1Les programmes scolaires et les écrits professionnels constituent les supports principaux dont disposent les enseignants pour construire leurs cycles de travail. Pour bien contextualiser le pas en avant proposé aux élèves, il est nécessaire aussi d’obtenir des informations précise sur ce que les élèves savent faire et d’avoir à sa disposition des modèles qui permettent d’anticiper sur des évolutions prévisibles (Gréhaigne, Godbout & Bouthier, 1999). En sport collectif, deux notions se trouvent au cœur de l’analyse du jeu : d’une part, celle de configuration de jeu, telle qu’elle s’actualise et prend forme dans le rapport de force en cours, d’autre part, celle de situations potentiellement émergeantes, mais prédictibles à qui sait « lire » le jeu, et dont les joueurs doivent tirer parti (Gréhaigne, Caty & Marle, 2004). Ces décisions, qui assurent la continuité ou la rupture de l’action en cours, sont typiquement des réponses à apporter à des problèmes posés par le jeu. Enfin, toute évolution du rapport d’opposition peut être à l’origine d’un point de rupture de l’état d’équilibre (Gréhaigne 1989). Ainsi, se trouve exclue l’idée de trop prédéterminer le cours des événements en fonction d’un plan qu’on aurait dressé à l’avance.

2Une bonne analyse de la logique des différentes formes d’action de jeu et du choix de la forme d’évolution de la configuration de jeu momentanée constitue l’intelligence tactique en jeu. Cela renvoie à une bonne appréciation des « unités tactiques isolables » (Deleplace, 1979), en vue d’une catégorisation, pour ramener ces configurations à quelques archétypes dans une filiation dynamique qui permet d’identifier des cascades de décisions tactiques. Avec ce type d’analyse, à l’école, on peut proposer aux élèves des situations problèmes qui visent, dans l’apprentissage d’un jeu sportif collectif, à gérer des positions, des trajets et des trajectoires non uniformes de la balle et des joueurs dans des conditions d’urgence décisionnelles en vue d’amener la balle dans la zone de marque et marquer.

3Dans la pratique sociale de référence « football », une analyse approfondie montre que le jeu en mouvement au milieu du terrain recèle la logique d’exploitation des situations de déséquilibre, qu’elle tend à faire s’enchaîner « en culbute » (Deleplace, 1994). Une telle filiation peut être dégagée si on part du fait que la logique d’organisation de la première action, qui cause le déséquilibre, se retrouve dans toutes les autres, qui n’en sont alors que des cas particuliers. La première constitue la phase-mère des autres. Dans cette perspective, en utilisant les jeux réduits, nous allons examiner différentes phases-mères dépendant du niveau du jeu et les circulations tactiques qu’elles génèrent.

1. Des configurations prototypiques pour l’offensive

4Pour éviter les théories d’action toutes faites, si usuelles dans la didactique des sports collectifs à l’école, il faut se livrer, tout d’abord, à une observation systématique du jeu, puis à une véritable étude éthologique du comportement des joueurs. L’éthologie n’est pas une science nouvelle, l’observation des animaux faisait partie des méthodes employées par les naturalistes classiques. Ces études supposent l’observation du sujet dans son milieu chaque fois qu’elle est possible. Des méthodes de mesures objectives de l’activité des sujets et de traitement des données permettent de quantifier les observations et de discerner ce qui dans une activité relève d’une conduite spécifique ou de comportements anecdotiques. En sport collectif, ces comportements s’inscrivent et s’insèrent dans des configurations du jeu illustrant un rapport d’opposition momentané. Au sens le plus général, une configuration est composée d’une liste ou d’un schéma donnant la nature et les caractéristiques principales de l’ensemble des éléments d’un système. Comment étudier ces configurations ?

1. 1. Recueil des données

5A partir des jeux réduits, une bonne façon d’obtenir des données sur le jeu consiste à analyser les séquences de jeu (Dugrand, 1989 ; Luthanen, 1986 ; Gréhaigne, Billard & Laroche, 1999). Celles-ci peuvent être définies comme les échanges de balles entre les joueurs depuis l’entrée en possession du ballon et jusqu’à sa perte par l’équipe. On relève donc tous les échanges de balles à l’intérieur de l’équipe, mais aussi le joueur qui remet la balle en jeu, qui tire les coup francs etc. En un mot, on enregistre tous les événements du jeu (Figure 1).

6Ces séquences de jeu permettent d’obtenir des renseignements importants comme le nombre de séquences dans un temps donné et le nombre d’échanges de balles à l’intérieur de chaque séquence ainsi que la durée des séquences avant une interruption du jeu. Ce dernier nombre est souvent lié au niveau de l’affrontement. Plus la séquence de jeu est longue plus l’équipe prouve qu’elle est à même de gérer différents paramètres du jeu, et en particulier le jeu adverse en enchaînant diverses unités tactiques. On peut aussi repérer précisément qui fait les engagements et les remises en touche, qui se contente de donner des balles neutres, qui perd des balles, qui procure des balles … et identifier les circulations habituelles de la balle à l’intérieur de l’équipe dans un type d’opposition donné. Il est bien évident que n’ayant pas la position et la direction des joueurs, il nous manque deux paramètres importants.

7Donc pour approfondir ce type de données il faut analyser plus finement la circulation du ballon et des joueurs (Chateau, 2004). A partir de la notion de phase mère du jeu, dont on préssent bien les caractéristiques génériques, la méthodologie adoptée a consisté avec l’aide de la vidéo à sélectionner et analyser 98 séquences de jeu qui amènent à un tir. Ce travail a été effectué avec des élèves de sixième, troisième et terminale en utilisant le football comme sport collectif support avec un jeu en 4 x 4. Notre observation s’est effectuée avec trois critères : lieu de la récupération, modalité de la récupération et choix de jeu adopté. Cela nous a conduit à adopter cette classification.

• Récupération haute dans le terrain de l’adversaire ; récupération basse dans son propre terrain.

• Récupération en avant de l’espace de jeu effectif ; récupération en arrière de l’espace de jeu effectif.

• Poursuite du jeu en échange de balle (longue, courte, nombre) ou en conduite de balle.

8La conjugaison de ces critères a permis d’extraire des séquences filmées étudiées huit configurations du jeu qui apparaissent assez souvent avec des joueurs débutants et/ou débrouillés. L’observation fine de ces jeux réduits montre des attaques courtes avec peu d’échange de balle où l’origine de l’entrée en possession du ballon détermine bien le forme d’attaque adoptée ensuite.

9La légende adoptée pour illustrer les trajets des joueurs et les trajets et les trajectoires de la balle est présentée dans la figure 2.

1.2. Des configurations prototypiques

10Nous allons illustrer dans les figures qui suivent les huit configurations les plus habituelles que nous avons identifiées. Nous les avons dénommées prototypiques au sens où elles représentent un modèle original, archétype d’un modèle qui se reproduit.

11La figure 3 présente une configuration des plus courantes chez les débutants avec une récupération haute à l’avant de l’espace de jeu effectif puis tir quasiment immédiat. Elle survient souvent à la suite d’un corner ou d’une remise en jeu à la suite d’une sortie de but. Elle peut être également, chez des joueurs plus évolués, être la conséquence d’un pressing quand les attaquants s’échangent la balle à l’arrière de l’espace de jeu effectif dans le propre demi-terrain. Ainsi, après un but, on a donc souvent intérêt à faire les remises en jeu au milieu du terrain pour éviter ce genre de configuration.

12Une autre configuration assez commune est illustrée par la figure 4 : récupération médiane (au milieu de terrain) à la périphérie avant de l’espace de jeu effectif puis passe dans l’espace vide avant pour un partenaire en avance qui peut tirer facilement. Elle survient souvent à la suite d’une perte de balle d’un défenseur.

13La figure 5 présente une configuration assez courante quand l’espace de jeu effectif s’est stabilisé au milieu du terrain avec une récupération médiane au milieu de l’espace de jeu effectif, une passe en avant dans l’espace vide pour un attaquant mieux placé puis conduite de balle de celui-ci et tir. Elle est la conséquence d’un pressing des défenseurs. Cette configuration se retrouve parfois avec des équipes plus nombreuses (6 x 6, 7 x 7).

14La figure 6 présente, au premier temps de jeu, une configuration de jeu initiale quand l’espace de jeu effectif s’est stabilisé dans le demi terrain offensif. Elle illustre la difficulté de l’attaque à pénétrer dans le dispositif défensif. Ici, cela entraîne une récupération basse à l’arrière de l’espace de jeu effectif de l’attaque puis conduite de balle et tir ou duel avec le gardien de but si la règle du jeu en vigueur dans la rencontre inclut celui-ci. Ce type de jeu existe quand le porteur de balle a suffisamment confiance dans sa vitesse de conduite de balle. Sinon le joueur s’installe sur le mode « je frappe dans la balle » et « je cours derrière » avec les dangers de perte de la balle celle-ci n’étant pas souvent à distance de jeu. Si, le joueur qui récupère le ballon (figure 7) ne sent pas capable d’aller seul à la cible, il opte souvent pour un jeu en déviation et conduite de balle. Pour arriver à un tir ce type de jeu n’excède que rarement deux à trois échanges de balle.

15Ce genre de configuration fait suite pour l’attaque à une perte de balle sans qu’une couverture défensive puisse pallier cette défaillance. Tout se joue au moment de la récupération et dans les secondes qui suivent.

16La figure 8 propose une configuration de jeu initiale où l’espace de jeu effectif est également stabilisé dans le demi-terrain offensif. C’est de nouveau la conséquence de la difficulté l’attaque à pénétrer dans le dispositif défensif qui conduit à une récupération basse au milieu de l’espace de jeu effectif puis jeu en déviation (le plus souvent à une touche de balle en football, à ce sujet, on peut consulter le travail de Dugrand, 1989 ou Lemoine, 2003) ou en échanges de balles rapides puis tir. En handball ou en basket-ball, ce type de jeu se retrouve, également, dans les contre attaques ou dans le jeu de transition d’un but à l’autre.

17La figure 9 illustre aussi une configuration de jeu initiale quand l’espace de jeu effectif s’est également stabilisé dans le demi-terrain offensif. C’est de nouveau la conséquence de la difficulté de l’attaque à pénétrer dans le dispositif défensif avec une récupération basse à l’arrière de l’espace de jeu effectif puis jeu de transition en déviation avec apparition du jeu « balle en avant » puis tir. La séquence de jeu devient un peu plus longue, même si en jeu réduit elle dépasse rarement quatre échanges de balle. La caractéristique de ce type de jeu est constituée par le fait que dans la montée de balle à un certain moment le ballon recule.

18La figure 10 présente une configuration de jeu initiale quand l’espace de jeu effectif est stabilisé dans le demi-terrain offensif : récupération basse à l’arrière de l’espace de jeu effectif puis passe longue de contre attaque et tir. C’est le cas typique de la contre attaque sur dégagement du gardien de but en football ou en handball.

1.3. Discussion

19Les figures 3 et 10 décrivent des configurations du jeu très courantes chez des débutants. La figure 7 illustre un comportement très courant pour un joueur faible qui ne se sent les capacités d’emmener le ballon seul et préfère faire une passe à un joueur présumé meilleur. On retrouve ce genre de configurations dans les équipes où le rapport de compétences est très étendu. Les figures 8 et 9 représentent des trajets de balle et des joueurs plus complexes et constituent des circulations tactiques élaborées que l’on retrouve chez les débrouillés quand elles sont volontaires. Les autres configurations sont plus courantes dans les jeux à effectifs plus importants.

20Dans une approche systémique des jeux sportifs collectifs et dans une conception sémio-constructiviste de l’apprentissage des connaissances et des compétences, il faut donc concevoir l’organisation du jeu comme une totalité. Cela revient à penser l’attaque / défense et la défense / attaque ensemble et dans le même instant. Bien sûr, cette abstraction de l’affrontement recouvre la notion d’organisation à double effet de Deleplace (1979) mais surtout, elle insiste sur ce qu’il y a comme précautions défensives à envisager dans le présent mouvement d’attaque et comme germination offensive dans la défense en cours : une authentique organisation à plusieurs effets. C’est donc véritablement considérer les phases de jeu comme profondément imbriquées, voire intriquée où la succession des micro états d’équilibre et de déséquilibre des configurations du jeu devient des sources d’information en vue d’une décision.

21A partie de ces différentes données, un modèle de l’enseignement des sports collectifs s’esquisse.

2. Un modèle didactique en perspective

22Face à l’impossibilité de mettre en place une description complète et exhaustive de la pratique, il nous allons examiner la notion de modèle didactique qui apparaît plus appropriée au caractère incertain des classes de situations auxquelles l’enseignant est confronté. Avec ce travail sur les jeux réduits, un modèle didactique en football à l’école semble s’esquisser.

23Cette formalisation présente quelques risques et limites. Les solutions formelles capables de résoudre un problème posé par le jeu peuvent être nombreuses, ce qui amène parfois l’enseignant à pratiquer des choix plus ou moins arbitraires. Ensuite, il faut admettre que la formalisation représente un nécessaire appauvrissement de la grande variété des données, d’où la tentation de réduire les propriétés du jeu à quelques préceptes … Enfin de nombreux phénomènes liés à la communication et à la tactique résistent aux tentatives de formalisation. Seule, une délimitation rigoureuse des faits nous apparaît comme susceptible d’éviter en partie ces écueils.

24Le fait de tenir le ballon dans beaucoup de jeux confèrent à ceux-ci des caractères particuliers où le jeu sur espace stabilisé prend relativement de l’importance. Dans ce cas le perfectionnement chez les élèves passe par la construction d’un code de la circulation des joueurs et de la balle. Il s’agira donc de fournir ou de faire construire aux élèves des modèles correspondant aux questions qu’ils se posent et aux problèmes que l’on souhaite leurs voir résoudre (adéquation). Le modèle didactique est celui qui constitue une approximation suffisante pour être opératoire par rapport au champ de problèmes donné et aux procédures de résolutions des élèves. Son appropriation suppose que le modèle puisse être discuté, qu’on puisse le faire fonctionner pour prendre conscience de ses champs d’application et de validité, le rectifier ou le complexifier par interaction en y intégrant les conséquences des expériences nouvellement réalisées.

25Après ce travail d’identification des situations prototypiques et la modélisation du système attaque défense, se pose maintenant le problème central leur enseignement à des élèves. Nous postulons que l’utilisation de situations vidéo, dans la mesure où elles sollicitent des mécanismes acquis au cours de la pratique de l’activité, est susceptible de favoriser l’acquisition de ces opérations et leur réutilisation en situation de jeu réel. Ainsi, l’hypothèse que nous pouvons formuler pour un futur travail, est que la vision par des élèves de configurations de jeu bien choisies, représentées sous forme de films, devrait faciliter l’apprentissage du jeu.

3. Conclusion

26Dans une approche constructiviste de l’enseignement des sports collectifs (Gréhaigne, 2003 ; Gréhaigne, Caty & Marle, 2004 ; Gréhaigne, Richard, & Griffin, 2005).), ces modélisations, ces modèles et les règles des actions efficaces servent de support au débat d’idées. Cette appropriation suppose une évolution des différents concepts, une intégration progressive, par étapes ou paliers à la démarche de pensée qui se matérialise par des niveaux successifs de formulation et d’exploitation (Giordian - De Vecchi, 1987).

27Ces différentes remarques induisent que les modèles didactiques peuvent être plus ou moins détachés ou distants du savoir savant ou professionnel actuel, celui-ci constituant alors la référence (ou l’objectif) à approcher, atteindre ou à dépasser, à cours, moyen ou long terme. Cet ensemble de données nous a donc amené à préférer la notion de modélisation pour sa souplesse et son approximation à celle de formalisation qui apparaît trop rigide pour le système complexe que constitue les faits didactiques et pédagogiques.

28Il faut se rappeler qu’au début du football on attaquait à dix et que pour gagner, on essayait de marquer un but de plus que l’adversaire illustrant bien le principe fondamental des jeux sportifs et du football « de l’égalité des chances à l’inégalité du résultat ». Aussi, quand on parle de réhabiliter l’offensive cela ne veut pas dire que l’équipe ne défend plus mais simplement que l’on s’attache d’abord à marquer des buts pour obtenir un résultat en sa faveur.

29De ce point de vue, on adopte une certaine conception de l’éthique du jeu. Choisir de récupérer la balle à un endroit stratégique du terrain pour enchaîner rapidement une contre-attaque est un choix offensif.