1. Introduction

2Notre travail s’appuie sur cette activité physique et sportive (APSA), peu enseignée à l’école élémentaire alors même que sa logique interne et sa connotation plutôt « neutre » en font un bon candidat au service de la construction des habiletés motrices de tous les élèves, filles et garçons (Verscheure & Amans-Passaga, 2014 ; Amans-Passaga & Verscheure, 2021). Dans cet article, une étude de cas emblématique est présentée. Si celle-ci ne nous permet évidemment pas de généraliser les résultats à toutes les pratiques didactiques des enseignantes et enseignants et des élèves, elle nous offre la possibilité de mettre en évidence les conditions des transformations possibles des pratiques enseignantes par la recherche et par ses résultats (Filâtre, 2016). Nous nous attachons à discuter les conditions mises en œuvre pour favoriser l’appropriation et l’utilisation par les enseignants et enseignantes des savoirs issus de la recherche visant à optimiser l’enseignement et l’apprentissage en EPS. Nous considérons ici les savoirs dans une acception large. Ils sont à voir comme des ressources possibles pour l’action produites par et pour la recherche (Perrenoud, Altet, Lessard & Paquay, 2008).

2. Présentation du contexte de la recherche

3Nous présentons ici une étude de cas extraite de la recherche collaborative AGIREEPS (Ecole primaire – pour une EPS qui transforme les « pouvoirs d’agir » des élèves – Amans-Passaga & Verscheure, 2018) qui vise à accompagner la transformation des pratiques d’enseignement des professeurs des écoles (PE) en EPS afin de créer les conditions didactiques pour que tous les élèves s’engagent dans l’étude et apprennent en EPS.

2.1. Quelle EPS dans le 1^er degré ?

4Plusieurs études (Devos, 2006 ; Thépaut & Léziart, 2008, 2013 ; Thépaut, 2010 ; Amans-Passaga, 2010 ; Blanchouin, 2013 ; Pontais & Brière-Guenoun, 2014 ; Amans-Passaga & Devos-Prieur, 2015 ; Verscheure, 2020) s’intéressant à l’EPS dans le 1er degré montrent la réalité des pratiques d’enseignement de la discipline, mais aussi les difficultés ressenties par les enseignantes et enseignants pour l’enseigner. Les études qui ont analysé spécifiquement les contenus enseignés et réellement appris (Thépaut & Leziart, 2008 ; Amans-Passaga & Devos-Prieur, 2015) mettent en évidence les difficultés évoquées par les PE dans l’enseignement des différentes APSA. Celles-ci se traduisent notamment par l’absence de références précises à des contenus d’enseignement identifiés, du fait d’une connaissance limitée des APSA, d’un faible sentiment d’efficacité personnelle et d’une formation insuffisante. Elles participent du fait que les 3 heures hebdomadaires prescrites par les textes institutionnels ne sont que très rarement assurées.

5Les séances d’EPS se trouvent être, chez certains PE, prioritairement le lieu de la sollicitation de compétences générales, et les sports collectifs sont utilisés principalement à des fins d’éducation citoyenne (Thépaut, 2008 ; Lenzen & al., 2012 ; Amans-Passaga & Devos-Prieur, 2015). Ces études soulignent à quel point l’EPS est convoquée par les PE pour favoriser l’acquisition de compétences transversales telles que le respect, l’autonomie, la réflexivité ; ce qui apparaît plus aisé pour les enseignantes et enseignants du premier degré, qui ne placent pas les apprentissages moteurs comme centraux dans leur enseignement de l’EPS.

6Or, nous considérons que si l’EPS peut nécessairement participer au développement des compétences citoyennes, elle doit prioritairement favoriser la transformation des conduites motrices des élèves. Il importe donc que soient mis en perspective des contenus relatifs à l’acquisition de compétences motrices, de savoir-faire techniques, de tactiques individuelles ou collectives propres aux pratiques de références convoquées (Amans-Passaga & Verscheure, 2020).

7Ainsi, l’EPS ne peut se contenter d’être une « discipline de service » (Martinand, 1992, p. 58) visant le développement de compétences citoyennes (respect des règles, autonomie, responsabilité, fonctionnement collectif ...), relatives au langage (écouter, savoir s’exprimer), à la réflexion. Elle doit aussi être une « discipline de cœur » (Martinand, 1992, p. 58) qui ambitionne la construction d’habiletés motrices. Nous défendons l’idée que l’EPS doit participer de façon prépondérante à la construction de nouveaux pouvoirs moteurs (Gréhaigne & al., 1989), de pouvoirs d’agir en permettant que les élèves se construisent et se transforment dans des situations complexes. Ces pouvoirs d’agir renvoient à la capacité de développer sa motricité usuelle, d’accéder à une motricité « extra-ordinaire », de construire une connaissance corporelle du monde (Pontais, 2015, p. 68). Ils articulent savoir-faire, savoir sur le faire et s’expriment dans des habiletés motrices efficaces (Amade-Escot, 1989).

8Nous nous sommes donc intéressées aux conditions rendant possible la construction de nouveaux pouvoirs moteurs en volley-ball à l’école élémentaire.

2.2. Pourquoi le volley-ball à l’école élémentaire ?

9Peu de travaux de recherche (qu’ils soient francophones ou anglo-saxons) se sont intéressés à l’enseignement du volley-ball dans le 1er degré. Le volley-ball semble peu utilisé en tant que pratique prise en référence en EPS à ce niveau de la scolarité (Amans-Passaga & Verscheure, 2021) : les enseignantes et enseignants la considèrent comme difficile à adapter aux ressources des jeunes élèves parce que les habiletés spécifiques sont perçues comme complexes à construire (Verscheure & Amans-Passaga, 2014).

10Malgré tout, plusieurs études scientifiques et professionnelles menées par des spécialistes de l’enseignement du volley-ball ont proposé des traitements didactiques possibles (Bironneau & Bevon, 2009 ; Leziart & Lepuissant, 2009 ; Metzler, 2017 ; Jardon, 2019 ; Amans-Passaga & Verscheure, 2021). Des enjeux de formation sont envisageables dès ce niveau de la scolarité : la construction de modes d’actions très spécifiques sur le ballon, puisque celui-ci doit être frappé (passe à deux mains, manchette, service, etc.) et la compréhension que la qualité des différentes frappes est dépendante de processus en amont qui sont également à construire (déplacements, replacements, lecture, prise de décision, anticipation, etc.) ; ce qui renvoie à une dimension plus tactique de l’activité.

11Pour ce faire, il est nécessaire d’adapter les règles : les contacts aménagés sont des outils didactiques intermédiaires, provisoires, qui facilitent l’entrée dans des logiques collectives (Groupe de réflexion Education Nationale – FFVB, 2016 ; Jardon, 2019 ; Metzler, 2017). « L’autorisation du blocage du ballon en première touche de balle doit être compris dans un souci d’équilibre du rapport de force attaque/défense. Ces règles permettent de favoriser les échanges » (Metzler, 2017, p. 21). Ainsi, l’adaptation des oppositions en 1 contre 1, 2 contre 2 ou 3 contre 3 avec la règle « balle bloquée » apparait utile pour que les élèves comprennent la logique du jeu. Ces aménagements ou variables didactiques favorisent l’engagement des élèves qui débutent car ils « permettent aux élèves de dépasser les difficultés techniques, et sont autant de solutions déterminantes pour leur engagement dans le sens d’une meilleure maîtrise des savoirs tactiques mis à l’étude en volley-ball » (Amans-Passaga & Verscheure, 2021, p. 16).

12Au regard des difficultés énoncées par les PE, nous avons donc construit une formation à l’enseignement de cette APSA.

2.3. Une séquence de formation autour d’un module d’apprentissage en EPS relatif à un cycle long dans l’activité volley-ball

13En tant que chercheures et spécialistes de l’enseignement de l’EPS dans le 1^er degré, nous avons procédé à la construction d’une séquence de formation pour les PE en VB. Celle-ci s’appuie sur une analyse épistémologique (littérature professionnelle et scientifique) de l’activité, qui consiste à identifier des contenus d’enseignement pertinents au regard de la pratique sociale de référence.

14Ensuite, nous avons proposé une journée de formation autour d’un « module d’apprentissage en EPS dans l’activité volley-ball pour un cycle d’au moins 10 séances » (intitulé dans la suite de l’article module-VB) pour des élèves de cycle 3 prioritairement.

15Ce module-VB était divisé en deux parties.

161. A partir d’une analyse technologique et didactique de l’APSA en vue de son enseignement, étaient identifiés et exemplifiés :

• Les problèmes posés aux élèves par la spécificité de l’activité

  • Dans le domaine de la présentation de l’APSA (par exemple : s’agit-il d’un jeu d’échange ou d’affrontement ?…) ;

  • Dans le domaine de l’occupation de l’espace ;

  • Dans le domaine de la communication et de la coopération entre joueurs partenaires ;

  • Dans le domaine de l’analyse tactico-technique.

• La possible organisation des contenus pour faire apprendre et progresser les élèves autour des domaines présentés ci-avant : connaître l’activité, communiquer, agir dans l’espace, technique et tactique, s’évaluer ;

• L’analyse des gestes de base (manchette, passe haute, frappe à 2 mains, service à la cuillère, smash) et des buts que peut se donner l’élève dans leur utilisation.

172. Différentes situations étaient proposées, qui avaient chacune une dominante - au regard des dimensions présentées dans le point 1 – avec des noms ayant du sens au regard de l’APSA volley-ball (ex : « la balle qui vit longtemps », « la forteresse imprenable » ou encore, « agir sans ballon »…)

• Des situations d’entrée dans l’activité ;

• Des situations de référence emblématiques de la pratique sociale prise en référence ;

• Des situations d’apprentissage.

18Dans toutes les situations du module, les acquisitions prioritaires étaient identifiées en étant articulées autour de trois questions fondamentales : Qu’est-ce-que les élèves ont à gagner à pratiquer le volley-ball ? Quelles sont les difficultés initiales (pressenties) des élèves ? Qu’est-ce qu’il y a à apprendre au plan moteur (donc à observer et à évaluer) ?

19Au-delà de la construction du module, nous avons aussi essayé d’anticiper la manière dont la collaboration de recherche se déroulerait et notamment la place des unes et des autres, dans une visée de partage des savoirs issus de la recherche et des savoirs des praticiens et praticiennes.

2.4. Le processus de collaboration de recherche

20Le processus de collaboration est organisé en 3 temps (Desgagné, 1997 ; Desgagné & Bednarz, 2005 ; Goigoux, 2017 ; Marcel, 2019) :

21Temps 1 : les chercheures et un spécialiste de l’enseignement de l’EPS dans le 1^er degré ont proposé une journée de formation autour du module-VB précédemment construit (cf. partie précédente).

22Temps 2 : lors de la journée de formation, les 10 PE volontaires (7 femmes et 3 hommes) en responsabilité de classes de cycle 3 ont été acculturés à l’analyse technologique du volley-ball puis ont vécu quelques situations du module-VB (précisons que l’une d’entre elle – sujet de cet article - était enseignante en cycle 2, mais elle avait malgré tout souhaité suivre cette formation afin de mettre en place cette activité dans sa classe, en adaptant le module au regard des capacités de ses élèves de CP). Ces PE ont testé les situations d’apprentissage du module-VB avant d’échanger sur leur vécu lors de celles-ci en termes de ressenti physique, de compréhension des consignes, de difficultés rencontrées dans la pratique du volley-ball… Les retours d’expérience des PE à la fin de la journée ont été pris en considération par les concepteurs du module pour l’optimiser (par exemple, des précisions ont été ajoutées concernant les temps d’apprentissage dans chaque séance, ou le nombre de répétitions envisagé pour chaque situation…).

23Temps 3 : les PE ont ensuite mis en place un module-VB avec leurs classes, en étant libres de la mise en œuvre et des choix effectués pour ce faire. Les chercheures étaient présentes ponctuellement pour observer et débriefer les séances : en début, milieu et fin de séquence.

24Temps 3 bis : pour ce qui concerne plus particulièrement la collaboration entre l’enseignante de CP et la chercheure, après chaque séance, des moments de débriefings étaient menés. Puis, à différents moments du module-VB, elles ont conduit ensemble des co-analyses à partir d’outils théoriques didactiques. Ainsi elles sont revenues sur les milieux mis en place (analyse des phases de définition et régulation) et ont procédé au repérage d’éventuels moments de dévolution (Sensevy, 2007). Les échanges portaient également sur la perception par l’enseignante des effets produits sur l’engagement et les apprentissages des élèves.

25Nous précisons que cette recherche longitudinale est toujours en cours dans la mesure où certaines PE ont souhaité renouveler cette expérience collaborative autour de nouvelles séquences d’enseignement du volley-ball avec leurs classes. Ce prolongement dans le temps sera assurément utile pour affiner certains éléments concernant les conditions de collaboration pour transformer l’enseignement-apprentissage en EPS au 1^er degré.

26Pour analyser la collaboration de recherche et ses éventuels effets, nous présentons ci-dessous l’ancrage théorique de la recherche.

3. Inscription théorique de la recherche : mobilisation du cadre de l’action didactique conjointe dans une perspective de conduite et accompagnement du changement

27Des travaux antérieurs, conduits dans le cadre de l’action didactique conjointe, mettent en évidence l’importance de la « direction d’étude du professeur » (Chevallard, 1997 ; Verscheure, 2009) pour accompagner l’étude des élèves. Selon Chevallard (1997), la direction d’étude relève de deux grands types de tâches : i) agencer des milieux didactiques adaptés aux visées d’apprentissage ; et simultanément, ii) gérer au fil des séances, l’interaction des élèves à ces milieux. La direction d’étude est déterminée pour partie par « l’épistémologie pratique du professeur » (Amade-Escot, 2019). Selon Sensevy (2007), l’épistémologie pratique du professeur rassemble son intentionnalité didactique, sa conception du savoir à enseigner, les objectifs d’apprentissage qu’elle/il valorise, les consignes données, les attentes vis-à-vis des élèves.

28La « direction d’étude du professeur » et « l’étude des élèves » sont le résultat de processus adaptatifs conjoints contextualisés (Verscheure, 2020). Ainsi, nous ne cherchons pas à mesurer s’il y a eu des apprentissages, mais à décrire, comprendre, expliquer, l’engagement des élèves dans l’étude. En effet, Bécu-Robinault (2018) indique « qu’on ne peut qu’inférer l’apprentissage, qui est, par nature privé, alors que l’étude est la partie visible, publique de l’activité des élèves » (p. 11). Le terme d’« étude » paraît plus approprié que celui d’apprentissage pour qualifier le travail réalisé par les élèves en classe. Pour être à l’étude, les élèves doivent entrer dans le jeu didactique, et en décoder les attentes (Johsua & Felix, 2002). Nous cherchons à identifier « la manière dont les objets de savoir mis à l’étude et enchâssés in situ dans des dispositifs […] d’apprentissage sont re-configurés et co-construits par les partenaires de la relation didactique à travers leurs interactions » (Amade-Escot, 2007, p. 16).

29Des recherches didactiques antérieures ont mis en évidence les conditions pour qu’il y ait apprentissages. D’une part, un milieu sans intention didactique n’est pas suffisant pour permettre aux élèves de s’approprier toutes les connaissances culturelles souhaitées (Brousseau, 1986). D’autre part, certains milieux ou certaines directions d’étude peuvent s’avérer contradictoires et faire obstacle à la construction de pouvoirs d’agir (Amans-Passaga & Verscheure, 2021). Ainsi, au fil des interactions didactiques, le processus de co-construction professeur / élèves du milieu didactique est susceptible d’engendrer les conditions d’un engagement de l’élève « de son propre mouvement » (Sensevy, 2007, p. 24). La dimension conjointe des actions du professeur et des élèves implique donc le partage de certaines responsabilités vis-à-vis du savoir à l’étude dans le milieu didactique (Brousseau, 1986 ; Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2005 ; Sensevy & Mercier, 2007 ; Amade-Escot & Venturini, 2009).

30Par ailleurs, nous nous inscrivons dans une visée de conduite et accompagnement du changement (Bedin, 2013).

31Selon Paul (2004) « accompagner n’est ni diriger, ni conseiller, ni protéger mais il [le changement] passe de l’un à l’autre, dans un arrangement temporel (autrement dit un cheminement) toujours singulier » (p. 305). Accompagner est un travail avec autrui, qui nécessite de rendre l’individu « acteur / actrice » afin de l’accompagner dans la réalisation d’un projet (Ibid., p. 15) sans pour autant « se substituer à autrui » (Paul, 2016, p. 36). Pour ce qui nous concerne, l’accompagnement s’actualise dans l’aide à l’appropriation d’outils, dans la proposition de séquences d’enseignement organisées autour de contenus relatifs à l’acquisition de compétences motrices (techniques, tactiques individuelles ou collectives propres à cette activité…) et enfin, dans l’aide à la programmation de séquences longues et à la manipulation des variables didactiques (espaces, ballons, …).

32Concernant « la conduite du changement », nous nous intéressons particulièrement à la mise en œuvre d’une modification d’un objet ou d’une conversion d’un objet en un autre ; mais en éducation et formation, il s’agit d’humains. Dans ce cadre, le rôle des chercheures, en tant que pilotes du changement, renvoie à une « éthique de la responsabilité » (Saint-Jean & Seddaoui, 2013, p. 189). En effet, Guy (2013) précise que « parce qu’elle n’est pas une chose, conduire une autre personne en situation de changement, la guider, c’est plutôt la conseiller, l’accompagner que la diriger » (p. 133). Ainsi, il est possible d’avancer que le changement est « une sorte de balancier entre l’existant connu et l’avenir promis » (Autissier & Moutot, 2013, p. 7). Broussal (2013) précise trois conditions du changement : il doit i) avoir un caractère collectif ; ii) être le fruit d’actions qui s’y rapportent explicitement, et iii) permettre de produire des bouleversements profonds. Travaillant sur un objet complexe et sensible comme peut l’être le changement (Baluteau, 2003 ; Bedin, 2013 ; Aussel, 2014 ) la collaboration de recherche nous a permis de tisser des liens étroits avec un établissement scolaire et un travail partagé avec une équipe enseignante.

33A propos de ce type de recherche Desgagné (1997) développe l’idée que la construction de « sens » entre les actrices et acteurs d’un contexte d’activité sociale donnée doit être privilégiée afin d’atteindre sa visée transformative. C’est précisément cette co-construction de sens qui nous intéresse. Il s’agit d’inscrire le changement (souhaité) à travers tout d’abord le repérage d’une situation problématique (ici l’enseignement – apprentissage du volley-ball pour que les élèves s’engagent dans l’étude et réalisent des apprentissages) puis, pour entraîner une logique processuelle de changement (Bedin, 2013), il est nécessaire d’accompagner l’enseignante dans la réalisation de ce projet de transformation (Bedin, 2013, p. 15) sans pour autant se substituer à elle. Les chercheures ne se positionnent pas en juge du travail professoral, elles analysent (sans s’exprimer en termes d’erreurs, de manques ou de corrections) et « se mettent à l’écoute de la complexité du faire (Sensevy, 2012, p. 365). Si les chercheures déconstruisent « la position de surplomb », elles ne s’effacent pas pour autant. Selon cet auteur, « (…) il apparaît que le chercheur didacticien dispose d’un langage spécifique permettant de dire autre chose des gestes enseignants, de dresser des connexions entre certains d’entre eux, de faire affleurer une autre partie de leur sens. » (Sensevy, 2012, p. 364).

34Ainsi, à partir d’une analyse compréhensive des pratiques didactiques, nous cherchons à identifier de possibles leviers de changement (dans le sens de transformations des pratiques des enseignantes mais aussi à plus long terme des élèves) dans le processus d’enseignement - apprentissage du volley-ball dans le 1^er degré. La mobilisation des outils didactiques lors de la phase de co-analyse par la chercheure et l’enseignante participe à la construction d’une pratique réflexive des enseignantes confrontées à l’enseignement du volley-ball. Par ailleurs, elle permet de repérer les effets de leur épistémologie pratique sur la mise en œuvre du module-VB.

35Dans le cadre de cet article, nous formulons deux questions de recherche.

36Quels sont les milieux proposés par l’enseignante pour créer les conditions de l’engagement dans l’étude de tous ses élèves ?

37En quoi la recherche collaborative révèle-t-elle des conditions favorisantes pour la transformation des pratiques didactiques des enseignantes ?

38Les objectifs de notre recherche nous ont conduites à nous situer dans une posture épistémologique ancrée dans une double perspective heuristique et praxéologique. Nous exposons maintenant la méthodologie retenue pour ce faire.

4. Une méthodologie didactique ancrée dans une démarche collaborative

39Cette recherche s’inscrit dans la tradition des recherches didactiques visant, grâce aux collaborations entre enseignantes et chercheures et grâce aux co-analyses des pratiques observées, à conduire et accompagner le changement (Marsenach, 1994 ; Brau-Antony, 2009 ; Sensevy, 2009 ; Borges & al., 2017 ; Verscheure, 2020).

40Voici le corpus des données recueillies dans le cadre de la collaboration de recherche :

• La séquence de formation autour d’un « module d’apprentissage en EPS pour l’activité volley-ball pour une séquence d’au moins 10 séances » sur support papier mais aussi accessible sur un padlet ;

• L’observation de l’activité des enseignantes lors de la journée de formation (cahier ethnographique) ;

• Des entretiens avec les enseignantes avant la mise en œuvre du module-VB (enregistrements et cahier ethnographique) ;

• Des entretiens avec les élèves pour connaître leurs représentations initiales des activités sportives, et leur éventuelle pratique extra-scolaire (enregistrements) ; ainsi que des entretiens « au vol » en cours de séance ;

• Des observations de plusieurs séances de la séquence d’apprentissage (enregistrements audio et vidéo) :

  • Les séances où les élèves étaient en activité du point de vue moteur

  • Les séances d’analyse vidéo en classe : certaines enseignantes ont choisi d’ajouter des séances vidéo où les élèves devaient analyser leur propre pratique et commenter les prestations (enregistrements audio et vidéo), nous y revenons dans la partie résultats ;

• Des débriefings immédiatement après la séance (prise de note ultérieure par la chercheure ou enregistrements audio) et/ou entretiens avec l’enseignante menés avant et après les séances et un long entretien après la séquence, intitulé dans la suite de l’article « entretien post-séquence » (enregistrement audio).

41Afin d’accéder aux contenus des milieux proposés par l’enseignante, nous avons mené une analyse méso didactique des séances (Le Hebel, Montpied, Tiberghien & Fontanieu, 2017). Ce temps méso didactique est un grain d’analyse pertinent pour reconstruire l’avancée des savoirs dans le temps didactique, sur la base des constats établis pour chaque séance à partir d’un « synopsis condensé » (Debars, 2020, p. 135). L’analyse méso didactique des thèmes d’étude, ainsi que l’analyse micro des régulations didactiques opérées par l’enseignante in situ permettent de pointer des éléments intéressants concernant les « milieux pour l’étude » (Johsua & Felix, 2002) proposés par l’enseignante pour engendrer des apprentissages. Nous avons en outre analysé les prestations motrices des élèves pour en appréhender l’évolution.

42Ainsi, le traitement des données consiste en une analyse ascendante de la transposition didactique (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2005) en croisant les données d’observation et les données d’entretien :

• Le repérage des thèmes d’étude de chaque séance proposée par les enseignantes ;

• L’identification des milieux didactiques mis en place par les enseignantes ;

• L’analyse de la direction d’étude du professeur in situ et de ses effets sur l’évolution du milieu didactique ;

• L’analyse de l’engagement dans l’étude des élèves dans les milieux didactiques.

43En outre, afin d’identifier les éventuels effets de la collaboration de recherche sur la mise en place originale du module-VB (choix des contenus, agencements des milieux didactiques, direction d’étude) par les enseignantes, nous avons réalisé une analyse de contenu des moments de débriefings et des entretiens, sous l’angle des éventuels effets de la conduite et de l’accompagnement au changement.

44Afin d’illustrer les possibles transformations des pratiques didactiques des enseignantes en lien avec la collaboration de recherche, nous faisons le choix dans cet article de ne nous appuyer que sur le corpus de données concernant la direction d’étude d’une enseignante (Carine) et l’engagement dans l’étude des élèves de sa classe de CP.

5. Résultats : des pratiques didactiques sous l’effet de la participation à la recherche collaborative

45Il s’agit donc ici de rendre compte de l’analyse que nous avons menée sur les pratiques didactiques de cette enseignante à différentes étapes : structuration de la séquence, construction des milieux, accompagnement de l’étude des élèves, et d’expliciter en quoi celles-ci sont marquées du sceau et des effets de son engagement dans le processus de recherche collaborative.

5.1. Présentation des participantes à la recherche collaborative

46Cet article s’appuie sur la mise en œuvre du module-VB adapté au CP par Carine, enseignante très réceptive à la collaboration, très engagée de longue date dans le processus. Elle a une pratique sportive extérieure individuelle, mais n’a jamais pratiqué le volley-ball en club. La chercheure plus particulièrement concernée par cette collaboration de recherche est spécialiste de l’activité volley-ball à la fois en tant que pratiquante de niveau national et en tant qu’entraîneure. Enseignante et chercheure ont déjà collaboré lors d’une précédente recherche autour de l’EPS et des questions de genre EÇACHANGE [Ecole primaire - Cycles des Apprentissages– conduite du CHANgement- positionnement de Genre] (Verscheure, 2020) et sont donc engagées dans une recherche collaborative sur le long terme (depuis 2015). Ceci explique selon nous le choix de l’enseignante d’« oser proposer cette APSA à ses élèves, alors qu’elle ne l’avait jamais enseignée avant » (entretien ante). Selon elle, « le fait d’être accompagnée dans ma pratique de classe en EPS, de réfléchir aux séquences, et de ne pas me retrouver seule face à Internet, me permet de m’initier à l’enseignement de nouvelles activités sportives, de progresser sur la durée et de changer ma façon de voir l’EPS à l’école élémentaire, il faut oser ! » (Verscheure & Barale, 2020a, p. 180).

47La classe de CP est constituée de 8 filles et 16 garçons. Tous les élèves découvrent pour la première fois cette activité. Selon l’enseignante, il s’agit d’une classe « dynamique », assez « attentive » qui est « très volontaire, surtout en EPS » (entretien ante). Le croisement de nos observations, des verbatim et débriefings des séances permet d’affirmer que les résultats ci-après concernent la très grande majorité des élèves de la classe puisque seuls 3 élèves (2 garçons et une fille) ne sont rentrés que sporadiquement dans le contrat didactique au cours de la séquence.

5.2. Construction de la séquence : entre référence à la formation et appropriation individuelle

5.2.1. Principes et appuis pour la co-construction de la séquence

48Pour rappel, l’enseignante a participé à la journée de formation organisée par les chercheures (cf. section 2.4). A partir du module-VB, l’enseignante a demandé à la chercheure de l’aider à adapter la séquence. Ce choix s’explique notamment par le fait que le module-VB était plutôt proposé pour des élèves de cycle 3 ; et que l’enseignante « ne se sentait pas de la transformer seule comme il faut » (entretien ante). Pour co-construire cette séquence, enseignante et chercheure ont donc adapté la proposition initiale au regard des capacités physiques des élèves de CP. A cet âge-là, les enfants maîtrisent les habiletés de base comme courir, lancer, attraper et sauter. Leur équilibre s’améliore au fur et à mesure de l’année, de même que l’acquisition de compétences plus difficiles : lancer plus loin, prendre des décisions (Pontais, 2015). Une vigilance accrue a été exercée pour permettre aux élèves de « S’engager dans un affrontement individuel ou collectif en respectant les règles du jeu » (MEN, 2016), en appui avec les attendus de fin de cycle 2 (MEN, 2016). Nous souhaitions que les élèves soient capables de faire des choix d’actions individuelles ou collectives efficaces pour obtenir le gain d’une rencontre. Nous avons été aussi vigilantes sur le fait que les élèves puissent contrôler leur engagement moteur et affectif pour réussir des actions simples ; qu’ils comprennent le but du jeu et qu’ils soient en capacité de reconnaître qui étaient son partenaire et son adversaire.

49Du point de vue organisationnel, l’enseignante a fait le nécessaire pour que les élèves puissent jouer avec des ballons adaptés à leur âge et capacités. Ainsi, et cela n’est pas anecdotique, les conditions matérielles étaient optimales : une grande quantité de ballons adaptés et la possibilité de mettre en place plusieurs terrains rapidement sur le plateau qui jouxte l’école. Tous ces éléments ont largement favorisé le temps d’engagement moteur des élèves. Les observations montrent que la qualité du matériel peut être considéré comme un « partenaire du milieu » très important pour l’engagement et la réussite des élèves.

5.2.2. Les séances de la séquence-CP au prisme de la collaboration de recherche

50Dans cette partie nous développons les éléments concernant la séquence réalisée en CP (intitulée dans la suite de l’article séquence-CP) qui a finalement été constituée de 14 séances d’EPS :

• 9 séances de 1h30 (soit 810 minutes) ont été menées sur le plateau de l’école. Les terrains étaient de part et d’autre d’un filet tendu entre les deux cages d’un terrain de handball ;

• 5 séances de 45 minutes (soit 225 minutes) ont été conduites sous le préau et étaient considérées comme des « séances techniques ».

51De plus, comme nous l’avons précisé dans la partie méthodologie, Carine a fait le choix d’ajouter en classe deux séances d’analyse vidéo de l’activité « volleyballistique » des élèves (notées SV1 et SV2 dans la suite du texte), pour compléter les séances « motrices ». Ces séances vidéo n’étaient pas notées dans le module-VB ni prévues lors de la construction de la séquence-CP. L’enseignante les a ajoutées au regard de la collaboration de recherche précédente dans l’APSA danse (Verscheure & Barale, 2020b) durant laquelle elle avait remarqué que le fait de montrer leurs propres prestations dansées aux élèves avait eu des effets positifs sur leur pratique motrice ultérieure. « Le fait de confronter les élèves à leur pratique, les obliger à s’observer et à commenter avec bienveillance ce qu’ils voient à la vidéo va les aider » (debriefing post S4). Ces séances vidéo avaient pour visée de pointer du doigt aux élèves les comportements pertinents attendus. L’observation montre que les élèves sont attentifs et investis dans la tâche. L’enseignante régule les réponses des élèves, en faisant des pauses sur la vidéo « Pourquoi tel élève réussit ? », ou « Qu’est-ce qu’elle a bien fait ? ». Les régulations ne sont pas que de nature technique mais permettent aussi aux élèves de réfléchir sur les déplacements « Est-ce qu’elle a bougé ? » ou « Quand on n’a pas le ballon, est-ce qu’on doit rester les mains dans les poches ? » (verbatim séance vidéo milieu de séquence).

52Nous évoquons ci-après les éléments, du point de vue chronologique des séances, qui nous semblent découler de la collaboration entre l’enseignante et la chercheure. Ceux-ci sont en partie repérables dans les extraits de débriefing qui suivaient les séances et que nous présentons au fil des résultats. Nous souhaitons préciser en amont de la description des séances que l’enseignante organise toujours un échauffement articulaire et musculaire et garde du temps pour proposer un temps de retour au calme accompagné d’un bilan sur les savoirs de la séance.

53Dès le début de la séquence, les élèves doivent comprendre qu’il y a un but du jeu en volley-ball (attaquer le terrain adverse tout en défendant simultanément son terrain) et que l’objectif d’un match est de gagner (exemple : l’enseignante questionne les élèves sur « Quel est le but du jeu [du volley-ball] ? » (…) « Pour marquer des points dans le camp adverse. Comment faire ? » (…) (verbatim S1). De plus, les élèves doivent réfléchir à ce qu’ils font. L’enseignante les sollicite constamment sur ce qu’ils ont fait et les raisons qui les ont poussés à agir de telle ou telle manière. Elle leur demande de « réfléchir à comment on doit se lancer le ballon pour soi-même ? », ou « comment faire pour le lancer haut ? » ou « réfléchir à comment on fait pour le rattraper ? » (verbatim S1). A la fin de la séance, elle leur demande « Alors, on a appris quoi aujourd’hui ? ». Lors du débriefing avec la chercheure, elle dit que « ce moment de verbalisation par les élèves, de bilan, est vraiment important pour voir s’ils ont compris ce qu’ils ont fait » (débriefing post S1).

54Les élèves devaient « faire des passes au-dessus de leur tête le plus possible » (verbatim S2) de manière individuelle. Pour que les élèves identifient ce qu’il y a à faire, l’enseignante décide d’appeler cet exercice la « patate chaude ». Ce terme sera utilisé tout au long de la séquence par l’enseignante - et du coup par les élèves. Il s’agit d’un travail de lancer pour soi-même afin de faire des passes à 2 mains vers le haut. Avec ce terme elle cherche à imager le fait que le ballon doit rester « peu de temps en contact avec les mains » (verbatim S2).

55Après le long moment de travail de la « patate chaude », l’enseignante a proposé aux élèves un exercice de « 1 avec 1 sans filet » où ils pouvaient « bloquer la balle avant de la renvoyer » (verbatim S2). Lors du débriefing avec la chercheure à la fin de la S2, l’enseignante précise que dorénavant elle va mettre systématiquement un filet entre deux partenaires « même en 1 avec 1 » (débriefing post S2). Elle dit « le face-à-face sans filet est peu efficace pour ce que je veux voir apparaître chez eux » (débriefing post S2). [Notons que l’observation des actions des élèves lors des séances suivantes va confirmer que cette évolution de la mésogenèse est judicieuse pour les apprentissages visés]. Elle ajoute que « la balle bloquée c’est vraiment utile (...) pour que les élèves aient un peu de temps » (débriefing post S2). Elle dit « avant [la collaboration] je pense que j’aurais dit « jouez plus haut », mais je me rends compte que ça ne veut pas dire grande chose pour eux. En revanche, avec un filet, de fait ils ont été obligés de lever le ballon pour qu’il passe au-dessus du filet. C’est un bon repère » (entretien post-séquence).

56Cette troisième séance reprend à l’identique les situations proposées en S2 (« patate chaude » individuelle, et « 1 avec 1 ») ; l’enseignante insiste sur les placements et déplacements des élèves. Elle régule leur position pour lancer/ réceptionner le ballon avec des questions telles que « Où on doit être ? » (…) « Où on peut aller ? » (…) « Dans quelle position sont mes pieds pour être prêt à jouer ? » (verbatim S3). Ceci semble lié aux observations de l’activité de ses élèves qui sont un peu « statiques » ainsi qu’aux échanges entre chercheure et enseignante concernant le fait que les élèves ont toujours quelque chose à faire même s’ils ne jouent pas le ballon et qu’ils devraient « ne pas être attentistes » (débriefing post S3). A la fin de la S3, l’enseignante a choisi de rajouter une séance supplémentaire par semaine qu’elle a fait le choix d’appeler « séance technique » (débriefing post S3). Il y aura 5 séances « techniques » supplémentaires (intitulées SXbis dans la suite du texte), qui sont, selon nous, un effet de la collaboration de recherche. Nous y reviendrons.

57Ces séances « ajoutées » se déroulaient sous le préau. L’enseignante a décidé de les proposer en ce lieu, car selon elle « le plafond du préau servait de repère pour envoyer le ballon haut » (entretien post-séquence). Cet aménagement pertinent du milieu est du fait de l’enseignante, mais semble lié aux débriefings qui ont porté sur les repères « concrets » à donner aux élèves. Les séances « ajoutées » étaient ainsi consacrées au travail de technique individuelle, à partir de l’exercice de « patate chaude ». Au cours de celles-ci, l’enseignante a proposé des régulations autour du fait que : « le ballon doit toucher le plafond du préau » (verbatim des séances techniques). Ce repère, composante du milieu, s’est avéré être un critère important pour comprendre la nécessité d’envoyer le ballon « vers le haut ». De plus, l’ajout de ces 5 séances « techniques » a permis d’augmenter non seulement le temps d’engagement moteur (225’ en plus des 810’ initialement prévues) mais aussi la qualité de précision du self lancer (les observations vidéos montrent une amélioration quantitativement significative avec un ratio de 2/10 en S1 à 8/10 en moyenne en S9, mais ce n’est pas l’objet de cet article) qui conditionne la qualité de la passe à 2 mains, essentielle pour les apprentissages ultérieurs.

58Ces séances se déroulent de manière identique : le premier temps consiste en un travail individuel « patate chaude » ; avec parfois quelques consignes techniques (par exemple, « mettre les mains en triangle au-dessus de sa tête » - verbatim S4) puis du « 1 contre 1 avec filet balle bloquée ». A la fin de la S5, l’enseignante évoque avec la chercheure le fait qu’il serait « possible de proposer le 2 contre 2 balle bloquée lors de la prochaine séance ». Elle anticipe les consignes qu’elle devra leur apporter concernant le « déplacement loin qui n’est pas le même que le déplacement proche » (débriefing post-S5). Elle confirme l’intérêt pour les élèves de pouvoir bloquer la balle à la première touche. Elle nous dit : « ça leur permet [aux élèves] vraiment d’avoir plus de temps… pour bouger… pour regarder… sans ça, je pense que ça marcherait pas aussi bien ! » (débriefing post-S5).

59Entre la séance technique S5bis et la séance 6, elle propose aux élèves une séance (intitulée SV1 dans la frise) de travail en classe autour de l’observation de leur propre pratique à partir de « moments sélectionnés intéressants » (verbatim séance vidéo). La consigne initiale est la suivante : « on va se regarder, car quand vous jouez vous ne vous voyez pas faire… » (verbatim séance vidéo). L’enseignante présente des extraits vidéo variés, mettant en scène des élèves différents. Elle pointe certains éléments en faisant réfléchir les élèves sur ce qu’ils voient et les questionne : « Est-ce que vous n’avez pas lâché le ballon des yeux » ? ou « Est-ce que vous vous êtes bien déplacés » (verbatim séance vidéo). Elle n’utilise jamais le « tu » afin de bien « faire comprendre aux élèves qu’ils sont observés mais que cela concerne aussi les autres » (entretien post-séquence). Pendant cette séance vidéo, les élèves sont attentifs, bienveillants dans leurs commentaires et sont réellement à l’étude. Par exemple, à la question « Qu’est-ce qu’il y a eu de fait pour réussir », un élève répond « elle a attrapé le ballon au bon endroit’«  (verbatim séance vidéo). Lors de l’entretien post-séquence, l’enseignante est enthousiaste sur les effets ressentis de cette séance vidéo « je trouve que cela les a vraiment aidés à comprendre (...) à partir de ce qu’ils voyaient (…) ils peuvent s’appuyer sur ce qu’ils voient et pas sur ce qu’ils croient faire » (entretien post-séquence).

60A ce stade de la séquence, l’enseignante insiste régulièrement sur le travail du placement /déplacement. Elle régule l’activité des élèves en les faisant réfléchir sur « Comment se déplacer pour aller loin (...) ou si je suis proche ? » (verbatim S6) ou par exemple « Que faire (…) selon que je dois agir sur le ballon ; ou si c’est mon partenaire qui joue le ballon » (verbatim S6). La première moitié de chaque séance concerne le travail individuel de la « patate chaude », puis elle propose aux élèves du « 1 contre 1 ». Lors de la deuxième moitié de chaque séance, les élèves jouent en « 2 contre 2 – balle bloquée ». Au fur et à mesure des séances, elle régule les actions individuelles et collectives des élèves. Par exemple « Comment viser pour gagner contre ses adversaires ? » ou « Comment coopérer avec ses partenaires ? » (verbatim S6). A partir de la séance 7, elle met l’accent sur « l’importance de s’appliquer » (verbatim S7). Elle indique aux élèves que « c’est important de faire des choses de qualité plutôt que d’en faire beaucoup, mal le plus souvent » (verbatim S7). Ce désir d’impliquer davantage les élèves est, nous semble-t-il, un effet du débriefing lors de la S6 qui portait sur l’engagement dans l’étude de certains élèves qui valorisaient le « vite fait mal fait » plutôt que « je m’applique pour faire mieux à chaque fois » (débriefing S6). Tout au long de ces séances, elle continue aussi de faire réfléchir les élèves sur leurs déplacements. Elle évoque le fait « de faire attention à son déplacement, faire des petits pas, pour être sous le ballon au bon moment (...) et pas courir après le ballon en étant en retard » (verbatim S7).

61Lors de la séance 8, l’enseignante intègre la notion de « rapport de force » (qui avait été évoquée lors du module de formation). Elle précise aux élèves qu’il ne faut « pas envoyer le ballon sur son adversaire… il faut l’obliger à bouger et aussi, bouger soi-même » (verbatim S8). L’observation montre, d’une part, que les élèves prennent au sérieux le fait d’essayer d’envoyer le ballon là où les adversaires ne sont pas, pour marquer des points et, d’autre part, que certains élèves « en défense » n’arrêtent pas de se déplacer sur leur terrain pour empêcher leurs adversaires de repérer des zones libres où envoyer le ballon. Comme le confirme Shana « nous, on bougeait partout, comme ça, c’était trop dur de voir pour les autres ! (avec un grand sourire) » (verbatim entretien « au vol » S8).

62Avant la séance suivante S9, l’enseignante fait le choix de proposer à nouveau une séance de travail en classe autour de l’observation de leur propre pratique (intitulée SV2 dans la frise). Là encore, les élèves sont à l’étude et participent aux échanges, en décrivant l’activité des élèves identifiés sur la vidéo. La deuxième partie de cette séance vidéo en classe est consacrée à l’observation d’entrainement de joueurs et joueuses professionnelles de volley-ball. Selon l’enseignante, en accord avec la chercheure, le visionnage de ces extraits permet aux élèves de se rendre compte, par l’observation de la pratique sociale de référence, de « ce qu’il y a à faire pour réussir de manière individuelle mais aussi collective en volley-ball (…) tout en étant lucide sur leurs réalisations au regard de leurs capacités » (entretien post-séquence).

63Les élèves ont ici surtout joué en « 2 contre 2, toujours avec la possibilité de « bloquer la balle ». Les régulations de l’enseignante portaient sur l’importance de « se déplacer et coopérer entre partenaires ; ne pas envoyer le ballon sur ses adversaires pour gagner » (verbatim S9). L’observation montre que la grande majorité des élèves a compris que le but du jeu était d’essayer de marquer des points face aux adversaires, que ceux-ci n’étaient pas des partenaires.

64L’ensemble de la classe était motivé et investi, quelles que soient les situations proposées. Nos résultats pointent que cet engagement pertinent dans l’étude est lié aux milieux didactiques mis en place par l’enseignante ainsi qu’aux régulations apportées au fur et à mesure in situ, et que cela n’est pas sans lien avec des effets de la recherche collaborative ; comme nous le présentons ci-après.

5.3. Des milieux didactiques proposés par l’enseignante pour permettre l’engagement dans l’étude des élèves et la construction de pouvoir d’agir

65Les analyses comparatives à différents moments de la séquence montrent que des apprentissages moteurs significatifs sont effectivement réalisés par la majorité des élèves. Nous ne décrivons pas les actions de chaque élève, mais précisons ci-après les évolutions des conduites motrices de la majorité des élèves de cette classe. Lesquelles nous apparaissent liées aux milieux proposés par l’enseignante mais aussi à la qualité de leur engagement.

66Concernant leur mobilité et leurs déplacements, la grande majorité des élèves est passée d’une attitude passive (pas d’action vers le ballon) à une attitude pré-active (sur la « pointe des pieds, genoux fléchis, prêt à jaillir », comme nous le dit Mathieu en entretien), c’est-à-dire prêts à jouer le ballon. On note aussi le passage d’un déplacement aléatoire et lent, à un engagement vers le ballon et à des ajustements aux trajectoires des ballons reçus (ils font des petits pas pour se déplacer, alors qu’au début de la séquence, ils faisaient des grandes enjambées qui les empêchaient d’être sous le ballon au bon moment). Lors de la réception d’un ballon venant de chez l’adversaire, les élèves sont passés d’un rattrapé de ballon non maîtrisé (en réaction) à un rattrapé ajusté aux trajectoires du ballon dans un espace de plus en plus éloigné (du fait d’un placement ajusté sous le ballon, et non plus en ayant les mains trop en avant du corps, ce qui crée des déséquilibres). Pour envoyer le ballon chez l’adversaire (le choix n’a pas été fait de construire la technique complexe du service à la cuillère, il s’agit donc d’un lancer en passe haute à 2 mains), les élèves sont passés d’un lancer à 2 mains en passe haute aléatoire à un lancer maitrisé, orienté dans une direction précise, qui franchit le filet. Ceci est lié, nous semble-t-il, au fait que cette enseignante à fait le choix de donner « des devoirs » sur la « patate chaude » aux élèves, en les faisant noter sur le cahier de texte.

67Enfin, en nous appuyant sur l’observation des regards des élèves avant l’action de jeu, et sur les « entretiens au vol » à propos de ce qu’ils venaient de faire nous avons pu remarquer une évolution en termes d’intention puisque la majorité est passée d’un renvoi indifférencié à un renvoi adapté en fonction du destinataire (reprenant la consigne évoquée plusieurs fois par l’enseignante : « faire des passes hautes pour mon partenaire, (…) des passes dirigées vers l’espace libre chez mes adversaires »). Ainsi, nous pouvons dire qu’il y a eu un engagement qualitatif dans l’étude et des apprentissages moteurs réalisés par la majorité des élèves au cours de la séquence.

68Cette évolution nous parait en lien avec les potentialités offertes par les milieux proposés par l’enseignante qui évoluent au fur et à mesure de la séquence en lien, nous semble-t-il, avec le contexte de la recherche collaborative. En effet, du point de vue de l’organisation de la classe, c’est l’enseignante qui constitue les binômes, qui sont le plus souvent mixtes (il y a plus de garçons que de filles dans cette classe). Elle fait le choix d’alterner les organisations : soit elle constitue des équipes homogènes en leur sein, soit des équipes hétérogènes. De même, elle organise des matchs entre équipes de niveau hétérogène ou entre équipes de niveau homogène car « cela ne fait pas travailler les mêmes choses » (entretien post-séquence). Ces choix assumés, en lien avec son intentionnalité didactique, se retrouvent aussi dans l’alternance de séances de travail des habilités techniques spécifiques et de séances d’étude du rapport de force, avec la proposition systématique de situations d’opposition à chaque séance, ce qui révèle de sa part une analyse didactique pertinente de la logique de l’APSA, sans doute construite à travers la formation et la collaboration.

69Compte-tenu du public de CP, l’enseignante a adapté un certain nombre de règles, toujours dans l’objectif de « faciliter les apprentissages ». Les élèves avaient le droit de bloquer la balle (« on pouvait arrêter un petit peu la balle mais la redonner vite parce qu’elle était chaude » nous a par exemple expliqué Sidonie), ce qui a permis de « donner du temps pour s’organiser » (précision apportée par l’enseignante à partir de S5). En début de séquence, les oppositions étaient des « 1 contre 1 » ; puis ont rapidement évolué vers des « 2 contre 2 » ; ces deux contextes limitent les incertitudes, complexes à gérer pour cette catégorie d’âge. De même, il n’y a pas de service à la cuillère, mais un engagement avec intention par un ballon lancé en passe à 2 mains. Enfin, la coopération était organisée du fait des contraintes du milieu, car le renvoi direct n’était pas toujours autorisé. L’enseignante, en effet, évoque en entretien post que « même si le renvoi direct peut être utile et efficace, je veux qu’ils essaient autrement aussi. Sinon c’est souvent sans intention » (entretien post-séquence).

70Au fur et à mesure de la séquence, l’enseignante a eu une vigilance accrue à l’égard des savoirs introduits dans le milieu pour qu’ils permettent l’acquisition, d’un « geste juste » en travaillant sur l’efficacité des gestes et des choix effectués par les élèves plutôt que sur la technique pour elle-même. Ainsi, les milieux didactiques proposaient une plurivalence des tâches (Verscheure, 2017) qui permettaient à tous les élèves, quels que soient leurs niveaux d’habileté, de jouer ensemble et de marquer un point, sans privilégier une seule technique de frappe (par exemple le smash, rarement efficace en élémentaire, et encore moins au CP). Ainsi, l’enseignante a beaucoup insisté sur le fait que la frappe à une main n’était « pas efficace pour le moment et qu’il valait mieux regarder dans le terrain adverse, voir où étaient les adversaires et l’envoyer à deux mains dans le trou, plutôt que de frapper » (verbatim S8).

71Nous avons ainsi repéré, en lien avec la gestion in situ de l’interaction des élèves aux milieux, une évolution de la mésogenèse au cours de la séquence, qui s’avère pertinente pour permettre aux élèves de construire des nouveaux pouvoirs d’agir.

5.4. Une direction d’étude in situ révélatrice d’un sens didactique professoral aiguisé

72L’analyse des savoirs mis à l’étude dans les milieux proposés par l’enseignante, et de ses régulations autour des prestations motrices des élèves pointe qu’il ne suffit pas de mettre en place un milieu didactique, offrant des potentialités de transformations mais qu’il doit y avoir aussi un accompagnement à l’étude par l’intermédiaire de régulations spécifiques, en lien avec l’intention didactique de l’enseignante. C’est-à-dire, proposer une direction d’étude vigilante, adaptative in situ, telle que nous le présentons ci-après. Pour rappel, la direction d’étude concerne à la fois l’agencement de milieux didactiques adaptés aux visées d’apprentissage et simultanément, la gestion de l’interaction des élèves à ces milieux.

73Les observations et l’analyse des débriefings montrent que l’enseignante, dont l’épistémologie pratique est « renouvelée », anticipe les points sur lesquels elle devra porter attention pour que les élèves puissent trouver des opportunités de se transformer, et ce dès l’élaboration du milieu didactique. Par exemple, sur sa feuille de planification les principes de « position des mains hautes et des jambes fléchies pour être prêt à se déplacer » sont notés ; ou encore « la position des mains, les genoux fléchis et le regard » sont notés (en guise de rappel de la séance précédente). Les points particuliers travaillés pendant chaque séance sont identifiés dans la partie « bilan de séance ». L’enseignante prend en effet le temps de faire des bilans avec les élèves après chaque séance, soit « à chaud » sur le terrain ; soit en classe. Elle estime que « c’est 80 % de l’apprentissage » (entretien post-séquence).

74Même si la séquence a été co-construite avec la chercheure, c’est l’enseignante qui a mis en place des milieux didactiques dans lesquels les élèves trouvent des éléments dont ils tirent profit. Dans les séances, s’observe ainsi le plus souvent une phase de dévolution de la responsabilité du savoir aux élèves. Elle leur laisse beaucoup de temps pour expérimenter les situations d’apprentissage. Les élèves peuvent - et doivent - donc chercher, essayer, se tromper. Mais l’enseignante accompagne aussi l’étude des élèves, en les questionnant et en régulant leur activité au regard de considérations liées aux savoirs en jeu. Par exemple suite à la défense d’un élève qui a empêché que l’autre équipe ne marque le point (« Comment tu as fait pour éviter que le ballon ne touche le sol ? ») ou lorsqu’une élève a réussi à viser l’espace entre les deux adversaires qui, ne se parlant pas, ont laissé tomber le ballon (« qu’est-ce qui était difficile dans ce que tu viens de faire ? »). Elle se réfère par ailleurs très souvent aux principes identifiés sur ses fiches de préparation et dont elle a discuté avec la chercheure lors des débriefings.

75Cette enseignante est soucieuse de maintenir son intention didactique et de proposer des contenus pertinents lors de cette séquence. Les observations montrent que ne pas y déroger tout au long de l’avancée du temps didactique s’avère nécessaire, mais reste complexe. Lors des régulations et des échanges in situ, émerge la nécessité de laisser aux élèves, la possibilité de faire de leur propre mouvement, l’expérience de différentes techniques, ce qui suppose de penser les contraintes du milieu didactique en lien avec l’apprentissage visé. Cependant, lorsque l’étude des élèves n’est pas en lien avec son intention didactique (par exemple, des élèves adversaires qui se font des passes par-dessus le filet au lieu d’avoir l’intention de marquer), l’enseignante s’autorise à reprendre la responsabilité du savoir en faisant évoluer le milieu didactique, en contraignant l’activité des élèves (par exemple, en ajoutant un plot pour circonscrire une zone ou en changeant un élève d’équipe pour rétablir le rapport de force).

76Lors de l’entretien post-séquence, l’enseignante reconnaît aussi avoir, grâce à ce travail en EPS et aux débriefings, une prise de recul nécessaire lui permettant d’observer et réfléchir à sa pratique en cours d’action, dans les activités scolaires quotidiennes et de réguler l’activité des élèves de façon pertinente. Plus spécifiquement en EPS et en volley-ball, l’enseignante a développé une connaissance fine de la logique interne de l’activité enseignée, ce qui s’avère une nécessité pour construire un enseignement dense en savoirs.

5.5. Des conditions favorisantes permises par la recherche collaborative

77Démêler, dans le partage des savoirs, ce qui est la responsabilité de l’enseignante et celle de la chercheure est complexe. Cependant, nous avons identifié des effets positifs associés aux différentes étapes de la recherche collaborative (Desgagné, 1997 ; Desgagné & Bednarz, 2005 ; Goigoux, 2017 ; Marcel, 2019).

78Ainsi, Carine a transformé les manières dont elle intervient lorsque les élèves sont engagés dans les situations d’apprentissage ; elle réussit notamment, dans l’interaction, à garder vifs les différents registres de savoirs visés par la séquence. Nous avons par ailleurs repéré, outre la pertinence des milieux didactiques choisis et les régulations spécifiques des traits saillants de l’activité motrice et réflexive des élèves, des conditions favorisantes pour l’évolution des pratiques didactiques de l’enseignante et des élèves permises par la recherche collaborative :

• La participation à une journée de formation qui allie réflexion didactique sur l’activité volley-ball et expérimentation pratique des situations d’apprentissage : cela participe à l’accompagnement de la construction d’une posture de praticien réflexif (Schön, 1994). D’ailleurs, l’enseignante évoque le fait que d’avoir « testé par soi-même [les situations], après avoir vu les principes (…) a été un déclic » (entretien post-séquence).

• La nécessité de ne proposer que des séquences longues (entre 12 et 15 séances de 1h30), afin de rendre réellement possible une transformation des pouvoirs d’agir chez les élèves. Comme l’enseignante le dit en entretien, « il ne faut pas proposer un « saupoudrage » [des savoirs] mais prendre le temps de les travailler en profondeur » (entretien post-séquence).

• La proposition de séances vidéos en tant que milieux didactiques dans lesquels les élèves vont trouver des ressources pour comprendre et se transformer : l’enseignante laisse les élèves observer les prestations motrices et verbaliser autour de ce qu’ils voient. Elle interrompt parfois le déroulement de la bande vidéo afin de faire un « arrêt sur image ». La description de leurs conduites motrices a permis de faire émerger des comportements adéquats ou au contraire contre-productifs pour l’apprentissage. Lors du visionnage de ces vidéos, les élèves commentent ce qu’ils voient à l’écran. Par exemple Sidonie dit que « [l’autre équipe] ils bougent beaucoup sur le terrain (…) parfois nous on bouge pas trop ». Axel évoque le fait qu’« ils font plus passer le ballon au-dessus du filet » ; confirmé par Loan qui dit qu’« ils envoient le ballon bien haut » (verbatim séance vidéo 2).

• L’intérêt de débriefings, plus ou moins formels, réitérés après chaque séance : l’enseignante et la chercheure discutaient de la séance qui venait de se dérouler. Le plus souvent l’enseignante sollicitait la chercheure en lui donnant son ressenti sur ce qu’elle venait de voir, afin de le confronter au regard de la chercheure. Cette dernière n’est jamais intervenue directement sur les choix opérés par l’enseignante. Parfois l’enseignante sollicitait la chercheure sur un point précis - par exemple, « quels principes essentiels pour la passe haute » (S2) ou « que pensait la chercheure du fait de faire encore une séance en 1 contre 1 balle bloquée plutôt que de passer tout de suite en 2 contre 2 balle bloquée » en fin de S4 ; ou encore concernant « l’utilité de leur faire vivre la manchette » (S6). Dans ce cas, la chercheure répondait aux sollicitations et partageait ses connaissances. Finalement, selon les dires de l’enseignante, c’est la « présence » de la chercheure qui a permis son développement professionnel. En effet, selon l’enseignante, c’est « l’écoute attentive de la chercheure » qui a permis de se « rendre compte en disant tout haut ce qu’elle avait vu » (entretien post-séquence).

79De plus, nous soulignons les évolutions des pratiques didactiques de l’enseignante, conséquence - selon nous - de la participation de l’enseignante à la recherche collaborative :

• La mise en place de milieux didactiques enserrant des contenus récurrents : l’enseignante a modifié ses façons de faire usuelles et a fait le choix d’une répétition de travail autour de la « patate chaude ». Elle indique que c’est pour insister sur « l’importance du premier lancer » et pour maintenir la possibilité de « bloquer la balle » (entretien post-séquence). L’analyse des prestations motrices des élèves confirme que cette contrainte est essentielle si on veut permettre la construction du sens tactique chez les élèves de cet âge.

• La visée de développer la compréhension de ce qu’il faut faire avant de découvrir comment il faut le faire : l’analyse de l’activité des élèves et des régulations apportées par l’enseignante, montre une évolution dans ses choix didactiques (ajouts de séances techniques, insistance sur la réflexivité des élèves, ajout de séances d’observation de leur propre pratique...) au fur et à mesure de la recherche collaborative. Ainsi, les élèves doivent construire des connaissances procédurales et acquérir progressivement les techniques associées. L’enseignante n’a pas une « visée techniciste » de l’enseignement du volley-ball où les élèves n’auraient qu’à reproduire un geste décontextualisé, mais recherche plutôt une « éducation au geste juste » (Verscheure & Amans-Passaga, 2011). Ceci est probablement lié aux échanges lors des débriefings concernant le fait que « posséder un éventail de gestes techniques, c’est bien ; savoir quand les utiliser c’est mieux » (Verscheure & Amans-Passaga, 2014).

80Ces dernières remarques accréditent l’idée d’une co-construction du savoir.

81Cependant, toute collaboration suppose des dimensions de réciprocité et il parait judicieux d’aborder rapidement ce que la recherche collaborative a apporté aux chercheures et en quoi « elle ne les laisse pas indemnes » (Matteï-Mieusset, Emond & Boudreau, 2019, p. 87). Tout d’abord, cette recherche collaborative a permis d’affiner encore la connaissance du terrain et de l’enseignement de l’EPS dans le 1^er degré, ce qui donne une légitimité à notre travail de recherche. Ensuite, la participation à la recherche collaborative a permis aux chercheures de vérifier leurs convictions, en matière de traitement didactique de l’activité volley-ball et d’en tirer des conclusions pour son enseignement scolaire. Enfin, cette collaboration, de recherche a confirmé l’idée que les chercheures ne doivent pas être dans une posture surplombante, mais bien s’inscrire dans un « partenariat d’aventure » (Verscheure, 2020), condition nécessaire à une meilleure compréhension des pratiques didactiques des enseignantes et enseignants et des élèves.

6. Conclusions et perspectives

82L’inscription dans le temps long de la recherche collaborative permet le repérage d’une transformation des pratiques enseignantes, d’une incorporation de façons d’enseigner renouvelées, repensées qui ont un effet sur les apprentissages des élèves. Nous pensons, comme Goigoux (2017), que le temps long est également la condition de la production de savoirs et de leur diffusion sur ces deux objets d’étude que sont les apprentissages des élèves et le développement professionnel permis par la formation et la collaboration. Avoir inscrit la collaboration dans la durée a permis un renforcement du sens didactique professoral (Almqvist, & al., 2019) de cette enseignante. Ainsi la participation à cette recherche lui a permis de développer une lecture plus fine des actions des élèves au regard du savoir visé. Ce changement de pratique didactique conduit à créer les conditions pour favoriser l’étude de la grande majorité des élèves. En entretien, l’enseignante évoque « une prise de recul nécessaire » permise par la recherche collaborative. Cela lui permet de « ne plus réagir de façon ‘quasi-automatisée’ par rapport aux consignes données à tous les élèves », mais d’« anticiper » sur quels traits pertinents de l’activité des élèves elle ciblera son regard (entretien post-séquence). En outre, ce travail en « profondeur » a permis aux élèves de s’engager dans de réels apprentissages, définis comme « l’acquisition de pouvoirs moteurs nouveaux, articulant savoir-faire, savoir sur le faire et s’exprimant dans des habiletés motrices plus efficaces parce que plus rapides et plus stables » (Amade-Escot, 1989, p. 121). Les recherches antérieures en didactique montrent que toute pratique d’enseignement-apprentissage est fondée sur la transmission d’un savoir. Dans une acception large, un savoir est ce qui permet d’exercer une capacité, il est « une puissance d’agir » (Sensevy & Mercier, 2007, p. 188) qui s’exprime en situation. Selon Schubauer-Leoni & al. (2007), apprendre, c’est apprendre d’une expérience, mais c’est aussi développer une expérience. L’enseignante a sur créer in situ les conditions pour favoriser l’étude de tous les élèves (Verscheure, 2020), compte-tenu de sa participation à la recherche collaborative. La posture d’accompagnement de la chercheure envisageait un réel partage des savoirs (Ligozat, Charmillot & Muller, 2016) et celle de l’enseignante cherchait à « accéder à des savoirs et des connaissances construits dans l’action par le biais de son [leur] expérience et la transformation de son [leur] activité » (Mattei-Mieusset, Emond & Boudreau, 2019, p. 71). Les deux étaient cependant d’accord en amont de la collaboration sur la nécessité de s’autonomiser de la présence de la chercheure.

83D’autre part, nous pointons que les analyses effectuées conjointement ont participé au développement professionnel de l’enseignante (notamment du point de vue de la mise en place d’un milieu didactique et des régulations in situ favorisant l’étude des élèves). Dans une optique de réitération - dont le principe consiste à prendre appui sur les avancées et les zones d’ombre des expérimentations successives de séquences didactiques pour raffiner le processus et conduire des recherches en intelligibilité sur l’enseignement et l’apprentissage de savoirs disciplinaires (Sensevy, 2011) - l’analyse des données de recherche est du côté de la chercheure dans un premier temps mais ensuite, elle est reprise avec l’enseignante, avant d’envisager la traduction des énoncés scientifiques en énoncés accessibles « décrivant ce que sont capables de faire les entités sur lesquelles sont menées les expériences » (Akrich, Callon & Latour, 2006, p. 270). En effet, en lien avec cette réitération dans les analyses, nous pensons que la diffusion des résultats de recherche doit se faire à différentes échelles et, dans la mesure du possible, de manière conjointe.

84Plus globalement, les résultats de cette recherche collaborative font émerger une sorte d’hybridation de pratiques (Hamza & al., 2018) dans laquelle les rôles spécifiques de l’enseignante et de la chercheure s’estompent. Comme le précisent Almqvist et ses collègues (2019), c’est par leurs dialogues qu’enseignantes et chercheures apportent de nouvelles façons de comprendre les choix didactiques opérés in situ par les enseignantes et enseignants, dont l’efficience ne peut être liée qu’à un questionnement préalable lors des phases de planification. Il semble que la collaboration ne permet quelque chose d’autre que si l’œuvre est accomplie séparément (Sensevy, & al., 2013 ; Hamza & al., 2018 ; Le Brun & al., 2018 ; Hamza, 2019).

85Cette recherche collaborative se perpétue encore actuellement. Nous envisageons, dans la perspective de partage des savoirs, de poursuivre la co-construction d’une sorte d’inventaire partagé de « ce qui fait savoir » (Ligozat, Charmillot & Muller, 2016, p. 247) pour chacun des protagonistes, et peut-être de ce qui fait problème. La réflexion autour des pratiques didactiques nous a ainsi engagées à interroger aussi ce qu’il y aurait à partager en termes de préoccupations ; c’est-à-dire de valeurs, d’intentions, d’intérêts, mais aussi de malentendus. Au fil de cette recherche collaborative, ce partage des savoirs s’avère être de plus en plus assumé et fructueux au vu des transformations observées dans les pratiques didactiques des enseignantes, et semble participer, sous certaines conditions qui restent à approfondir, à des apprentissages plus denses et plus égalitaires.