1Depuis une vingtaine d’années, les recherches centrées autour de la question de la mixité ont fait l’objet d’une littérature abondante dans les pays anglo-saxons. Les chercheur-e-s français commencent à prendre conscience d’un retard par rapport à d’autres pays européens et anglo-saxons (Cogérino, 2004 ; Guionnet et Neveu, 2004). Pour ces raisons, notre choix est de réaliser un état des lieux de l’avancée des travaux sur la question, principalement autour des recherches francophones des années 2000 (même si quelques retours en arrière sont inévitables parce qu’ils permettent de comprendre l’origine des problèmes) et, dans une moindre mesure, européennes. Certes, les contextes éducatifs québécois, allemands, britanniques sont différents dans leur fonctionnement mais ils peuvent être aussi utiles pour illustrer certains points, car si les thèmes sont récurrents, les questions que se posent les chercheur-e-s évoluent.
2Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le vaste domaine de la mixité scolaire déjà largement exploré par différents champs de recherche. C’est le cas par exemple au Royaume Uni, où certains travaux mentionnent d’ailleurs de meilleurs résultats des élèves issus de classes démixées, (Robinson, 2004). D’autres proposent aussi d’intégrer le genre dans le curriculum en formation initiale pour éviter les reproductions des stéréotypes dans les classes mixtes (Gray et Leith, 2004).
3Il nous a paru intéressant de mettre l’accent sur les convergences et divergences des discours autour de plusieurs thèmes récurrents au sujet de la mixité en éducation physique : les pratiques professionnelles en contexte mixte et les écarts de réussite entre filles et garçons. La perspective est donc didactique, même si l’emprunt aux disciplines sociologiques et psychologiques semble incontournable pour expliquer certains phénomènes.
4En France par exemple, Duru-Bellat (1995) souligne qu’à travers la mixité, il a semblé évident pour de nombreux enseignants et enseignantes que les filles gagneraient forcément à accéder aux mêmes structures que les garçons et que, par leur rapprochement spatial, les jeunes pourraient entrer dans un processus coéducatif.
5Artus (1999) souligne également « l’illusion égalitaire de la mixité » en EPS en montrant que même si les garçons et filles sont regroupés dans un même lieu, ils ne se rencontrent pas vraiment.
6Au Canada, Bouchard, Saint-Amant et Gagnon (2001) constatent l’émergence de propositions de retour à une non mixité pour régler la question du décrochage des garçons. La mixité dans les cours d’éducation physique est l’objet de divers questionnements comme par exemple chez Laberge (2003) qui s’interroge sur « l’émancipation » ou « l’aliénation » que procure la mixité pour les filles.
7La même préoccupation est mentionnée par Kugelmann (1996) en Allemagne. Ses recherches la conduisent à repérer des stéréotypes chez les enseignants d’éducation physique justifiant une séparation des sexes. Finalement, à la lecture de ces constats, la mixité à l’école et en EPS va-t-elle de soi ?
8Nous analyserons les questionnements d’auteur-e-s dont les champs de recherche s’appuient sur des disciplines scientifiques différentes pour alimenter la réflexion didactique. Les conclusions des différentes recherches, ainsi que les protocoles d’expérimentations (pour certaines disciplines), seront autant que possible explicitées et ramenées aux discussions-validations des réponses qui pourront donner lieu à de nouveaux questionnements, de nouveaux axes possibles de recherche.
9Dans une perspective de l’état des lieux des travaux relatifs à la mixité scolaire, nous pensons que toute recherche à ce sujet doit s’attarder sur des concepts clés qui peuvent éclairer les mises en œuvre. Si nous nous appuyons sur les travaux de Marro et Vouillot (2004), trois peuvent être dégagés : le genre, l’équité et la coéducation. Ces auteures définissent la mixité comme un état et la coéducation comme un processus permettant l’égalité. Le genre distance le déterminisme biologique et renvoie à la construction sociale des attitudes et des rôles sociaux liés au sexe d’appartenance. Ces concepts seront exploités au cours de la revue.
10Nous mènerons l’analyse à travers les recherches entreprises sur les pratiques professionnelles en contexte mixte dans une première partie, puis à travers celles concernant les écarts de réussite entre filles et garçons dans une seconde partie.
11Il s’agit ici d’investiguer plus particulièrement ce qui se joue dans l’acte d’enseignement influençant les mises en œuvre réelles de la coéducation. Nous mettons en avant les interactions didactiques, les interventions des enseignant-e-s et les perceptions des élèves, enfin les stratégies des enseignant-e-s pour faciliter les mises en œuvre de la coéducation.
12Les travaux anglo-saxons les plus récents ont mis en évidence un retour d’informations plus conséquent envers les garçons (Duffy, Warren et Walsh, 2001). De même, la nature de ces feed-back est différente en fonction du sexe de l’élève auquel ils s’adressent et questionnent les mises en œuvre de la mixité. En France, le champ de recherche concernant les interactions didactiques est plus récent. Rappelons qu’on entend par interaction didactique une action réciproque par laquelle le comportement de l’un des partenaires a une influence sur le comportement de l’autre (Postic, 2001) et mettant en jeu des contenus enseignés.
13Les études rapportées ici mettent l’accent sur les comportements des enseignant-e-s en contexte mixte : la première recherche (Verscheure et Amade-Escot, 2004) est faite en lycée, la seconde (Couchot-Siex et Trottin, 2005) en collège et la troisième ( Cloes, Demblon, Pirottin, Ledent et Pièron, 1998) fait l’objet d’une étude comparative primaire/ secondaire dans un pays francophone. Le but est de montrer les convergences et divergences ou les nuances dans des contextes différents. Plusieurs de ces recherches mettent en relation le genre des enseignant-e-s et les interactions différenciées.
14Verscheure et Amade-Escot (2004) ont observé les interactions didactiques d’un professeur et de trois filles et cinq garçons de niveau homogène en seconde dans l’activité volley-ball. Il s’agissait d’étudier la façon dont se construisent les différenciations selon les genres en situation réelle d’interactions en étudiant les processus de transmission-appropriation des contenus selon la « position de genre » des élèves. Pour ces auteures, la notion de « position de genre » est préférée à celle « d’identité de genre » parce qu’elle rend compte d’un processus évolutif pour un même élève en fonction des activités physiques sportives et artistiques (APSA). Ainsi, le genre ne peut être appréhendé par les seuls stéréotypes sexués. En fait, les chercheures s’interrogeaient sur l’existence ou non de contrats didactiques différentiels entre filles et garçons confrontés à un même objet d’enseignement. A partir des entretiens menés avec l’enseignant, des enregistrements audio et vidéo, puis des entretiens avec les huit élèves observés, les résultats indiquent que dans un type d’enseignement organisé sous formes de tâches ouvertes, certaines filles tirent profit de la mixité. La construction des inégalités par les stéréotypes dominants, fréquemment invoquée en contexte mixte, est ici remise en cause. Les différences observées sont d’abord dues aux interactions didactiques différentielles au cours desquelles se mettent en place des situations de co-construction des savoirs entre professeur-e-s et élèves. D’autres variables agissent également telles que, les effets du contexte, les effets « d’arrière-plans » comme les représentations de l’attaque efficace, l’attitude scolaire et l’expérience ou non dans une activité physique. Les explications habituellement développées au sujet des inégalités de sexe en EPS concernant les effets de discrimination des enseignant-e-s ne suffisent donc pas à expliquer ces différences.
15Pour approfondir les effets des interactions didactiques sur les élèves, Couchot-Schiex et Trottin (2005) mettent en évidence des variations en fonction du sexe et du genre. La variable genre est au préalable identifiée par le test de Bem (1974), repris par Hurtig et Pichevin (1986). Le but du BSRI (Bem sex role inventory) est d’identifier des types d’individus : féminin, masculin, non différencié et androgyne. La recherche s’est intéressée au contenu des interactions didactiques prenant en compte l’origine (enseignan-t-e ou élève, fille ou garçon), le média, la forme, le type et le registre des interactions. Les résultats mentionnent un nombre d’interactions plus élevé en faveur des garçons qui sont d’ailleurs les interactions initiées par les enseignant-e-s en faveur des garçons. Les conclusions ne sont pas possibles quant à la durée des interactions puisque les tests statistiques ne notent pas de différences significatives. Les interactions initiées par les garçons le sont par des incidents disciplinaires et de véritables stratégies sont mises en place pour capter l’attention des enseignant-e-s. Par contre, les observations indiquent clairement que les garçons reçoivent davantage de feed-back visant à organiser leur travail. Les chercheures s’interrogent alors sur le poids des stéréotypes qui organisent l’intervention des enseignant-e-s ou si les filles sont réellement plus organisées. De cette étude, il ressort que certains des résultats mentionnés par Duru-Bellat (1995) ne sont pas confirmés en EPS puisque par exemple, les filles reçoivent autant de compliments et autant de critiques que les garçons. Des différences existent bien entre hommes et femmes dans la manière d’agir avec les élèves de sexe différent, mais la variable genre apporte des résultats complémentaires. En effet, plus les femmes sont classées haut sur l’échelle de la masculinité, plus elles tendent à interagir de manière identique en nombre avec les élèves des deux sexes. Les formes d’interaction seraient davantage kinesthésiques et auditives. A l’inverse, plus elles sont classées haut sur l’échelle de la féminité, plus elles interagiraient avec les garçons. Même si les auteures précisent que les variations constatées sont à contextualiser par rapport à la nature des APSA (acrosport, cirque et gymnastique), les contenus indiquent bien des différences dans les interactions. La variable genre n’est donc pas à négliger lorsque l’on aborde les questions de mixité.
16Les deux études convergent dans le sens ou les interactions didactiques sont à articuler avec le concept de genre. Mais des nuances existent, puisque ce concept est évolutif pour Verscheure et Amade-Escot (2004) qui lui préfèrent la notion de « position de genre ». Pour ces auteures, il s’agit de ne pas réduire l’analyse aux stéréotypes sexués de la part des enseignant-e-s et seule une analyse micro didactique des situations peut rendre compte de ce qui se joue dans les interactions didactiques. Par contre, dans la seconde recherche (Couchot-Schiex et Trottin, 2005), la variable genre est davantage appréhendée pour mettre en relation le degré de masculinité et de féminité des enseignant-e-s et l’ impact sur les interactions didactiques.
17La question des interventions d’individualisation des enseignants en éducation physique ont déjà fait l’objet de recherches, mais celles-ci ont investigué aussi les perceptions des élèves. En Belgique, Cloes, Demblon, Pirottin, Ledent et Pièron (1998) ont focalisé leur attention sur l’analyse du traitement différencié des élèves par leurs professeurs d’éducation physique dans les secteur primaire et secondaire. Ils ont essayé de mettre en évidence dans un premier temps, les interventions verbales d’individualisation les plus fréquentes des enseignant-e-s pendant la période d’activité des élèves. Ils se sont ensuite intéressés aux évènements que les élèves associaient à un traitement différencié ou à son absence. Les caractéristiques des élèves et les démarches de l’enseignant ont été comparées selon le sexe et le niveau d’habileté des élèves. Concernant les interventions verbales, les résultats montrent que les enseignants du primaire interviennent plus fréquemment que leurs collègues du secondaire. La différence relevée se confirme quel que soit le sexe de l’enseignant. Cependant, les chercheurs notent que : i) au primaire, les enseignantes privilégient l’adaptation des exercices alors que leurs collègues masculins favorisent les réexplications, ii) au secondaire, les enseignants tendent à questionner davantage.
18Les auteurs re-questionnent ainsi l’image traditionnelle d’une approche pédagogique plus affective chez les professeures. Aucune différence n’apparaît chez les plus jeunes enseignant-e-s entre les interventions d’individualisation dirigées vers les meilleurs élèves et les plus faibles en primaire, alors qu’au secondaire, les professeures questionnent davantage les meilleurs élèves contrairement à leurs collègues masculins qui interrogent les plus faibles.
19Concernant la perception des évènements d’individualisation par les élèves, ceux-ci ont l’impression que les enseignant-e-s sont davantage centrés sur les acquisitions motrices et le développement physique. Ils semblent regretter que d’autres aspects de la relation pédagogique ne fassent pas l’objet des interventions. Par exemple, la santé est un réel souci pour les filles qui sont sensibles à la bienveillance et à la compréhension des enseignantes concernant leurs problèmes personnels. Les filles considérées comme les meilleures tendent à accorder plus d’importance que les autres à l’intérêt de l’enseignant-e envers leurs compétences sportives. Les autres élèves souhaitent une valorisation de leurs compétences dans les secteurs où ils sont le moins remis en question. Par ailleurs, les filles octroient plus d’importance aux interventions de l’enseignant portant sur le contenu et regrettent le manque d’adaptation de ce contenu à leurs capacités motrices. Les garçons perçoivent une adéquation entre les contenus et l’évaluation, mais regrettent un contenu de niveau trop « moyen » s’adressant à tous et où les meilleurs ne se sentent pas valorisés. L’inadaptation du contenu dont ils parlent correspondrait à l’organisation des leçons, qui, privilégiant un choix de tâches adaptées à un niveau moyen de classe, tend à pénaliser les meilleurs élèves autant que les moins habiles et serait plutôt mal perçue par les garçons. La différence de perception est plus liée aux compétences sportives qu’au fait d’être fille ou garçon. Ces résultats indiquent que pour les filles, il serait pertinent de proposer des contenus en fonction de leurs capacités et pour les garçons (surtout les plus performants), des contenus différenciés afin qu’ils puissent se réaliser pleinement. Les attentes des uns et des autres sont apparemment différentes, mais finalement c’est de l’adaptabilité des contenus en fonction du sexe qui est ici mis en avant par les élèves. Les variables comme l’âge de l’enseignant et des élèves et les attentes des élèves ont donc un impact sur leurs réponses. Il est noté des convergences avec les recherches précédentes dans le sens où existent bien des différences d’interactions didactiques, mais celles-ci sont plus liées au sexe des enseignant-e-s, la variable genre n’est pas investiguée.
20Le support des APSA connotées sexuellement faciliterait-il des mises en œuvre réelles de la coéducation ?
21Les recherches de Aron (1994) accréditent la thèse que l’influence de la féminité et de la masculinité dans les représentations sociales de la danse sur l’identité de genre des élèves n’est pas discriminante. Ce sont les variables « pratique » et « connaissance » de l’activité qui paraissent déterminantes dans cette recherche. En mixité, la danse est perçue comme athlétique par les garçons et leur permet sans doute d’échapper aux stéréotypes de masculinité, d’entrer dans le registre du sensible pour être dans « l’esprit de mixité » défini par Davisse et Louveau (1998). Mais le contexte de l’étude en formation initiale est certainement à l’origine des divergences avec les recherches suivantes. En effet, les recherches de Faure et Garcia (2003 a, 2003 b) concernant l’introduction de la danse hip hop dans des collèges de quartiers populaires contredisent ces résultats. Les auteures constatent que lorsque les séances ne sont pas obligatoires, les garçons désertent les cours, contrairement aux filles, alors qu’ils pratiquent et connaissent l’activité. En fait, la danse hip hop dans un cadre scolaire n’est pas celle que pratiquent ces garçons en dehors de ce cadre et renvoie à des valeurs considérées comme féminines. Mais ramener le refus de pratiquer des garçons dans un cadre scolaire aux origines sociales n’est pas suffisant, puisque les filles des mêmes origines sociales semblent davantage s’intéresser aux valeurs de la danse scolaire, notamment dans ses dimensions expressives et chorégraphiques. Si la danse scolaire mobilise moins les qualités physiques, elle est plus axée sur un travail d’écriture chorégraphique, activité centrale de l’école, qui pourrait expliquer ce refus de la part des garçons. Ainsi, pour susciter l’intérêt, les enseignantes sont conduites à des « arrangements » à l’intérieur de la logique pédagogique : accepter la construction d’un espace de travail à l’intérieur de l’espace du cours de danse, ou encore des configurations qui permettent de mettre en valeur les garçons au centre d’un corps de ballet constitué par les filles. Mais alors, peut-on parler de mixité quand celle-ci est vécue dans un espace « ensemble-séparé » pour reprendre l’idée de Goffman (2002) ?
22Les inégalités sont donc mises à l’œuvre par les enseignant-e-s, les garçons étant valorisés au détriment des filles qui doivent se conformer aux règles scolaires d’agencement de mouvements. Derrière l’idée de favoriser la mixité par le biais d’une activité qualifiée de féminine, les inégalités se reconstruisent d’une manière subtile. En définitive, les auteures aboutissent aux mêmes conclusions que Lahire (2002) et Duru-Bellat et Jarlegan (2002) : la mixité scolaire induit un renforcement des comportements de « genre ». En outre, il est montré que même dans une activité considérée comme féminine, les comportements sexués des élèves sont renforçés par les attentes des enseignant-e-s.
23Dans son étude des enjeux anthropo-sociologiques autour du corps et notamment de « la lutte des sexes », Ferez (2000) avait déjà remarqué que ce sont dans les activités physiques artistiques (APA), et plus spécifiquement en danse, que paraissent encore fonctionner les mécanismes qui fondent la domination masculine. La différence entre les activités reproduit la structure symbolique des sexes au sein même des APA, où la danse contemporaine, le théâtre et le cirque artistique se différencient du hip hop, de l’acrosport, du cirque acrobatique, et ceci selon les mêmes significations qui sous-tendent l’opposition entre APA et sport, entre féminin et masculin. D’ailleurs, Férez (2004) révèle le retour de l’ordre sexué dans les discours de « spécialistes » des APA lors d’entretiens, alors que la perspective subversive de cet ordre était à l’origine du courant de l’expression corporelle. Des différences existent donc dans les discours et dans les conduites des pratiques mixtes, même dans des activités habituellement perçues comme féminines. Pour continuer dans cette direction, il serait intéressant de s’interroger sur les rôles que les élèves s’attribuent en fonction des indices qu’ils repèrent chez les enseignant-e-s (communications verbales et non verbales) et notamment dans des activités qualifiées de féminines comme la danse, où l’enjeu de coéducation est de dépasser les stéréotypes par l’ouverture à toutes les formes de motricité. Sinon que reste-t-il de l’ambition d’une culture commune sans prise en compte de l’activité réelle des sujets (Davisse, 2000) ? Les élèves se résument-ils à leur différence de sexe ?
24Ce point peut être abordé à l’aide des concepts de genre et de masculinité-féminité (Clairefond-Topczynski, 1990 ; Durand-Delvigne, 1992), ou encore en étudiant « l’ordre de genre » établi à travers les activité sportives (Messner et Sabo, 1990 ; McKay, Messner et Sabo, 2000). Ces travaux montrent l’existence de différents types de masculinité comme il existe des féminités. Mennesson (2004) d’ailleurs s’interroge au sujet des « dispositions sexuées inversées ». Si ces études sont utiles pour comprendre les écarts de réussite entre filles et garçons en EPS en terme de nuances « genrées », le champ de recherche concernant ces inégalités de réussite s’affirme également dans une perspective didactique abordant le phénomène par l’évaluation-notation.
25La réussite scolaire des filles est souvent mise en avant et le désintérêt pour les résultats scolaires de la part des garçons semble mobiliser le monde de l’éducation (Mosconi, 2003). Qu’en est-il en éducation physique et sportive ?
26Il s’agit dans un premier temps d’analyser les causes des différences de réussite entre filles et garçons. Puis nous examinerons les résultats aux évaluations, d’abord dans l’enseignement primaire, puis par l’intermédiaire des résultats aux examens. Pour cela, nous réfléchirons sur la programmation des activités et leur combinaison, enfin des perspectives seront ouvertes pour réduire l’écart.
27Les conclusions des différentes recherches en EPS montrent que : les garçons progressent davantage que les filles (Coupey, 1995) et qu’ils se montrent plus réfractaires que les filles au dépassement des stéréotypes (Bouchard et Saint-Amant, 1996). Toutes les études faites sur l’évaluation en EPS montrent que les filles obtiennent des moyennes inférieures à celles des garçons (Cleuziou, 2000 ; Vigneron, 2000 a) et la programmation des activités est davantage référée aux activités historiquement masculines (Combaz, 1992 ; Vigneron, 2005 b). Enfin, bien que plus scolaires, les filles sont moins actives que les garçons au plan de la motricité (Davisse, 2000). Les travaux de Vigneron (2005 b) établissent même une différence très marquée entre filles et garçons, notamment dans les sports collectifs, autour de l’espace (les filles sont à la périphérie) du rapport à la règle (les filles les ignorent et n’ont pas les clés de la reconnaissance rapide des indices pertinents d’une lecture rapide du jeu) , du rapport au corps (les filles sont généralement moins toniques et rapides que les garçons donc elles se protègent d’eux en évitant les contacts). Mais l’auteure mentionne que ces différences sont renforçées par les contenus et les méthodes d’enseignement, essentiellement pensés en rapport à la motricité des garçons.
28Coupey (1995) étudie les pratiques d’éducation physique et sportive au cours préparatoire et les différences de performance entre filles et garçons en fonction des formes d’EPS. Elle s’intéresse aux facteurs autres que biologiques qui peuvent déterminer les différences de performance. Les résultats indiquent que certaines situations sont défavorables aux filles, comme le fait d’être scolarisées dans une classe à majorité de garçons, ou dans une classe où le maître attend des exigences différentes en fonction du sexe des élèves. La réussite différentielle des filles et des garçons serait modulée en fonction de l’organisation mixte ou non des classes. Dans les disciplines scientifiques, l’auteure remarque que les différences entre les sexes sont moins marquées quand les uns et les autres sont scolarisés dans les classes non mixtes. Ce point est d’ailleurs actualisé par les travaux de Robinson (2004), même si l’auteur relativise ses résultats en fonction du contexte culturel dans lequel sont faites les recherches et l’effectif des classes. Ces remarques conduisent Coupey à proposer que les modalités d’évaluation (exigences moindres pour les filles sans prise en compte de la taille et du poids) et que les modes d’entrée dans l’activité soient interrogés. Dès lors, une question peut être posée : dans quelle mesure les mécanismes scolaires repérables conduisent-ils les filles et les garçons à ne pas développer la même motricité, à entretenir chez les filles un développement physique moindre ou à limiter celles-ci dans l’exploitation de leurs possibilités physiques ?
29Les résultats de la recherche indiquent qu’il existe deux catégories d’enseignants : i) ceux qui expriment une opinion stéréotypée des rôles (les filles sont plutôt passives, les garçons actifs, retrait des filles dans certaines activités, des garçons dans d’autres), ii) ceux pour qui la variable sexe n’est pas suffisante pour expliquer les différences de résultats.
30Certains enseignants estiment donc nécessaire de moduler les exigences des élèves en fonction du sexe alors que d’autres estiment préférable d’avoir les mêmes exigences pour tous.
31Les résultats des élèves aux évaluations montrent que les filles obtiennent de moins bons résultats que les garçons en début d’année et en fin d’année. En début d’année, l’écart est plus faible entre filles et garçons qu’entre sportifs et non sportifs. Il est pratiquement le même en fin d’année. Si au départ les filles sportives avaient une meilleure moyenne que les garçons non sportifs, la tendance en fin d’année est inversée. Enfin, ce sont les garçons sportifs qui progressent le plus. Lorsqu’on introduit des caractéristiques pédagogiques comme l’effet classe en relation avec les objectifs poursuivis par les enseignants, les élèves de caractéristiques semblables n’affichent pas les mêmes progrès. Les élèves progressent davantage lorsque l’enseignant ne fait pas de différence d’exigences entre les élèves en fonction de l’activité. Par contre, les garçons progressent davantage que les filles quand les enseignants sont plus exigeants envers eux. Ces résultats rejoignent ceux de Cloes et al. (1998) qui rapprochent les résultats des élèves et les démarches des enseignants. Par ailleurs, ils sont à relier aux hypothèses déjà soulevées pour réduire l’écart : i) la nature de la programmation (Combaz, 1990 ; Lacince, 2000 ; Davisse et Louveau, 1998), ii) les exigences attendues par les enseignants (Duru-Bellat, 1995, 1998 ; Mosconi, 1992), iii) la construction de référentiels d’évaluation ( Bergé, Croiset et Pézelier, 2001) dans le cadre d’un programme d’innovation.
32La discipline EPS se singularise par un écart de notes significatif entre filles et garçons dans les examens (Baccalauréat, BEP, CAP). Cleuziou (2000) cherche à situer les différences de résultats en fonction du sexe et de la série du baccalauréat. Il observe une différence de 1,1 point de moins pour les filles. Ces résultas sont obtenus à partir de trois échantillons : un premier échantillon de 8754 candidats dans 25 lycées issus de 10 académies de 1996 et 1997, un deuxième de 26621 autres candidats de l’académie de Nice pour les mêmes années et un troisième échantillon de 16412 candidats de l’académie de Rouen pour le baccalauréat de 1997. Les résultats montrent que, quelle que soit la série du baccalauréat, les filles ont toujours des moyennes inférieures à celles des garçons, avec des nuances en fonction de la série du bac, cette différence est moindre dans les séries générales par rapport aux séries technologiques. En fonction des séries, (S et STI) on note peu de différences entre garçons de séries différentes, mais une différence plus marquée entre filles de séries S et STT. Ces résultats confirment par ailleurs les observations faites par Combaz (1992) à huit ans d’intervalle sur les écarts de réussite entre filles et garçons au baccalauréat. Fontayne (1999) retient le même phénomène pour les candidats au brevet des collèges. Vigneron (2005 a) par une vaste étude par questionnaire auprès de 1245 élèves de Terminale de l’académie de Reims cherche à mettre en relation la note obtenue à l’examen et d’autres caractéristiques telles que : i) les pratiques familiales et sportives extra-scolaires présentes et/ou passées, ii) la nature de ces pratiques, iii) le sentiment de compétence, l’estime de soi, les représentations, les motivations, iv) la catégorie socio-professionnelle des parents, la composition de la famille, le sexe, l’âge, la série au baccalauréat, les caractéristiques morphologiques. Les résultats pondèrent les arguments classiquement avancés comme le poids des variables sociologiques. Ils mentionnent plutôt une relation forte entre les pratiques sportives extra-scolaires et les résultats en EPS d’une part, et d’autre part une construction scolaire des différences. A ce propos, les résultats corroborent avec ceux de Cleuziou (2000) qui constatait que ce sont les APSA les plus enseignées qui sont particulièrement discriminantes pour les filles, et plus encore la combinaison des activités. Pourquoi alors continuer à programmer dans le même menu (badminton, volley-ball et athlétisme), alors que les résultats montrent que ce sont dans ces activités que les filles obtiennent les moins bons résultats ?
33Par ailleurs, Lacince (2000) lors de l’analyse des dossiers des candidats au CAPEPS, constate que seulement 0,9 % des programmations des établissements scolaires concerne la danse dans les cycles d’enseignement. L’éducation corporelle de l’élève passe donc encore par la pratique physique essentiellement sportive. L’interrogation suivante est formulée : l’attente et le comportement des enseignants à l’égard des élèves influent-ils sur la reproduction de la norme sportive masculine ? L’auteure conclue qu’aujourd’hui, l’EPS et l’école en général sont le reflet d’une institution qui cherche à tout contrôler et finalement maîtriser jusqu’au corps des individus. Or, la nécessité de performances et de résultats ne semble pas correspondre à l’essence de l’activité comme la danse qui se veut objet de transgression par la liberté qu’elle prend avec les règles du monde sportif. D’autres recherches peuvent donc investiguer la combinaison des activités. L’étude de Vigneron (2005 a) démontre que les résultats des filles sont supérieurs à ceux des garçons en danse, en escalade et dans une moindre mesure en natation. L’auteure relativise donc les résultats inférieurs des filles puisque, en fonction des séries du baccalauréat et de toutes les variables prises en compte, il y a plus d’écarts entre filles ou entre garçons qu’entre les sexes. Dans le cadre des interactions didactiques différentielles discutées par Verscheure et Amade-Escot (2004), ce sont celles mettant en jeu des contenus réservés aux filles, d’une nature différente de ceux proposés aux garçons, qui finalement seraient déterminants dans l’écart des notes constatés.
34A l’issue de ces constats, des perspectives peuvent être envisagées. Comment trouver un compromis entre la reconnaissance des différences des filles et des garçons et en même temps la reconnaissance de l’égalité de traitement dans les barèmes ?
35Le programme d’innovation entrepris par Bergé et al. (2001) amorce des propositions constituant des leviers pour réduire cet écart. En particulier, les référentiels d’évaluation sont à reconsidérer en rapport avec les capacités différenciées des filles et des garçons. En effet, si les différences sont prises en compte dans les activités chronométrées et métrées, il est plus difficile de prendre en compte la puissance, la force et la vitesse de déplacement, moindres chez les filles que chez les garçons. D’autre pistes confortent celle déjà émise par Coupey (1995), Combaz (1992) et Lacince (2000) au sujet de la nature de la programmation qui privilégie les APSA historiquement masculines. Il ne s’agit évidemment pas de programmer des APSA exclusivement féminines (Davisse, 2000), mais plutôt de trouver un équilibre entre APSA. Une troisième voie consiste à analyser les habitus traditionnels de répartition des tâches et des compétences entre filles et garçons véhiculés par les enseignants (d’une manière inconsciente souvent), et l’incidence sur la notation.
36Des études ont montré que la mixité était un gage d’engagement des élèves dans les activités physiques : le football, le rugby, le judo, le saut à la perche sont accessibles aux filles (Bui-Xuân, 1989 ; David, 1995 ; Davisse et Louveau, 1998). D’autres résultats plus nuancés (David et Château-Seyer,1999), mettent en évidence des réticences lorsque la proximité corporelle est envisagée. Les élèves émettent alors une réserve quant à la possibilité d’exprimer pleinement leurs potentialités. David (2000) ouvre plusieurs perspectives qui consistent à mettre à jour les pratiques pédagogiques, les représentations des enseignant-e-s et leurs attentes, mais aussi les conséquences de leur propre rapport au savoir sportif. Artus (1999) postule que pour qu’il y ait une véritable intégration des filles dans les sports collectifs, il y a nécessité d’un aménagement didactique relatif à une réduction de l’espace et des effectifs, et pédagogique relatif à une dimension ludique, sans brutalité. Pour que la mixité soit « active », il propose de faire verbaliser les élèves afin d’organiser le rugby autour de règles inédites permettant au plus grand nombre de parler de l’activité et ainsi de rompre avec la distance sociale des filles et des garçons habituelle en EPS. Mais la réduction de l’espace comme remède à la participation des filles est remis en cause par Vigneron (2005 b) qui affirme que réduire l’espace provoque une gêne chez celles-ci.
37D’autres propositions sont formulées par Barbot (1996) qui aborde les sports de combat en situation de mixité en essayant de résoudre le problème du duel dans les situations d’affrontement corporel : augmenter le risque subjectif et diminuer le risque objectif pour permettre le contact avec l’autre. Pour Kugelmann (2000), le débat sur la coéducation dure depuis 30 ans. Finalement, l’enseignement sportif coéducatif est-il une chance pour l’affirmation de l’identité de genre ? Malgré les spécificités des différences de genre, l’auteure pense que la coéducation est une chance pour l’égalité. En effet, les filles peuvent avoir le goût du combat dans un jeu de hockey sur patins et les garçons reconnaître l’esthétique des traversées de skate-board. C’est l’accès de tous à toutes les motricités et l’arrêt des délimitations entre les genres que préconise l’auteure pour construire un individu complet.
38L’étude de la mixité scolaire peut s’appuyer sur une large palette d’approches. Les axes choisis pour les pratiques professionnelles et les écarts de réussite entre filles et garçons en eps permettent de faire le point sur la question autour des concepts de genre, d’équité et de coéducation, dans un domaine encore peu investigué en France. Ces approches permettent de se situer au plus près de ce qui se joue dans l’acte d’enseignement : les interactions didactiques, les apsa supports pour une mise en pratique réellement mixte et les résultats des élèves.
39Finalement, cet état des lieux interroge sur : i) l’importance des interactions didactiques différentielles des enseignant-e-s face à des élèves sexués, ii) sur les contenus mis en œuvre réellement équitables, iii) sur le choix des APSA et leur traitement didactique pour permettre la réussite de tous les élèves
40L’avenir de la mixité se pose en terme d’enjeux d’éducation. Les programmes et les contenus sont à questionner pour qu’ils deviennent le moteur d’échanges productifs entre filles et garçons, vers une véritable coéducation. D’une volonté historique égalitaire pour que filles et garçons reçoivent le même enseignement, les questions se déplacent vers le développement des possibilités de chacun par la mixité et les conditions de sa réussite dans un souci d’équité.
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