruciale pour la collaboration, étape présente dans les autres recherches impliquant des enseignant·e·s et des chercheur·e·s. (par exemple, étape de « co-situation » dans la recherche collaborative (Barry et al., 2012). Dans le LéA RMG, la collaboration a porté au départ sur l’évaluation des apprentissages des élèves en mathématiques. L’approche étant ancrée en didactique des mathématiques, nous avions choisi d’aborder un contenu mathématique particulièrement sensible à enseigner et à apprendre, celui de l’algèbre élémentaire au collège. Pourtant, bien qu’annoncée et discutée dès l’écriture du projet, la question de l’évaluation n’était pas l’attente prioritaire des enseignant·e·s qui souhaitaient avant tout échanger sur l’enseignement de l’algèbre (fig. 4, les motivations des enseignant·e·s au début du projet en ce qui concerne des compléments pour leurs pratiques d’enseignement).

Figure 4. Compléments de formation motivant les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA (réponse au questionnaire, juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ? »)

Figure 4. Compléments de formation motivant les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA (réponse au questionnaire, juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ? »)

23Il a fallu plusieurs réunions programmées sur une année pour qu’un consensus s’installe sur l’intérêt partagé de cette thématique et la façon de la traiter. C’est pourquoi, nous interrogeons a posteriori sur la façon dont le questionnement sur l’évaluation est devenu un objet de réflexion commun entre chercheur·e·s et enseignant·e·s.

Évaluation des apprentissages des élèves et pratiques d’évaluation

24Le champ de l’évaluation en éducation est large et il a été nécessaire de clarifier comment le collectif allait considérer le concept d’« évaluation » sur l’enseignement et l’apprentissage d’un contenu spécifique, l’algèbre.

25L’évaluation était au début du projet une entrée peu explorée, pourtant à la fois complexe et pertinente, pour analyser les pratiques des enseignant·e·s en mathématiques. Par « pratiques d’évaluation », nous entendons, en nous appuyant sur les définitions qui caractérisent l’évaluation (De Ketele, 2010, p. 31), tout ce que l’enseignant·e organise pour prendre des informations « suffisamment pertinentes, valides et fiables » sur les connaissances ou activités mathématiques des élèves et les interpréter, en examinant le « degré d’adéquation entre cet ensemble d’informations et un ensemble de critères adéquats aux objectifs fixés au départ ou ajustés en cours de route », et enfin les exploiter « en vue de prendre une décision ». Cette caractérisation est, selon nous, un outil adapté pour décrire et mieux comprendre les pratiques des enseignant·e·s, de même que pour trouver des leviers afin de les enrichir. En fournissant, par exemple, aux enseignant·e·s des outils d’analyse des productions de leurs élèves en algèbre pour qu’ils repèrent des informations pertinentes à y recueillir, les chercheur·e·s ont bien pour ambition de contribuer à enrichir les pratiques d’évaluation, de même qu’analyser les feedbacks des enseignants pendant les séances en classe relève d’un travail sur l’exploitation de ces informations au service des apprentissages. C’est donc aussi le cas lorsque la réflexion au sein du LéA porte sur l’analyse de tâches proposées aux élèves, sur la gestion des erreurs et procédures dans les mises en commun, sur la formulation de savoirs et sur l’élaboration de ressources pour évaluer les connaissances des élèves en début et fin de séquence.

26Ainsi, en tant que chercheur·e·s, nous avions fait l’hypothèse que rentrer par l’enseignement d’un contenu spécifique était un levier pour aborder la question l’évaluation des apprentissages au cours de l’enseignement, tout en répondant aux attentes des enseignant·e·s.

Initier la question de l’évaluation à partir d’apports issus des classes des enseignant·e·s et de la recherche en didactique des mathématiques

27Les premiers temps de la collaboration nous ont permis de faire connaissance avant de pouvoir travailler ensemble. D’une part, côté chercheur·e·s, ce temps a été nécessaire pour observer les pratiques ordinaires des enseignant·e·s afin de situer la discussion par rapport aux pratiques et besoins des enseignant·e·s. Du côté des enseignant·e·s, cela a aussi probablement été une opportunité pour observer le travail des autres enseignant·e·s et celui des chercheur·e·s et leur accorder leur confiance, nécessaire à la collaboration, comme on peut le noter dans cette remarque écrite dans le questionnaire : « j’ai toujours pu m’exprimer librement sans aucun jugement de valeur de la part des autres membres ». Ce temps a donc été nécessaire pour favoriser le travail commun, issu des contraintes, besoins et apports des un·e·s et des autres.

28Des entretiens avec les enseignant·e·s (au début de l’année 1 et de l’année 3 du LéA) ont aussi permis d’éclairer leur vision de l’évaluation, avec une centration principalement sur la fonction sommative de celle-ci, pour poser ensuite une définition commune, et d’en constater certaines évolutions dans les pratiques d’évaluation au fil des années (Pilet et Horoks, 2016).

29Plus largement, la présentation par les enseignant·e·s de leurs choix pour la classe (leurs documents pour enseigner et évaluer, les productions de leurs élèves, le récit ou l’enregistrement des déroulements des séances, leurs connaissances de leurs élèves et de la classe), pendant ou en amont des réunions plénières, constitue le matériau sur lequel ont porté la plupart des échanges du collectifs, pour proposer des réflexions sur les alternatives possibles, à l’aide des outils d’analyse des contenus et de leur enseignement apportés par les chercheur·e·s.

30En effet, la présentation d’une référence épistémologique sur l’algèbre au collège par les chercheur·e·s est un point d’appui pour analyser et comparer les choix habituels des enseignant·e·s puis d’enrichir les tâches choisies (consulter Horoks et al., 2019, pour l’analyse de l’évolution du choix des tâches algébriques d’un enseignant du LéA sur 3 ans) notamment pour le choix des situations d’introduction et l’ensemble des séquences (fig. 2). Pour motiver cet apport d’outils issus de la recherche en didactique de l’algèbre (Grugeon et al., 2012), nous avons proposé aux enseignant·e·s, lors de la première année de travail collectif, de faire passer un test diagnostic à leurs élèves, ce qui n’était pas dans leurs habitudes pour la classe. L’analyse des tâches proposées dans ce dispositif, à l’initiative des chercheur·e·s, a néanmoins aidé à faire prendre conscience aux enseignant·e·s des limites de certaines tâches et de la nécessité d’en proposer d’autres pour développer les apprentissages mathématiques visés. Cette étape a favorisé l’introduction des outils, transposés de théories de recherche en didactique des mathématiques, pour catégoriser les tâches et analyser les productions des élèves. Cela a servi de base pour la suite dans les échanges au sein de l’équipe. Ensuite, la proposition d’une évaluation diagnostique commune, outil élaboré à partir de d’autres recherches (Grugeon-Allys et al., 2012), a permis de questionner les besoins d’apprentissages des élèves et constitué une démarche nouvelle pour les enseignant·e·s, offrant une première opportunité d’entrer dans la question de l’évaluation, vue comme prise d’information, source d’interprétations et d’exploitation.

31De plus, comme la réflexion sur l’algèbre a été une opportunité pour discuter de choix de tâches mais aussi de leur gestion en classe, la réflexion collective, appuyée par les retours d’expérience des enseignant·e·s, a porté sur l’analyse de productions d’élèves avec des critères ciblés, sur la gestion des erreurs et procédures dans les mises en commun, sur la formulation de savoirs ce qui a conduit au fur et à mesure des réunions à une réflexion sur les pratiques d’évaluation des enseignant·e·s (voir Pilet et al., 2019 pour la description des interactions en classe au regard de la question de l’évaluation).

32La participation progressive des enseignant·e·s dans le fait de questionner et mesurer les effets des enseignements nouvellement mis en place en algèbre, contribue à mettre en lumière les moyens pour évaluer ces effets. Ces avancées ont permis de rendre le questionnement de recherche sur l’évaluation de plus en plus explicite pour tous les participant·e·s, avec un rôle d’expérimentateurs/trices pour les enseignant·e·s du LéA.

33Ainsi, le fait d’initier les échanges à partir des pratiques de classes effectives a conduit, d’une part, à faire des apports de la recherche contextualisés aux besoins des enseignant·e·s, et, d’autre part, de faire naître la question de l’évaluation comme un nouvel outil d’analyse des pratiques de classes. Nous présentons maintenant le rôle du contexte institutionnel dans l’élargissement de la question de l’évaluation.

Ancrer la réflexion sur l’évaluation dans un contexte institutionnel en pleine évolution

34Dans le courant de la deuxième année, le contexte institutionnel a été favorable à une centration sur l’évaluation. En effet, il y a eu une évolution importante de l’évaluation de la maîtrise du socle commun de compétences en fin de cycle 4 : l’attribution de niveaux de maîtrise donnant lieu à des points qui contribuent au contrôle continu du diplôme national du Brevet7. Les enseignant·e·s se sont alors emparé·e·s de la réflexion du Léa pour répondre à cette nouvelle demande institutionnelle sur l’évaluation des élèves et ont établi une liste de critères d’évaluation pour les compétences spécifiques aux thèmes des programmes et selon quatre niveaux identifiés par les programmes (tableau 2). Ces critères sont partagés entre enseignant·e·s d’un même établissement et partageables avec les élèves.

Tableau 2. Un exemple de critères d’évaluation produits par les enseignant·e·s en algèbre

Thème : Calcul littéral

Compétence : Prouver avec le calcul littéral

Insuffisant

Fragile

Satisfaisant

Très satisfaisant

J’ai utilisé un autre exemple de calcul.

OU

Les expressions littérales ne traduisent pas correctement les programmes de calcul.

J’ai traduit correctement les programmes de calcul par une expression littérale.

J’ai traduit correctement les programmes de calcul par une expression littérale.

Je me suis lancé dans un développement.

J’ai traduit correctement les programmes de calcul par une expression littérale.

J’ai développé et réduit correctement les expressions pour montrer l’équivalence des deux programmes.

35Toutefois, pour être viable dans les classes, ce nouveau dispositif d’évaluation nécessite d’adopter un fonctionnement uniforme sur l’ensemble des contenus de mathématiques. C’est pourquoi les enseignant·e·s ont étendu leur dispositif au-delà de l’algèbre et sollicité les chercheur·e·s pour conforter leurs choix. Cette extension à d’autres contenus est un indicateur supplémentaire du fait que les enseignant·e·s se sont emparés de la question de l’évaluation.

36Ainsi, ancrer la réflexion dans le contexte institutionnel a été un levier décisif pour rendre la question de l’évaluation des élèves cruciale dans les pratiques des enseignant·e·s.

Un objet commun de travail : processus itératif de conception d’une ressource

37La co-construction de ressource selon un processus itératif a été avant tout un moyen de travailler ensemble. Nous identifions en effet quatre leviers pour amener au co-questionnement autour de l’enseignement de l’algèbre et son évaluation, qui n’ont pas tous la même fonction, mais reposent en grande partie sur le travail sur la ressource :

  • Installer « un langage commun » (Sensevy et al., 2013) nécessaire à la co-construction d’une ressource, à partir des apports des enseignant·e·s sur ce qu’ils enseignent et des apports didactiques des chercheur·e·s, en particulier ici sur ce qu’on entend par « évaluer ».

  • Produire et tester ensemble des ressources en appui sur les analyses collectives des séances expérimentées et les adapter au fur et à mesure jusqu’à une version stabilisée. La production de ressources a d’abord consisté à faire des choix de tâches pour introduire à l’algèbre, puis à les insérer dans les séquences, et enfin à mettre au point des déroulés pour la gestion en classe. Au départ, l’évaluation n’était pas mentionnée en tant que telle, sauf pour l’évaluation diagnostique introduite initialement par les chercheur·e·s. Le fait que cette ressource apportait des éléments pour évaluer les élèves était encore implicite. Le premier cycle d’expérimentation a fait ressortir la complexité de la gestion de telles situations : la question de l’évaluation est arrivée comme un moyen d’accompagner les enseignant·e·s qui ressentaient des difficultés sur la gestion des situations (difficulté sur la prise d’information, sur l’interprétation et sur l’exploitation). L’analyse des déroulés réellement mis en œuvre par les enseignant·e·s a été l’occasion d’introduire des questions d’évaluation, telle que définie : quelles productions choisir pour les discussions collectives, comment gérer les échanges autour de ces productions, leur comparaison et leur validation, et avec quels rôles pour les élèves, etc. C’est lors de ce premier cycle qu’un consensus sur la façon dont l’évaluation allait être traitée a été trouvé.

  • Ancrer ces ressources dans le contexte institutionnel qui évolue de manière à ce qu’elles soient viables pour les enseignant·e·s dans leurs institutions et dans une certaine mesure rendre ainsi possible leur diffusion en dehors du LéA. (cf. partie précédente intitulée « Un objet de travail commun »).

  • Diffuser si possible ces ressources en formation par les différents acteurs du collectif.

Diffusion des travaux en formation continue

38À la demande de l’inspection de l’académie de Créteil, le travail mené dans le LéA a été diffusé auprès des enseignant·e·s de l’académie à travers des formations continues (dispositif PACAL) assurées par les chercheur·e·s et par des enseignant·e·s du LéA.

39Ce dispositif contribue à la symétrie des rôles : chercheur·e·s et enseignant·e·s sont alors « formateurs et formatrices ». Le collectif se retrouve à partager ce qu’il a construit ensemble, à d’autres qui n’ont pas contribué à la construction de la ressource. Cela a à nouveau nécessité de partager un même discours et de construire des arguments partagés tout en les enrichissant par l’expérience de chacun·e·s. Par exemple, du point de vue de l’évaluation, cela a contribué à produire un discours commun sur ce qu’on entend par l’évaluation, sur les critères d’analyse mis en avant et à produire des stratégies communes pour motiver la question de l’évaluation chez les stagiaires.

Conclusion

40Comme nous l’avons montré, le questionnement sur l’évaluation a été crucial dans l’établissement des bases du fonctionnement du collectif permettant un travail sur le long terme. C’est probablement parce que l’adhésion à la thématique n’était pas entièrement partagée au départ, que les échanges, voire les compromis, ont amené à établir un fonctionnement fédérateur. La durée contractuelle de trois ans d’un LéA et la possibilité de le renouveler offrent pour cela des conditions favorables.

41La co-construction de la ressource, qui est l’objet commun du travail, participe à ce que chacun·e apporte ce qu’il ou elle est en mesure d’apporter tout en produisant ensemble. En cela le fonctionnement du collectif se rapproche du principe de symétrie décrit par Sensevy et al. (2013) lorsqu’ils présentent leurs principes de travail dans le cadre des ingénieries coopératives. Ce travail commun est aussi une occasion d’assurer un environnement respectant le plus possible la Zone Proximale de Développement des Pratiques (ZPDP, Rogalski et Robert, 2015) des enseignant·e·s (qui est la zone proximale de développement élargie aux pratiques ou au professionnel) en « élaborant des scénarios de formation mettant fortement en jeu un travail collectif sur des pratiques effectives, permettant l’installation de questionnements, de prises de conscience, et de discussions sur les palettes de possibles en termes de choix de contenus et de déroulements en classe » (Abboud et al., 2019, p. 8).

42Ce focus sur l’évaluation dans la genèse du collectif nous conduit à caractériser dans la partie suivante des principes de fonctionnement qui se sont construits comme des manières de travailler ensemble à la production de savoirs pour la recherche et la formation, en respectant les apports et objectifs de tou.te·s.

Principes de travail collaboratif et conditions pour leur mise en œuvre

43Nous tentons dans cette partie de décontextualiser ce qui a structuré notre collaboration pour le rapprocher avec les modes de fonctionnement décrits dans d’autres courants de travail entre praticien·ne·s et chercheur·e·s. Nos propres modes de fonctionnement, que nous appellerons principes, ont émergé a posteriori, comme nous l’avons souligné dans l’introduction, car la collaboration a été le moyen de notre recherche et non son objet au départ, si bien que nous ne nous étions pas inscrites dans un type de collaboration spécifique. Ces principes sont, pour nous, la base du développement des connaissances produites dans et avec le collectif et reposent sur des valeurs éthiques. Nous avons choisi le terme de « travail collaboratif », dans le sens où nos échanges participent au travail de l’enseignant·e et du/de la chercheur·e. Dans la continuité de notre exemple sur l’évaluation, nous précisons les conditions favorables à la mise en place de ces principes, dans l’objectif de pouvoir les rendre transférables à d’autres collectifs, avec d’autres acteur/trice·s et des visées de recherche et de formation.

Principe de co-construction d’une problématique commune

44La construction progressive d’un objet d’échanges et d’investigation commun est abordée dans les ingénieries coopératives. Dans la recherche collaborative, la co-construction de la problématique s’apparente au processus de co-situation (Barry et al., 2012), où se rejoignent préoccupations des chercheur·e·s et des enseignant·e·s. Plus précisément, selon la description des étapes de co-situation proposée par Barry et Saboya (2015), la co-construction d’une problématique se joue pour nous à la fois dans la préparation du projet, portée par des chercheur·e·s ouvert·e·s aux préoccupations du métier d’enseignant·e, et dans l’alignement des questions de recherche aux besoins exprimés (Abboud et al., 2017) lors des premières discussions avec les enseignant·e·s du collectif. Cela rejoint notre hypothèse initiale, selon laquelle faire se rencontrer les questionnements des chercheur·e·s avec ceux des enseignant·e·s nécessite de prendre en considération les problèmes ressentis par ces dernier·e·s (Butlen et Masselot, 2018).

45Comme nous l’avons montré sur la thématique de l’évaluation, qui n’était pas un besoin ressenti par les enseignant·e·s, ce n’est pas parce qu’une thématique fait consensus pour être choisie comme objet de travail qu’elle fait sens pour tous de la même façon. C’est à travers une redéfinition et des conceptions partagées de l’évaluation que la problématique de travail commune a pu se construire, en même temps qu’un « milieu commun » (Wozniak, 2016), qui se construit dans le temps.

46Ce milieu naît de l’exploration des terrains des un·e·s et des autres : à travers ces allers et retours, ce qui est commun finit par émerger. Cela implique en particulier le fait de faire venir les enseignant·e·s sur le terrain de la recherche, et de partager au moins en partie nos outils théoriques avec les enseignant·e·s, transposés de nos recherches, comme éléments participant à l’enrichissement de ce milieu (Cole et al., 2018). Inversement, cela implique que les chercheur·e·s prennent en compte le terrain des enseignant·e·s, leurs contraintes et marges de manœuvre.

47Cette co-construction d’un milieu s’accompagne également d’une prise de recul pour analyser ce qui se passe en classe, tant pour l’enseignant·e qui réfléchit sur ses pratiques ou celles de ses collègues, que pour les chercheuses qui éprouvent la pertinence des outils de la recherche pour étayer une telle réflexion. Cela implique la mise en place d’un langage et d’outils communs (Sensevy et al., 2013). Par exemple, le terme d’évaluation était pris dans des sens différents pour les protagonistes, et les apports de la recherche ont permis de s’accorder sur une même façon de les identifier dans les conceptions et pratiques. Ce milieu est également constitué d’une histoire partagée : des essais de situations à mettre en œuvre co-construites et co-analysées, la mémoire des discussions parfois vives sur ce qu’il est possible ou pas d’implémenter dans les classes.

48Dans notre cas, enfin, une référence épistémologique explicite, relative aux contenus abordés, issue de la recherche en didactique (Grugeon-Allys et al., 2012 ; Pilet, 2015) et transposée pour pouvoir être partagée avec les enseignant·e·s, joue un rôle central dans la construction du milieu. En effet, du point de vue théorique, nous nous appuyons sur la caractérisation d’un modèle épistémologique de référence (Bosch et Gascon, 2005), tel que défini dans le cadre de la théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 1992), afin d’analyser le processus de transposition didactique des contenus à l’œuvre dans l’institution scolaire et de comparer le savoir à enseigner (textes officiels) avec celui enseigné (pratiques enseignantes) et celui appris. Faire des apports épistémologiques et didactiques sur l’algèbre élémentaire s’est avérée essentiel pour porter un regard commun (dépersonnalisé) sur les contenus enseignés et a contribué à faire émerger chez les enseignant·e·s le lien entre la présence ou non de certaines tâches ou de certaines de justifications avec certaines difficultés ou erreurs des élèves. Partager cette référence avec les enseignant·e·s, dans une version transposée, a été un levier incontournable dans la co-construction du “milieu commun” et de la problématique, tout en s’inscrivant dans les attentes institutionnelles et les besoins de l’enseignement.

Principe d’appui sur les contextes d’enseignement et les pratiques des enseignant·e·s

49Ce principe est avant tout guidé par un double ancrage théorique sur les pratiques enseignantes et sur la formation.

50D’une part, dans le cadre de la théorie anthropologique du didactique, les pratiques enseignantes sont dépendantes de l’institution scolaire dans laquelle l’enseignant exerce. Cela nous conduit donc à considérer le contexte institutionnel, les programmes, le temps alloué à telle ou telle discipline comme des contraintes et marges de manœuvre essentielles pour échanger et construire avec les enseignant·e·s. Par exemple, un changement, quant à l’évaluation, dans les attentes institutionnelles, visible, soit dans les textes officiels, soit dans les exercices proposés aux évaluations nationales ou certificatives (baccalauréat, brevet des collège), peut avoir un impact sur les pratiques d’évaluation des enseignant·e·s, tant sur les contenus proposés, que sur la place donnée à l’évaluation dans les apprentissages (fonctions diagnostiques et formative notamment).

51D’autre part, notre inscription dans la Double Approche didactique et ergonomique de l’enseignement (Robert et Rogalski, 2002), nous amène à prendre en compte non seulement les activités de l’enseignant·e en lien avec les apprentissages potentiels des élèves, mais aussi des facteurs liés aux contraintes du métier, en particulier sociaux ou institutionnels, qui peuvent, dans le cas de l’évaluation par exemple, conduire à lui donner d’autres fonctions que celle de faire apprendre (Rey et Feyfant, 2014). En nous appuyant sur des recherches menées sur les pratiques ordinaires dans ce cadre (Roditi, 2003 ; Pariès et al., 2008) nous faisons l’hypothèse les pratiques sont fortement ancrées et rapidement stabilisées chez un·e enseignant·e donné·e, d’où la difficulté selon nous de former les enseignant·e·s. Nous supposons alors, en appui sur nos recherches sur les pratiques enseignantes et la formation, la nécessité de partir d’une Zone Proximale de Développement des Pratiques (ZPDP, Rogalski et Robert, 2015) et de pratiques déjà là – ou presque déjà là – (Robert, Roditi et Grugeon, 2008) pour proposer des enrichissements, sous forme, non pas des méthodes à appliquer, mais plutôt des alternatives pour enseigner (Robert et Horoks, 2007), dont les enseignant·e·s peuvent se saisir. Une des réponses au questionnaire vient conforter ce principe en réaffirmant l’importance de ne pas trop s’éloigner des pratiques enseignantes, du moins au début : « Ma première réunion ! J’y ai exposé ma conception de l’enseignement du calcul littéral et dit que je ne reviendrais que si elle comporte de nombreux points en commun avec le travail effectué dans le LéA. »

52Cette volonté de travailler à partir et avec les pratiques des enseignant·e·s, que l’on retrouve en recherche collaborative lors de la co-situation avec l’effort nécessaire, pour les chercheur·e·s, de « prendre connaissance minimalement des cadres de référence sous-jacents aux pratiques des enseignants » (Barry et Saboya, 2015), est présente, non seulement au démarrage du projet, mais encore par la suite, de façon systématique, tout au long du travail de conception, de mise en œuvre et d’analyse. Du côté de la recherche, cela favorise une réflexion et la production de résultats situés dans la réalité du terrain. Du côté des enseignant·e·s, l’appui sur leurs pratiques ordinaires minimise le coût de leur investissement dans le LéA. À ce propos, pour Goigoux (2017, p. 3), la collaboration doit être efficiente, dans « le rapport entre ses coûts pour les enseignants (réorganisation cognitive, surcharge de travail, investissement émotionnel…) et ses bénéfices (satisfaction due à l’amélioration des apprentissages des élèves ou à l’accroissement du sentiment de compétence du professeur) ». Trouver un tel équilibre entre coût et bénéfice nous paraît nécessaire pour que les enseignant·e·s restent investi·e·s sur un temps long. C’est certainement une explication possible de la longévité du LéA formé en 2014 comme en témoigne en partie les réponses des enseignant·e·s au questionnaire (fig. 5).

Figure 5. Les éléments des réunions qui ont eu le plus d’impact sur les enseignant·e·s (réponses au questionnaire de juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui a fait que certaines réunions, ou certains moments dans ces réunions, ont eu pour toi plus d’impact ? »)

Figure 5. Les éléments des réunions qui ont eu le plus d’impact sur les enseignant·e·s (réponses au questionnaire de juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui a fait que certaines réunions, ou certains moments dans ces réunions, ont eu pour toi plus d’impact ? »)

53Ce principe est donc à relier avec le suivant, qui porte sur le temps long, qui nous permet de créer des ressources d’enseignement et de formation communes et réalistes, fondées sur ces apports théoriques mais reposant aussi sur l’expérience des enseignant·e·s. La durée est ainsi une condition nécessaire à la construction, tant des ressources que de la recherche, en particulier en ce qui concerne l’analyse des effets de cette collaboration sur les pratiques et sur les apprentissages des élèves.

Principe itératif de conception et de mise en œuvre de ressources sur un temps long

54Nous le rappelons ici, la co-construction de la ressource est pour nous un moyen de travail ensemble, d’assurer une activité conjointe mais les questions que nous nous posons ne portent ni sur la diffusion, ni sur la viabilité, à plus ou moins grande échelle de la ressource.

55Notre volonté de travailler avec les enseignant·e·s sur un objet commun, une ressource à diffuser à des collègues enseignant·e·s extérieurs au LéA, contribue à ce que nous ayons des proximités dans notre collaboration avec les ingénieries coopératives. Mais elle s’en éloigne dans la mesure où elle a aussi pour objectif de documenter les pratiques des enseignant·e·s (Bednarz et al., 2015).

56Notre principe de conception est itératif dans le sens où les ressources sont conçues, expérimentées et retravaillées suite aux analyses des expérimentations, jusqu’à obtenir une version stabilisée et partagée après plusieurs cycles (fig. 6).

57Ce processus itératif s’éloigne de celui défini dans les ingénieries de développement (Perrin-Glorian, 2019), dans lequel l’itération consiste à diffuser une ressource en partie déjà conçue par les chercheur·e·s à un ensemble d’enseignant·e·s de plus en plus large et éloigné de l’équipe de conception. Il se rapproche en revanche des ingénieries coopératives (Sensevy, 2013, 2016) et des Lessons Studies (Clivaz, 2015) dans le sens où la ressource est testée et révisée par l’équipe de conception suite aux expérimentations et à leurs analyses. La ressource stabilisée est ensuite diffusée à plus ou moins grande échelle selon les recherches.

Figure 6. Processus itératif de conception de ressources dans le LéA RMG

Figure 6. Processus itératif de conception de ressources dans le LéA RMG

58En lien avec le principe précédent, le fait de partir des pratiques amène alors à faire porter nos analyses conjointes sur des données objectivables de la classe. Nous partons en effet des documents des enseignant·e·s pour leur classe (séquences avec tâches et cours, évaluations, progressions sur l’année voire sur le cycle), analysés par les outils des chercheur·e·s et enrichis par leurs propositions, qui sont négociées pour rester possibles dans les contextes d’enseignement des enseignant·e·s du LéA. Il y a un principe sous-jacent de symétrie, défini dans le paragraphe suivant, qui consiste à considérer que les apports des chercheur·e·s et des enseignant·e·s sont tous à prendre en considération dans la négociation.

59Les ressources du LéA sont composées de progressions découpées en séquences et en séances et de scénarios expliquant les éléments incontournables pour leur gestion en classe, des fiches d’exercices prêtes à l’emploi sont également proposées. Comme nous l’avons déjà souligné dans l’exemple sur l’évaluation, ces éléments incontournables portent sur un découpage en phases et leurs durées, les modalités de travail mais aussi la prise en compte des erreurs, la nature du discours mathématique à apporter pour valider ou invalider des productions et pour synthétiser ce qui a été appris. Les ressources ne sont donc pas composées de séances isolées mais d’un ensemble structuré et cohérent inscrit dans une progressivité sur plusieurs années scolaires comme le suggèrent des travaux récents sur la diffusion de résultats de recherche dans l’enseignement (Coppé et Grugeon-Allys, 2015 ; Coppé et al., 2016).

60Les ressources ainsi construites sont testées en classe par plusieurs enseignant·e·s, parfois dans plusieurs classes pour un·e même enseignant·e, apportant à la discussion collective du LéA des traces de cette mise en place avec des photographies du tableau, des productions des élèves, des vidéos de la séance ou des témoignages. Les ressources sont ainsi complétées par des traces tangibles de cette mise en oeuvre, puis testées à nouveau par les mêmes enseignant·e·s, ainsi que par certain·e·s de celles et ceux qui rejoignent le LéA lors des années suivantes.

61Ce temps long, conjugué au nombre de membres du LéA, globalement croissant, permet donc une mise à l’épreuve à la fois des ressources construites et de la possibilité de leur diffusion auprès d’enseignant·e·s extérieurs à l’équipe. Il permet à l’équipe d’attester de la viabilité des propositions d’enseignement émanant du LéA et donne l’opportunité d’un certain recul pour en analyser les effets sur les élèves à plus long terme. Ce temps long permet des allers et retours entre questionnements professionnels, questionnements de recherche et réponses apportées à ces questionnements. Leurs reformulations successives participent à construire une mémoire collective d’équipe : les questions et les réponses de chacun devenant dans la mesure du possible les questions et les réponses de tous. L’articulation d’un temps court (relatif aux besoins immédiats des enseignant·e·s pour leurs classes) et d’un temps long permet une prise en compte des apports du travail collaboratif selon différentes temporalités et selon les possibilités de chacun·e (fig. 7).

Figure 7. Terme auquel la participation au LéA a eu un impact déclaré dans la pratique des enseignant·e·s (réponses au questionnaire posé en juin 2020, à la question : « À quel terme dirais-tu que les réunions du LéA ont eu une influence sur ta pratique ? » (plusieurs réponses possibles)

Figure 7. Terme auquel la participation au LéA a eu un impact déclaré dans la pratique des enseignant·e·s (réponses au questionnaire posé en juin 2020, à la question : « À quel terme dirais-tu que les réunions du LéA ont eu une influence sur ta pratique ? » (plusieurs réponses possibles)

62Chercheuses et enseignant·e·s sont impliqué·e·s dans des processus de transposition didactique des savoirs considérés pour prendre en considération des travaux issus de la recherche, des pratiques habituelles et des attentes institutionnelles (programmes notamment). La transposition didactique est discutée et partagée. Ainsi, par exemple, si des choix de situations d’enseignement ne s’avèrent pas pertinents à la suite de à l’analyse réflexive de leur mise en œuvre en classe, la responsabilité est collective. Ce n’est pas l’enseignant·e qui est remis·e en question mais les choix de l’équipe.

63La diffusion de la recherche et des ressources est également partagée. Nous avons ainsi animé des présentations et des formations en co-intervention. Ce partage des tâches a engagé les enseignant·e·s à découvrir un rôle qu’ils et elles n’avaient pas forcément tous et toutes envisagé en participant au LéA, celui de formateur·trice (fig. 8).

Figure 8. Statuts motivant les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA (réponse au questionnaire posé en juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ? »)

Figure 8. Statuts motivant les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA (réponse au questionnaire posé en juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ? »)

Principe de partage des tâches et des responsabilités pour rendre visible l’implication des différents acteur/trice·s : dialectique entre symétrie et asymétrie

64L’une des conditions mise en lumière pour expliquer que le collectif perdure tient à l’implication de tous les acteur/trice·s du collectif dans les différentes tâches et responsabilités et le partage des connaissances.

65En ce qui concerne la composition du collectif, la symétrie s’applique dès l’identification des deux responsables, un·e chercheur·e, un·e enseignant·e, tel qu’imposée par la charte des LéA. L’asymétrie est aussi constitutive du collectif qui regroupe des enseignant·e·s et des chercheur·e·s dont l’ancienneté dans le métier est différente. Cette variété des statuts, de l’expérience et de la nature des connaissances peut être un facteur favorisant l’asymétrie. Dès le départ, nous voulions éviter l’écueil de scinder le collectif en deux sous-groupes, ceux/celles qui savent et ceux/celles qui apprennent. Le dépasser requiert, a posteriori, de mettre en place des conditions favorisant l’engagement de tou·te·s. Nous retrouvons cette même volonté d’engagement de tous les participant·e·s du collectif dans les ingénieries coopératives. Le partage des tâches, l’identification des questions communes, la diffusion de nos ressources s’est construite au fur et à mesure de la collaboration, évoluant même au fur et à mesure de son avancée. En cela nous nous rapprochons des recherches collaboratives et de la co-opération et co-production-en action (Bednarz, 2013).

66Le principe de co-conception et de mise en œuvre de ressources tel que nous l’avons exposé plus haut rend possible le partage des tâches et les apports de tous les membres. Évidemment, certain·e·s participant·e·s sont plus enclin·e·s que d’autres à faire des propositions, selon les moments et les sujets abordés, et les personnalités de chacun·e. Si l’implication des enseignant·e·s dans le recueil des données et les co-analyses ont pour nous une place centrale, c’est parce que la variété possible des recueils – vidéos de classes, travaux d’élèves, témoignages – est un moyen et un matériau à la fois pour travailler ensemble en co-produisant des ressources et aussi fournir des données pour la recherche.

67En effet, les enseignant·e·s se filment, scannent des productions d’élèves et mettent à la disposition de tou.te·s les membres du groupe des documents de classes. Selon le questionnement qui nous intéresse, ce recueil de données fait l’objet d’une analyse, dont les critères sont discutés pendant les séances collectives, et qui est réalisée ou partagée avec les enseignant·e·s (plus ou moins selon qu’elle concerne davantage les apprentissages des élèves ou les pratiques des enseignant·e·s), qui sont néanmoins au courant des objectifs de l’ensemble de la recherche, et de ses résultats généraux. Leur participation aux analyses réalisées pendant les réunions, ou leurs réactions à la présentation de celles qui sont préparées par les chercheur·e·s en amont, enrichit la réflexion de tou.te·s en appui sur les échanges et explications des différents points de vue. Ces analyses communes mettent parfois en lumière un point obscur d’une séance que les données seules ne permettent pas mettre à jour. Le contexte, en particulier relativement aux différentes temporalités – du travail collaboratif, de l’enseignement, de la recherche – peut expliquer aussi certains choix des enseignant·e·s ou des chercheur·e·s qui pourraient paraître contre-productifs : par exemple, un bilan d’une séance non abouti faute de temps, ou encore une analyse a priori de situations incomplète de la part des chercheur·e·s, faute de temps pour faire les analyses entre deux réunions.

68Par ailleurs, les enseignant·e·s du LéA témoignent bien de la symétrie et des asymétries dans leurs réponses au questionnaire. En effet, les rôles dont ils et elles se sont sentis investi·e·s dans le LéA, sont multiples : « Enseignant, sujet d’étude, expérimentateur, rédacteur, formateur… », avec en particulier ce qui concerne l’apport de données : « J’ai apporté des copies d’élèves, des cours effectués, ainsi que des réflexions, j’ai créé et perfectionné des documents utilisables » et la mise en place d’expérimentations : « Tester les ressources, proposer des exercices, tourner des vidéos », pour faire le « relais entre les propositions faîtes par les chercheurs et l’expérimentation menée en classe », mais aussi un apport de connaissances : « Pouvoir donner le point de vue “enseignant” », « Apporter des pratiques » ou une « expérience enseignante ».

69Le rôle qu’ils et elles disent avoir joué dans la recherche effectuée concerne principalement la mise en place d’expérimentations et l’apport de données, mais aussi leur participation à la discussion sur ces données : il est « très intéressant d’être chercheur d’une certaine manière par l’expérimentation terrain, en participant au codage des copies » et à la rédaction des ressources qui en ont découlé. Un enseignant précise même : « J’ai le sentiment d’avoir participé à la recherche en expérimentant auprès des élèves ce que nous avions produit dans le LéA mais aussi en étant moi-même un sujet d’étude sur mes gestes professionnels, sur le discours utilisé en classe, sur le choix des activités, etc. Je pense que le travail de rédaction sous toutes ses formes et de communication (pour les journées des LéA, pour les bilans) est aussi une activité de la recherche. »

70Le rôle que les enseignant·e·s perçoivent chez les chercheur·e·s est surtout situé du côté de la théorie : « Je vois les chercheurs comme les détenteurs des connaissances théoriques, les personnes qui nous poussent à mener des réflexions et nous guident dans celles-ci », elles favorisent à « faire le tri et des liens dans les informations théoriques pour en retenir l’essentiel », ayant « un regard extérieur », mais sans négliger le côté pratique, car étant aussi « force de proposition de contenus et de déroulements », « de ressources peu communes », et tout en ayant eux aussi des rôles multiples : « Un double rôle : accompagnateur et organisateur », organisant « également un lien plus fort avec des institutions » dont « ils connaissent aussi plus finement les codes ».

71Enfin, nous avons mise en place tout comme à l’étape de co-situation dans la recherche collaborative, un « contrat collaboratif » (Morrissette, 2011) qui pourrait se décrire comme un « mode de faire et de dire » pour chacun·e dans un projet commun et où se « négocient les rôles et les attentes réciproques » de chacun·e. Ce contrat, institué dès les premières rencontres avec les enseignant·e·s, évolue au fur et à mesure du travail commun même s’il n’est qu’en partie explicité. En effet, au fil des réunions un contrat tout d’abord explicite s’est en effet établi entre chercheur·e·s et enseignant·e·s sur la nécessité de partager les données, les analyses et les connaissances pour que chacun·e d’entre nous ait un intérêt à rester dans le collectif. Nous faisons l’hypothèse que l’explicitation de ce contrat a rendu possible la co-construction d’une problématique commune au plus près des préoccupations des enseignant·e·s. Mais son explicitation ne suffit pas pour qu’il devienne une réalité. Il s’agit d’installer réellement un contrat de confiance, être dans une écoute compréhensive, organiser les réunions avec des apports des un·e·s et des autres, distribuer le temps de parole, s’inquiéter parfois du manque de parole, prendre en compte leurs contraintes comme ne pas imposer de réunions les semaines de conseils de classe, encourager les participations aux réunions des Léa, accepter les désaccords et les argumenter… Et montrer alors, que les chercheur·e·s n’ont vraiment pas toutes les solutions aux questions que pose l’enseignement. Cet espace est l’occasion de préciser certaines de nos analyses et parfois de ne pas sur interpréter les choix des enseignant·e·s.

72Ce partage comprend également un principe de convivialité puisqu’un collectif joue un rôle social pour les participant·e·s. Ainsi, la convivialité, la coopération, l’entraide sont des valeurs qui doivent être portées par tou.te·s. Selon Reuter (2007), cet espace de travail convivial se construit autour de la définition commune d’ordre du jour des réunions, envoyé à l’avance, le respect des engagements de chacun·e, le respect des horaires mais aussi par des moments conviviaux entre les participant·e·s.

73Ainsi, ces quatre principes, encore partiellement implicites au début du projet, ont pu tout au long de la recherche se préciser et montrer leur pertinence pour décrire et organiser la démarche de collaboration. En particulier, ils ont conduit, selon nous, à établir un contrat de confiance durable entre les chercheuses et les enseignant·e·s. Nous identifions alors une dialectique entre une symétrie liée aux partages des tâches et une asymétrie assumée quant aux apports potentiels des un·e·s et des autres. C’est dans la construction de cette dialectique que l’équilibre, la confiance s’installent contribuant alors à la longévité du collectif.

Conclusion sur les principes de fonctionnement du LéA RMG

74Les raisons de la longévité de notre collectif sont diverses : le fait que les participant·e·s travaillent ensemble en dehors des temps de regroupement, le soutien de l’institution scolaire, la symétrie et l’asymétrie, la co-construction d’un questionnement commun et de la ressource. Nous les avons inscrites dans quatre principes de fonctionnement que nous avons rapprochés de d’autres travaux sur les recherches entre chercheur·e·s et enseignant·e·s. Si ces rapprochements sont possibles, c’est certainement parce qu’il y a un caractère commun voire une forme de généralité dans les modes de fonctionnement entre praticien·ne·s et chercheur·e·s. À ce propos, Perrin-Glorian (2019) rapproche ingénierie didactique de développement et de formation et ingénierie coopérative en trois points communs : des questionnements communs aux enseignant·e·s et chercheur·e·s portant sur un contenu précis, l’importance du temps long pour rendre cyclique la méthodologie et le partage des tâches et des responsabilités. D’autres similarités existent par ailleurs avec des dispositifs de formation sans dimension de recherche collaborative (Allard et al., 2018). 

75Le travail de collaboration est complexe et repose sur des principes qui sont eux-mêmes liés. Nous faisons l’hypothèse que l’absence d’un de ces principes rendrait difficile voire impossible la collaboration sur du temps long.

Conclusion et perspectives

76En reconstruisant a posteriori les dynamiques du travail du LéA RMG, en particulier sur le thème de l’évaluation, nous avons dégagé quatre principes de fonctionnement du collectif, dont nous avons argumenté de la pertinence pour une telle collaboration, durable et fructueuse. Les réponses des enseignant·e·s à un questionnaire passé après six années de travail ensemble, ainsi que leur volonté unanime de poursuivre collectivement ce travail même au terme de l’existence institutionnelle du LéA, viennent conforter nos hypothèses sur le rôle de ces principes. Nous avons tenté de montrer les liens entre ces principes et d’autres courants de recherche, pour rendre compte d’une opérationnalisation possible à travers une réflexion sur l’organisation du travail effectif avec les enseignant·e·s.

77Le travail collectif est une richesse pour le développement professionnel, tant du côté des enseignant·e·s que de celui des chercheur·e·s : il s’est avéré dans notre cas être un terrain de recherche privilégié, d’un point de vue scientifique et humain. Il présente en effet de nombreuses potentialités pour travailler en confiance avec des enseignant·e·s, reconnu·e·s institutionnellement pour le travail effectué avec les chercheur·e·s. Pour ces dernier/nière·s, il contribue à produire de nouvelles connaissances sur les pratiques, sur la viabilité des résultats et outils de la recherche et sur la gestion et mise en œuvre de tels dispositifs. Il permet ainsi d’accéder aux pratiques sur le long terme et de tester des hypothèses de recherche sur le terrain tout en répondant aux attentes des enseignant·e·s et en contribuant à la production de ressources. Par ailleurs, dans d’autres travaux (Pilet et Horoks, 2016, 2019), nous avons montré que les effets de ce dispositif tant sur les pratiques que sur les apprentissages des élèves sont visibles, sur un temps long.

78Ces principes ont été repris pour établir d’autres espaces de travail collaboratif avec des enseignant·e·s de primaire, dans d’autres contextes, mais toujours sur des contenus mathématiques. L’étude de ces dispositifs pourra permettre d’interroger la reproductibilité de leur fonctionnement. Elle pourra amener aussi à questionner leur élargissement à des collaborations investiguant d’autres objets de recherche en dehors des contenus disciplinaires, ainsi que des dispositifs de formation prenant en compte les dynamiques observées dans nos collaborations. Toutefois, dans ce dernier cas, une extension de l’équipe à un périmètre éducatif plus large incluant des acteur/actrice·s avec des positions hiérarchiques différentes au sein de l’institution, modifie certainement ces dynamiques.

79Le rapport entre chercheur·e et enseignant·e est guidé par un aspect éthique dans le fait de respecter les attentes des enseignant·e·s en termes de formation et par un aspect méthodologique, pour mener à bien la recherche, sans pour autant hiérarchiser ces différents besoins et les rôles des participant·e·s. Plusieurs questions ouvertes restent à débattre : quelle méthodologie spécifique mettre en place pour relever le défi d’analyser un système qui évolue à la fois du côté des pratiques enseignantes mais aussi du côté des pratiques de recherche, de même que du statut des enseignant·e·s impliqué·e·s par rapport à la recherche ? En quoi ce dispositif permet-il de développer des compétences nouvelles pour les chercheur·e·s et de produire des résultats de recherche (épistémologiques et méthodologiques) que les chercheur·e·s ne pourraient pas produire autrement ?

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Bibliographie

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Notes

1 Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques : centres de recherche et de formation universitaires voués à la didactique des mathématiques et développés en France depuis 1969.

2 Institut National de Recherche Pédagogique, ayant pour objectifs d’accueillir des recherches pédagogiques et d’offrir des ressources documentaires en éducation, entre 1976 et 2010.

3 Le collectif qui fait l’objet de ce texte est initialement inscrit dans un projet de Lieu d’Education Associé (LéA) rattaché à l’Institut Français de l’Education (IFÉ). D’une durée de trois ans reconductibles, les LéA réunissent des praticien·ne·s et des chercheur·e·s autour d’une même problématique en lien avec l’éducation. Une charte définit les rôles de chacun, notamment ceux des deux responsables, l’un·e étant praticien.ne et l’autre chercheur·e. Le réseau des LéA organise des rencontres régulières entre les différents dispositifs. http://ife·ens-lyon.fr/lea/le-reseau.

4 Le LéA intitulé LéA2TEM pour deux territoires en mathématiques traite de la résolution de problèmes en fin d’école primaire.

5 https://irem.u-paris.fr/

6 Projet ANR Neopraeval http://www.agence-nationale-recherche.fr/Projet-ANR-13-APPR-0002.

7 http://eduscol·education.fr/cid98239/modalites-d-attribution-du-diplome-national-du-brevet.html

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Années d’intégration et de départ des enseignant·e·s dans le collectif (N =11 enseignant·e·s)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre Figure 2. Ce sur quoi la participation au LéA a eu un impact déclaré dans la pratique des enseignants (réponses au questionnaire posé en juin 2020 après 6 ans de projet, à la question : « Ta participation au LéA RMG sur la thématique de l’algèbre a modifié en particulier… »)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 449k
Titre Figure 3. Collaborations ayant motivé les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA. (Réponses au questionnaire, posé en juin 2020, à la question : Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ?)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 167k
Titre Tableau 1. Évolution des thématiques abordées dans le collectif année par année
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 336k
Titre Figure 4. Compléments de formation motivant les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA (réponse au questionnaire, juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ? »)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 214k
Titre Figure 5. Les éléments des réunions qui ont eu le plus d’impact sur les enseignant·e·s (réponses au questionnaire de juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui a fait que certaines réunions, ou certains moments dans ces réunions, ont eu pour toi plus d’impact ? »)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 238k
Titre Figure 6. Processus itératif de conception de ressources dans le LéA RMG
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 234k
Titre Figure 7. Terme auquel la participation au LéA a eu un impact déclaré dans la pratique des enseignant·e·s (réponses au questionnaire posé en juin 2020, à la question : « À quel terme dirais-tu que les réunions du LéA ont eu une influence sur ta pratique ? » (plusieurs réponses possibles)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 160k
Titre Figure 8. Statuts motivant les enseignant·e·s pour entrer dans le LéA (réponse au questionnaire posé en juin 2020, à la question : « Qu’est-ce qui, à l’origine, t’a donné envie de participer au LéA RMG ? »)
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/9644/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
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Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Allard, Julie Horoks et Julia Pilet, « Principes de travail collaboratif entre chercheur·e·s et enseignant·e·s : le cas du LéA RMG »Éducation et didactique, 16-1 | 2022, 49-66.

Référence électronique

Cécile Allard, Julie Horoks et Julia Pilet, « Principes de travail collaboratif entre chercheur·e·s et enseignant·e·s : le cas du LéA RMG »Éducation et didactique [En ligne], 16-1 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/educationdidactique/9644 ; DOI : https://doi.org/10.4000/educationdidactique.9644

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Auteurs

Cécile Allard

Univ. Paris EST Créteil, Université de Paris, CY Cergy Paris Université, Université de Lille, Université de Rouen, LDAR, F-94010 Créteil, France (cecile.allard@u-pec.fr)Identifiant ORCID : 0000-0002-1123-1677 Univ. Paris EST Créteil, Université de Paris, CY Cergy Paris Université, Université de Lille, Université de Rouen, LDAR, F-94010 Créteil, France (julie.horoks@u-pec.fr)Identifiant ORCID : 0000-0002-2316-6615

Julie Horoks

Univ. Paris EST Créteil, Université de Paris, CY Cergy Paris Université, Université de Lille, Université de Rouen, LDAR, F-94010 Créteil, France (julie.horoks@u-pec.fr)Identifiant ORCID : 0000-0002-2316-6615

Julia Pilet

Univ. Paris EST Créteil, Université de Paris, CY Cergy Paris Université, Université de Lille, Université de Rouen, LDAR, F-94010 Créteil, France (julia.pilet@u-pec.fr)Identifiant ORCID : 0000-0003-2698-2666

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