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2025

Lapierre, S., Côté, I. et M. Frenette. 2025. Contrôle coercitif. Lois, politiques et pratiques en matière de violence conjugale

Martine Le Corff
Référence(s) :

Lapierre, S., Côté, I. et M. Frenette. 2025. Contrôle coercitif. Lois, politiques et pratiques en matière de violence conjugale, Québec, Presses de l’Université du Québec, 304 pages, ISBN: 978-2-7605-6124-3

Texte intégral

1Dirigé par Simon Lapierre, Isabelle Côté et Michèle Frenette, cet ouvrage collectif explore le concept de contrôle coercitif et met en lumière les avancées conceptuelles ainsi que son intégration progressive dans les lois, les politiques et les pratiques en matière de violence conjugale. Développé par le chercheur Evan Stark (2007), ce concept gagne en reconnaissance dans le domaine de la violence conjugale, proposant un changement de paradigme majeur. Plutôt que d’analyser la violence sous l’angle d’incidents isolés, Stark décrit une dynamique où l’agresseur déploie un ensemble de stratégies, violentes et non violentes, pour exercer une emprise sur sa victime et restreindre sa liberté. Ce cadre théorique contraste avec le modèle traditionnel encore dominant, qui tend à criminaliser certains actes de violence, comme la violence physique, tout en laissant impunis des comportements coercitifs et contrôlants. Ainsi, au Québec par exemple, un homme pourrait a priori terroriser sa conjointe au quotidien sans jamais enfreindre la loi (Lapierre et al., 2025). Cette situation (vide juridique), critiquée par Stark, permet ainsi à certains agresseurs d’échapper à la justice et expose de nombreuses femmes et enfants à des situations où les dispositifs légaux actuels ne leur offrent pas une protection adéquate, même dans les sociétés les plus avancées en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Malgré ce constat, le contrôle coercitif demeure un concept encore peu documenté. C’est dans ce contexte que s’inscrit cet ouvrage, qui vise à questionner certaines de ces lacunes.

2L’ouvrage est structuré en douze chapitres. Les quatre premiers traitent des avancées conceptuelles liés au contrôle coercitif, tandis que les chapitres suivants s’intéressent à son inscription dans les cadres législatifs, les politiques publiques et les pratiques professionnelles. Le premier chapitre, rédigé par Carole Boulebsol, Sylvie Lévesque et Marie-Marthe Cousineau, aborde le contrôle coercitif à partir du contrôle reproductif. Il met en lumière les diverses stratégies de coercition reproductive employées par les conjoints violents, souvent ancrées dans des dynamiques insidieuses et persistantes. Ce chapitre, placé au début de l’ouvrage, permet de saisir la complexité et la subtilité de ces formes de violence. Le deuxième chapitre s’intéresse aux enfants vivant dans un contexte de violence conjugale et à la manière dont le concept de contrôle coercitif permet d’approfondir la compréhension de leur réalité. Pour y parvenir, Simon Lapierre, Valérie Marceau, Jacqueline Thibault et Isabelle Côté analysent des données qualitatives issues d’une étude menée auprès de 59 enfants âgés de 6 à 18 ans vivant dans un contexte de violence conjugale, où sont explorées les conséquences sur leur développement d’un vécu marqué au quotidien par la contrainte, la peur et la terreur. Ce chapitre contribue à montrer que les enfants sont des victimes à part entière des dynamiques de violence conjugale et de contrôle coercitif. La violence conjugale post-séparation est abordée dans le troisième chapitre, où Pierre-Guillaume Prigent et Gwénola Sueur explorent l’expérience des mères séparées victimes de violences conjugales en France, en s’appuyant sur des matériaux qualitatifs issus de deux recherches distinctes : la première visait à analyser les stratégies employées par les agresseurs en contexte de séparation parentale à partir de récits de femmes séparés d’un (ex-)conjoint violent, et la deuxième visait à comprendre l’usage de l’accusation d’« aliénation parentale » par un (ex-)conjoint violent. Ce chapitre met en évidence la manière dont les structures institutionnelles et sociales peuvent contribuer au maintien du contrôle coercitif d’ex-conjoints, en obligeant les mères à maintenir une coparentalité malgré les risques encourus pour leur sécurité et leur bien-être. Enfin, le quatrième chapitre, rédigé par Simon Lapierre, Mélanie Brunet, Isabelle Côté, Michèle Frenette et Alexandra Vincent, examine les effets de la COVID-19 sur la sensibilisation à la violence conjugale et au contrôle coercitif chez des femmes victimes, à partir de données issues d’une recherche portant sur la violence conjugale et la pandémie où ont été menés quatorze entretiens semi-structurés entre 2021 et 2022 auprès de femmes victimes.

3Les chapitres cinq, six et sept traitent du droit criminel et pénal. Dans le cinquième chapitre, Marie-Jeanne Gratton et Céline Rossini examinent la question de la criminalisation du contrôle coercitif, au Canada et à l’international. Bien que le contrôle coercitif ne soit pas encore reconnu comme une infraction pénale ni criminalisé au Canada comme c’est le cas dans certains pays et États depuis 2015, certains développements récents en matière de criminalisation de la conduite contrôlante et coercitive sont abordés dans ce chapitre. Dans le chapitre six, Carmen Gill et Mary Aspinall s’intéressent à l’intervention policière, en soulignant les progrès réalisés ainsi que les lacunes persistantes dans l’identification et l’évaluation des situations de violence conjugale et de contrôle coercitif par le corps policier. Elizabeth Sheehy examine, dans le chapitre suivant, l'importance du contrôle coercitif pour les femmes victimes de violence qui invoquent la légitime défense après avoir tué leur conjoint, en se basant sur quatre cas réels.

4Les chapitres huit, neuf et dix, quant à eux, explorent l’intervention auprès des auteurs et victimes de contrôle coercitif. Isabelle Côté et Catherine Gendron inaugurent cette partie en présentant les résultats d’une étude exploratoire qualitative sur les retombées d’un programme destiné aux auteurs de la violence à partir de la perspective et de l’expérience de neuf conjointes ou ex-conjointes rencontrées entre 2021 et 2022. Si ces interventions permettent parfois de réduire certaines manifestations de violence, ils ne mettent pas nécessairement fin aux schémas coercitifs et contrôlants des agresseurs sur le long terme, et peuvent même, dans certains cas, les aggraver ou les intensifier. Dans un autre chapitre, Guylaine Simard et Edith Quesnel abordent comment le Refuge pour femmes de l’Ouest de l’Île de Montréal a intégré le concept du contrôle coercitif dans leurs pratiques. Les autrices expliquent comment ces outils ont permis une meilleure compréhension du contrôle coercitif non seulement chez les femmes et les enfants victimes, mais aussi auprès des professionnels du milieu judiciaire et des services sociaux, contribuant ainsi à favoriser la sécurité et la liberté des victimes. Sylvie Coulombe et Diane Prud’homme présentent ensuite la Cage de l’impuissance, un outil d’intervention conçu pour aider les femmes à prendre conscience de l’emprise exercée par leur partenaire, de ses effets sur elles et du rôle joué par leur socialisation contraignante. Cet outil vise à les accompagner dans un processus de reprise de pouvoir sur leur vie.

5Finalement, les deux derniers chapitres traitent des domaines du droit familial et de la protection de la jeunesse. Suzanne Zaccour et Michaël Lessard examinent d’abord l’intégration du contrôle coercitif dans la Loi sur le divorce au Québec en 2021, un changement de paradigme majeur dans le domaine du droit de la famille. Bien que cette avancée représente un progrès significatif pour la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, des obstacles subsistent, notamment en ce qui concerne la preuve du contrôle coercitif. L’ouvrage se conclut avec un chapitre de Marie-Noëlle Maurice, Isabelle Côté, Simon Lapierre et Alexandra Vincent, consacré au modèle Protection des enfants en contexte de violence conjugale (PEVC). Les auteurs y explorent la manière dont ce modèle contribue à responsabiliser les parents violents, à déconstruire les mythes entourant la violence conjugale et à souligner l’importance de documenter les schémas comportementaux violents.

6Cet ouvrage constitue une ressource pour toute personne s’intéressant ou œuvrant dans le domaine de la violence conjugale. Le concept de contrôle coercitif étant relativement récent, les études sur le sujet demeurent limitées, rendant la publication de ce livre d’autant plus pertinente. Son principal apport réside dans la mise en commun d’un ensemble de travaux qui explorent les multiples facettes du contrôle coercitif, tant sur le plan théorique que pratique. Chaque chapitre est rédigé de manière claire et rigoureuse, et l’organisation du livre suit une progression logique, permettant au lecteur·trice d’approfondir ses connaissances de façon structurée et cohérente. Toutefois, cette densité peut rendre la lecture exigeante pour celles et ceux qui souhaitent simplement s’initier aux enjeux de la violence conjugale. En effet, des connaissances préalables sont nécessaires pour bien saisir la complexité de ce changement de paradigme.

7Malgré ses nombreuses contributions, certains aspects restent inexplorés. Notamment, aucun chapitre n’aborde l’impact des avancées conceptuelles, législatives, politiques et pratiques sur les communautés marginalisées, telles que les femmes immigrantes, racisées ou autochtones. Or, comme l’ont souligné Chayer et Smith, « les femmes plus démunies financièrement, enceintes, autochtones, âgées, handicapées, nouvellement immigrantes ou issues de milieux criminalisés sont davantage à risque de violence conjugale » (2012 : 14). De plus, les études dont sont tirées les chapitres se concentrent principalement sur la manière dont le contrôle coercitif prend forme dans les dynamiques hétérosexuelles, laissant un vide sur ses manifestations au sein des couples 2SLGBTQIA+. Ainsi, une analyse intersectionnelle du contrôle coercitif permettrait non seulement d’enrichir la compréhension de ce phénomène, mais aussi d’examiner les réticences de certaines personnes face à la criminalisation des conduites contrôlantes et coercitives, qui pourrait possiblement précariser davantage certaines communautés déjà ciblées par, entre autres, une surveillance accrue.

8Cet ouvrage contribue à l’avancement des connaissances sur le contrôle coercitif, en particulier dans le contexte québécois, ce qui en fait un livre d’actualité. En dressant un portrait des enjeux législatifs, politiques et sociaux liés à ce phénomène, il ouvre la voie à de nouvelles réflexions, futures recherches et pistes d’intervention pour mieux protéger les victimes. Il constitue ainsi une base solide pour les chercheur·e·s, intervenant·e·s et décideur·e·s qui souhaitent approfondir la compréhension du contrôle coercitif ainsi qu’œuvrer à une meilleure reconnaissance et prise en charge de cette forme de violence.

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Bibliographie

Chayer, D. et K. Smith. 2012. « Les maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale : un lieu pour l’exercice de l’empowerment », dans Expériences d’intervention psychosociale en contexte de violence conjugale, sous la dir. de S. Gauthier et L. Montminy, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 9-27.

Lapierre, S., Côté, I. et M. Frenette. 2025. Contrôle coercitif. Lois, politiques et pratiques en matière de violence conjugale, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Stark, E. 2007. Coercive control: How men entrap women in personal life, Oxford, Oxford University Press.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Martine Le Corff, « Lapierre, S., Côté, I. et M. Frenette. 2025. Contrôle coercitif. Lois, politiques et pratiques en matière de violence conjugale  »Enfances Familles Générations [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 24 avril 2025, consulté le 16 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/efg/21767

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Auteur

Martine Le Corff

Étudiante à la maîtrise en travail social, Université de Montréal, martine.le.corff@umontreal.ca

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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