Hill Collins, P. 1994. « Shifting the Center: Race, Class, and Feminist Theorizing about Motherhood », dans Mothering: Ideology, experience, and agency, sous la dir. de E. N. Glenn, G. Chang, et L. R. Forcey, New York, Routledge, p. 45-66.
Pothet, J. 2024. Parentalités incertaines : Ethnographie et sociologie des dispositifs de soutien aux parents
Pothet, J. 2024. Parentalités incertaines. Ethnographie et sociologie des dispositifs de soutien aux parents, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 204 pages, ISBN: 978-2-7535-9405-0
Texte intégral
1L’ouvrage Parentalités incertaines : ethnographies et sociologie de dispositifs de soutien aux parents est une version remaniée et réactualisée de la thèse de doctorat en sociologie soutenue par l’autrice, Jessica Pothet, en 2015. Il vise à comprendre les différentes modalités et pratiques par lesquelles les parents sont reçus, accompagnés et guidés dans le cadre de politiques et de dispositifs de soutien à la parentalité. Pour ce faire, l’autrice adopte la méthodologie de la jurisprudence ethnographique développée par Isabelle Baszinger et Nicolas Dodier (1997) qui consiste à circuler d’un cas à l’autre et à se placer dans des situations d’engagements hétérogènes au sein de « chantiers » distincts, mais ayant des logiques d’actions semblables. Suivant cette méthodologie, Pothet a mené, entre 2010 et 2013, des enquêtes empiriques visant à inventorier les pratiques et les sens possibles du soutien à la parentalité. Elle a étudié différents cas de soutien à la parentalité selon trois niveaux d’observation et d’analyse : une observation participante au sein de l’institution du Comité national de soutien à la parentalité; une analyse de quatre dispositifs de soutien à la parentalité implantés à Marseille, au moyen d’observations et d’entretiens semi-directifs menés auprès de dix-huit professionnel.les impliqués dans la mise en œuvre de ces dispositifs; et des entretiens menés avec douze parents issus de milieux populaires marseillais ciblés par des dispositifs de soutien à la parentalité. Suivant la notion de la jurisprudence ethnographique, l’ouvrage compile la série de cas étudiés et répartit les niveaux d’observation et d’analyse en trois chapitres : 1) « la fabrique politique du soutien à la parentalité » ; 2) « des dispositifs hétérogènes de soutien à la parentalité »; 3) « des parentalités incertaines ».
2Le premier chapitre retrace les arguments sur lesquels s’appuie la fabrique de la politique de la parentalité en France. À partir d’une ethnographie menée au sein du Comité national de soutien à la parentalité, Pothet expose les réflexions et les tâtonnements qui caractérisent les scènes de travail des acteurs administratifs et politiques qui participent à l’institutionnalisation du soutien à la parentalité. Elle relève la diversité des conceptions de la famille et de la parentalité qui s’affrontent au sein des enceintes institutionnelles. Au cœur de ces affrontements se trouve la question de la visée du soutien à la parentalité : doit-il relever d’une politique universaliste d’accompagnement des familles ou au contraire cibler des populations en regard de leurs difficultés susceptibles de miner l’exercice parental ? Pothet révèle aussi le caractère subjectif de la notion de « l’intérêt de l’enfant » qui permet de réunir à la fois les tenants de mesures visant à protéger l’enfant et ceux pour qui il est impératif de protéger la société des risques encourus par les défaillances parentales. L’autrice déplore en fin de chapitre l’irréconciliabilité des différentes conceptions liées à la parentalité qui se solde en une diversité de politiques publiques, dont l’articulation fait défaut. Ce premier chapitre permet de saisir la teneur et l’ampleur de l’ambivalence des conceptions liées à la parentalité qui sont source de tensions et d’incohérences politiques. Les nombreux acronymes qu’il contient rendent toutefois la lecture difficile pour un lectorat néophyte des instances politiques françaises.
3Dans le cadre du deuxième chapitre, l’autrice décrit le déroulement concret de l’accompagnement des parents tel qu’il est généré et pratiqué par quatre dispositifs visant à soutenir la parentalité à Marseille. Au-delà de la description, l’objectif de ce chapitre est de dégager ce que ces pratiques produisent et traduisent en matière d’aide à la parentalité et de prise en charge publique de la famille. Les quatre dispositifs analysés concernent deux types d’action : celles qui reposent sur une démarche d’adhésion volontaire des parents au dispositif de soutien à la parentalité et les autres qui procèdent au contraire d’une injonction judiciaire. Le premier dispositif d’adhésion volontaire concerne les groupes de parole et les groupes de parents qui se déroulent dans des centres sociaux majoritairement fréquentés par des mères en congé parental qui souhaitent avoir accès à un espace de socialisation. Pothet soutient que ces groupes, qu’elle qualifie de « scolaires » se caractérisent par leur homogénéité sociale, l’intellectualisation de la parentalité, la prescription de normes sociales, l’autoculpabilisation qui sous-tend la quête de la « bonne » mère et la survalorisation de l’enfance et de la parentalité. Le soutien à la parentalité renvoie ainsi à l’entreprise de soi et oblitère le rôle joué par les conditions d’existence, les contraintes environnementales et les rapports sociaux sur l’exercice de la parentalité. Le deuxième dispositif examiné concerne les « actions éducatives familiales » qui consistent à former les parents qui ne maîtrisent pas les compétences de base en lecture et en écriture à l’accompagnement scolaire de leur enfant au moment de l’entrée à l’école de celui-ci. L’autrice analyse très positivement ce dispositif qui repose aussi sur une adhésion volontaire. Selon elle, celui-ci a le mérite d’accorder une place centrale aux parents, évite l’écueil d’une proposition palliative basée sur les déficits et permet d’infléchir positivement le rapport à l’école. En revanche, Pothet offre un examen très critique du troisième dispositif : les stages parentaux qui s’inscrivent dans la perspective de judiciarisation de la famille. Ce dispositif constitue un traitement pénal de l’enjeu de l’absentéisme scolaire des mineurs, perçu comme relevant des carences parentales. L’autrice dénonce la responsabilisation parentale, donc individualisante, des phénomènes d’incivilité et de délinquance à laquelle renvoie ce dispositif. Le dernier dispositif examiné est celui du placement à domicile qui procède aussi d’une injonction judiciaire, mais qui constitue selon l’autrice une mesure marginale caractérisée par un accompagnement très faiblement normé. Elle relève le caractère polymorphe et la prise de risque qui caractérisent l’accompagnement réalisé au sein de ce dispositif. Elle souligne que celui-ci déconstruit les pratiques d’intervention standardisées au profit d’une intervention pragmatique permettant une réelle prise en compte des personnes et de leurs besoins. En conclusion de ce deuxième chapitre, Pothet souligne qu’à l’exception du placement à domicile, l’ensemble des dispositifs étudiés se caractérise par leur normalisation du travail parental. Elle souligne que cette normalisation concerne dans les faits essentiellement les mères et qu’elle concoure à une surdétermination des compétences parentales qui masque le poids des inégalités sociales sur l’éducation des enfants. Dans le cadre de ce chapitre, Pothet réussit à illustrer de façon claire et synthétique les dispositifs de soutien à la parentalité étudiés, nous permettant de saisir concrètement ce qui est à l’œuvre. Sa démarche ethnographique multisituée illustre d’un côté la diversité que revêt le soutien à la parentalité et de l’autre le caractère idéologiquement normalisateur qui caractérise la plupart des dispositifs examinés.
4Dans le troisième chapitre, l’autrice met en lumière les conditions de vie des parents en milieux populaires qui sont traversés par des précarisations relationnelles, économiques et matérielles. Elle cherche ainsi à éclairer comment les parents reçoivent les mesures de soutien qui leur sont destinées. Les conditions parentales qui entravent ou à tout le moins complexifient l’exercice parental dans ces milieux sont identifiées. Avec le souci de rendre audible la parole des parents qui est le plus souvent ignorée, Pothet rend compte des stratégies de résistance mobilisées face à l’insoutenabilité de reconnaître sa seule défaillance parentale. Elle souligne aussi que les dispositifs de soutien à la parentalité peuvent être saisis par les parents pour accéder à d’autres sphères de l’action publique. Bien que ce chapitre comporte des éléments forts comme l'illustration de l’agentivité et des résistances mobilisées par les parents, il ne réussit pas à répondre, à notre avis, à ses ambitions de départ qui consistaient à comprendre comment les parents ciblés reçoivent les mesures d’aide qui leur sont destinées. En se concentrant sur l’illustration détaillée des conditions de vie de certains parents, l’autrice nous offre un portrait très partiel du vécu des parents en milieu populaire. Dans le but de mieux comprendre les effets des dispositifs de soutien à la parentalité et de saisir leurs potentialités, limites et enjeux, il aurait été intéressant d’avoir accès aux perceptions des parents et de croiser celles-ci avec celles des intervenantes et intervenants impliqués.
5En conclusion de son ouvrage, l’autrice soutient que l’ensemble des données produites dans celui-ci confirment la thèse déjà bien établie dans la littérature d’une impossible neutralité du soutien à la parentalité. Elle dénonce également la dépolitisation du soutien à la parentalité au profit d’une lecture individualiste et comportementaliste du pouvoir d’agir des parents. Elle termine en réitérant les inégalités de genre au cœur de la parentalité qui constitue un euphémisme destiné à masquer le fait que les femmes sont encore les principales responsables de l’éducation et des soins donnés aux enfants. Elle soutient ainsi que ses travaux « argumentent en faveur de politiques de soutien à la parentalité universalistes et par ailleurs adaptées aux difficultés concrètes rencontrées par les femmes » (p. 187).
6En somme, l’ouvrage de Pothet offre un point de vue concret, sensible, engagé et critique du soutien à la parentalité. Sociologique, la lecture qu’elle présente nous semble tout à fait à propos pour le travail social, autant du point de vue universitaire que pratique. L’adoption d’une démarche ethnographique multisituée permet à l’autrice d’éviter une position de surplomb et un plaquage théorique au profit d’une compréhension matérielle du sujet et d’une réelle prise en compte des personnes impliquées. La perspective féministe mobilisée, quoique trop timidement invoquée, constitue une force de l’ouvrage, alors que celle-ci est encore trop souvent minorisée dans le champ des études et de l’intervention sociale portant sur la famille. Il aurait été opportun selon nous de faire un pas de plus et d’adopter une lecture féministe intersectionnelle. Celle-ci nous convie à penser la maternité non seulement à l’aune des rapports de pouvoir de genre, mais aussi de classe, de race, d’ethnicité, de capacitisme, etc., afin de ramener les expériences maternelles marginalisées vers le centre (Hill Collins, 1994).
Pour citer cet article
Référence électronique
Marie-Ève Carpentier, « Pothet, J. 2024. Parentalités incertaines : Ethnographie et sociologie des dispositifs de soutien aux parents », Enfances Familles Générations [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 16 avril 2025, consulté le 14 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/efg/21759
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