1Le but de cette contribution est d’examiner certains apports de la psychologie sociale du développement et des acquisitions au domaine de l’intervention pédagogique en Education Physique et Sportive (EPS). En quoi ces apports contribuent-ils à la formation d’un intervenant expert ? Plusieurs études au sein du laboratoire s’interrogent sur l’efficacité respective de plusieurs modes d’intervention et d’interactions sociales : c’est le cas des « coping modèles » et du tutorat entre pairs. Un « coping modèle » désigne un sujet qui présente réellement ou qui simule le même niveau initial de compétence que les observateurs, qui manifeste des états affectifs, fait face au stress, progresse au cours de l’apprentissage et tient compte des émotions des sujets imitant. Cette notion a été validée dans le champ de l’apprentissage des mathématiques (Shunk, Hanson & Cox, ), mais aussi dans celui de l’acquisition des habiletés motrices. Ainsi McCullagh, Smith, Weiss & Berland (1998) ont montré la supériorité de coping modèles pairs par rapport à des modèles de maîtrise (modèles qui démontrent d’emblée et seulement la performance experte). Cet effet peut être interprété en référence à la “Cutting Hedge Hypothesis” (Yando, Seitz & Ziegler, 1978) ou “challenge optimal de modélisation” : un modèle juste supérieur aux compétences actuelles de l’observateur est plus efficace qu’un modèle expert.

2Les interactions tutorielles (ou interactions de tutelle, Bruner, 1983), désignent une situation dans laquelle un sujet plus avancé dans une tâche a pour fonction d’étayer, de soutenir l’activité de résolution de problème du novice. Ces interactions peuvent concerner des dyades enfant-adulte ou des dyades paritaires enfant-enfant, dans les 2 cas elles sont dissymétriques par rapport à la compétence. La notion d’interaction de tutelle a été validée pour le cas des habiletés motrices pour plusieurs tâches : le rouler rétroactif au cerceau (Lafont, 1998, Munoz & Lafont, 2002), le salto avant en gymnastique et une tâche d’anticipation coïncidence en Hockey (Lafont & Desages, 1999). Dans le même temps, certaines spécificités de la tutelle pour les habiletés motrices ont été mises à jour en regard des fonctions du tuteur initialement définies par Bruner (1983). Ainsi, Lafont (1998) a différencié quatre types de démonstration : la démonstration totale, la démonstration de ce qu’a fait le novice, la démonstration partielle, la stylisation (importance quantitative), de plus sur le registre des informations verbales, les informations proactives et rétroactives ont été définies.

3Outre la validation se pose aussi le problème des perspectives offertes par la tutelle pour l’intervention en Education Physique et Sportive (EPS). Selon nous, l’intérêt majeur de cette procédure de guidage est de se situer entre le guidage strict et la résolution de problème en solitaire. Pour ces raisons, l’avantage de l’interaction de tutelle pour l’apprenant est de limiter la frustration due à l’échec. Malgré tout l’initiative de la résolution du problème revient au novice, l’étayage du tuteur n’intervient qu’ensuite, si nécessaire. La situation scolaire n’est cependant pas dyadique aussi la formulation de règles d’étayage correspondant aux classes de problèmes essentiels posés par l’apprentissage de la tâche doit permettre le passage de la situation dyadique à la situation collective. Par ailleurs, dans le contexte scolaire, la problématique du tutorat entre élèves implique de s’interroger sur son intérêt et son utilité. En effet, le tutorat peut constituer une réponse possible aux difficultés induites par l’hétérogénéité des élèves mais également une des solutions permettant à l’enseignant d’être plus disponible à l’égard de certains apprenants et d’assumer d’autres fonctions clés.

4A partir de la conceptualisation de l’interaction de tutelle, dans une période récente, des auteurs ont posé la question des compétences de tuteurs adultes et de tuteurs enfants (Winnykamen, 1996). Ellis & Rogoff (1982, 1986) ont comparé les interactions de tutelle adulte/enfant et les interactions de tutelle enfant/enfant. Leurs travaux montrent qu’un tuteur adulte s’avère plus efficace. Les tuteurs enfants se focalisent davantage sur le but immédiat et laissent au tutoré une initiative et une participation plus réduite. La plus grande efficacité des adultes par rapport aux enfants s’explique par les trois éléments suivants : la gestion matérielle de la tâche, la gestion des informations données aux partenaires, la gestion sociale des interactions c’est-à-dire les relations qu’il convient de maintenir pour favoriser les échanges (comme recentrer l’attention du sujet sur un point particulier). Il ne suffit donc pas d’être expert dans une tâche pour être un bon tuteur. Ainsi Winnykamen (1996) précise qu’une distinction peut être faite entre la notion « d’expert » et celle de « tuteur ». Le tuteur est toujours un expert, l’inverse n’est pas systématique.

5En particulier, un bon tuteur doit être sensible au besoin d’informations du tutoré. Il doit également favoriser une participation active de son partenaire à la progression dans la résolution du problème et lui déléguer une initiative croissante dans l’exécution de la tâche au fur et à mesure de ses progrès. L’étude de Shute, Foot, & Morgan (1992) permet de préciser ces différences. Ainsi, les auteurs ont comparé des dyades où les tuteurs sont des adultes, des enfants de 11 ans ou de 9 ans. Les résultats indiquent, au cours d’interactions dyadiques, des différences significatives en faveur des tuteurs adultes pour les catégories : « informations », « encouragements », « regards au novice », « questions au novice ». De plus, durant la période d’interaction et contrairement aux tuteurs enfants, les adultes réduisent davantage leurs propres interventions sur le matériel. Ainsi, au post test, les novices qui ont travaillé avec un tuteur adulte ont de meilleurs résultats à la tâche de mémorisation. Les adultes quant à eux, modifient leurs conduites en fonction de l’activité du novice. Du point de vue de la sensibilité des tuteurs aux besoins des novices Shute Foot, & Morgan (1992) identifient 3 catégories : la sensibilité aux besoins d’informations du novice (les adultes émettent la quasi totalité des besoins d’informations nécessaires ; les enfants en émettent une moitié), la sensibilité aux besoins de participation active, et la sensibilité du tuteur aux différences individuelles de capacité des novices.

1. Hypothèses

6Les coping modèles et l’interaction de tutelle ont en commun le principe d’adaptation des informations au niveau actuel de celui qui apprend et s’inscrivent dans la Zone Proximale de Développement (Vygotski, 1934) de l’apprenant. L’hypothèse générale des travaux est qu’un tuteur ou un modèle ajusté au niveau momentané de l’apprenant est plus efficace qu’un simple modèle ou tuteur expert dans la tâche. La deuxième hypothèse concerne la différence expert-tuteur. Les comparaisons entre adultes tuteurs et enfants tuteurs sont en faveur de l’adulte. Or, dans la réalité écologique de l’intervention pédagogique, la gestion de l’hétérogénéité et des interactions tirerait bénéfice de tuteurs enfants entraînés à étayer l’activité de leurs pairs. L’interrogation majeure devient alors : des tuteurs formés sont-ils plus efficaces que des tuteurs spontanés ? Comment former des élèves tuteurs ?

7Au plan opérationnel, on s’attend à ce que les performances des élèves novices ayant appris avec coping modèle ou avec un tuteur formé soient supérieures, lors des post-tests, aux performances des novices ayant travaillé avec un modèle de maîtrise ou un tuteur spontané. Du point de vue de la tutelle on s’attend aussi à des différences entre tuteurs formés et tuteurs spontanés en matière d’activité d’étayage.

2. Méthode

8Les recherches s’appuient sur un dispositif quasi expérimental.

2.1. Participants

9Dans le cas des « coping » modèles, on modélise la progression des informations de guidage et des états affectifs. L’échantillon est constitué d’étudiantes de licence 1 de sexe féminin repérées comme en difficulté en gymnastique. Après le pré-test, elles ont été réparties au hasard dans les deux groupes.

10Pour les expériences sur le tutorat entre pairs, les échantillons sont constitués de dyades dissymétriques du point de vue de la compétence visée et /ou de l’âge (48 élèves garçons de 5^ème en gymnastique ; 20 dyades filles de 6^ème - 3^ème en danse ; 25 filles et 19 garçons issus de classes de 6^ème en natation et enfin, 28 élèves garçons et filles de CM2 pour le service en badminton).

2.2. Tâches et dispositifs

11Pour les coping modèles, la tâche à apprendre est l’Appui Tendu Renversé sur la poutre qui sollicite une habileté motrice morphocinétique. L’ATR sur la poutre est un élément acrobatique à forte composante anxiogène.

12Pour le tutorat entre pairs, les tâches de chaque expérience sont les suivantes : mini-enchaînement en gymnastique, séquence dansée, plongeon départ en natation et enfin, service en badminton.

2.3. Mesures

13On compare les effets des différents tuteurs ou modèles en mesurant les acquisitions des observateurs et tutorés et l’évolution de leur sentiment d’efficacité personnelle (SEP).

14Dans le cas du coping modèle en gymnastique :

15Sept niveaux de performance motrice ont été définis et les participantes catégorisées en fonction du niveau atteint, sachant que le plus faible équivaut à 1 point et le plus élevé en vaut 7 (il correspond à la prestation du modèle expert). L’échelle d’évaluation construite combine les productions des débutantes (des niveaux 1 à 3), des étudiantes légèrement plus débrouillées et le maximum de points renvoie à la posture idéale (alignement segmentaire parfait et maintien de la position 2 ou 3 secondes).

16Dans le cas du tutorat entre élèves : on mesure les différences aux post-tests entre les novices ayant appris avec des tuteurs spontanés et les novices ayant travaillé avec des tuteurs en matière de performance motrice et de SEP. La performance motrice dans chacune des tâches a été mesurée à l’aide d’un score technique attribué comme suit :

• En gymnastique, quatre niveaux d’exécution ont été identifiés pour chacun des six éléments et l’enchaînement pour un score total de 20 points.

• En Danse, les sept items ont été cotés selon le degré de difficulté (de 2,5 à 8 points) pour un total de 29 points. La structure de la séquence a été notée sur 11 points, la note globale de la performance motrice est donc de 40 points.

• En natation, sept niveaux de réalisation du plongeon départ ont été définis du refus de sauter à la réalisation d’une entrée par la tête corps gainé suite à une poussée des jambes.

• En badminton, la réalisation du service a donné lieu à un score mixte : 6 points pour l’atteinte de la cible, 4 points pour les 4 critères essentiels de la réalisation technique. Pour les 4 tâches les instruments de mesure ont été validés par un spécialiste de l’APSA, informé des caractéristiques des participants.

17Concernant le sentiment d’efficacité personnelle, les participant(e)s devaient cocher la case correspondant au niveau qu’ils (elles) pensaient pouvoir atteindre et entourer, sur l’échelle illustrant la « force de conviction », le pourcentage exprimant leur degré de certitude quant à leurs possibilités d’accéder au niveau coché. Nous avons donc enregistré deux scores (niveau et force) dans le cas des coping modèles comme dans celui du tutorat entre pairs (excepté en danse et en natation) où seule la performance motrice a été mesurée.

2.4. Procédure

18A l’issue du pré-test, les pratiquants ont été répartis au hasard selon deux conditions d’apprentissage distinctes :

• Pour l’expérience sur les coping modèles, différenciation entre l’observation du coping modèle (CM) et l’observation du « mastery model » (MM).

• Pour les études sur le tutorat, mise en place de deux types de dyades : novices avec tuteur spontané(TS) et novice avec tuteur formé (TF).

19Les performances ont été enregistrées à 3 moments : le pré-test, le post-test (soit la mesure de la performance immédiatement après la phase d’intervention) et enfin, le post-test différé (7 jours après le post-test). La procédure générale des 5 études est décrite au tableau I.

2.4.1. Formation du groupe de tuteurs et du coping modèle : une modélisation

20Dans le cas des « coping » modèles, on modélise la progression des informations de guidage et des états affectifs verbalisés par le « coping » modèle, en référence à une progressivité dans la performance motrice et dans la confiance en soi.

21Dans le cas de la formation des élèves tuteurs, on réalise au préalable une analyse fine de la tâche à enseigner puis on modélise un programme de formation.

• Celui-ci comprend les étapes suivantes :

• Analyse de la tâche à enseigner

• Description précise des sous-tâches

• Analyse des problèmes possibles d’apprentissage (mémorisation, coordination, etc…)

• Propositions de solutions aux tuteurs pour chaque difficulté identifiée

• Définition des règles de fonctionnement d’un bon tuteur

• Mise en situation de formation

• Possibilité d’ « entraînement pédagogique » : les tuteurs sont, dans la plupart des études, mis en situation de simulation de tutorat, soit entre eux, soit avec un échantillon d’élèves novices en dehors des novices participant à l’expérimentation.

• Rappel des fonctions du tuteur ou encore des règles à respecter pour une transmission efficace des informations au travers de supports écrits.

2.4.2. Conditions de modélisation

22Les participantes suivent la progression d’un modèle vidéo en passation individuelle. Le modèle de maîtrise ou « mastery model » produit l’habileté motrice avec beaucoup de facilité, d’aisance et verbalise des états extrêmement positifs. Le coping modèle, quant à lui, s’engage dans la tâche avec une grande retenue au départ. Puis au fur et à mesure des essais, son attitude change : elle se montre plus confiante, moins timorée et adopte un comportement plus positif.

2.4.3. Conditions d’entraînement pour le tutorat entre pairs

23Dans les 2 groupes (tuteur Spontané [TS] / tuteur Formé [TF]), les élèves s’entraînent en dyade dans un espace séparé pendant un temps ou un nombre d’essais fixés ; en natation les dyades s’entraînent pendant le cours pour des raisons de sécurité et de faisabilité.

2.5. Traitement des données

24Les comparaisons entre les groupes ont été conduites grâce à une analyse de Variance (ANOVA), les progrès ont été analysés grâce à une Anova à mesures répétées (RMANOVA). Pour les 5 études le plan expérimental est le suivant : S [C2] x T3 (C est la condition d’apprentissage, T le test aux 3 moments).

3. Résultats

3.1. Comparaison entre les groupes

3.1.1. Performances motrices

25Dans le cas du coping modèle pour la performance motrice : l’Anova permet d’observer une différence significative entre les 2 groupes au post-test : F(1, 18) = 4.65, p < .05 , en faveur de la condition CM (My CM = 4 / My MM = 3.10). Au post-test différé, une différence en faveur de la condition CM est aussi observée : F (1, 16) = 4.54, p < .05 (My CM = 4.12 / MM = 3.15).

26Dans le cas du tutorat entre élèves pour la performance motrice :

27Trois catégories de résultats sont obtenues : (1) des différences significatives en faveur des groupes ayant appris avec des tuteurs formés en gymnastique au post-test seulement [F (1, 21) = 5.2, p < .05] et en danse au post-test différé [F (1, 18) = 12.35, p < .01] ; (2) des différences non significatives entre les groupes pour le cas du plongeon départ en natation ; (3) une différence significative en faveur du groupe ayant travaillé avec les tuteurs spontanés dans le cas du service en badminton au post-test F (1, 12) = 8.66, p < .05. Le résumé des résultats par groupes est présenté au tableau II.

3.1.2. Sentiment d’efficacité personnelle

28La force de conviction ne diffère significativement entre les groupes dans aucune des études.

29Le niveau d’efficacité atteint aux post-tests diffère selon les groupes seulement dans le cas du coping modèle. Ainsi, on observe une différence significative en faveur du groupe CM : F (1, 18) = 6.34, p < .05 (My CM = 4.12 / My MM = 3.10) au post-test différé.

30Dans le cas du tutorat entre pairs le SEP a été mesuré seulement en gymnastique et badminton, aucune différence entre les groupes n’a été observée.

3.2. Analyse des progrès

31Les RMANOVA permettent d’observer les résultats suivants :

3.2.1. Performance motrice

32Dans le cas des coping modèles, les 2 groupes progressent, toutefois on observe des progrès significativement supérieurs pour les novices ayant appris dans la condition CM : au post-test comme au post-test différé.

33Dans le cas du tutorat entre élèves on observe des progrès significativement supérieurs avec les tuteurs formés en Gymnastique et en Danse au post-test comme au post-test différé.

34Toutefois des progrès sont obtenus par tous les novices dans les quatre APSA : Gymnastique, Danse, Natation, Badminton au post-test comme au post-test différé.

3.2.2. Sentiment d’Efficacité Personnelle

35Dans le cas du coping modèle en gymnastique, l’ensemble des sujets démontrent des progrès significatifs du niveau d’efficacité, on observe aussi une tendance à l’interaction progrès*groupe, le groupe CM enregistrant des progrès plus importants.

36Dans le cas du tutorat entre pairs :

• En gymnastique le niveau de SEP progresse significativement entre le pré-test et le post-test comme entre le pré-test et le post-test différé pour l’ensemble des élèves qu’ils aient interagi avec des tuteurs spontanés ou avec des tuteurs formés. La force de conviction progresse aussi significativement pour l’ensemble des élèves, pour ces 2 mesures il n’y a pas d’interaction progrès * groupe.

• En badminton on observe un progrès significatif du niveau du SEP pour tous les participants entre pré-test et post-test, il n’y a pas d’interaction progrès * groupe.

37Le résumé des caractéristiques essentielles des expériences sur le tutorat est présenté au tableau II :

3. 3. Comparaison entre les 2 groupes du point de vue de la tutelle

38Pour compléter les comparaisons entre les performances des novices, les interactions tuteurs/tutorés ont été enregistrées et retranscrites verbatim dans le but de mieux saisir les modalités d’étayage des 2 groupes de tuteurs selon qu’il avaient été par avance entraînés ou non à enseigner la tâche et à guider leur partenaire.

39Des différences qualitatives importantes apparaissent en gymnastique et en badminton. En gymnastique les informations délivrées par les tuteurs ont été catégorisées selon les différentes fonctions de la tutelle (Bruner, 1983) reformulées dans le cas de habiletés motrices (Lafont, 1998). Quantitativement, les tuteurs formés délivrent à leur pair 2 fois plus d’informations non verbales et 3 fois plus d’informations non verbales que les tuteurs non formés. Le profil des catégories d’informations diffère aussi sensiblement entre les 2 groupes. Ainsi, alors que le poids respectif des catégories non verbales diffère peu, les tuteurs formés délivrent plus que les tuteurs spontanés des informations de type « sollicitation sous forme de questions », « informations rétroactives », « rappel d’un but intermédiaire », « contrôle de la frustration ». A l’inverse, les tuteurs spontanés délivrent plus d’informations proactives et de conseils. En badminton, les tuteurs formés donnent globalement plus d’informations que les tuteurs spontanés ce qui a eu pour effet de limiter le nombre d’essais réalisés par les novices dans la mesure où le temps d’interaction était limité à cinq minutes. Les tuteurs formés donnent plus de consignes de fonctionnement, de repères visuels directs et de description verbale du geste de frappe. Les tuteurs spontanés quant à eux délivrent plus de consignes verbales proactives (en référence au but, à la force déployée pour frapper le volant).

40En danse, l’analyse de l’activité des tuteurs demande à être poursuivie dans la mesure où il a été procédé à l’enregistrement vidéoscopé des interactions de guidage et à une auto-confrontation des tuteurs.

4. Discussion

41Les effets des coping modèles et des tuteurs formés sont significatifs. Conformément à la littérature et à nos hypothèses, le coping modèle pair a provoqué des performances motrices et des expectations d’efficacité supérieures à celles obtenues avec un modèle de maîtrise. Ce résultat peut être interprété en référence à la notion de « challenge optimal de modélisation » ou écart optimal entre le niveau actuel du pratiquant novice et le niveau démontré par le modèle (McCullagh & Weiss, 2001). Toutefois on peut aussi s’interroger sur l’effet positif du coping modèle au plan émotionnel, pour des élèves en difficultés dans les habiletés gymniques, en particulier acrobatiques.

42Dans le cas du tutorat entre pairs, les seuls résultats conformes aux hypothèses concernent les habiletés morphocinétiques (sollicitées en danse ou gymnastique). Les tuteurs formés dans ce cas ont été de meilleurs transducteurs. L’analyse de leur activité dans le cas de la tâche gymnique permet d’observer des résultats convergents avec ceux de Shute, Foot & Morgan (1992). Nous pouvons penser aussi que leurs interventions de guidage sont plus proches de celles des adultes puisqu’ils délivrent moins d’informations proactives et qu’ils sollicitent plus leur partenaire par des questions. Ce constat engage à penser que ces tuteurs formés laissent plus d’initiative au novice.

43Dans le cas d’habiletés mixtes ou avec des tuteurs élèves du premier degré, les résultats sont plus complexes. Dans le cas du badminton, le tutorat était accompli par des élèves de CM2 âgés de 11 ans. Nous pouvons penser que pour cette tranche d’âge et pour ce type de tâche (la frappe du volant est réalisée relativement vite), la tâche du tuteur est relativement difficile compte tenu des caractéristiques du mouvement à observer et des consignes précises à délivrer. Ainsi la formation préalable en direction du groupe de tuteurs a eu peu d’impact. De plus, le protocole expérimental (durée d’interaction limitée à 5 minutes) a favorisé la pratique (nombre d’essais du groupe contrôle) ; la prise en compte de ce paramètre est nécessaire pour de futures études.

44En natation, les contraintes de la mise en œuvre de l’étude ont certainement pesé lourd dans la faiblesse de résultats obtenus. En premier lieu, les effets de co-observation entre dyades des 2 groupes ont certainement atténué les différences attendues entre les groupes. La volonté de prendre en compte tous les élèves des classes concernées a conduit à composer des dyades assez faiblement dissymétriques ce qui a pu aussi limiter l’efficacité du tutorat (d’Arripe-Longueville, Huet, Gernigon, Winnykamen, & Cadopi, 2002). De plus l’observation des interactions dans les 2 groupes de dyades a mis en évidence une grande hétérogénéité des pratiques tutorielles et des interactions. Dans cette étude conduite auprès d’élèves scolarisés en ZEP, la constitution des dyades imposée par les intervenants a pu limiter aussi les effets favorables de la formation. Enfin, cette formation d’une durée courte (20 minutes) est demeurée abstraite (mode oral, pilotée collectivement par l’expérimentatrice) ; il n’y a pas eu comme dans les autres études de mise en situation de simulation de tutorat. L’ensemble de ces conditions de mise en œuvre peut expliquer l’absence d’effet de la formation.

5. Conclusions

45Le principe d’ajustement des informations aux caractéristiques de l’élève novice s’avère efficace dans le cas du tutorat comme dans celui du coping modèle. Un tuteur élève, qu’il soit spontané ou formé permet malgré tout des acquisitions au plan des habiletés motrices. On peut rendre un tuteur élève plus efficace ou plus “expert” dans son activité d’intervention sous certaines conditions. L’examen conjoint de plusieurs études nous autorise à formuler quelques conditions d’efficacité de la formation tutorielle. La durée de la formation mise en œuvre en aval par l’enseignant doit être suffisante d’autant plus que les élèves sont jeunes. Les résultats favorables de cette formation ont été observés dans le cas de formations distribuées dans le temps. De plus on peut penser que plus les élèves-tuteurs sont jeunes plus cette formation doit comporter une phase de mise en situation de type simulation. Ce constat pose le problème de la spécificité de l’intervention de guidage dans le domaine de la motricité : former à enseigner, à guider, suppose de former d’abord à observer-évaluer la motricité d’autrui. Développer la sensibilité des tuteurs aux besoins des tutorés pose de réelles difficultés dans le cas des habiletés motrices complexes. Ainsi, les relations but/moyens se révèlent parfois difficiles à conscientiser, en particulier sous pression temporelle et dans le cas d’habiletés mixtes et / ou topocinétiques ce qui était le cas en badminton et en natation pour le plongeon départ. La nature des mouvements à observer et à mémoriser pour pouvoir réguler les apprentissages par la suite est aussi une contrainte spécifique au champ des habiletés motrices. En effet la performance motrice est éphémère, donc pose des problèmes de trace en mémoire pendant les interactions de guidage, contrairement à des résolutions de problèmes logiques ou mathématiques pour lesquels les états successifs de résolution peuvent continuer à être visualisés par le tuteur comme par le tutoré.

46Difficile tâche que celle de développer la « sensibilité aux besoins des tutorés » (Shute, Foot & Morgan, 1992), le domaine de la motricité appelle donc des traitements qui lui sont en partie spécifiques.

47Les études présentées ici constituent une première esquisse d’un programme de recherche plus large. Quelques nouvelles directions de recherche peuvent être proposées. En premier lieu, il semble pertinent d’analyser en profondeur le vécu des tuteurs par auto-confrontation par exemple, c’est ce que nous nous proposons de réaliser en danse auprès des tutrices de classe de 3^ème. Cette analyse sera couplée à l’étude des interactions tuteur / tutoré. En second lieu il nous semble primordial, d’un point de vue plus pragmatique, d’analyser conjointement les pratiques enseignantes dans le domaine, dans le but de mieux saisir quelles formes de groupements d’élèves sont privilégiées, quelles modalités interactives sont mises en place pendant les leçons d’EPS, ceci en relation avec les différentes APSA et leur logique interne.

48En effet, nous pouvons nous demander, en continuité avec les propositions de Lafont & Winnykamen (1999) quelles sont les APSA qui sont le plus favorables à des activités coopératives entre élèves, que ces APSA soient collectives, duelles ou individuelles ?

49Enfin il nous semble qu’une réflexion demeure à développer en matière de rôles moteurs et de rôles « d’accompagnement de la motricité » (Lafont & Winnykamen, 1999), en particulier de tuteur, au sein des différentes APSA et en référence aux différentes tâches et techniques corporelles dans la mesure où toutes les tâches ne se prêtent pas ; nous l’avons d’ailleurs vu dans les études présentées ici, de manière équivalente à une activité tutorielle pilotée par un pair. Pratiquer la dévolution de certaines activités d’étayage n’est efficace que sous certaines conditions liées à la tâche, aux compétences des élèves et à la qualité de la formation préalable délivrée par l’enseignant. Cette modélisation des activités et des rôles au sein de la classe dans les différentes APSA ne peut qu’enrichir le corpus de connaissances dans le domaine de l’intervention et de la didactique de l’EPS.