- 1 Lowenthal, 2004, p. 13.
« […] On commence à apprécier le passé en tant que tel, en tant qu’héritage qui donne des forces, qui confirme et exalte le présent. Et ce nouveau rôle renforce la tendance à conserver les vestiges en tant que symboles d’identité collective, de continuité et d’espoir. »David Lowenthal1
1Les fonds des musées, dans les circonstances actuelles, servent de source clé pour étudier la culture matérielle traditionnelle des communautés ethniques et les musées eux-mêmes jouent un rôle majeur dans la collecte des preuves matérielles du passé, dans la conservation du patrimoine des peuples et des États, ainsi que dans la présentation et la popularisation des résultats obtenus par les générations nous précédant. Ceci est d’autant plus important quand nous parlons d’une période révolue de la production manuelle, alors que le monde des objets entourant l’homme était produit directement par lui-même, en conformité avec les exigences de l’environnement, avec les traditions héritées des ancêtres et leurs propres idées de l’utilitaire, du sacré et du beau.
2La transformation rapide de l’apparence matérielle des cultures, la diffusion des produits industriels standardisés – vêtements, instruments, outils quotidiens, vaisselle – rehausse l’importance des collections muséales pour la compréhension des spécificités des communautés au prisme de leur histoire. L’héritage ethnoculturel matérialisé dans les collections muséales permet de tirer des conclusions sur les particularités du cheminement historique, les tendances au changement dans la sphère économique et dans le monde matériel de peuples donnés, avec leurs contacts et leurs interactions culturelles. C’est pourquoi l’étude des collections des dits fonds, l’histoire de leur formation, de la classification scientifique des objets de musées et la diffusion des informations les concernant acquièrent aujourd’hui un caractère d’urgence.
3Cet article est consacré aux spécificités de la section la plus représentative des collections ethnographiques du musée national Kuzebaj Gerd de la République d’Oudmourtie (désormais : MN). Il est de notoriété publique que parmi les objets de la culture matérielle traditionnelle, ceux fabriqués en textile présentent des qualités artistiques et décoratives significatives, en plus d’être aptes à construire une différenciation ethnique pertinente. L’étude des éléments structurels et décoratifs du vêtement est à la base des distinctions ethniques des Oudmourtes. Ici, nous examinons les principales étapes de la formation des collections ethnographiques des costumes du MN, et nous analysons de manière comparative l’ensemble des groupes territoriaux des Oudmourtes représentés dans ces collections.
4Les principales sources de notre travail sont les objets du fonds muséal de la Fédération de Russie qui forment la collection du MN, les documents comptables de ces collections (les inventaires de terrain, les registres des entrées) ainsi que les matériaux des archives scientifiques du MN.
- 2 Construction étatique nationale : expression faisant référence à la mise en place par le pouvoir so (...)
- 3 Martynova et al., 2007, p. 22.
- 4 La direction principale des institutions scientifiques, artistiques et muséales auprès du Commissar (...)
- 5 Ostanina, 2015, p. 39-40.
5Les Oudmourtes sont un peuple finno-ougrien autochtone vivant autour du fleuve Volga et de la rivière Kama. Il donne son nom à l’oblast autonome oudmourte crée en 1920, puis à la République d’Oudmourtie dans le cadre de la République fédérale de Russie depuis 1991. Le musée régional d’Histoire locale, ancêtre du MN, est pratiquement contemporain de l’autonomie des années 20 et il était appelé à devenir le principal réservoir d’information sur le passé du peuple oudmourte. La création du musée était liée à la politique idéologique de l’État soviétique dans le domaine de la construction étatique nationale2 et a été définie en partie par des objectifs de propagande3. La préservation du patrimoine historique et culturel du groupe titulaire est devenue l’une des principales tâches de cette nouvelle institution culturelle. Le premier directeur du musée, le grand poète, ethnographe et journaliste oudmourte Kuzebaj Gerd (К. P. Čajnikov), a posé les bases du développement des activités de stockage, de collecte et de recherche du musée. C’est grâce à lui qu’ont été organisés, en coopération avec les principales institutions scientifiques du pays, des travaux de terrain : des expéditions archéologiques avec Glavnauka4 dans le bassin de la Čeptsa et une expédition ethnographique avec le musée central de Folklore dans les raïons de Malaja Purga, de Možga et de Glazov de l’oblast autonome oudmourte. Les matériaux résultat de ces expéditions forment aujourd’hui les plus précieuses collections du MN5.
- 6 Salmin & Teryukov, 2010 p. 20-23.
6Il y avait déjà eu, dans la Russie prérévolutionnaire, des tentatives de formation de collections d’échantillons de la culture matérielle des peuples de la Volga, dont les Oudmourtes. Les témoignages fiables les plus anciens sur la collecte d’objets ethnographiques remontent à la période des activités de l’expédition sibérienne de D. G. Messerschmidt en 1719-1727. Malheureusement, les vêtements authentiques des peuples de la Volga-Kama qu’il avait collectés, et qui remontaient au moins à la deuxième moitié du xviie siècle, ont brûlé dans l’incendie de la Kunstkamera en décembre 1747. De ces collections, le musée le plus ancien de Russie ne conserve plus que les dessins représentant des échantillons de vêtements oudmourtes6 ramenés par les chercheurs.
- 7 Ahmetova & Masalova, 2015.
7L’un des premiers collectionneurs d’objets relevant du vêtement oudmourte pour la section ethnographique du Musée russe a été Ivan Nikolaevič Smirnov, professeur à l’université de Kazan, historien, ethnographe et archéologue renommé. Dans les années 1902-1904, il a fait entrer dans les collections du musée plusieurs échantillons de couvre-chefs féminins oudmourtes et des dizaines de photographies. Il a aussi considérablement contribué à l’activité de collecte du musée universitaire d’Études nationales et du musée de la Société d’archéologie, d’histoire et d’ethnographie de Kazan (SAHE)7. C’est grâce aux efforts d’Ivan N. Smirnov et de ses associés de la SAHE que les collections du musée, qui deviendra le musée ethnographique de l’université de Kazan, ont acquis des objets de culture matérielle et des photographies d’une importance inégalée qui reflètent diverses dimensions de la vie des peuples des régions de l’Oural et de la Volga, dont les Oudmourtes.
- 8 Zelenova-Češihina, 1990.
8Il est impossible de ne pas mentionner l’activité de collecteur d’Ivan Konstantinovič Zelenov, qui entre 1897 et 1903 a travaillé comme enseignant et directeur de l’école du zemstvo à Šarkan, et qui, une fois licencié pour raisons politiques, est devenu correspondant de la section ethnographique du musée8. Les objets et les photographies collectées par ce dernier ont servi de base à la collection oudmourte de l’actuel musée ethnographique de Russie.
9Au début du xxe siècle, la première collection oudmourte a fait son apparition au musée d’histoire locale de Perm’. Malheureusement, elle ne comporte pas d’informations complémentaires ; elle n’est pas décrite, les auteurs de la collecte et les endroits précis de celle-ci ne sont indiqués nulle part. En même temps, elle est remarquable parce que c’est la première comportant des parties de l’habit des Oudmourtes d’outre-Kama (de la région de Perm’)9.
- 10 Zagrebin, 1999, p. 102.
10Après l’indépendance de la Finlande, les collections de ses musées dédiées à la vie quotidienne et à la religion traditionnelle des Oudmourtes se sont retrouvées en dehors des frontières de la Russie. Elles étaient le fait d’un ethnographe amateur originaire d’Estonie, M. Buch, alors qu’il pratiquait la médecine à l’usine d’Iževsk au début des années 1880, des pères fondateurs de l’ethnographie finno-ougrienne qu’ont été А. О. Heikel et U. Т. Sirelius, ainsi que du linguiste Y. Wichmann et du spécialiste des religions U. Holmberg Harva lors de leurs expéditions chez les finno-ougriens10.
11Dans le régime totalitaire auquel ont été confrontées les institutions muséales de l’Oudmourtie soviétique, les musées ont eu comme tâche prioritaire de collecter, de décrire et d’étudier les collections d’objets dédiées au passé et aux traditions des Oudmourtes. Bien sûr, ce travail a eu lieu avant tout sur le territoire de l’Oudmourtie elle-même, même s’il convient de ne pas oublier que dans les autres régions où la population oudmourte est dense, des activités muséales ont aussi été menées et qu’il existe aujourd’hui des collections tout à fait représentatives de la culture du peuple oudmourte dans les musées du Tatarstan, du Bachkortostan, de la région de Perm’ et de l’oblast de Kirov.
- 11 Inventaire de terrain no 1. Archive des fonds du MN.
12En dépit des efforts considérables d’organisation (notamment investis par K. Gerd) pour systématiser le travail de collecte ethnographique du musée d’Histoire locale dans la première décennie de son existence, seule une centaine d’objets avaient été collectés sur la culture matérielle et spirituelle des Oudmourtes. Les acquisitions les plus intéressantes de l’époque ont été le couvre-chef féminin dur en forme de cône (ajšon), rapporté de Vuž Multan (aujourd’hui – Korolenko, raïon de Kizner en Oudmourtie) par F. V. Strel’tsov, le fondateur de la Société scientifique pour l’étude du pays votiak11, les bandeaux pour jeunes filles (ukotug) de Kipčak dans la région de Perm’ et les photographies de costumes populaires faites par Kuzebaj Gerd lors de l’expédition mentionnée ci-dessus.
- 12 Ostanina, 2015, p. 40.
13C’est en été 1930 qu’a eu lieu la première initiative ethnographique destinée à étudier la culture et la vie quotidienne du peuple oudmourte. Cette expédition dirigée par l’enseignant de l’université de Moscou, responsable de la section finnoise du Musée М. Т. Мarkelov (1899-1937) a été organisée par le musée central du folklore. Elle était composée de V. N. Belitser (1903-1981), qui dirigeait le musée régional d’histoire locale (MN), de G. F. Sidorov (1891-1942) ainsi que d’un sculpteur et graphiste moscovite, I. S. Efimov (1878-1959)12. Elle s’est déroulée conformément au plan approuvé par Glavnauka et par l’administration du Musée central du folklore. Tout au long de trois mois et demi, surtout en période estivale, l’expédition a visité le Sud et l’Est de l’oblast’ Autonome d’Oudmourtie – les villages de Srednie et Nižnie Juri dans le raïon de Malaja Purga, le village de Bol’šoj Žužges dans le raïon de Nylgi, de Paz’al-Žik’’ja et de Paz’al-Z’um’’ja dans le raïon de Možga, de Bakino, Titovo, Verhnee et Nižnee Korjakino, Ton’er, Bygi et le bourg Byginski du raïon de Šarkan (figure 1).
Fig. 1 – Les itinéraires des terrains ethnographiques du MN dans les années 1930. En bleu, l’expédition de 1930, en rouge, celle de 1931, en vert, celle de 1938.
Extrait de l’ouvrage de V.N. Belitser Le costume populaire des Oudmourtes, Мoscou 1951, p. 15.
- 13 Inventaire de terrain no 1. Archive des fonds du MN.
14Cette expédition a rapporté un ensemble d’objets ethnographiques abondant et diversifié, avec 201 objets13 : des outils agricoles (un moulin à lin), des instruments de musique (une cithare), des objets d’usage quotidien (des navettes, des louches), des bijoux et des éléments de costume (parures de poitrine faites de pièces de monnaie d’argent, des bonnets de jeunes filles, des bijoux faits de pièces, un par-dessus féminin, un tablier, une chemise d’homme), ainsi que des matériaux sur le filage et le tissage chez les Oudmourtes méridionaux et centraux (figure 2).
Fig. 2 – Femmes oudmourtes filant et tricotant. Nižnie Juri, raïon de Malaja Purga.
Photo de Vera Belitser, 1930, Fonds du MN.
- 14 Bâtiment sacré, le sanctuaire clanique des Oudmourtes, lieu de cérémonies païennes.
15Ils comprennent aussi une collection de vaisselle rituelle de la grande kuala14 de Bygi, raïon de Sharkan.
16La plupart des objets collectés ont été remis au musée central de Folklore, mais une partie d’entre eux est allée compléter la collection ethnographique du musée régional d’Histoire locale. Au cours de l’expédition, le graphiste I. S. Efimov a fait plus de cent dessins au crayon sur lesquels il a immortalisé des cérémonies oudmourtes, des bosquets sacrés, des scènes de la vie quotidienne, et certains objets d’usage courant (figures 3, 4).
Fig. 3-4 – Dessins de l’artiste I.S. Efimov, réalisés au cours du terrain de 1930.
Fonds du MN.
- 15 Ostanina, 2015, p. 41.
- 16 Belitser, Markelov & Sidorov, 1931.
17Sur la base de dessins faits sur place, l’épouse de l’artiste, Nina Simonovič-Efimova a réalisé quelques années plus tard pour le MN deux tableaux : Une kuala familiale, et Cérémonie nocturne. En plus de ces peintures, le musée conserve dix-sept dessins faits par Efimov pendant l’expédition ainsi que huit lithographies ethnographiques15. Le directeur du musée, G. F. Sidorov a collecté une extraordinaire collection de foulards féminins triangulaires (kuin’sergo), des serviettes de tête pour femmes (čalma), des bandeaux (jyrkerttet) dans le raïon de Šarkan et des foulards couvre-lit (s’ulek) dans le raïon de Nylgi (aujourd’hui d’Uva) de l’oblast. C’est sur la base des travaux de cette expédition qu’a vu le jour un rapport d’activité substantiel : le recueil d’articles scientifiques Les Oudmourtes (Moscou, 1931)16.
18Les travaux se sont poursuivis en 1931. Une nouvelle expédition, lancée par le musée des Peuples de l’URSS, a couvert l’ouest et le nord-ouest de l’oblast’ – les raïons de Selty (le village de Selty et de Gora-Selty), de Jukamenskoe (les villages de Čurašur, d’Ostapievo, d’Ust’-Lekma, de Šamardan, d’Abaševo), de Yar (villages de Kušmanskaja, Moseevo) et celui de Ponino (village de Zolotarevo, figure 5) dans l’oblast autonome, ainsi que des raïons de la Bachkirie où la population oudmourte est dense. L’expédition a permis de collecter et de décrire plus de cent objets, notamment des éléments du costume oudmourte du nord et besserman.
Fig. 5 – Jeune famille oudmourte du nord. Zolotari, village du raïon de Glazov, 1931.
Photo de Vera Belitser. Fonds du MN.
19La dernière des grandes expéditions d’avant-guerre a eu lieu à l’été 1938 à l’initiative de l’Institut oudmourte de recherche scientifique sur la culture socialiste. Elle s’est focalisé sur les Oudmourtes et les Bessermans dans les raïons de Šarkan (villages de Nižnie et Verhnie Kivary), de Balezino (villages de Burino, Čaškino, Bitemšur, Bol’šaja Junda, Malaja Junda, Golegurt, Nuryzovo) et de Jukamenskij (villages de Pyšket, Filimonovo, Porovo, Bayran et Syga). L’objectif de la collecte scientifique était d’étudier l’artisanat artistique (tissage et broderie). Les chercheurs ont sélectionné des objets en textile, qui représentent des échantillons de broderie et de tissage hautement artistiques. Au total, les participants ont su collecter de véritables exemples d’art populaire.
20Il est indispensable de noter que l’activité du musée a été fortement marquée par la situation idéologique et politique de l’URSS dans les années 1930. Le combat contre les ennemis idéologiques, les campagnes de propagande et les instructions du parti pour populariser les transformations socialistes au village soviétique, la dénonciation des vestiges patriarcaux, – ne permettaient aucunement l’étude systématique et impartiale du passé ethnographique récent des Oudmourtes. De plus, en 1939 le MN a cessé d’exister en tant qu’institution autonome et a été rattaché au musée d’Histoire locale du district de Sarapul. Cette décision a été l’une des raisons qui expliquent que, dans les années 1940, période difficile pour le pays, la collection muséale du MN n’a pas augmenté et que les rares terrains ethnographiques dans les districts ont été réalisés par les collaborateurs des musées centraux.
21À l’été 1941 et à deux reprises en 1943, l’Oudmourtie a eu la visite d’Agnessa Ivanovna Pint, une chercheuse soviétique célèbre, archéologue, ethnographe, linguiste qui travaillait depuis 1937 dans le Musée central antireligieux. Elle n’était pas particulièrement intéressée par le costume populaire, mais les résultats de son terrain sont aujourd’hui conservés au musée national d’Histoire des religions (Saint-Pétersbourg)17 et ils contiennent indiscutablement d’importantes informations, non seulement sur les restes de religion traditionnelle oudmourte, mais aussi sur les habits et les attributs matériels des sacrificateurs oudmourtes.
- 18 Ostanina, 2015, p. 43.
22Les terrains destinés à acquérir des objets pour le musée sur le territoire de l’Oudmourtie se sont poursuivis aussitôt après la fin de la Grande Guerre patriotique18. C’est en 1946, 1947 et 1949 que T. A. Krjukova, chercheuse au musée national d’Ethnographie d’URSS, a réalisé des expéditions, soit dans un endroit spécifique, soit en itinérance dans les raïons de Balezino, Alnaši, Možga, Vavož, Uva, Zavjalovo et Šarkan, tous en Oudmourtie. Au cours de ces expéditions, elle a collecté, pour le musée d’Ethnographie de Leningrad, des collections annotées, diversifiées et de grande qualité. À côté d’objets hors d’usage, elle a aussi collecté des objets quotidiens en bois et en tissu présentant des traits ethniques caractéristiques.
23Tatjana Aleksandrovna Krjukova, dans les premières décennies suivant la guerre, est devenue une grande collecteuse d’objets ethnographiques oudmourtes pour le musée national d’Ethnographie d’URSS et en même temps une importante consultante pour la nouvelle génération des responsables de musées et ethnographes régionaux.
24L’un des principaux résultats de cette période a été l’étude monographique du costume traditionnel oudmourte par Vera Belitser. Dans sa thèse soutenue avec brio en 1945 et publiée sous forme de livre en 195119, la célèbre finno-ougriste et ethnographe soviétique a décrit exhaustivement le cycle technologique de la fabrication des vêtements, de la préparation des matériaux aux outils et teintures nécessaires pour les travailler. Outre une scrupuleuse description de tous les éléments du costume féminin et masculin (teintures, souliers, couvre-chefs), elle établit des parallèles historiques et typologiques sur le plan comparatif et génétique entre le vêtement oudmourte et celui des peuples voisins. Cette analyse approfondie a conduit la chercheuse à définir les principaux ensembles vestimentaires existant chez les Oudmourtes.
25Regrettablement, dans la République d’Oudmourtie, jusqu’aux années 1960, il n’y avait pas de cadre adapté ni d’organisation dédiés à la complétion des collections du musée d’Histoire locale. Le renouvellement des terrains ethnographiques pour collecter des objets sur la culture traditionnelle oudmourte est dû à V.A. Semenov, lequel, à partir de 1959, a été vice-directeur du musée chargé de la recherche. En dix ans, grâce à ses efforts, les fonds du musée ont été complétés avec des collections archéologiques remarquables, riches en matériaux ethnographiques. Il a prêté une grande attention aux corrélations entre les sources. Sa connaissance de la vie et de la culture oudmourtes était tellement étendue, que des spécialistes de diverses disciplines – des folkloristes, des linguistes, des historiens – s’adressaient à lui en permanence et lui demandaient conseil. Bénéficiant d’une formation encyclopédique, il a publié des travaux sur les monuments archéologiques du bassin de la Čeptsa, directement liés aux ancêtres des Oudmourtes du nord. Il est aussi l’auteur de recherches sur divers aspects de la culture matérielle et spirituelle de la population médiévale du bassin de la Kama, sur les questions d’ethnogenèse et sur les spécificités des parures traditionnelles, des ornements traditionnels. V. А. Semenov a entrepris de publier des livres de référence sur l’art populaire oudmourte, représentant des objets divers aussi bien par leur fonction que par leur technique : des échantillons de broderie, de tissage à motifs, de tapisseries, de ceintures, de parures de poitrine. C’est sur la base des matériaux ethnographiques à disposition du musée qu’il a préparé et publié l’album Les ornements oudmourtes, qui a vu le jour en 1966. Cet ouvrage a joué un grand rôle dans la diffusion des savoirs et a fourni une assistance pratique aux artistes.
26En 1959-1960, V. А. Semenov a organisé des expéditions ethnographiques dans les raïons d’Oudmourtie où aucun ethnographe n’était allé avant. En dépit de difficultés non dissimulables à recruter des cadres, le musée a organisé sous sa direction des collectes dans les régions du nord et de l’ouest (raïons de Jakšur-Bod’ya, de Selty, d’Igra, de Balezino, d’Uva, de Vavož). En deux expéditions, il a rapporté le volume considérable de 609 objets.
- 20 Semenov, 1966.
- 21 Inventaire de terrain no 8. Archive des fonds du MN.
27À la fin des années 1960, les terrains ayant pour but de rapporter des objets ont été renouvelés avec la participation conjointe de chercheurs du musée oudmourte d’Histoire locale (futur MN) et du musée d’Ethnographie de l’URSS. Une très grande expédition a eu lieu à l’été 1969 qui se situait surtout dans les raïons du sud de l’Oudmourtie (Grahovo, Zav’jalovo, Malaja Purga, Alnaši, Možga, et la ville de Kambarka)20. La responsable de la section du passé prérévolutionnaire, N. P. Pugaeva (Ligenko), a été nommée à sa tête. Cette expédition a rapporté 95 objets, qui, à la différence des matériaux des expéditions précédentes, avaient fait l’objet de travaux préalables ; ils étaient décrits et prêts à intégrer les fonds ethnographiques du musée21.
- 22 Inventaire de terrain no 4,5,6,7. Archive des fonds du MN.
28Si on regarde l’étude des spécificités locales de l’art populaire oudmourte, une expédition présente un intérêt tout particulier. Il s’agit de l’expédition commune au musée Ethnographique des peuples de l’URSS, à l’Institut oudmourte de recherche et au musée oudmourte d’Histoire locale, qui a eu lieu entre juin et octobre 1970. En ce qui concerne le volume de matériau collecté, c’est certainement l’une des plus intenses. Elle s’est déroulée sous la direction de la responsable de la section des peuples de la Volga et de l’Oural du musée Ethnographique des peuples de l’URSS, Т. А. Krjukova. Pour la première fois depuis 1930, l’expédition, en plus de chercheurs ethnographes, comprenait aussi un artiste, S. N. Vinogradov22. Elle a eu lieu dans les raïons de Malaja Purga, de Vavož et de Šarkan en Oudmourtie, de Tatyšly dans la République autonome de Bachkirie, d’Uni et de Slobodskoj dans l’oblast de Kirov. Elle ne s’est pas contentée de collecter des objets de la vie quotidienne et des habits, mais aussi des productions de l’industrie et de l’artisanat.
29Grâce aux expéditions communes des années 60, les collections du musée ethnographique des peuples de l’URSS a été complétée avec des échantillons de vêtements ornementés, de tapisseries non peluchées, de serviettes tissées et brodées, ainsi que de couvre-chefs pour femmes et pour jeunes filles, dont des collections, significatives quantitativement et précieuses par leur importance, de vêtements des raïons de Zuevka, d’Uni et de Slobodskоj de l’oblast de Kirov, qui représentent des costumes de femmes, de jeune fille, d’homme, pour les jours ordinaires et les jours de fête richement décorés de broderies. Non seulement ces acquisitions ont complété les collections du musée ethnographique spécialisé, mais elles ont permis d’apporter des rectifications dans les collections antérieurement collectées et faiblement annotées. Comme à l’intérieur des frontières de l’Oudmourtie, les vêtements brodés sont pratiquement sortis de l’usage, cette collection qui est préservée en dehors de la République d’Oudmourtie est particulièrement précieuse. Sont venus s’ajouter dans les fonds du musée républicain 297 objets, des ensembles vestimentaires de costumes oudmourtes, des parures nationales, des souliers, des objets quotidiens, de la production industrielle.
30Dans l’histoire du musée, les années 1970-1980 ont été une période d’intensification extrême de l’activité de collecte ethnographique : à partir de cette époque, c’est sur la base de travaux de terrain ciblés et systématiques que les fonds ont accueilli de nouveaux objets. En général, les expéditions étaient complexes et s’effectuaient en coopération avec les chercheurs de l’Institut oudmourte de langue, d’histoire et de littérature et en lien avec le Conseil des ministres et l’université Oudmourte.
31Depuis 1972, les terrains annuels avaient lieu sous la direction de la responsable de la section d’histoire prérévolutionnaire, Serafima Hristoforovna Lebedeva (figure 6), la doyenne de la muséographie ethnographique oudmourte.
- 23 Lebedeva Serafima, 2021, p. 5.
32Elle a fait ses études à l’université de Kazan et a consacré un demi-siècle à l’activité de collecte, de recherche, d’exposition et de publication au sein du musée régional d’Histoire locale de la République d’Oudmourtie, avant de rejoindre le parc-musée architectural et ethnographique Ludorvaj. Au cours de ces années, « elle a rassemblé une collection muséale inégalée d’objets ethnographiques oudmourtes, elle a fondé une photothèque et des archives de dessins ethnographiques, elle a établi et remis aux archives manuscrites de musée des centaines de pages de rapports de terrain, mis au point des dizaines de publications et des centaines d’expositions fixes et ambulantes, qui ont circulé en Oudmourtie et dans diverses villes de Russie, d’Ukraine, de Finlande, de Hongrie et d’Estonie23 ».
Fig. 6 – Serafima Lebedeva avec les femmes de la famille de tisseuses Mazitov. Karamas-Pel’ga, raïon de Kijasovo, 1981.
Photo de Juri Karm. Fonds du MN.
- 24 Inventaire de terrain no 11,13. Archive des fonds du MN.
33L’une des expéditions les plus fructueuses du point de vue de la collecte d’objets a été celle de 1973, la deuxième qu’elle a dirigée, partagée en deux sorties distinctes : celle dans les raïons de Selti et de S’ums’i en Oudmourtie entre le 28 mai et le 13 juin, au cours de laquelle elle a réussi à collecter 304 objets historiques et quotidiens (des samovars, des récipients en écorce de bouleau, des pots d’argile, des parures de poitrine) ; et celle en dehors de l’Oudmourtie, dans l’oblast de Perm’ et dans la République des Maris, entre le 24 et le 31 juillet dans les diasporas oudmourtes, qui a permis d’acquérir de rares éléments du costume et des parures24.
- 25 Inventaire de terrain no 14. Archive des fonds du MN.
34L’expédition suivante, qui a enrichi le musée de 110 objets, a eu lieu en juillet 1974 dans les raïons de Balezino et de Jar à l’intérieur de la République. Les objets en question étaient des ensembles de textiles rituels25.
- 26 Parure de poitrine faite de pièces de monnaies (NdT).
- 27 Ancien couvre-chef féminin (NdT).
- 28 Inventaire de terrain no 15. Archive des fonds du MN.
35En juillet 1975, des travaux de terrain du musée régional d’Histoire locale ont eu lieu dans les raïons de Kijasovo et de Malaja-Purga, plus précisément dans les villages d’Ermolaevo, de Karamas-Pel’ga et de Kološur. Les objets collectés ont enrichi les collections de nouveaux éléments vestimentaires rarescomportant des métaux précieux : des monistes26, s’ulik27, des bandeaux, des bonnets de jeune fille (tak"ja)28.
- 29 Peterson, 2000, p. 53.
- 30 Peterson, 2000, p. 54.
36La période entre 1977 et 1993 a été caractérisée par la coopération entre le musée d’Histoire locale et le musée national estonien, qui a permis de passer à un tout autre niveau qualitatif dans la collecte d’objets significatifs pour le musée et de noter le contexte ethnographique de leur existence. À cette époque, des expéditions communes dirigées par Serafima Lebedeva et par le responsable scientifique du Musée national estonien, Aleksei Peterson, avaient lieu quasiment tous les ans. Comme ce dernier l’écrira plus tard : « entre 1977 et 1993 ont eu lieu des expéditions complexes en Oudmourtie, au cours desquelles, outre les activités scientifiques des chercheurs, des photographes et des artistes, nous avons intégré aussi des cameramen29 ». Durant les seize années qu’ont duré ces expéditions communes, plus de 4000 objets d’exposition ont été collectés et les fonds du musée se sont enrichis de près de 2500 objets, dessins et photographies ethnographiques. « Parmi les acquisitions, la plupart ont été des textiles, surtout des vêtements d’extérieur pour femmes et des chemises. Les terrains ont permis de trouver des objets d’usage domestique : des serviettes, des nappes, des tapis, des tapisseries, etc.30 ».
37C’est sous la direction et avec la participation directe de Serafima Lebedeva que, dans les années 1980 et au début des années 1990, ont été tournés un certain nombre de films ethnographiques sur le quotidien et les rituels religieux des Oudmourtes, réalisés par des chercheurs et des cinéastes oudmourtes, estoniens, finlandais, hongrois et autrichiens. On peut citer : en Estonie, Les Oudmourtes méridionaux au début du xxe siècle (1983), Les rituels religieux des Oudmourtes méridionaux au début du xxe siècle (1983), Les Oudmourtes septentrionaux au début du xxe siècle (1995) ; en Autriche, Les Oudmourtes, ou l’ours qui danse (Die Udmurten oder Der weinende Bär, 1989) ; en Hongrie Les sacrifices rituels du peuple oudmourte (Sacrificial Offerings of The Udmurt People, 1989–1999) ; en Finlande Les enfants d’Inmar. Un sacrifice oudmourte (Inmarin lapset. Udmurtialainen Uhrijuhla, 1993)31.
38Dans la période marquée par cette coopération, les expéditions communes ont réussi à visiter les agglomérations oudmourtes du sud, du nord et du centre, aussi bien dans la République (raïons de Kijasovo, d’Alnaši, de Zavjalovo, d’Uva, de Vavož, de Kez) que dans les groupes périphériques (raïons d’Agryz, de Bavli, de Baltasy au Tatarstan, d’Ermekeevo, de Tatyšly et de Janaul au Bachkortostan, de Slobodskoj, de Zuevka, d’Uni, de Faljono et de Kil’mez dans l’oblast de Kirov, de Kueda dans l’oblast de Perm’, de Mari-Turek dans la République autonome des Maris, et dans le kraï de Krasnojarsk). Ces terrains ont permis d’enrichir considérablement les collections du musée, notamment celles consacrées aux Oudmourtes vivant en diaspora en dehors de la République.
39La coopération internationale entre les musées s’est poursuivie dans les années suivantes. En 2003 a eu lieu le dernier terrain en dix ans d’expérience dans l’oblast de Kirov, chez les Oudmourtes de la basse Četpsa dans les raïons d’Uni et de Bogorodo grâce au financement de la Société М.-A. Castrén (Finlande), à laquelle a participé Ildikó Lehtinen, chercheuse principale du musée des Cultures sous l’autorité des musées de Finlande (Helsinki) et présidente de la Société M.-A. Castrén. Cette expédition a permis de rapporter une remarquable collection de vêtements oudmourtes blancs brodés réalisé par les groupes ethniques de la basse Vatka et de Kalmez.
40Grâce au travail diligent et obstiné de Serafima Lebedeva, la collection ethnographique du musée a été enrichie de 3620 objets, ce qui a considérablement élargi la base de l’ethnographie oudmourte. La section ethnographique qu’elle a dirigée a réussi à collecter un fond abondant et représentatif d’objets ethnographiques auprès de tous les groupes ethno-territoriaux oudmourtes, ce qui a permis d’asseoir la prédominance des collections du MN en comparaison des collections d’autres musées.
Fig. 7-8 – Ensembles vestimentaires de divers groupes locaux oudmourtes, collectés par Serafima Lebedeva, dans l’exposition ethnographique du MN.
Fonds du MN.
41De cette manière, en plus d’un siècle d’histoire, le musée, grâce à ses collaborateurs, a rassemblé des fonds riches et diversifiés de vêtements, d’objets quotidiens, de vaisselle, d’outils de travail, d’échantillons d’arts appliqués, caractéristiques de la culture oudmourte traditionnelle. Aujourd’hui, sur plus de cent soixante-dix mille objets du fond principal, 11 % (début 2023-19 071 objets) sont des objets artistiques, ethnographiques et de la vie quotidienne.
42La plupart d’entre eux renvoient à la période dite « classique » ou « de référence » par rapport à la notion de « culture traditionnelle », c’est-à-dire à la période allant de la deuxième moitié du xixe siècle au premier tiers ou à la moitié du ххe siècle. Les objets antérieurs de production domestique (ou leurs représentations) n’ont été conservés que dans les collections des collecteurs des périodes concernées, et les objets plus tardifs renvoient déjà à la modernisation de la société, qui va de pair avec la production de masse des objets d’usage quotidien.
43La géographie de la collecte des objets ethnographiques conservés au MN couvre les territoires ethniquement oudmourtes en dehors de la république d’Oudmourtie, à savoir les Républiques du Tatarstan, du Bachkortostan, du Mari El, le kraï de Perm’, les oblasts’ de Kirov et de Sverdlovsk, ainsi que certains villages de l’oblast de Tomsk et du kraï de Krasnojarsk.
- 32 Semenov, 1964.
- 33 Lebedeva, 2008.
- 34 Volkova, 1988 p. 153-172.
44Les collaborateurs et spécialistes des fonds du musée, V. А. Semenov32, Serafima Lebedeva33, L. А. Volkova34 et d’autres ont mis au point des publications (catalogues, articles scientifiques, monographies) qui jettent la lumière sur les questions touchant à l’exhaustivité des collections sur tel ou tel groupe et qui caractérisent les collections, notamment celles des costumes, des bijoux, des objets brodés. En même temps, l’attribution ethnique des objets de culture matérielle reste discutable et les instruments actuels de systématisation et de classification des objets ne permettent pas totalement aux chercheurs et aux personnes intéressées d’avoir les informations nécessaires. Le travail de numérisation des collections du musée et leur publication au catalogue national électronique des fonds des musées de la Fédération de Russie sont loin également d’être achevées.
45Il est naturel de se demander à quel point la riche collection de costumes populaires du MN reflète la diversité des formes locales du costume oudmourte, à quel point elle est représentative pour comprendre la dynamique historique de telle ou telle composante de la culture matérielle des Oudmourtes.
46Le problème de la classification locale du costume populaire et de ses ornements dans l’historiographie n’a toujours pas été définitivement résolu. Après l’œuvre classique de Vera Belitser, mentionnée ci-dessus, c’est Semen Vinogradov, artiste oudmourte renommé, qui s’est penché sur cette même question. En 1974, il a sorti un petit album35, dans lequel, sur la base des travaux de ses prédécesseurs et de ses propres observations, il a proposé un schéma pour subdiviser les ensembles vestimentaires des Oudmourtes. Au sein des trois grands groupes (Oudmourtes du nord, du centre et du sud), il a distingué quatorze sous-groupes, accompagnant sa subdivision de photos, de dessins réalisés par lui-même et de courtes descriptions. Nous lui sommes redevables d’observations professionnelles sur les compositions ornementales et les détails des motifs présents sur différents éléments des costumes.
- 36 Lebedeva & Atamanov, 1987.
- 37 Lebedeva, 2008.
47Les sources ethnogénétiques des différences locales ont été éclairées dans une perspective historico-comparative par un article de Serafima Lebedeva et de Mihail Atamanov, « les ensembles vestimentaires des Oudmourtes et leurs liens avec leur ethnogenèse36 ». Sur la base de cette étude et des travaux de ses prédécesseurs, Lebedeva, dans la suite de ses recherches37 s’est tenue à une subdivision des ensembles vestimentaires oudmourtes en quatre groupes : oudmourte du nord (ensemble de la basse Čeptsa [variantes de Kosino et de Slobodskoj], de la haute Čeptsa), oudmourte du sud (oudmourte du sud à proprement parler, transvjatka, transkama, Bavli), oudmourte du milieu (Šarkan-Jakšur-Bodja, Kalmez), et l’ensemble besserman. Le caractère fondé et convaincant de ses conclusions a été prouvé par les matériaux collectés, souvent par la chercheuse elle-même, pour rejoindre les fonds du musée le plus riche d’Oudmourtie.
- 38 Kosareva , 2017 ; 2020.
48Chronologiquement, les derniers efforts d’utilisation des différents costumes oudmourtes pour résoudre le problème crucial de la distinction des groupes locaux ont été les livres d’Irina Kosareva38. Sur la base de ses propres matériaux et des conclusions tirées des caractéristiques des groupes locaux, en rapport, entre autres, avec le développement historique des ensembles vestimentaires, la chercheuse propose une subdivision plus fine de l’ethnie oudmourte au sein des grandes catégories, ce qui par ailleurs va de pair avec la tâche de classification ethnographique des collections de vêtements.
49Les matériaux des collections dont nous disposons et les travaux de recherche publiés nous encouragent à proposer qu’à la période dite « classique » de l’ethnographie descriptive, à savoir entre la deuxième moitié du хiхe et le début du xxe siècle, il existait chez les Oudmourtes deux principaux ensembles vestimentaires régionaux : celui du nord et celui du sud, correspondant aux deux principales subdivisions du peuple oudmourte. La plupart des spécialistes distinguent également diverses cultures de la transition entre les traits caractéristiques des Oudmourtes du sud et les traits du Nord qui unissent l’ensemble des Oudmourtes du centre (ou du milieu), ainsi que deux versions de l’ensemble vestimentaire méridional, selon que ceux qui les portaient vivaient dans le territoire officiel des Oudmourtes (la République d’Oudmourtie actuelle), ou bien au-delà de ses frontières. L’ensemble besserman, qui avait précédemment été proposé à leurs côtés, d’après les conceptions modernes sur les traits caractéristiques de l’identité bessermane, doit être traité comme indépendant, bien qu’historiquement proche du complexe oudmourte.
50La classification topographique des objets au MN repose sur le principe géographico-administratif des raïons (les objets sont classés conformément à l’appartenance administrative de l’agglomération d’où ils proviennent, voire où ils ont été collectés), ce qui ne permet pas de comprendre précisément à quel ensemble vestimentaire lesdits éléments appartiennent. De ce fait, les auteurs proposent un autre moyen de classifier les objets de la collection vestimentaire, en ne s’appuyant seulement sur la base du raïon où ils ont été collectés pour entrer au musée, mais en prenant aussi en compte le référentiel administratif des zones correspondantes à l’ensemble vestimentaire en question.
51Les résultats de ce travail sont reportés sur le tableau ci-dessous, qui illustre bien la représentativité de la collection du musée national. Ce schéma est établi sur la base de la classification d’Irina Kosareva, avec l’hypothèse qu’une partie substantielle des objets de la collection n’avait pas été attribuée correctement au moment de sa collecte, ce qui a permis de rapporter les objets à une zone d’habitat concrète. Les éléments du costume féminin sont utilisés pour évaluer si tel ou tel ensemble (couvre-chef, bijoux, sous-vêtements) est plus ou moins complet.
Tableau de la représentativité des ensembles vestimentaires traditionnels des Oudmourtes d’après les collections du MN.
No |
Ensemble vestimentaire / variante |
Couvre-chef féminin |
Bijoux féminins |
Sous-vêtements féminins |
Sous-vêtements masculins |
1. |
Ensemble vestimentaire du nord, répandu chez les Oudmourtes occupant le bassin de la Vyatka |
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1.1. |
Variante de la haute-Čeptsa (aujourd’hui raïons de Balezino, de Debjossy, de Kez, d’Igra, République d’Oudmourtie) |
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1.2. |
Variante de la Moyenne Čeptsa (raïons de Glazov, de Krasnogorskoe, de Jukamenskij et de Jar, République d’Oudmourtie) |
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1.3. |
Variante de la basse-Čeptsa variante de Kosino (raïon de Bogorodskoe, de Zuyevka, d’Uni, de Faljonki de l’oblast de Kirov) |
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1.4. |
Variante de Slobodska de la basse-Čeptsa (raïon de Slobodska de l’oblast de Kirov) |
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2. |
Ensemble vestimentaire central |
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2.1. |
Variante de Kalmez (raïons de S’ums’i et de Selti de la République d’Oudmourtie, de Kil’mez oblast de Kirov) |
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2.2. |
Variante d’Uni (raïon d’Uni, oblast de Kirov) |
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2.3. |
Variante du haut Iž et de Šarkan (raïons de Šarkan et de Jakšur-Bodja, République d’Oudmourtie) |
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3. |
Ensemble vestimentaire du Sud |
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3.1. |
Variante de l’Iž moyen et de la rive gauche (raïons de Votkinsk, et partiellement de Zav’jalovo et de Malaja Purga République d’Oudmourtie) |
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3.2. |
Variante d’Alnaši et de Kijasovo (raïons d’Alnaši et de Kijasovo de la République d’Oudmourtie, raïon d’Agryz, République du Tatarstan) |
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3.3. |
Variante de Grahovo et de Kizner (raïons de Grahovo et de Kizner, République d’Oudmourtie, de Vjatskaja Poljana et de Malmyž de l’oblast’ de Kirov) |
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3.4. |
Variante de Vodzimon’e (Raïon de Vavož, République d’Oudmourtie) |
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3.5. |
Variante de Mozhga et Malaja Purga (Raïons d’Uva, de Malaja Purga, et de Možga, République d’Oudmourtie, rive droite de l’Iž dans les raïons de Zav’jalovo et de Malaja Purga, République d’Oudmourtie) |
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4. |
Ensemble vestimentaire du Sud périphérie |
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4.1. |
Variante de Transvyatka ou d’Ar (raïons de Baltasy, de Kukmor, de Mamadyš, République du Tatarstan, raïon de Malmyž, oblast de Kirov, raïon de Mari Turek, République du Marij-El) |
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4.2. |
Variante orientale ou de Transkama (raïons de Buraevo, d’Iliševo, de Kaltasy, de Kušnarenko, de Tatyšly, de Janaul, République du Bashkortostan, raïon de Kueda, kraï de Perm’) |
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4.3. |
Variante de Bavli (raïon de Bavli République du Tatarstan) |
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4.4. |
Variante de Krasnoufa (raïon de Krasnoufa, oblast de Sverdlovsk) |
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– les éléments de l’ensemble sont représentés en quantité suffisante ; |
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– l’ensemble est représenté par des éléments uniques, ou par des éléments collectés seulement dans quelques aires ; |
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– ensemble incomplètement représenté ; |
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– ensemble non représenté. |
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52Le principe aréal de classification des objets de musée, dont nous venons de présenter les résultats dans le tableau ci-dessus, révèle clairement les lacunes existantes dans la collection de costumes populaires oudmourtes au MN. Les lacunes principales apparaissent dans les ensembles vestimentaires des groupes oudmourtes périphériques, et l’objectif principal est bien de compléter les collections avec les exemplaires correspondants. Regrettablement, aujourd’hui, le travail de collecte de vêtements traditionnels tissés à la main est pratiquement arrêté ; depuis le départ à la retraite de Serafima Lebedeva aucun remplacement n’a été trouvé, aucun ethnographe collecteur n’a été recruté. En même temps, les processus d’assimilation culturelle et ethnique dans les diasporas oudmourtes tels que nous les constatons, notamment dans l’oblast de Kirov et dans le kraï de Perm’, laissent craindre l’éventualité d’une perte réelle de cet élément essentiel de la culture matérielle des groupes territoriaux qu’est le costume.
53Malgré la disparition générale du costume traditionnel dans l’habillement quotidien des Oudmourtes, les possibilités de combler les lacunes des collections du musée avec des exemplaires originaux ne sont pas épuisées. Dans beaucoup de familles oudmourtes, les robes et les bijoux des arrière-grand-mères sont conservés et se transmettent de génération en génération, comme des reliques. Les traditions, toujours vivantes, des fêtes calendaires soutiennent la nécessité de préserver le costume, qui est l’un des attributs irremplaçables des festivités. Il est réjouissant de constater que les responsables régionaux comprennent l’importance du costume pour l’identité nationale de la population, et le jour du costume national en tant que date de fête a été mis en place officiellement dans les républiques du Bachkortostan et du Tatarstan, aussi bien qu’en Oudmourtie. Cette fête actualise l’attention portée au costume traditionnel et les moyens offerts aux designers contemporains pour l’interpréter.
54Les musées régionaux risquent aujourd’hui d’être confrontés à un nouveau défi : le président de la Russie, Vladimir Poutine, a fait un discours le 19 mai 2023, au terme d’une séance du Conseil pour les relations interethniques, dans lequel il présentait des plans de constitution d’un musée des Peuples de Russie à Moscou, qui ferait appel aux fonds de l’Institut d’ethnologie et d’anthropologie N. N. Mikluho-Maklaj de l’Académie des sciences de Russie, ainsi qu’à « des musées ethnographiques et d’histoire locale sous l’autorité du ministère de la Culture de la Fédération de Russie et des organismes exécutifs des sujets de la Fédération39 ».
55Cette formulation implique qu’il n’est pas exclu que le MN se voie imposer la tâche de transférer au nouveau musée moscovite une partie de ses fonds. Malgré toute la dimension positive que peut contenir l’idée de créer un nouveau musée ethnographique fédéral, les musées régionaux doivent approcher la question de la diminution de leurs fonds de manière pleinement responsable. Le transfert envisagé ne doit en aucun cas nuire à l’héritage historique et culturel inestimable des peuples de Russie, qui est pour le moment préservé dans les musées des territoires où vivent ces mêmes peuples.
56Inventaires de terrain no 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 13, 14, 15. Archive des fonds du Musée national de la République d’Oudmourtie.