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1Parentalité(s) et après ?, dirigé par Vincent Meyer, professeur de sociologie à l’Université Côte d’Azur, et Salvatore Stella, président du Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert (CNAEMO), est un ouvrage collectif réunissant dix-huit chapitres. Publié aux Éditions Érès, en 2021, l’ouvrage est récipiendaire du Prix de l’analyse sociale, décerné en 2022 par l’Institut Régional du Travail Social (IRTS) Normandie-Caen.

2Les dix-huit chapitres de ce collectif, rédigés par des chercheur.se.s de diverses disciplines, dont la psychologie, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie et le droit, et par des intervenant.e.s oeuvrant dans les sphères communautaires, associatives, carcérales, de la santé ou de la protection de l’enfance, discutent des pratiques parentales contemporaines, de leurs mutations et de celles de la protection de l’enfance, et de leurs défis pour les intervenant.e.s auprès des familles.

3L’introduction, rédigée par Vincent Meyer, met l’accent sur les difficultés de définir la famille à travers l’évolution des sociétés. Meyer reprécise également les différences entre parenté et parentalité. La parenté se base sur les liens de sang et/ou de filiation, alors que la parentalité est un concept se situant dans le « devenir parent(s) » et les relations interpersonnelles et souvent dans l’intérêt de l’enfant. Cette parentalité combine selon l’auteur des liens d’attachement, du pédagogique et de l’éducatif, ainsi qu’une entraide entre parents. Il rappelle aussi que la parentalité est plurielle, en reconfiguration constante et est une catégorie construite historiquement, socialement, juridiquement et économiquement. Pour Meyer, l’ouvrage « invite surtout à penser les pluriparentalités dans le contexte institutionnel de la "protection de l’enfance" avec son histoire » (p. 16). Cette approche de « protection de l’enfance » privilégierait, face à une suspicion de mise en danger de l’enfant, une rupture du lien parental sans accompagnement approprié des parents, ce que critiquent plusieurs auteur.rice.s de l’ouvrage.

4Cinq thématiques principales se distinguent dans cet ouvrage. Une première établit un historique de l’évolution des familles en Occident. Une deuxième fait état de phénomènes sociaux mettant en lumière une pluralité de manières de faire famille en France. Une troisième émet des recommandations en lien avec l’intervention en protection de la jeunesse. Une quatrième soulève des difficultés sociales et psychologiques auxquelles les parents peuvent faire face en France (violence, détention, burn out parental, etc.). Une dernière illustre des parentalités et des systèmes de protection de l’enfance à l’extérieur de la France, dans un but de présenter différentes manières de concevoir les familles et la protection de l’enfance.

5La première thématique, qui comprend les trois premiers chapitres, s’attarde sur la parentalité de personnes ayant une déficience intellectuelle, sur l’évolution des familles et sur la transition de la parenté vers la parentalité en Occident. Les auteur.rice.s analysent l’évolution de la place accordée aux enfants, dont l’importance est devenue centrale dans les discours sociaux et de la protection juridique. Le premier chapitre analyse dans une perspective anthropologique le rapport intitulé La situation des enfants dans le monde, l’égalité des chances pour chaque enfant de l’UNICEF, paru en 2016. Le deuxième chapitre fait état de l’évolution des lois occidentales concernant l’autorité parentale, du pater familias dans la Rome ancienne à aujourd’hui, puis il s’attarde sur l’absence actuelle de lois claires encadrant l’autorité parentale des personnes ayant une différence intellectuelle. Le troisième chapitre aborde le glissement de la parenté, un ordre social immuable à travers lequel les rapports sociaux sont hiérarchisés, vers la parentalité, qui permet l’invention d’autres manières de « faire famille ».

6Une deuxième thématique, qui comprend les chapitres quatre à sept, aborde plusieurs phénomènes sociaux et familiaux contemporains, liés entre autres au vieillissement, à la coparentalité, aux fratries et au handicap. Ces chapitres font état d’une pluralité de configurations contemporaines de la parentalité et du « faire famille ». Le quatrième chapitre explore notamment les défis d’adultes proches aidants auprès de leurs parents vieillissants. Dans un cinquième chapitre, les enjeux contemporains des coparentalités sont examinés, en particulier à travers la gestion des conflits, la qualité de la relation conjugale, les divergences sur les valeurs éducatives, les pressions sociales et conditions socio-économiques. Dans un sixième chapitre, les autrices postulent que l’émergence du principe d’intérêt supérieur de l’enfant commun aux sociétés occidentales contemporaines permet aux fratries d’avoir plus de droits qu’auparavant face aux parents, n’y étant plus soumises, mais ayant maintenant un statut légal distinct. Un septième chapitre met en lumière les points de vue et défis de parents et sœurs d’enfants en situation de handicap, liés entre autres à l’acceptation et au regard des autres. Ces chapitres proposent aux lecteurs et lectrices de réfléchir à la responsabilisation importante des familles dans les sociétés occidentales : entre autres, les lecteurs et lectrices peuvent facilement constater que les proches aidant.e.s, ainsi que les familles d’enfants en situation de handicap, se retrouvent avec de lourdes responsabilités liées aux soins des proches et à la charge mentale.

7Une troisième thématique de l’ouvrage, qui inclut les chapitres huit à onze, porte plus précisément sur les interventions auprès de familles. Elle encourage aussi une réflexion critique par rapport aux représentations sociales apposées à de multiples problèmes liés à la famille (épuisement parental, maltraitance, accompagnement de parents en protection de l’enfance, etc.). Le chapitre huit explore par exemple les besoins de parents d’enfants autistes, proposant aux intervenant.e.s de prendre en compte l’expertise parentale, de mobiliser les ressources des parents et de bien évaluer leurs besoins pour identifier les risques d’épuisement, et les ressources manquantes. Les chapitres neuf et dix, en se basant sur Parentis, une étude pluridisciplinaire menée par des membres de la commission Carrefour d’observation, de ressources et de recherche du CNAEMO, de prévenir la maltraitance des enfants et soutenir la bientraitance. Cette étude a, entre autres, pour objectif de caractériser et d’évaluer les représentations de la parentalité des parents accompagnés en protection de l’enfance et des professionnel.le.s de ce milieu pour mieux comprendre les besoins des parents et favoriser l’alliance en intervention. Le chapitre onze explore les conceptions qu’ont des travailleur.se.s sociaux.les en protection de l’enfance par rapport à la parentalité. Bien qu’il apparaisse que ces dernier.ère.s s’opposent à certaines tendances normatives (par exemple, les personnes accompagnées ne sont pas seulement envisagées à travers leur fonction parentale), il demeure une certaine tension. Un système centré autour du contrôle social envisage en effet toujours la sanction du placement.

8Une quatrième thématique (chapitres douze à quinze) aborde les difficultés psychologiques et sociales auxquelles les parents et leurs enfants peuvent faire face en France. Dans le chapitre douze, il est question des parentalités violentes, de la maltraitance et de ses conséquences potentielles sur les enfants (troubles psychiatriques, du comportement ou de l’apprentissage, entre autres). Le chapitre treize illustre la situation des mères incarcérées avec leurs enfants, qui disposent généralement d’un statut plus valorisant et de meilleures conditions de détention. Le chapitre quatorze illustre le tabou du burn-out parental, caractérisé par un épuisement, une distanciation affective à l’égard des enfants, une perte de plaisir d’être parent et une impression de ne plus être le parent que la personne était auparavant. Le chapitre quinze illustre plusieurs défis imposés à la parentalité par l’ère du numérique et plaide pour une affirmation du pouvoir d’agir des parents par rapport à l’éducation au numérique de leurs enfants. Pour plusieurs auteur.rice.s, la responsabilité excessive mise sur les épaules des parents les placerait notamment à risque de problèmes de santé mentale.

9La cinquième et dernière thématique de cet ouvrage collectif (chapitres seize à dix-huit) explore des pratiques et des représentations culturelles et sociales de la famille et de la parentalité dans différents contextes nationaux (Allemagne, France, Sénégal et Tunisie). Le chapitre seize explore et compare les systèmes de protection de l’enfance en France et en Allemagne et appelle à un dialogue entre les travailleur.se.s sociaux.les des deux pays afin d’améliorer leurs pratiques. Le chapitre dix-sept offre de l’information sur les enjeux liés à l’adoption en Tunisie, le seul pays maghrébin où l’adoption est permise par une loi du Code du statut personnel, datant de 1958, s’opposant ainsi à la loi islamique. Le chapitre dix-huit présente le cas du confiage coranique des enfants au Sénégal, qui serait la source de grands débats, puisqu’il serait considéré comme un système de protection de l’enfance, permettant d’avoir accès à une éducation coranique, par les un.e.s, ou comme un système d’exploitation des enfants, forcés à mendier, par les autres

10Cet ouvrage collectif est un apport important dans le champ des études sur les familles, de l’intervention et de la protection de l’enfance. Il remet en question des construits sociaux pris pour acquis, comme ceux liés à la famille nucléaire ou à la centralité des enfants dans les interventions, tout en amenant les lecteurs et lectrices à questionner les manières de concevoir la famille, la parentalité, l’enfance et la protection de l’enfance. Il offre également des outils intéressants pour mieux intervenir auprès des familles et particulièrement des parents et frères et sœurs, qui sont souvent mis en marge des interventions en protection de l’enfance. De plus, plusieurs articles effectuent de brefs historiques de l’évolution des conceptions de la famille et de la parentalité et quelques recherches sont effectuées hors France, rappelant que la parentalité est un construit social et culturel. Finalement, en guise de conclusion, Salvatore Stella, qui a codirigé l’ouvrage collectif, souligne que, pour protéger les enfants, il faut soutenir, accompagner et mieux comprendre la parentalité. En offrant des réflexions sur des enjeux vécus par les parents, issues de recherches réalisées au sein de la protection de l’enfance, ce collectif outille les lecteurs et lectrices afin d’arriver à mieux comprendre les enjeux liés à la parentalité pour éventuellement mieux intervenir auprès des familles et mieux réagir aux multiples réalités familiales (proche aidance, enfants autistes ou handicapés, enjeux liés à la protection de l’enfance, etc.). Cela constitue une grande force de ce collectif.