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2024

Leport, É. 2022. Les papas en danger ? Des pères à l’assaut des droits des femmes

Camille Lemieux
Référence(s) :

Leport, É. 2022. Les papas en danger ? Des pères à l’assaut des droits des femmes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’hommes, col. « Interventions », 272 pages, ISBN : 978-2-7351-2887-7

Texte intégral

1L’ouvrage Les papas en danger ? s’intéresse aux associations françaises pour les droits des pères, un sujet peu couvert dans les sciences sociales malgré la multiplication de ces groupes en France depuis les années 1970 (Leport, 2022). Leurs militants et leurs membres, en très grande majorité des pères divorcés, affirment fièrement se porter à la défense de l’égalité parentale, notamment par la promotion de l’importance d’une figure paternelle auprès des enfants. Ceux-ci expriment leur souhait de s’impliquer davantage dans l’éducation et dans les soins de leurs enfants et dénoncent, par le fait même, que la justice française les en empêche en favorisant les droits de la mère lors d’un divorce ou d’une séparation. Néanmoins, si les revendications semblent nobles de prime abord, une partie du mouvement féministe soulève les drapeaux rouges face à ces groupes, leur reprochant leur caractère antiféministe ou même masculiniste. Par définition, l’antiféminisme se décrit comme une idéologie s’opposant « aux mouvements féministes et à l’émancipation des femmes » (Leport, 2022 : 222), tandis que le masculinisme vise, entre autres, à obtenir « plus de droits pour les hommes en tant qu’individus de sexe masculin » (Leport, 2022 : 223). Ainsi, cet ouvrage analyse en profondeur les différents arguments de ces pères militants afin d’en identifier les motivations et de répondre à la question suivante : les associations pour le droit des pères sont-elles antiféministes ou masculinistes ?

2Pour ce faire, ce livre est séparé en six sections distinctes. Dans le premier chapitre, Édouard Leport présente la méthodologie sur laquelle se repose son ouvrage, tiré de sa thèse de doctorat réalisée sous la supervision d’Anne-Marie Devreux (Leport, 2020). Son enquête qualitative de type ethnographique a été réalisée, entre décembre 2014 et janvier 2017, à partir de trente-deux moments d’observations, au sein de plusieurs associations de défense des droits des pères séparés ou divorcés. Cette recherche repose également sur vingt-quatre entretiens semi-directifs réalisés avec des militants ou des bénéficiaires de ces groupes, c’est-à-dire des pères utilisant leurs services (p.ex. groupes de parole, conseils juridiques, soutien téléphonique et autres). L’auteur analyse aussi les sources écrites de ces associations, notamment leurs sites Internet, leurs tracts et leurs prises de positions officielles. Le deuxième chapitre, porte sur le sentiment d’injustice ressenti par ces pères face à un système judiciaire qui, selon eux, les défavoriserait. Leurs principales revendications concernent l’obligation de résidence alternée pour l’enfant et la baisse du montant de la pension alimentaire. Toutefois, selon Leport, ces demandes seraient davantage ancrées dans une perte de privilège masculin et dans un sexisme commun, surtout puisque ces mesures offriraient aux pères davantage de contrôle sur la vie des mères. Le troisième chapitre décrypte l’utilisation de la figure de l’enfant par ces groupes militants afin de promouvoir leurs revendications et de les inscrire dans une cause juste et noble. Dans les faits, Édouard Leport propose qu’elles répondent plutôt aux intérêts et aux besoins des pères et non pas à ceux des enfants. Il observe également que les demandes sont régulièrement en opposition avec celles de leurs progénitures. À titre d’illustration, il rapporte que les pères accusés d’agressions sexuelles invoquent souvent l’aliénation parentale en présentant la mère comme « une manipulatrice » et leur progéniture comme « menteur ». Ainsi, ces groupes tendent à nier, ainsi qu'à invisibiliser les accusations d'abus et mettent ainsi en danger la santé et la sécurité des enfants. Dans un quatrième chapitre, l’auteur s’intéresse aux nouvelles figures des pères mises de l’avant par les militants, notamment celles du père « moderne » impliqué dans la vie de ses enfants, en opposition à la figure du père pourvoyeur issu du modèle familial nucléaire. Dans le cinquième chapitre, Édouard Leport examine les rapports entre les associations des pères et le courant féministe. Il observe que les membres utilisent fréquemment des concepts issus du féminisme pour réaffirmer le caractère « égalitaire » de leur militantisme. Toutefois, en pratique, ils invisibilisent le travail parental des mères, minimalisent la violence conjugale et valorisent les comportements de virilité toxique, allant jusqu’à tourner en dérision les féminicides. Enfin, le dernier chapitre expose la conclusion de l'auteur : les groupes des pères se révèlent bien de l’antiféminisme et du masculinisme. Par exemple, ses membres affirment constamment que le féminisme serait allé « trop loin » et que les femmes domineraient maintenant les hommes. Qui plus est, ils réclament aussi davantage de droits pour les pères et s’efforcent d’établir la suprématie masculine.

3Malgré la richesse des analyses présentées dans l’ouvrage, quelques limites demeurent. Leport minimise par exemple les expériences individuelles des pères, en argumentant qu’elles restent marginales, déclarant à plusieurs reprises que les « pères mécontents et insatisfaits de l’issue de leur procédure de divorce ou de séparation [constituent] des cas minoritaires, voire exceptionnels » (Leport, 2022 : 90). Pour appuyer sa position, l’auteur emploie une configuration « arguments et contre-arguments », en opposant systématiquement les revendications des pères militants à des faits. Cette configuration contribue à démontrer les incohérences, les raisonnements fallacieux et l’hypocrisie inhérente à certains discours, tels ceux des pères qui attribuent unanimement la source de leurs problèmes aux mères, fréquemment qualifiées de « folles » et de « mythomanes ». En opposant toutefois un vécu individuel à une statistique nationale et en soulignant constamment que l’expérience individuelle est marginale, l’auteur suscite aussi chez ses lecteur.trice.s le sentiment qu’il ne tient pas compte des réalités individuelles, telles qu’exprimées par des pères. Cette approche produit ainsi une certaine sensation de malaise à la lecture de l’ouvrage, en raison du sentiment d’une certaine négligence dans la prise en compte des émotions des participants.

4Bien que les exemples présentés tout au long de l’ouvrage dénoncent les agissements et les valeurs de ces associations, ceux-ci limitent le portrait nuancé qu’il serait possible de dresser de la situation des pères interrogés. En cherchant à dénoncer à tout prix l’activité de fond et l’idéologie de ces groupes, l’auteur passe ainsi à côté d’éléments significatifs pour les pères. Par exemple, quels rôles jouent ces associations pour les pères ? Jouent-elles aussi un rôle de socialisation, d’écoute et de solidarité ? Une exploration de ces aspects aurait donné lieu à une analyse plus complète et davantage nuancée, facilitant aussi la comparaison avec d’autres groupes ou réseaux de soutien (p.ex. les organismes communautaires et autres). Cette approche aurait également permis de mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement de ces groupes et leurs spécificités par rapport à d’autres groupes, tout en dénonçant l’idéologie de ces associations de pères.

5Une seconde limite de l’ouvrage porte sur la redondance des constats tout au long du livre. Si le livre est accessible à un large public, grâce notamment à l’abondance de ces exemples, et qu’il contribue ainsi à initier les néophytes aux enjeux du masculinisme et des arguments sexistes et antiféministes, il peut produire aussi un sentiment « d’être pris.e.s par la main et d’être infantilisé.e.s ». Les lecteur.trice.s familier.ère.s avec les théories féministes, particulièrement celles issues du courant matérialiste, jugeront certaines parties rédigées comme évidentes.

6En substance, ce livre réussit sa promesse, c’est-à-dire de dénouer, un à un, les différents arguments des militants pour le droit des pères. Il met en lumière la manière dont ces associations s’inscrivent dans une dynamique de pouvoir genrée et participent à la domination des groupes opprimés et vulnérables, soit les mères divorcées et leurs enfants. Ce livre permet aux lecteur.trices de comprendre un peu mieux certains groupes de pères divorcés et aussi d’ajouter des savoirs sur les mouvements réactionnaires à l’égard du féminisme, ce qui en fait un livre particulièrement d'actualité. Malgré cela, l’approche de l’auteur ne tient pas suffisamment en compte selon nous des réalités vécues par les pères, et de leurs émotions.

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Bibliographie

Leport, É. 2020. Quand les pères montent la garde : Discours, pratiques et conscience de domination dans les mobilisations collectives de pères séparés, thèse de doctorat en sociologie, Vincennes–Saint-Denis, Université Paris 8.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Camille Lemieux, « Leport, É. 2022. Les papas en danger ? Des pères à l’assaut des droits des femmes »Enfances Familles Générations [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 20 décembre 2024, consulté le 16 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/efg/20875

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Auteur

Camille Lemieux

Étudiante au baccalauréat en sociologie, Université Laval, camille.lemieux.5@ulaval.ca

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Droits d’auteur

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