1.Introduction

1L’évaluation certificative en Education Physique et Sportive (E.P.S.) au baccalauréat consiste à attribuer une note à partir d’un référentiel national pour chacune des trois Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA) figurant au « menu » des élèves. Celles-ci, choisies dans les neuf groupements d’APSA de même nature, correspondent à l’une des quatre composantes culturelles (CC) du programme (BO du 31/08/2000). Puis, une cinquième CC, apparaît. Elle consiste à

2« Orienter et développer les effets de l’activité physique en vue de l’entretien de soi » (BO du 30/08/2001) et valorise ainsi, les pratiques d’entraînement en fonction de soi, en répondant aux exigences de la formation d’un citoyen lucide, autonome, responsable en développant des compétences tant méthodologiques (informations, connaissance de soi, savoirs faire sociaux) que culturelles.

3L’ajout de la 5^ème CC marque la reconnaissance en EPS, d’un champ d’activités particulières jusque là « extra- scolaires » : la musculation, la course - ou l’activité - de durée (jogging, tapis roulant en salle, step, vélo), mais aussi l’aquagym, le fitness, la natation « de loisir » etc.

4Dans ces activités de loisir et d’entretien, le but est d’abord de s’entraîner en intervenant sur ses propriétés corporelles selon diverses motivations : se détendre, se faire plaisir, affiner sa silhouette, retrouver ou garder la forme, voire se préparer à une épreuve plus ou moins compétitive (cyclotourisme, randonnée, course sur route, raid…). De plus, préparer les élèves à la gestion de leur vie physique à tous les âges de l’existence, revient aussi leur apporter les connaissances nécessaires à leur pratique présente ou future de ces activités d’entraînement appelées « ASDEP », depuis 1995, dans la continuité des travaux de l’INRP (R. Mérand et R. Dhellemmes, 1988).

5Par ailleurs nous avons constaté au cours de nos expériences personnelles (pratiquants) et professionnelles (formateurs) que : chez tous les pratiquants (compétiteurs ou non) les aspects subjectifs sont premiers. Ces aspects articulent les motivations intrinsèques, aux sensations de plaisir et à la recherche de sensations perceptives, motrices, techniques. A notre sens, ils sont encore trop souvent, faussement identifiés culturellement par des données exclusivement objectives comme les performances mesurées, le classement ou d’autres motivations plus extrinsèques.

6Cependant, ces aspects plus subjectifs, à enseigner et à évaluer, n’excluent pas l’utilisation de performances (exemple le test VMA), comme moyens ou repères de connaissance et d’intervention sur soi (Cf tableau 1).

7D’autre part, si s’inscrire dans un processus compétitif n’exclut aucunement l’acquisition des savoirs et compétences visées par ce travail, réciproquement : mettre en avant, pour les élèves, d’abord, cette approche « compréhensive » de l’entraînement, nous semble permettre le choix pour tous les élèves de s’inscrire dans un processus « sportif », qu’il soit compétitif ou non.

8Ce n’est pas notre objet, ici, de développer les « vertues » de l’enseignement d’APSA en CC1, qui peut utiliser, certes, comme moyens, pour « réaliser une performance… », certaines des données que nous tentons d’évaluer en CC5 pour un « savoir s’entraîner » (Cf tableau 1).

9Enfin, il est souhaitable que les capacités et les performances des élèves (ici, le niveau de VMA) ne soient pas forcément « corrélées » avec la note attribuée, afin de valoriser d’autres objectifs de cycle, à la portée de tous les élèves, objets de la CC5, comme cela est précisé, par exemple, dans les documents d’accompagnement : « Cette distinction peut aider à sortir de l’opposition courante chez les lycéens (et leurs enseignants !), toujours stérile, entre ceux qui aiment la performance et ceux qui la rejettent » (Cf accompagnement des programmes, 2001, p. 87).

10Cette étude professionnelle, dans un contexte favorable et limité (15 élèves…), a pour ambition de relater une expérience pragmatique (réaliser un cycle d’EPS et évaluer tous les élèves), d’évaluation certificative, en course de durée, pour le baccalauréat. Il s’agit pas de « valider » des hypothèses expérimentales, mais de « valider » une expérience professionnelle originale à partir de faits précis, permettant d’envisager « autrement » l’enseignement de l’EPS, dans le cadre des prescriptions institutionnelles (BO du 30/08/2001) ou académiques (Dhellemmes, 2002,a).

2. Question de recherche :évaluer le « savoir s’entraîner »

2.1 Le renversement des buts et des moyens

11Ce champ du « vouloir et du savoir s’entraîner » (CC5), nous semble ainsi mériter un contenu culturel d’enseignement spécifique, de même valeur que les autres Composantes Culturelles.

12L’apprentissage d’un « savoir S’entraîner », où le « S » signifie que l’élève s’entraîne lui-même, a donc toute sa place dans le système scolaire actuel. S’il suppose une attitude de dévolution des savoirs de la part de l’enseignant, il pose surtout le problème de l’évaluation des compétences attendues, comme il se doit pour toute discipline d’enseignement en cycle terminal, certificatif du baccalauréat.

13Dès lors, l’objet de notre évaluation certificative, n’est plus de classer des performances objectives mesurées selon des barèmes mais d’évaluer un « savoir s’entraîner » plus subjectif. Ceci revient à opérer un renversement (cf. tableau n° 1) en nous appuyant sur des travaux récents (Dhellemmes 2002 ; T. Tribalat 2003).

14En effet, il nous semble qu’il y a une « plus-value » concrète pour les élèves à « mieux savoir s’entraîner », en apprenant autant des principes essentiels de physiologie que des techniques d’accès à la compréhension de leur fonctionnement ou la connaissance de soi, plutôt que de se centrer principalement sur les résultats objectifs en terme de performance sportive mesurée.

Tableau I : renversement des buts et des moyens entre la 1^ère CC et la 5^ème CC

	But de l’Action :	Moyens de l’Action :
CC 1 : « Réaliser une performance mesurée à une échéance donnée. »	Performance « à tout prix » : optimiser son résultat à un moment précis, généralement imposé… Motivation compétitive	Ressources bio-fonctionnelles Disponibles à solliciter et (si possible !) à développer
CC 5 : « Orienter et développer les effets de l’activité physique en vue de l’entretien de soi. » Savoir S’entraîner, soi-même	Intervenir sur ses ressources bio fonctionnelles disponibles, à court terme ou de façon plus différé. Motivation d’entraînement de soi	Performances comme repères : - qu’une intervention se réalise, qu’une transformation est en cours - de l’orientation d’un effet choisi

2.2 Questionnement et problématique

15Des questions relatives au contenu ressortent de cette prise de position, notamment : quels savoirs utiles pour s’entraîner peut-on dévoluer aux élèves ? Comment ressentent-ils ce type d’approche attribuant une autre valeur à la performance. Approche où l’on extrait et différencie une compétence consistant à : « produire des effets sur soi » d’une autre visant à : « réaliser une performance mesurée ». Enfin, les enseignants doivent-ils, peuvent-ils, veulent-ils proposer cette APSA en CC5 ? Ce qui pourrait, plus ou moins, remettre en cause leurs habitudes et le fonctionnement des cours d’E.P.S.

16Notre question de départ, à la lumière de ce qui précède, peut se résumer simplement à :

17« Quel outil d’évaluation certificative peut-on proposer, après un cycle de course pédestre de durée, pour des élèves de terminale, sans dénaturer la 5ème compétence culturelle »

18Ceci nous a conduit à formuler la problématique suivante : « Comment dépasser la contradiction d’une évaluation « objective » en prenant en compte aussi des données subjectives ? Comment éduquer à la santé et à la responsabilité en faisant comprendre qu’un état corporel et mental peut être lié à ses propres choix, à son investissement en EPS ? »

3. Cadre conceptuel

19Il repose sur des travaux issus des Sciences de l’Education et de la Didactique de l’E.P.S.

3.1 Nature de la recherche

20Notre étude est à situer dans le cadre d’une « la recherche-action » cherchant à « (…) solutionner des problèmes concrets et transformer la réalité. Elle s’inscrit dans la dynamique du changement et met en oeuvre une méthodologie spécifique qui se caractérise essentiellement par l’intervention. Elle peut aussi avoir comme visée la compréhension » (Astolfi, 1993). Ce type de recherches, dites aussi de « faisabilités » renvoie, de plus, à un cadre de nature praxéologique. Dès 1983, Schön revitalisait ce concept de « retour du sujet » résumant la dimension réflexive de l’acteur.

21L’ensemble des propos déjà avancés se rattache au « paradigme réflexif », par la place accordée aux « savoirs pratiques et d’expérience », développé par Perrenoud (2001).

22Les « options » EPS des formateurs et chercheurs de l’académie de Lille, sous l’impulsion de R. Dhellemmes, face à la diversité et à la complexité des situations de travail, s’inspirent de ces travaux, où les savoirs rationnels ne suffisent pas. Il faut : « réhabiliter la raison pratique, les savoirs d’action et d’expérience, l’intuition, l’expertise fondée sur un dialogue avec le réel et la réflexion dans l’action et sur l’action » (Perrenoud, 2001).

23Avec Astolfi (1993), on peut, aussi situer notre travail comme une « recherche de faisabilité », d’abord praxéologique, qui vise « à établir un corpus sur la base d’innovations contrôlées (…) mises en place par l’enseignant ». C’est-à-dire ici, de développer des formes de travail autonome, orientées par des apprentissages perceptifs, physiologiques ; par des situations vécues variées et auto évaluées (mais guidées), par un projet personnel d’entraînement et de gestion de sa vie physique à court ou à moyen terme. Ces formes de pratique sont également orientées par la nécessaire évaluation certificative du baccalauréat EPS, cependant relative …

3.2 L’évaluation

24Hadji (2000) démystifie l’évaluation mais lui attribue une place essentielle pour la formation : « l’évaluation est au cœur de l’action de formation. Elle est alors dite formative… (elle est) une opération de lecture orientée de la réalité…plus que l’objectivité, il faut chercher la pertinence et la justice ». Ce type de définition de l’évaluation, ici à visée certificative dans le contexte de la CC5, est de nature à fonder nos propositions sur le thème. Il ne s’agit pas de se caler sur des mesures plutôt objectives, comme pour la CC 1, mais bien d’apprécier justement des prestations : « Comment bien évaluer ces données par essence subjectives ? ». Il nous a paru intéressant de tenter d’oser en pénétrer la complexité.

25Si l’évaluation formative n’est qu’une « utopie porteuse », comme se plait à le démontrer C. Hadji(id), elle ne peut être objective, sur le plan scolaire. Les facteurs sociaux du contexte de l’acteur évaluateur, bien décrits également par Durand (2002), biaisent cette objectivité souhaitée. C’est en fixant un « contrat social » (Chevallard, 1991), où les règles de l’évaluation sont comprises et acceptées que l’on peut atténuer ce biais social.

26Hadji (1992) désignait déjà par « apprentissage assisté par évaluation », cette volonté de faire évoluer vers plus de réussite les élèves autant en évaluant la compréhension que la performance. L’erreur ne serait pas une faute, à réprimer mais une source d’information pour l’élève comme pour l’enseignant, comme cela a été montré aussi par Reuter (1984).

27L’importance de l’évaluation doit aussi nous conduire à certaines précautions déontologiques, en accomplissant un acte conforme à son essence. Les travaux de recherche en docimologie en mathématiques (comme pour d’autres disciplines), ont montré des écarts importants de notes au baccalauréat. Ainsi le caractère aléatoire de la notation en général n’est plus à démontrer, même dans les disciplines scientifiques.

28David (2003) montre que la certification en EPS est liée, par divers soucis (dont celui d’équité), pressions (des élèves, parents, administration) à des « arrangements évaluatifs ». La certification est bien une « approximation risquée », (Cardinet, 1990). Ces arrangements, ou bricolages, négociations, compromis, conciliations, « opérationnalisations » existent parce que, les textes en EPS sont trop flous et permettent « un certain espace de liberté aux équipes d’EPS ». (David ; id)

29Par ailleurs, les épreuves d’évaluation, avec leurs barèmes doivent être le reflet de ce qu’il est souhaitable d’enseigner. Il appartient aux enseignants (plutôt qu’aux « experts » !) de déduire des performances des élèves les barèmes indispensables. Il convient également de détailler davantage les critères mais aussi les indicateurs des référentiels nationaux, en précisant les conditions d’évaluation des compétences et connaissances dans le respect des contextes écologiques et du rôle des élèves (David, 2004)

30Par conséquent, il ne semble pas y avoir d’obstacles particuliers, dans le contexte de l’évaluation en général et de l’E.P.S. en particulier, à proposer une évaluation certificative en course de durée. Par ailleurs, pourquoi exiger pour la course de durée des normes de validité et de rigueur qui n’existent finalement pas, malgré les apparences, pour d’autres APSA et d’autres disciplines d’enseignement ?

31Inspirés par ces deux auteurs, nous tenterons de trouver une voie médiane entre une évaluation exclusivement certificative, un apprentissage assisté par l’évaluation nécessitant un traitement non uniforme des contenus et la participation des élèves à la régulation de leurs propres activités d’entraînement au sens large (courir, relever des données, conseiller, questionner, écouter, analyser, construire).

32Cette participation implique, selon nous, l’acquisition de savoirs d’intervention sur soi. Pour solliciter des savoirs de l’action en EPS, développer, chez les élèves, des savoirs d’intervention sur soi (pour savoir s’entraîner), encore faut-il les définir.

3.3. Les savoirs de l’action

33Selon Mérand (1991), ces savoirs intègrent trois types de propriétés : « de l’action (PA), de l’objet (PO), (le système énergétique), des moyens utilisés (PM) ». L’objectif étant de « savoir s’entraîner », les propriétés du sujet seront sous-jacentes à nos propositions à travers : le type de foulée à choisir (PA), la physiologie de l’effort en question (PO), la course pédestre de durée (PM). On peut mettre en parallèle cette classification avec celle, plus large, de Carnel et Muguet (2003) s’appuyant sur des travaux antérieurs (Marsenach 1990) : propriétés du milieu didactique (ici un espace organisé : piste, plots…), propriétés de l’action (« systèmes de mouvements coordonnés en fonction d’un résultat ou d’une intention »), propriétés du corps (« activité musculaire…, états émotionnels, dépense énergétique »). Celle-ci présente l’intérêt d’ajouter le « milieu didactique », car cette organisation didactique, en course de durée, nous semble incontournable à la mise en place d’une évaluation type pour la « CC 5 ».

34Il semblerait également que les enseignants soient moins attentifs à ces « propriétés du corps », propriétés que nous avons tenté de ne pas sous-estimer dans notre approche.

35Il y a donc une complexité et la diversité des types de propriétés concernés par les savoirs d’intervention.

36Par ailleurs, les derniers travaux, du département EPS de l’INRP (Dhellemmes, 2002b), ont montré « (…) la nécessité de la construction d’un modèle compréhensif de ce qui est mis en œuvre du point de vue fonctionnel (…) » par l’élève. Ce qui implique l’aspect plus qualitatif de l’évaluation.

4. hypothèses et méthodologie

37Ces questions personnelles, professionnelles à travers ce cadre conceptuel nous conduisent aux hypothèses suivantes.

4.1 Hypothèses

38Première hypothèse (H1) : Les cultures de l’entraînement, du développement et de l’entretien de soi dans le cadre de la CC5 permettraient de construire une forme de pratique scolaire, évaluable, dans des conditions proches des autres pratiques « classiques » des quatre autres composantes culturelles (CC1, 2, 3, 4).

39C’est à dire qu’un référentiel est utilisé, qu’une prestation est observée…(Cf 4.2 ), comme pour les autres APSA.

40Deuxième Hypothèse (H2) : Renoncer d’emblée, à la compétition de course, permettrait davantage à chacun* de s’investir dans un projet d’action personnalisé (mobile d’engagement et choix : « physiologiques », sensations attendues, distances, temps etc.), ce qui n’exclut pas un projet compétitif, en fin de cycle.

41* même ceux qui « rejettent la performance », pour les raisons qui ont été précisées en introduction et dans les documents d’accompagnement.

42Troisième Hypothèse (H3) : Il n’y aurait pas de « relation » entre la Vitesse Maximale Aérobie (VMA) d’une part, le sexe des élèves d’autre part, et la note attribuée.

43En CC1, il est légitime de penser que : plus l’élève a de « capacités » au départ, plus il obtient une bonne note, compte tenu du temps restreint, en EPS, pour développer des capacités physiologiques.

44En CC5, il nous semble important que cette logique, qui doit être connue des élèves (connaissance de soi et projet de gestion de sa vie physique future…), soit atténuée pour permettre à chacun de s’investir et apprendre personnellement, dans un temps limité (cycle de 9 leçons), avec des chances de réussite finale (valoriser l’estime de soi, l’autodétermination, etc…).

45Cette hypothèse nous semble liée aux deux autres, ainsi qu’au contexte conceptuel de l’étude.

46Voyons maintenant, dans quel cadre méthodologique nous avons mené cette étude.

4.2 Méthodologie

47Notre méthodologie a été construite à partir de supports articulant les propositions des auteurs, cités précédemment, et les conditions de faisabilité d’un cycle d’enseignement particulier (type d’élèves, projet d’E.P.S. etc.). Ce cycle se compose de trois étapes successives et indissociables.

4. 2.1. Les supports utilisés et le recueil des données

• Un référentiel d’évaluation, adapté des propositions de R. Dhellemmes, (2002b), est présenté et commenté aux élèves avant le début du cycle. Il sert à classer leurs prestations, afin de leur permettre de se situer au plus vite en CC5, en définissant les comportements, type CC1, non - attendus ! Il précise les conditions de l’épreuve : une heure dont trente minutes de course chacun lors de la séance finale qui est évaluée en binôme (coureur et observateur, conseiller). Deux fiches sont proposées pour guider les élèves dans la préparation écrite de leur séance d’entraînement (ce qui est prévu, réalisé et le bilan). Les justifications par les élèves, c’est-à-dire les réponses à trois types de questions récurrentes au cours du cycle (voir 1^ère étape), sont vidéoscopées.

• Ces trois documents servent de base au recueil des données, pour l’évaluation certificative.

• Divers outils sont proposés et utilisés pour apprendre à s’entraîner, à s’auto évaluer, à comprendre les principes essentiels de l’entraînement : cardio-fréquence mètre ; test VMA piste, adapté à la CC5 ; un tableau des allures ; une échelle de perception de l’effort ; des documents simples de physiologie ; une grille d’autoévaluation etc.

• Le cycle comporte neuf séances de deux heures pour 15 élèves (2 filles et 13 garçons) de terminale « ES », tous sont membres d’un club sportif et 80 % sont licenciés à l’association sportive scolaire.

4.2.2 Les trois étapes du cycle

48La 1^ère étape vise à faire vivre aux élèves, dans le contexte CC5, trois types de séances correspondant à trois types de mobiles d’engagement distincts : « VMA et puissance maximale aérobie », « capacité aérobie », « anaérobie alactique puis lactique », ceci afin de relever des données, de mieux se connaître et de s’auto évaluer (cahier d’entraînement).

49Lors de la 2^ème étape, les élèves expérimentent des séances, choisies en fonction de leurs mobiles ou de ce qu’ils ont préféré lors de la 1^ère étape. Il s’agit de devenir capable de produire une charge physiologique sur soi, en fonction de ses capacités du moment, en relation avec des effets recherchés (niveau 1 de la compétence attendue).

50Erreurs, réajustements, questions, avis des élèves commandent les interventions de l’enseignant, centré sur ce que vivent et ressentent les élèvent : Comment te sens-tu ? As-tu réussi ? Que peux-tu conseiller à ton camarade en train de courir ?etc. Ces échanges - en valorisant la verbalisation des sensations, les questions, la prise en compte de la fatigue conduisent à des réajustements, le rôle des pairs conseillers et tout ce qui manifeste d’un « bon usage de soi » - caractérisent l’intervention en CC5.

51Il est cependant parfois nécessaire d’intervenir pour guider les entraînements en évitant certains écarts (par exemple la recherche prématurée de performance qui relèverait de la CC1), d’autant que les « valeurs » du thème de l’APSA de la CC5 passeraient, alors, au second plan.

52La 3èmé étape, conclut le cycle par une séance construite et réalisée par chaque élève, support de l’évaluation finale. Elle est suivie d’un entretien vidéoscopé, mené par l’enseignant et l’élève observateur - conseiller. Les élèves sont évalués à l’aide de notre référentiel (Cf. annexe1) dans un « contexte écologique » (David, 2004), afin de recueillir des données qui montrent les résultats suivants.

5. Résultats et interprétations

5.1. Résultats

53Les résultats sont obtenus d’abord, à l’aide du reccueil des données (Cf 4.2.1), ensuite grâce au suivi du cahier d’entraînement (une fiche par séance, pour deux élèves, en binôme), enfin avec le support de ce qui a été vidéoscopé (Cf. 4.2.2).

54Pour H1 : la construction du référentiel, basée sur les cultures de l’entraînement sur soi, sans valorisation de la meilleure performance ou VMA entre les élèves, se compose de trois critères relatifs à une forme de pratique scolaire (Cf. annexe 1).

55Les élèves ont tous progressé rapidement pour acquérir au moins un degré acceptable de niveau 1 ou 2, selon les critères (Cf.annexe2) Sur les 45 notes attribuées (3 notes, une par critère, pour chacun des 15 élèves), 33 % sont de niveau 1 (13/20 ou moins), 62 % sont de niveau 2 (16/20 ou plus), 5 % entre 14 et 15/20. Il n’y a, par ailleurs pas eu de dissonance entre les auto évaluations des pratiquants, des pairs conseillers et de l’enseignant.

56Le référentiel semble donc convenir pour valider le travail et la prestation finale, réalisés. Les 15 élèves obtiennent des notes comprises entre 13 et 18/20 dont 40 % réussissent un bon niveau 2 (≥16/20) ; la moyenne générale est de 15,4/20. Cela peut paraître élevé par rapport aux autres APSA, mais pour la course (demi-fond ou course de durée) la moyenne académique de Lille se situe entre 15 et 16. D’autre part, la moyenne des VMA de la classe est proche de 17 Km/h, c’est à dire que ces élèves « sportifs » auraient pu réussir mieux encore sur une épreuve de performance de demi-fond et qu’ils se sont investis très sérieusement (voir aussi H3).

57En ce qui concerne H2 : il n’y pas eu de difficulté pour les élèves à s’approprier un projet de séance, puisque 5 types de mobiles peuvent être regroupés pour 15 séances et intentions différentes préparées par les élèves (Cf. annexe 2).

58Partir des questionnements des élèves, de leurs goûts, de leurs expériences, de leurs sensations…bref, « être davantage à leur écoute », nous a paru bien plus propice à des apprentissages stables que la prédominance de la recherche d’une performance mesurée, dès le début de cycle. Ce qui n’exclut pas de réaliser une « certaine » performance, lors de la prestation finale, évaluée.

59Pour H3, les comparaisons (Cf. annexe2) montrent qu’il n’y a pas de relation entre le niveau de VMA et la note attribuée d’une part, le sexe des élèves et la note attribuée d’autre part.

60En effet, si l’on fait la moyenne des notes des élèves, ayant une VMA au-dessus de 18km/h (5 élèves), on obtient la note moyenne de 15,7. Pour ceux, dont la VMA est inférieure à 16,7km/h, on obtient la note moyenne de 15,08.

61De la même façon, les deux filles (VMA de 13 et 14,2), obtiennent la note de 15, alors que les garçons (moyenne des VMA : 17,47), obtiennent la note moyenne de 15, 46.

62Même si le type particulier de classe, avec seulement deux filles, ne permet pas d’employer l’expression de « validation » des résultats, on peut souligner que l’on n’a pas pu montrer une corrélation, souvent usuelle entre ces paramètres, en EPS.

63D’autres outils utilisés concourent indirectement à la réussite de ces évaluations. Il s’agit de l’analyse vidéo de chaque élève. Elle servait de complément à l’entretien et facilite la prise de notes. De plus, les élèves ont bien joué le jeu en interpellant parfois la caméra lorsqu’ils avaient quelque chose à dire et pour éviter d’écrire la totalité !

5.2. Interprétation

65Nous avons tenté d’évaluer en recherchant « plus que l’objectivité, …la pertinence et la justice » (Hadji, 2000). Compte tenu des résultats obtenus (cf. supra), nous ne pensons pas avoir commis « d’injustices », d’autant qu’un « contrat social » (Chevallard, 1991) explicatif de l’évaluation était présenté aux élèves avant qu’ils ne choisissent la course de durée CC5. Il a permis, nous semble-t-il, des apprentissages facilités. C’est aussi ce que propose Hadji (1992) par la notion d’ « apprentissage assisté par évaluation ».

66Nous avons également profité d’ « un certain espace de liberté… » (David, 2003), laissé par des textes en EPS « suffisamment flous au plan des concepts mobilisés comme ceux de groupements d’activités, de performances, maîtrise de l’exécution, connaissances d’accompagnement » (David, id) pour tenter de concilier les exigences de la certification et la spécificité de la course CC5.

67Parallèlement, nous nous sommes souvent « appuyés » sur les « propriétés du corps » (Carnel, Muguet, 2003) pour enseigner et évaluer (descriptions d’états musculaires, douleurs, sensations, pénibilité, etc.), en réfléchissant sur nos choix tout en suscitant la réflexion des élèves sur leurs actions et leurs décisions.

6. Conclusion

69Rechercher « Quel outil d’évaluation certificative peut-on proposer, après un cycle de course pédestre de durée, pour des élèves de terminale, sans dénaturer la 5^ème compétence culturelle du programme ? » revient à s’interroger également sur les contenus et la démarche de formation des élèves pour la fin de cursus de l’enseignement de l’E.P.S. dans le secondaire mais aussi pour la gestion de sa vie future d’adulte.

70L’un des écueils pour l’évaluation d’une des composantes de l’athlétisme, discipline culturellement sportive par excellence, la course à pied, est de ne pas : « mesurer ou chronométrer des performances », objet de la CC1. Pour évaluer cette CC5, nous avons tenté de passer du quantitatif : « Combien à faire ? », à plus de qualitatif : « Pourquoi faire ? », « Comment le faire ? », à travers la notion de prestation (davantage utilisée par les APSA « appréciées » comme la danse, les sports collectifs), préférée à celle de performance.

71Cela peut poser le problème de l’évaluation des sensations, par nature subjectives, ou de l’élève qui fait son « métier d’élève » pour obtenir une bonne note.

73Pour toutes ces raisons, nos propositions peuvent paraître ambitieuses et peu précises à la fois. Ambitieuses, au vu des trois hypothèses d’action, nous nous sommes cependant efforcés de les « valider », d’emblée, par une tentative personnelle d’articuler des savoirs pratiques issus de l’action avec des données scientifiques (Dhellemmes, 1993). Sommes-nous restés fidèles à nos intentions ? N’avons-nous pas, nous aussi, valorisé les élèves les plus performants, à VMA plus élevée ?

74Il faudrait, bien sûr, poursuivre l’étude dans la durée, avec d’autres types de classe, pour mieux valider nos hypothèses.

75Enfin, il est utile de préciser que l’approche plus compétitive des pratiques athlétiques où le but est de réaliser une performance mesurée à un moment donné, n’est pas exclue de notre approche éducative avec les élèves. Elle est complémentaire à notre démarche comme nous l’avons illustré avec les « projets sportifs » de nos élèves mais il nous semble qu’elle devrait être vécue par les élèves après, plutôt qu’avant, ce type de cycle de course CC5. En effet, comment peut-on être efficace pour réaliser une performance, si l’on n’a pas appris, selon son âge, un minimum de choses sur l’entraînement de soi, avec des sensations identifiées et comprises articulées avec des repères plus objectifs tout aussi indispensables. De plus, ce renversement temporel (« mieux se connaître et se connaître » avant de « se centrer sur la performance ») pourrait contribuer à redonner à la course à pied, la place qu’elle mérite dans les pratiques professionnelles, et ce quelque soit les « capacités physiques et mentales » des élèves.