1. Introduction

1La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la république (loi de n° 2013-595, du 8 juillet 2013) met en avant la nécessité de faire entrer l’école dans l’ère du numérique. Cette prérogative entraine de fait l’Éducation Physique et Sportive (ÉPS) à participer à cet objectif en intégrant dans la leçon d’ÉPS des outils numériques : l’utilisation de l’image, de tableaux, d’outils de traitement informatique des données, utiles aux apprentissages de l’ÉPS et donnant un sens concret aux Technologies pour l’Information et la Communication dans l’Enseignement (TICE).

2Le référentiel des compétences professionnelles (BO n° 30 du 25 juillet 2013) renvoie lui aussi à cette exigence (« tirer le meilleur parti des outils, des ressources et des usages numériques en particulier pour permettre l’individualisation des apprentissages et développer les apprentissages collaboratifs »).

3Par ailleurs, dans l’enquête PISA 2012, la France n’a pas participé au questionnaire facultatif sur les TICE alors que la même année quelques 99 % des élèves de 15 ans en France avaient au moins un ordinateur à la maison, et 96 % des élèves défavorisés – ceux dont le statut socio-économique se situe dans le quartile inférieur de la population – avaient accès à Internet à la maison (note OCDE, 2015). Les élèves de 15 ans affichent une performance supérieure à la moyenne de l’OCDE à l’évaluation PISA de la compréhension de l’écrit électronique (511 points de score). Ils sont aussi légèrement meilleurs que la moyenne pour évaluer, lorsqu’ils lisent en ligne, les liens pertinents à suivre. Quand ils cherchent une information sur le web, seuls 12 % des élèves naviguent de manière très peu ciblée ou pas du tout – contre 15 %, en moyenne, dans les pays OCDE (2014). Dès lors, il semble indispensable, à l’école, de permettre une appropriation de ces outils numériques, orientée vers l’acquisition de compétences scolaires. Ainsi, « le numérique fait son incursion dans le domaine de l’éducation, particulièrement à l’école, champ d’expériences où il suscite de nombreux débats à propos de son utilité et de ses incidences sur la formation subjective. Comprendre les effets du numérique sur la construction subjective et culturelle, individuelle et sociale de l’humain est devenu par conséquent un enjeu majeur, spécialement pour les professions et disciplines concernées par la formation des individus ». (Patiño-Lakatos, 2018, p. 47). Le rapport du Sujet au numérique dépend ainsi étroitement des caractéristiques des dispositifs matériels.

4Les recherches en didactique clinique articulent les dimensions didactique et clinique pour l’analyse des pratiques d’enseignement-apprentissage en ÉPS (Terrisse & Carnus, 2009 ; Carnus & Terrisse, 2013). Il s’agit d’interroger le Sujet engagé dans sa pratique professionnelle et sa quête inconsciente qui se manifeste à travers les failles qui affectent les pratiques (Barbier & Galatanu, 2000). En effet, certaines formes linguistiques permettent l’expression de la subjectivité du Sujet. La subjectivité est ici la capacité du locuteur à se poser comme Sujet. D’un point de vue méthodologique, l’analyste s’intéresse aux formes linguistiques relatives à la position du je (et sa polyphonie) dans le discours : les marques de distance, les modalisations. C’est à travers ces failles qu’émerge le Sujet. La pratique professionnelle ne saurait se réduire à des savoir-faire, elle est une superposition d’enjeux inconscients des sujets en interaction. Si le numérique et ses effets ont certainement un impact sur les pratiques enseignantes, il agit aussi sur l’imaginaire social qui va de « l’assujettissement à la libération » (Rinaudo, 2015, p. 1). Le postulat de la didactique clinique d’orientation psychanalytique est que l’inconscient est mis en scène dans toutes les relations professionnelles, à travers différents scénarios de classe, à l’insu du Sujet (Terrisse, 2009). Les interactions entre l’enseignant et ses élèves peuvent être définies comme des « rencontres intersubjectives entre des êtres humains (ici l’enseignant et les élèves) qui ne sont pas dans la même position » (Cifali, 2001, p. 121).

5La didactique clinique devient inspiratrice du cadre et parfois de la technique (Gadeau, 2004). Inspiratrice d’un cadre signifie une certaine conception du Sujet que la psychanalyse a théorisée : Freud (1925, 1987) a mis au jour l’hypothèse de l’inconscient, notre psychisme (nos pensées, nos émotions, notre conscience et nos zones d’ombre) est constitué en trois parties qui le divisent : le « Moi », le « Ça » et le « Surmoi ». Ainsi, tout Sujet est divisé, ce qui signifie qu’une partie de ce qu’il est et de qu’il fait ou pense échappe à la maîtrise, à l’objectivation, à la pensée consciente. Si nous retenons ce postulat, il est alors possible de poser une hypothèse : les relations interpersonnelles que nous serons amenés à observer dans cette étude, relèvent de l’intersubjectivité. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de position d’extraterritorialité possible dans le rapport aux autres. Dans la relation à autrui et plus particulièrement lors des interactions entre l’enseignant et les élèves, si le savoir transmis révèle une extériorité constitutive du Sujet lui-même, il n’est pas extérieur au sujet. Le Sujet chez Freud est le Sujet du désir, chez Lacan, il est un effet de langage… en vertu de son assujettissement au champ de l’Autre. Il est le Sujet de l’inconscient. Il est un savoir su et insu (Carnus, Chihi & Aroui, 2020 ; Munier, 2005), un savoir en « je » (Carnus & Terrisse, 2013) qui tient à la mise en résonance de la division du sujet (Gadeau, 2004). Le choix d’une option pédagogique, rattachée à la notion de conversion didactique (Buznic-Bourgeacq, Terrisse & Lestel, 2008 ; Buznic-Bourgeacq, 2015), révèle une réflexion non pas sur ce que va apporter l’outil mais sur son usage et son effet dans la construction de la pratique d’enseignement. En didactique clinique, la « conversion didactique » permet d’identifier certaines configurations des savoirs enseignés comme une production de symptômes témoignant d’une construction psychique du sujet enseignant élaborée au cours de son histoire. Ainsi, il s’agit de se questionner sur la part de l’inconscient du Sujet, divisé entre raison professionnelle (le Sujet est assujetti à l’institution) et désir inconscient lorsqu’il fait entrer l’outil numérique dans sa démarche.

2. Ancrage théorique

2.1. La didactique clinique

6La didactique clinique de l’ÉPS prenant à sa charge l’hypothèse freudienne de l’inconscient se trouve dans la filiation des recherches cliniques psychanalytiques en Sciences de l’Éducation et de la Formation. Elle se caractérise par la prise en compte du Sujet- enseignant dans sa relation avec les enjeux de Savoir(s). La particularité de cette approche tient à un parti pris, celui de redonner au sujet une place centrale dans la relation didactique. Le Sujet est « ce qui est supposé par la psychanalyse dès lors qu’il y a le désir inconscient, un désir pris dans le désir de l’Autre, mais dont il a néanmoins à répondre » (Chemama & Vandermersch, 2018, p. 555). Il faut donc le distinguer de l’individu biologique et du moi freudien. Le Sujet, pour la psychanalyse, « ne sait pas ce qu’il dit ni même qu’il le dit » (ibid.). Le Sujet « existe au langage, il est divisé et soumis à l’aliénation » (ibid., p. 556). Dans cette dynamique, postuler la singularité du Sujet enseignant comme du Sujet apprenant et le mettre au cœur des analyses didactiques a conduit à élaborer une « théorie du Sujet pris dans le didactique », autour de trois présupposés non hiérarchisés (Carnus, 2004, 2009a). Le Sujet-enseignant est singulier, autonome et responsable dans son activité pédagogique et didactique. « Au-delà des contraintes institutionnelles et contextuelles, l’enseignant se crée un espace de liberté lié à son déjà-là et y évolue (p. 50) ». Le Sujet-enseignant est assujetti à son institution (Chevallard, 1985 ; Wozniak, 2007) engendrant un jeu de codéterminations entre les ressources et les contraintes issues de l’Ecole. Assoun (2003) décrit une manifestation empirique de l’assujettissement comme « l’ensemble des institutions qui précèdent la naissance du sujet et le prédéterminent » (p. 50). Le Sujet-enseignant est divisé entre une « sphère privée » et une « sphère publique » qui constituent son épistémologie personnelle et professionnelle ; il est divisé dans et par son mppoggi2022-06-16T10:40:00minconscient » (Carnus, 2009a, p. 69), entre Imaginaire et Symbolique. Chez Freud (1923), il s’agit de la deuxième topique mettant en évidence le clivage entre le Moi, le ça et le Surmoi. Chez Lacan (1975), le sujet est divisé par son langage, entre le Réel, le Symbolique et l’imaginaire. Le Sujet est divisé entre un idéal d’enseignement, l’intention didactique de l’enseignant et la réalité de l’enseignement en classe qui se heurte aux résistances des élèves qui n’ont pas les mêmes intérêts que l’enseignant. Ce qui signifie qu’il est nécessaire d’abandonner l’idée d’une unité du Sujet, mais pas celle de logique du Sujet.

7Dans cette étude de cas, il sera intéressant de montrer comment les perceptions inconscientes (Buizard, 2015) du sujet sur son rapport au numérique influencent la construction de sa démarche d’enseignement. Nous essaierons de mettre en avant la façon dont le Sujet s’oppose à lui-même. C’est bien du Sujet dont il est question, mais en tant qu’il est en lui-même divisé : « Ce n’est pas qu’il y aurait un Sujet, prince de sa conscience et en-dessous ou à côté un autre, sorte de double obscur qui lui ferait objection, c’est en lui-même, dans sa pensée et dans ses actes, que le Sujet est divisé » (Chaumon, 2008, p. 40).

8En s’appuyant sur cette théorie du Sujet dans le contexte de cet article, nous constatons l’existence d’un « déjà-là », « ce qui donne une intelligibilité a priori à l’activité du Sujet » (Terrisse, 2001, p135) qui renvoie à son histoire, à la conception qu’il se fait de ce qu’il a à enseigner et à celle qu’il se fait de sa transmission (Terrisse, 2009, p. 26). La mise en évidence du « déjà-là décisionnel » (Carnus, 2001, 2003) du Sujet rend compte de la partie visible du processus que Carnus (2009a) définit comme « une solution possible qui peut apparaitre à un moment donné en réponse à un problème particulier voire singulier » (p. 67). Ce « déjà-là décisionnel » est la résultante d’autres « déjà-là » mobilisés à l’insu du Sujet. Le « déjà-là expérientiel » est lié à l’expérience (Buznic-Bourgeacq, 2005) et à l’expertise (Ben Jomâa, 2009). Le « déjà-là conceptuel » met en évidence les traits saillants des conceptions des enseignants (Loizon, 2009, p. 88). Le « déjà-là intentionnel » caractérise, entre autres, les intentions didactiques spécifiques à une leçon particulière d’ÉPS (Loizon, 2009, p. 88). Le « déjà-là proxémique » rend compte d’une distance interactionnelle sous-jacente aux interactions entre le Sujet-enseignant et le ou les Sujet(s)-élève (s) (Carminatti & Carnus, 2019). Tous ces « déjà-là » agissent comme de véritables filtres de l’action didactique (Loizon, 2004). Ces filtres « agissent en permanence en tant que représentation du monde, de l’autre, du réel » (Loizon, 2004, p. 85). Nous observerons la conversion du contenu d’expérience personnelle en contenu d’enseignement élaboré et transmis par le Sujet enseignant (Buznic-Bourgacq, 2015). La conversion didactique (Buznic-Bourgeacq & al., 2008) décrit « les origines expérientielles du Sujet et la dimension subjective des processus transpositifs qui vont orienter le contenu et la forme de l’activité didactique de l’enseignant en classe » (p. 2).

9Le Sujet Supposé Savoir (SSS) est un concept emprunté par Chevallard (1985) à Lacan (1966). Il désigne la position symbolique occupée par l’enseignant en tant que Sujet censé maitriser le savoir qu’il va enseigner. Cette position institutionnelle confère au Sujet enseignant un statut de détenteur du savoir. Ce concept renvoie aux travaux de Lacan (1966) qui postule le « Sujet Supposé Savoir » comme « lieu où le savoir s’institue » (Lacan, 1966, p. 144).

10Dans notre étude de cas, le Sujet-enseignant que nous avons nommé Guillaume choisit la vidéo, fort de cette détermination subjective, dont il n’a pas conscience. Nous serons amenées à analyser la nature de cette détermination, ses causes « intimes » liées à son histoire.

2.2. Quand la démarche enseignante fait émerger la présence de la pulsion scopique

11La démarche enseignante caractérise le processus de transmission où l’enseignant occupe une position de Savoir et parfois de non Savoir (Buznic, Terrisse & Margnes, 2007). Dans cet article, nous rendrons compte de la position occupée par le Sujet-enseignant, ainsi que des savoirs inhérents à l’usage de la vidéo qui peut renvoyer à ce que Freud nomme la pulsion scopique (Freud, 1987) mettant en scène la dialectique entre « regarder » et « être regardé ». La pulsion scopique a pour signification, le plaisir de posséder l’autre par le regard. Il s’agit d’une pulsion sexuelle indépendante des zones érogènes où l’individu s’empare de l’autre comme objet de plaisir qu’il soumet à son regard contrôlant.

12Si ce processus peut être opaque, il semble gagner en compréhension à être pris en compte à partir du Sujet-enseignant qui se caractérise par sa logique singulière (Buznic & Terrisse, 2013) au travers d’un jeu de position selon la trilogie RSI (le Réel, le Symbolique, l’Imaginaire) (Chemama & Vendermesch, 2018) qui s’appuie sur le syntagme lacanien : le « Sujet Supposé Savoir » (SSS) (Lacan, 1966). Le Réel se définit comme l’impossible, il est ce qui ne peut être symbolisé dans la parole ou l’écriture, par conséquent ne cesse pas de ne pas s’écrire. Le Symbolique est rattaché à la fonction du langage et plus spécifiquement à la notion du signifiant. L’Imaginaire procède de la constitution de l’image du corps. C’est le registre du leurre, de l’identification. Buznic et Terrisse (2013) expliquent comment ce vecteur peut organiser les pratiques enseignantes. En effet, en se centrant plus particulièrement sur le « Symbolique » et « l’Imaginaire » et ainsi sur la fonction du langage, nous pourrons à travers les entretiens faire émerger ce qui est de l’ordre de l’inconscient lorsque le Sujet argumente ses choix pédagogiques et didactiques au regard de l’utilisation de la vidéo avec ses élèves en musculation.

13En adoptant le point de vue de la psychanalyse, dans le champ de la didactique, le chercheur en didactique clinique sollicite et interprète la parole et le geste (la pratique) de l’enseignant qui a investi son métier en toute subjectivité : « l’être d’un individu humain est constitué par les émotions, les désirs, les représentations, les significations qui façonnent son esprit et déterminent ce qu’est cet être » (Malaver, 2011, p. 50). C’est cette subjectivité qu’il s’agit d’interroger. Le Sujet est agi par son inconscient qui le divise entre des positions quelquefois contradictoires, des sentiments opposés ou des fonctions qu’il cherche à rendre compatibles (Terrisse, 2009).

2.3. Il est temps de porter un regard sur le rapport au(x) savoir(s)

14Les chercheur.e.s en didactique clinique étudient ce qui s’enseigne et/ou ce qui s’apprend dans l’institution scolaire. Les concepts de déjà-là et de conversion didactique éclairent de façon originale la dynamique du rapport au savoir et corroborent son influence sur les processus de transmission et d’appropriation. A la suite de Carnus (2015), Carnus & Pédèches (2017), Carnus & Alvarez (2019) réitèrent le constat que la seule analyse des contraintes externes au système didactique ne suffit pas à rendre compte du fonctionnement didactique (p. 81). Le Sujet est analysé au travers des rapports qui le lient aux Savoirs en jeu, c’est-à-dire à son rapport personnel à l’objet de Savoir. Le rapport au Savoir implique la prise en compte de « la façon dont un Sujet est affecté par le savoir qui lui est transmis et la façon dont ce sujet le signifie et s’y rapporte » (De Léonardis, Laterrasse & Hermet, 2002) cité par Jourdan (2009, p. 34). Ainsi, « Le rapport au Savoir est le rapport au monde, à l’autre et à soi-même d’un Sujet confronté à la nécessité d’apprendre » (Charlot, 1997, ibid., p. 35), « un processus créateur de savoir pour un Sujet-auteur, nécessaire pour agir et pour penser » (Beillerot,1989 cité par Mothes, 2018, p. 36).

3. De l’usage du numérique à la pratique du numérique

15Le mot « numérique » est de plus en plus présent dans notre vocabulaire et dans les démarches d’enseignement. Au fil des années, plusieurs expressions différentes ont été utilisées : nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), technologie de l’information et de la communication (TIC). Lévy (1990) parle de technologie de l’intelligence. Dans le cadre scolaire, le vocable utilisé est Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE). Le « numérique » est initialement utilisé pour caractériser le mode d’enregistrement de sons, d’images ou de vidéos. Les TICE regroupent un ensemble d’outils conçus et utilisés pour produire, traiter, entreposer, échanger, classer, retrouver et lire des documents numériques à des fins d’enseignement et d’apprentissage. Le terme « usage », tel qu’il est abordé dans les études portant sur les technologies en éducation, renvoie à « l’utilisation d’un objet, naturel ou symbolique, à des fins particulières » (Robert de sociologie, 1999). Moeglin (2005) précise que les usages constituent le résultat des transformations « que, collectivement plus souvent qu’individuellement, ils imposent aux cadres fixés par l’offre et les politiques » (p. 160). Dans notre étude, l’outil numérique utilisé est la tablette tactile (Lesperlette, 2014 ; Rumo & Melly, 2019) équipée du logiciel « coach’s eye » permettant de filmer, de traiter et d’analyser des images. Cette application permet notamment une vidéo image par image, en slow motion. Ce qui nous intéresse tout particulièrement, c’est l’image que la vidéo va permettre de conserver, la trace visible de l’invisible.

16Pour autant, l’utilisation de cette tablette est à interroger et plus encore l’imaginaire qu’elle renferme. En effet, Rinaudo (2015) affirme que tout projet éducatif se conjugue autour d’un double mouvement inconscient de déliaison et de subjectivation, présenté en désir de maîtrise sur l’autre, d’une part et, d’autre part, désir d’affranchissement de l’autre (p. 4), posture de maitrise et posture d’accompagnement (p. 5). Ces mouvements se situent dans un registre inconscient. Il s’agit bien ici d’une pratique professionnelle qui sous-tend un sens à la démarche enseignante, aux gestes mis en place et aux contenus d’enseignement transmis.

4. Problématique

17La pratique professionnelle révèle une démarche d’enseignement conduisant à un processus singulier de transmission et d’appropriation du savoir. La vidéo constitue un outil intéressant pour l’élève et pour l’enseignant. L’image met en exergue l’invisible qui une fois révélé devient une aide aux apprentissages. Ce choix didactique et pédagogique laisse entrevoir la division du Sujet ainsi qu’une trace de son « déjà-là » dans la transmission des savoirs.

5. Méthodologie

18D’un point de vue méthodologique, l’étude se fait au cas par cas (Terrisse, 2003). Cet outil clinique s’attache à décrire et comprendre les pratiques enseignantes ordinaires non prescriptives. Il s’agit d’observer et d’analyser la pratique d’un enseignant d’ÉPS « Guillaume » expérimenté (expérience professionnelle 20 ans), spécialiste des TICE, référent dans son académie et non spécialiste de l’APSA support, la musculation. Dans le cadre de cet article, notre choix méthodologique se porte sur la construction d’un cas, mettant en évidence un trait unique (Widlöcher, 1981) qui ne prouve rien mais il enrichit les connaissances de ceux qui partagent le même type mppoggi2022-06-16T11:34:00md’expérience » (p.286). Nous nous appuyons sur une méthodologie « temporelle », selon les trois temps de l’activité professorale » (Terrisse, 2009, p. 26) : le déjà-là, l’épreuve et l’après-coup.

19Le « déjà-là » (Carnus, 2001), permet de prendre en compte la singularité du sujet. Ce premier temps de la méthodologie s’organise à partir d’un entretien ante enregistré permettant d’accéder à l’épistémologie du Sujet observé et à la part de l’inconscient. Réalisé en amont des enregistrements vidéo des leçons, il vise à recueillir des informations à propos du déjà-là conceptuel, expérientiel et intentionnel (Carnus, 2001). Sur le thème de l’introduction de la tablette dans le cycle de musculation, le questionnement s’organise autour des conceptions, des intentions et des expériences privées et publiques de Guillaume. Les éléments constitutifs de ce déjà-là sont présentés dans les résultats, sous la forme de verbatim. Les paroles de Guillaume sont retranscrites telles qu’elles. Après avoir effectué une lecture flottante puis détaillée des données recueillies, les chercheures repèrent les faits remarquables autour de signifiants et de tensions ainsi que les évènements significatifs liés à la problématique, pour ensuite les classer en unités de sens qui une fois catégorisées pourront être interprétées.

20L’épreuve interactive in situ entre Guillaume et ses élèves, une épreuve, au sens sportif du terme (Terrisse, 1994, 1998 ; Carnus & Terrisse, 2013 ; Buznic-Bourgeacq & Terrisse, 2013) qui correspond au temps de classe. C’est un moment au cours duquel Guillaume soumet son projet d’enseignement à la contingence (Buznic-Bourgeacq & Terrisse 2013, p. 115) du réel. Ce temps interroge la subjectivité du sujet engagé dans son activité d’enseignement : la séquence de musculation avec une classe de seconde professionnelle. Les objectifs retenus sont l’autonomie, la collaboration et la construction de postures sécuritaires. L’épreuve interactive a été filmée lors du fonctionnement habituel des leçons (trois leçons ont été filmées pour cette recherche). Six ateliers sont mis en place : développé-couché, développé-assis, gainage, squat, dorsaux et biceps avec poulie. Deux disposent d’un aménagement avec une tablette numérique associée à l’application vidéo « coach’s eye » : les ateliers dorsaux et biceps. Six groupes de trois élèves sont constitués par l’enseignant, par affinité et par morphologie. Les chercheures utilisent deux caméras : l’une en plan fixe, l’autre orientée sur l’enseignant afin de capturer ses déplacements, ses interactions et ses dires. L’ensemble des éléments enregistrés permettra aux chercheures « d’accéder aux éléments indispensables sur lesquels elle[s] pourra[ont] revenir sans cesse pour les analyser, dans une position plus “objective” et plus distanciée » (Terrisse, 2009, p. 27).

21L’entretien d’après-coup : l’après-coup est un « Terme fréquemment employé par Freud en relation avec sa conception de la temporalité et de la causalité psychique : des expériences, des impressions, des traces mnésiques sont remaniées ultérieurement en fonction d’expériences nouvelles, de l’accès à un autre degré de développement. Elles peuvent alors se voir conférer, en même temps qu’un nouveau sens, une efficacité psychique » (Laplanche & Pontalis, 1971, p. 33). Guillaume est invité, à travers un entretien semi-dirigé (De Ketele & Roegiers, 1996), à revisiter et à repenser à partir de différents moments de l’épreuve et à donner son interprétation des situations (Loizon, Margnes & Terrisse, 2005). Cet entretien est construit après l’analyse des données et permet aux chercheures de rebondir à partir des verbatim du sujet afin qu’il s’exprime à ce propos. Nous avons recouru pour cet entretien à la vidéo étant donné que ce dernier a eu lieu plusieurs semaines après l’épreuve. L’ensemble des paroles de Guillaume a été enregistré pour servir de support à la discussion.

6. Résultats

22Les résultats présentés dans cet article ont été analysés à partir de séquences vidéo significatives extraites d’un visionnage de l’épreuve d’enseignement de Guillaume, ainsi que de la retranscription des différents entretiens. Ils sont proposés sous la forme de courtes présentations synthétiques du Sujet observé dans un environnement et une temporalité spécifique, accompagnées de courts extraits de verbatim. Guillaume déclare qu’au lycée professionnel, ce n’est pas facile de travailler avec les élèves : « si je veux qu’il devienne autonome je dois mettre en place un dispositif contraignant ». Référent TICE, il déclare être passionné par tout ce qui touche au numérique et aimerait bien concilier sa passion avec son métier. Pour autant, il va mettre en place un cadre contraignant pour les élèves dont il ne sait pas s’il fonctionnera et s’il lui permettra d’atteindre ses objectifs. De plus, le contexte ne permet pas de mettre en place systématiquement un enseignement où les TICE auraient un rôle pédagogique majeur. Au-delà de l’utilisation de la vidéo dans ce cycle de musculation, que se cache-t-il derrière les paroles de Guillaume : « remettre de l’ordre dans l’activité des élèves » : est-ce que l’activité des élèves est désordonnée pour Guillaume ? Est-ce que l’ordre est un aspect important pour Guillaume ? A quoi peut renvoyer cette notion d’ordre ? « Leur permettre de devenir autonome » : quelle signification Guillaume donne à cette notion d’autonomie ? Qu’est-ce qui est réellement attendu par cet enseignant pour ces élèves ? « Les accompagner pour qu’ils soient capables de comprendre leurs actions » : que veut dire accompagner pour Guillaume ? Où s’arrête pour lui le niveau de compréhension de l’activité des élèves ?

6.1. Les intentions et la conception de Guillaume

23Les intentions sont liées, d’une part aux enjeux de formation de l’APSA musculation mentionnés dans le programme ÉPS (2010) : le « savoir s’entrainer » (BO spécial n° 4 du 29 avril 2010) et d’autre part, au constat d’une activité désordonnée des élèves lors du travail en autonomie. Au cours de l’entretien de « déjà-là », Guillaume explique ce qu’il souhaite atteindre : « Tout d’abord l’idée est méthodologique. Je veux qu’ils prennent conscience de ce qu’ils font et par une co-observation, qu’ils comprennent ce principe de « je réalise » et qu’ils aient un retour sur ce qu’ils viennent de faire. L’outil vidéo, par l’auto-observation et la co-observation, peut mesurer l’écart entre ce que j’attends et ce qu’ils font réellement, pour ensuite se corriger et pouvoir modifier leurs conduites motrices ». Derrière l’utilisation de la vidéo, Guillaume cherche à la fois à contenir ses élèves, à les motiver à travailler seuls et à comprendre ce qu’ils font. L’outil vidéo serait un déclencheur de l’activité d’observation à mettre en sur l’ensemble des ateliers. Une lecture du verbatim d’entretien est possible au travers du désir de Guillaume que les élèves prennent conscience des objectifs, de ce qu’il y a à apprendre. Dans ce cas, il est possible de poser l’énoncé interprétatif que la vidéo devient le moyen pour que les élèves puissent se voir comme Guillaume les voit. Elle devient l’outil qui permet la prise de conscience d’eux-mêmes, en référence au champ de l’imaginaire (Lacan, 1949) et au stade du miroir (Dolto et Nasio, 2002) où le Sujet advient par son regard sur lui ainsi que par le regard de l’autre sur lui. La vidéo devient un moyen pour estomper le décalage entre ce que les élèves pensent faire et ce qu’ils réalisent effectivement, entre le monde intérieur et le monde extérieur. Cet énoncé hypothétique permet de faire émerger un des pans de la subjectivité de Guillaume qui souhaite que ses élèves deviennent autonomes « … en leur permettant de se voir… » comme il les voit. De quelle autonomie parle-t-on ? Guillaume souhaite que ses élèves accèdent à une forme d’autonomie ce qui permet d’entrevoir une trace de sa division et de son assujettissement à l’institution École et à des normes sociales renvoyant ici à une référence corporelle liée à l’APSA support et aux attentes du programme ÉPS. Au-delà du problème fondamental de l’activité musculation (montrer les stratégies à mobiliser pour gérer conjointement les charges optimales et des critères de maitrise d’exécution- placements, récupération, respiration, rôles d’aides), Guillaume souhaite transmettre des contenus permettant aux élèves entre autres d’accepter de se voir et d’être vus pour mieux se connaître. Ceci constitue … un préalable à la recherche d’une réalisation sécuritaire, autonome et lucide à partir d’un projet personnel.

24La conception de Guillaume s’articule autour de l’objectif : apprendre en coopérant à partir d’images vidéo. Guillaume souhaite orienter ses élèves vers un nouveau type d’apprentissage : « plus lié au travail coopératif : je parie que l’outil va catalyser les échanges entre les élèves …/… une fiche accompagne la vidéo avec des consignes précises de suivi par rapport aux saisies de données (nombre de séries, répétition, charges). Ça permet de vérifier que la charge de travail est adaptée par rapport au but qu’on se fixe et de vérifier que les conduites motrices ne sont pas fabriquées, …/… je trouve que la richesse de l’enseignement se fait si on trouve des situations d’apprentissage qui s’orientent vers un apprentissage coopératif ». Pour autant, si le dispositif est imposé par Guillaume : une triade (image 1, les images sont là à titre d’illustration du dispositif en triade imposé par Guillaume), un élève pratique, un élève pare et le dernier filme. Dans ce dispositif, l’enseignant s’efface derrière l’outil sans pour autant cesser d’être le « Sujet Supposé Savoir ». Il attend que l’outil provoque la coopération. « Je trouve que ça permet de créer des relations supplémentaires entre les élèves. La tablette permet d’engager des échanges plus facilement entre eux et avec moi ». Mais aussi qu’à travers l’analyse des images (image 2), les élèves comprennent l’intérêt de l’activité (la charge, les répétitions, le respect des consignes sécuritaires). Lorsque les trois élèves sont passés une première fois, ils se rassemblent et avec l’enseignant, ils analysent, via la vidéo, leur prestation à partir des critères de réussite (amener la barre en direction du ventre, tirez les coudes en arrière et gardez les omoplates resserrées) et de critères de réalisation (gainage du tronc et du bassin, dos plat et perpendiculaire au banc, mouvement accéléré lors du tirage, contrôlé et freiné dans la phase de retour, expiration à l’aller, regard à l’horizontale). Guillaume aide à la verbalisation (image 3) lors de cette première analyse. Puis, les élèves réalisent trois passages, le même protocole est mis en place. Chaque élève a reçu pour sa prestation et celle de ses camarades des feedbacks de la part de l’enseignant. Lors de la seconde série (image 4), ce sont les élèves seuls qui à l’aide de critères de réalisation vont tenter de comprendre leur prestation à partir d’un débat d’idées. L’enseignant intervient s’il pense que cela est indispensable. Enfin, la troisième série (image 5) est l’occasion de tenter une co-régulation (guidage, contrôle, ajustement et réorientation de l’action) entre élèves.

25Au cours de l’épreuve, il est possible d’observer qu’une attention particulière est portée sur les deux ateliers où l’outil vidéo est disposé. L’enseignant est présent et guide le travail de coopération entre les élèves. Tout semble sous contrôle. Cependant, sur les autres ateliers, ce dispositif n’est pas répété. La vidéo est effectivement utilisée comme un catalyseur de l’attention des élèves pour construire une coopération. Cet outil est-il utilisé pour contrôler la classe ou pour rendre les élèves plus autonomes ? En effet, sur les autres ateliers la nature des apprentissages ne relève plus des trois étapes. La coopération n’est pas guidée même si elle est demandée. « La coopération engage les élèves dans un projet…/… ils s’observent les uns les autres et à un moment donné, ils vont avoir un modèle de l’exercice à réaliser. Les élèves se calent sur ce que font les autres ». Au travers de ces extraits de verbatim, il est possible de rendre compte de la trace d’une influence extérieure (les formes de pratique en ÉPS) et intérieure (le rapport au Savoir de l’élève) : « Au niveau moteur, on est plus sur réaliser les exercices en respectant les principes d’exécution. Au niveau méthodologique, s’engager dans un projet d’apprentissage avec réalisation, observation et autocorrection. Au niveau social, coopérer pour progresser seul et assumer différents rôles (pratiquant, parade, observateur) ». Les images vidéo mettent en avant l’existence d’un compromis acceptable qui permet à Guillaume de répondre aux trois objectifs de l’ÉPS au lycée (bulletin officiel spécial n° 5 du 11 avril 2019).

26Ce moment de classe fait émerger à la fois des influences externes (Carnus, 2005), comme la nature du savoir en jeu (le savoir s’entrainer), les caractéristiques de la classe (besoin d’être contraint pour agir), la représentativité de la pratique sociale de référence (la recherche de performance) et des influences internes (Guillaume est un enseignant expert et expérimenté qui a un déjà-là) (Buznic, 2004), « des déterminations conscientes et inconscientes qui pèsent sur le comportement, le discours et les décisions » (Blanchard-Laville, 2006, p. 4) de Guillaume. La notion d’épreuve permet de porter une attention particulière à la création de l’enseignant (Brossais, Jourdan & Savournin, 2013). Guillaume semble faire des choix cohérents avec sa position subjective qu’il a donnée à entendre au cours des entretiens : il a évoqué le désordre de l’activité de ses élèves, sa passion pour le numérique et l’intention d’accompagner les élèves vers plus d’autonomie et de compréhension de leurs actions. Mais lequel de ces choix est prioritaire pour lui ? Qu’est-ce qu’il désire maitriser le plus ? Désire-t-il maîtriser le contrôle ou l’accompagnement ? Le contrôle lorsqu’il contraint l’organisation de la triade et les rôles que chaque élève doit jouer, l’accompagnement lorsqu’il laisse les élèves s’approprier l’outil et finalement prendre la responsabilité du savoir. Pour autant, la position symbolique du Sujet Supposé Savoir demeure. Cette dichotomie laisse entrevoir une trace de sa division. L’enseignant connait le chemin à parcourir par l’élève et balise les étapes d’apprentissage. L’élève doit passer par chacune de ces étapes pour atteindre l’objectif fixé : « acquérir des attitudes sécuritaires », « observer sa motricité et celle des autres », « coopérer ». Il s’agit pour les élèves d’accéder à une autonomie. Pourtant, il s’agit ici d’une pseudo autonomie, source d’ambiguïtés et d’illusions car les élèves sont assujettis au cadre de la leçon, de la situation d’apprentissage. En effet, l’élève reste dépendant de l’enseignant puisque c’est ce dernier qui organise le cadre de travail de l’élève. Cela conduit à faire émerger un paradoxe intéressant, le paradoxe de la dévolution, que l’on pourrait traduire par : « soyez autonome en faisant ce que je vous dis de faire ». De quelle autonomie parle-t-on en EPS ? Lorsque Guillaume met en place son cadre de coopération avec la vidéo comme déclencheur, cela implique une volonté de maitrise et un renforcement du désir d’emprise sur les élèves (Natanson, 2003), un renforcement à son insu de la dépendance. Est-ce que l’élève autonome pour Guillaume est celui qui se soumet au jeu scolaire (Méard & Bertone, 1998), celui qui intègre son métier « d’élève » (Perrenoud, 1994), celui qui se conforme aux règles scolaires (Méard & Bertone, 1998) ? Cette forme d’autonomie permet d’augmenter l’efficacité (au sens du rendement, de la productivité) de l’enseignement. Est-ce que l’élève autonome pour Guillaume est plutôt un élève qui par l’EPS parviendrait à s’émanciper, à développer ses capacités créatrices, à entrer spontanément en apprentissage et à prendre plaisir en apprenant ? Là encore, ce qui transparaît ici est bien la preuve de traces de la division du Sujet.

6.2. La conversion didactique de Guillaume

27Il est mppoggi2022-06-17T08:08:00mentendu la transformation de contenu expérientiel en contenu d’enseignement (Buznic-Bourgeacq, Terrisse & Lestel, 2008). Guillaume explique comment il va organiser sa séquence. « On débute par une évaluation diagnostique, je les filme et on visionne une dizaine de vidéos ensemble et on en ressort les différents acquis ou ce qui est encore à travailler. Sur le TBI (tableau blanc interactif), il y a un diaporama interactif, avec des vidéos d’élèves qui maîtrisent l’exercice. Ils y ont accès sur l’ENT. Il est vraiment en libre-service, pour les aider sur le choix des exercices, leur donner des idées. Sur ce TBI, il y a les exos, les critères d’observation, les consignes de sécurité ». C’est ce qui contribue à organiser le contenu des pratiques du Sujet dans sa traversée de l’épreuve. « Les élèves vont acquérir des contenus moteurs, méthodologiques et sociaux […]. ». D’après Berdot & Blanchard-Laville (2000) repris par Brossais, Jourdan & Savournin (2013), Guillaume transmet non seulement du Savoir, mais aussi une part de son propre rapport au Savoir : « [...] L’espace d’enseignement est structuré au niveau psychique par un scénario projeté par l’enseignant(e). Ce scénario est en partie lié au mode de lien que l’enseignant installe avec les élèves mais aussi au rapport au savoir qu’il manifeste dans la situation […] » (Blanchard-Laville, 1997, p. 159) et de son propre rapport aux outils numériques qu’il mobilise. En effet, sur les deux ateliers où la tablette est utilisée, Guillaume adopte une démarche circonscrite :

• il guide la lecture de la vidéo : les élèves sont sollicités pour commenter individuellement leur prestation en s’appropriant un langage corporel sur leur ressenti moteur ;

• il questionne les élèves sur leur prestation, au regard de critères d’observation identifiés, dans le but de se corriger et de s’entraider. Des comparaisons sont faites entre : leurs postures et celles de référence issues du diaporama interactif présenté en début de leçon ; leurs postures au cours des différentes répétitions ; les postures entre élèves ;

• il régule si aucune solution n’est proposée par les élèves.

28Ces derniers acceptent d’entrer dans cette démarche et tiennent les trois rôles qui leur sont demandés. Des interactions verbales se construisent autour des vidéos. L’outil numérique joue son rôle de catalyseur des échanges entre élèves. Lors de cette discussion, les élèves analysent la posture des autres membres du groupe et donnent des conseils de remédiation. Les trois élèves sont en interaction, que ce soit en présence de l’enseignant (image 1) ou en dehors de celle-ci (image 2). Lors des répétitions suivantes, nous observons que les élèves tentent de modifier leur attitude et de respecter les consignes (image 3). Qu’est-ce qui détermine cette coopération, l’outil ou les interactions qui se construisent autour de l’outil ? Est-ce que les élèves comprennent leur motricité à travers les images et réussissent à trouver un sens à leurs actions ? Ici se pose un réel problème didactique que Guillaume entrevoit et auquel il répond par la mise en place de critères d’observation et de réalisation. « Ils n’apprennent pas plus vite mais ils apprennent différemment avec une réussite globale…/…j’articule moteur, méthodologie et coopération…/…Pour certains élèves, ça peut accélérer le processus sur les apprentissages moteurs, notamment ceux qui sont en difficultés ».

6.3. Une organisation structurée voire verrouillée au service des apprentissages

29Plusieurs réponses ont mis en évidence que l’organisation pédagogique avait été élaborée autour de plusieurs aspects :

• deux exercices bénéficient de l’aménagement vidéo : le but pour les élèves est d’intégrer une forme de coopération pour la réinvestir sur les autres ateliers sans vidéo ;

• trois rôles sont investis : le pratiquant, le pareur et l’observateur/cameraman. « Cela aide à structurer leur rôle dans l’exercice car ils ont vraiment un rôle défini ». Deux objectifs sont recherchés : le premier d’ordre méthodologique amenant les élèves à utiliser la tablette comme support à une organisation spécifiée et contractualisée où chacun a un rôle à jouer. Le postulat de l’enseignant est que cela « permet de transposer sur les autres ateliers la co-observation et le respect des postures ». Il estime « qu’après être passé par l’atelier vidéo, ils (les élèves) étaient plus impliqués ». Les deux ateliers ne s’enchaînent pas. L’enseignant admet que c’est « plus formateur pour ceux qui ont commencé par les ateliers vidéos, car ils sont plus sensibilisés à l’observation ». Le deuxième objectif est « plus lié au travail coopératif. Il fait le « pari que l’outil allait catalyser les échanges entre les élèves ». Les élèves sont à la fois pratiquants mais aussi observateurs. Deux critères d’observation ont été donnés par l’enseignant : « construire des postures appropriées et exécuter la posture avec une amplitude optimale », afin « qu’ils puissent échanger dessus ». Le dispositif est identique sur les quatre premières leçons. L’enseignant rajoute qu’il savait « qu’ils auraient un peu de perte de temps dans l’engagement moteur mais qu’il serait utile dans leur engagement ultérieur ». De plus, les élèves apprennent à se placer pour filmer et observer : « (Il faut) trouver le bon angle de prise de vue par rapport aux critères que l’on donnait, par exemple si je me mets derrière celui qui fait rameur, on ne voit pas bien. Si on est de ¾, c’est plus efficace pour voir l’amplitude et le placement du dos…/…Je n’aurais pas mis de vidéo sur les 6 ateliers. L’objectif est très méthodologique. On pratique, sans support vidéo, pour développer leur prise de conscience du schéma corporel, j’essaie de maintenir une posture sécuritaire et efficace ». L’après-coup met en avant un décalage entre ce qui relève de ce que souhaite Guillaume au début de la leçon, ce qu’il met en place et ce qu’il en dit lorsqu’il revoit la leçon. Il semble que sa priorité soit d’apprendre à utiliser l’outil vidéo pour « bien s’observer ». Cet objectif est tout à fait original en ÉPS et renvoie bien à l’expérience de Guillaume en ce qui concerne son usage des outils numériques. Le dispositif mis en place laisse, pour autant, peu de marge de manœuvre à l’apprenant et tout semble sous contrôle dans ces deux ateliers pour autant ce type de situation peut permettre aux élèves de fonctionner seuls et d’acquérir de véritables compétences transversales liées au numérique. Tout compte fait, l’idée est d’apprendre à observer à partir d’images vidéo pour pouvoir s’observer sans vidéo. Est-ce réaliste ? Derrière cet objectif, Guillaume ne tente-t-il pas d’apporter une possible réponse à sa position d’enseignant ? Là encore, il est possible de constater l’émergence d’une trace de la division du sujet rattaché à une part de son assujettissement à son institution. L’épreuve pour Guillaume est de rester fidèle à son désir : autonomiser et/ou contrôler les élèves. Ces deux intentions contradictoires forment un compromis apparemment acceptable pour Guillaume.

30Pour autant, sa pratique professionnelle semble davantage s’orienter sur l’outil que sur les effets de l’utilisation de l’outil. Les élèves utilisent pour la première fois un outil numérique dans une activité sportive (APSA). C’est le premier cycle de l’année (peut-être est-ce un moyen de séduire la classe ?). L’enseignant voulait voir si l’utilisation des applications était chronophage pour les élèves. Il constate que « la prise en main est très rapide, très facile. L’outil est très intuitif. C’est assez simple, il n’y a pas eu de temps d’adaptation, ils se sont tout de suite mis dedans ». L’enseignant se dit « surpris car les élèves ont utilisé la tablette comme un outil normal d’enseignement. Il n’y a pas eu de comportement déviant ». Ce qui sous-tend le discours de Guillaume est lié aux caractéristiques des élèves et au fait qu’ils présentent une activité désordonnée plus qu’à son intention de les accompagner vers l’autonomie. Il est surpris que les élèves utilisent facilement le logiciel. C’est comme s’il s’attendait à ce que le dispositif ait moins d’impact sur l’engagement des élèves dans leurs apprentissages. Le logiciel installé sur les deux tablettes est « coach’s eye ». Ce logiciel permet un traitement de l’image, une rétroaction et une lecture au ralenti avec possibilité d’utiliser des lignes, des cercles etc. Les élèves utilisent le ralenti et le bouton pause. L’enseignant introduit différentes fonctions offertes « par petite touche, pour que l’outil ne devienne pas un amusement, pour qu’ils se concentrent sur l’observation ». Au travers de ce discours, Guillaume rend compte de la subjectivité qui accompagne ses premières intentions pédagogiques. Il est plus sur l’utilisation de l’outil (son désir de contrôle de l’objet et de ses élèves) que sur les impacts de son utilisation. Il semblerait que pour Guillaume, la maitrise et le contrôle de l’outil soit prioritaire à l’un des objectifs énoncés qui était de permettre aux élèves de coopérer pour construire du sens dans leurs apprentissages. De quoi Guillaume a-t-il peur, de ne pas assumer son statut de Sujet Supposé Savoir ? Que l’outil soit détourné ? Qu’il ne provoque pas d’interaction ? Que cet outil devienne un révélateur de l’image du « voyeur », du « trou du regard » ? (Quinet, 1998). Cela renvoie à la phase active de la pulsion scopique (regarder) mais aussi passive (être regardé) et médiane (se faire regarder) ? Dans cette trilogie, il est encore question d’une trace de la division du sujet et de son déjà-là. Guillaume explique au cours de l’entretien d’après-coup : « Au début, les échanges sont entre moi et les élèves puis progressivement entre élèves sans moi. Apprendre à coopérer, ce sont des choses qui se construisent. Il faut bien réfléchir aux critères d’observation ». Plus tard, Guillaume dit qu’il essaie « de les faire verbaliser par rapport à ça, que ce soit le pratiquant (auto-observateur) qui commence avant que les deux autres donnent leur avis ».

6.3. La confrontation au « faible engagement des élèves dans l’activité »

31Il semble que les élèves résistent et ne souhaitent pas rentrer dans le « désir » de l’enseignant. En psychanalyse, la résistance correspond à tout ce qui entrave l’accès de l’individu à sa détermination inconsciente, il s’agit d’un mécanisme de défense. Les élèves ne désirent pas être vus, ne désirent pas voir et se faire voir. En effet, ce sont des adolescents, qui subissent encore des métamorphoses et qui pour la plupart d’entre eux ne supportent pas la confrontation à l’image de soi. Guillaume peut parfois buter sur un point du réel et se confronter à son impossible à supporter (Terrisse, 2009), prenant sa source dans une expérience personnelle singulière (Buznic-Bourgeacq & Terrisse, 2013, p. 5). Il s’agit d’un impossible à dire (Lacan, 1977), à faire, à transmettre. Nous avons pu identifier chez Guillaume la façon dont s’organise son activité en classe allant de la présentation d’objectifs à poursuivre autour de l’autonomie à une pratique cadrée au sein de deux ateliers vidéo qui vont influencer sa manière de transmettre le savoir enseigné (Loizon, Margnes & Terrisse, 2005). Pour Guillaume, il lui est « impossible de supporter » certaines faiblesses des élèves comme leur moindre engagement dans l’activité que lui privilégie dans son histoire personnelle : « Les groupes sont affinitaires, mais une fois formés, il n’y a plus de changement », « ils choisissent un mobile, puis l’outil est à disposition … enfin … il devient obligatoire ». Son engagement comme référent TICE au sein de son académie est chronophage mais il le fait avec plaisir et ne compte pas ses heures. Sa maîtrise des TICE le conduit à les introduire en ÉPS et lui permet de rester le Sujet Supposé Savoir. Pour autant, il a du mal à supporter que ses élèves ne s’engagent pas plus, alors que ce qui leur est proposé est le résultat d’un investissement conséquent de sa part. « Sur les deux ateliers, l’idée au départ est de questionner, faire verbaliser mais je me rends compte que je donne quand même mon point de vue, je les oriente un peu ». Guillaume ne peut s’empêcher d’accélérer le débat entre les élèves. Il ne leur laisse pas le temps de construire seuls et ensemble, il ne peut s’empêcher d’intervenir. Est-ce pour combler son manque à savoir en musculation ? Cette organisation a différents bénéfices : « Les élèves prennent conscience de ce qu’ils font et ils verbalisent et sur la série suivante, on sent qu’il y a une volonté de l’élève de mieux faire, de se corriger. Du coup, ils se rendent compte que même avec la meilleure volonté, ce n’est pas possible et qu’il faut prendre des moyens supplémentaires, par exemple Romain qui prend un bâton (image 5). Du coup, une fois qu’on a engagé les échanges sur le premier élève qui est passé, les échanges sur les autres séries se font naturellement ». Guillaume dit « on a engagé les échanges… », alors que l’une de ses intentions est de permettre aux élèves de faire seul. De plus, dans cet exemple, c’est plus l’organisation pédagogique qui incite les élèves à verbaliser. Selon Guillaume, lors des interactions entre élèves, « la co-observation est plus simple que l’auto-observation ». Là encore, son organisation pédagogique incite plus à collaborer qu’à s’auto-observer. « Les remarques sortent plus facilement lorsqu’ils regardent les autres. C’est plus facile d’observer un autre que soi, pour différentes raisons, se moquer, pour pointer du doigt les difficultés ». Pour l’enseignant aussi, il est peut-être plus facile d’observer les élèves que de s’observer. De même, il y a « la volonté pour le pratiquant de bien faire, car derrière il va être observé par les autres et par lui-même [...]. On est sur la séance de découverte de l’activité. L’objectif était d’aller sur des apprentissages posturaux […]. L’outil peut accélérer les choses par rapport à ça ». Guillaume affirme que ce qui est attendu est un apprentissage de postures plus qu’un apprentissage de méthodes. Cela signifie qu’au-delà d’un accompagnement vers plus d’autonomie, ce qui est réellement recherché c’est la justesse de la posture en musculation. La plus-value porte effectivement sur la coopération entre les élèves et les apprentissages perceptivo-moteurs mais dans quel but ? « On se rend compte qu’il y a une sacrée plus-value pour la posture. Ils essaient vraiment par tâtonnement de progresser, de mieux se placer. Ce sont des détails mais au début d’un cycle de musculation, on est sur la posture ». Par rapport à la musculation, la vidéo « aide à la prise de conscience du schéma corporel et à ce qu’ils réalisent réellement. Il y a souvent un écart entre ce qu’ils pensent faire et ce qu’ils réalisent réellement ». Elle « donne la possibilité à l’élève de transformer ses conduites par tâtonnement ». Guillaume explique que « par rapport à ce public, le visuel, l’image permet vraiment d’impliquer davantage les élèves ». Il poursuit : « avant, je constatais qu’il n’y avait pas cette volonté de correction. La vidéo permet aussi de me donner un support pour engager une discussion avec l’élève […]. Le fait de se confronter à leur image leur donne la volonté de se transformer ». Ainsi, les élèves « sont moins consommateurs, beaucoup plus acteurs dans leurs apprentissages. Du coup, ils sont plus autonomes. Alors que souvent avec les secondes, on est obligés d’être derrière, alors que là ça se fait plus facilement. On est plus sur un levier motivationnel. Deuxième point, ils ont compris qu’on progresse plus facilement à plusieurs que seul ». Guillaume ne confond-t-il pas autonomie et engagement dans l’activité puisque c’est une des caractéristiques qu’il mettait en avant pour cette classe, même si ces deux notions sont très liées ? Ce désir qu’il a de mettre tout en place pour permettre à ses élèves de s’engager davantage en musculation transparait dans son rôle d’enseignant. « Il faut penser l’intégration de cet outil : quelle plus-value ça peut apporter vraiment par rapport aux objectifs prévus et comment ne pas perdre un temps d’engagement moteur trop important ? ». Il s’agit ici d’une nouvelle tension pour Guillaume. Les consignes associées à l’utilisation de ces outils numériques doivent aussi être pensées en amont. De plus, « cela oblige l’enseignant à avoir une analyse encore plus fine de l’activité des élèves ». L’utilisation des outils numériques « permet de créer des relations supplémentaires avec les élèves, d’engager des échanges plus facilement. La relation enseignant-élèves est plus facile avec les élèves car c’est plus facile pour lui d’expliciter ce qu’il voit que ce qu’il a fait. Cela nous permet d’aller sur des remédiations plus précises ». L’utilisation de la vidéo prend tout son sens pour Guillaume. Sa passion pour le numérique occupe désormais une place didactique. Son désir semble avoir pris le pas sur la raison.

7. Discussion et perspectives

32Les résultats mettent en avant un premier point essentiel : la démarche de l’enseignant s’élabore in situ, pas à pas et relève à la fois de son rapport au(x) savoir(s), de son déjà-là et de sa conversion qui se construisent dans l’entrelacs des influences internes et externes mentionnées plus haut et s’actualisent au travers des enjeux de savoirs. Cette option didactique, une fois intériorisée et investie par les élèves, s’empare des enjeux de savoir(s) tout en ouvrant la porte à des apprentissages de nature transversale : les élèves par trois coopèrent pour atteindre le même but, ici acquérir une posture sécuritaire et efficace. Cette coopération s’organise autour des rôles sociaux donnés par l’enseignant : le pareur, le caméraman et l’athlète. Cette nouvelle organisation structure un réel projet d’entrainement et favorise la communication au sein du groupe. L’élève intériorise des postures et des placements sécuritaires au fil des répétitions, en s’appuyant sur des repères internes qu’il a construits individuellement dans un va et vient perceptivo – moteur et collectivement dans les interactions avec ses pairs et avec l’enseignant. Le maniement de la tablette lui permet de lire, relire et donner du sens à sa motricité, celle des autres et de construire par remaniements successifs une nouvelle perception de son corps. Pour autant, l’élève est-il devenu plus autonome ? Sera-t-il capable de réinvestir ce qu’il apprend à l’aide de la vidéo sur des ateliers où celle-ci n’est pas présente ? Ce questionnement ouvre une perspective nouvelle de compréhension de la démarche enseignante. Construire sa démarche pour enseigner, c’est faire se rencontrer le désir inconscient de transmettre des savoirs issus de son déjà-là conceptuel, expérientiel et intentionnel et de répondre à des attentes institutionnelles au travers des raisons professionnelles.

33La connaissance du résultat tantôt institutionnalisée et commentée par l’enseignant, puis dévoluée au cinéaste et enfin à l’élève fait émerger un apprentissage particulier : l’apprenant interagit avec ses deux partenaires pour s’approprier les enjeux de savoir. Il est confronté à son image numérisée et à l’analyse de sa prestation motrice par ses deux autres camarades. Au travers de la lecture de son image corporelle, il accède rétroactivement à sa réponse motrice et à son adéquation ou inadéquation ainsi qu’aux critères de réussite et de réalisation donnés par l’enseignant. Tout en gérant ses affects en lien avec ce qu’il a donné à voir à travers sa production motrice, chaque élève mobilise ses ressources cognitives et affectives, élabore ses propres stratégies d’apprentissage, coopère dans ses choix, les met en débat pour construire ses propres acquisitions. La co-observation stimule les motifs et les mobiles de l’agir : plus ou moins consciemment, l’élève s’applique pour donner à voir une image positive de lui-même, à travers sa prestation.

34L’organisation des deux ateliers est anticipée, réfléchie, bornée et contrôlée par l’enseignant. Elle naît d’options didactiques et pédagogiques claires et spécifiées par Guillaume : apprendre par et à travers les autres et devenir acteur de ses apprentissages. Pour autant, l’enseignant est soumis à la contingence et à son désir inconscient de faire partager sa passion du numérique avec ses élèves. L’outil numérique a désormais une fonction narcissique (en référence au mythe de Narcisse) qui permet de maintenir l’enseignant dans sa position de Sujet Supposé Savoir, ce qui suppose une fonction d’idéal professionnel qui se maintient dans le Sujet comme Moi idéal ou Idéal du Moi (Assoun, 2002, p. 45). Le Moi idéal est le lieu du fantasme héroïque, le lieu dans lequel le Sujet, Guillaume, se voit accomplir maintes merveilles (que les élèves deviennent autonomes, que la tablette devienne l’outil de cette autonomie). L’idéal du Moi se présente comme « celui que j’aimerais être » face au moi idéal (Freud, 1913-1914). L’outil numérique a également une fonction didactique ostensive, celle de donner à voir les enjeux de Savoir afin de les analyser, de les discuter et de les institutionnaliser. L’élève intègre l’image, la sienne et celles de ses camarades et l’interroge dans des interactions entre pairs. La répétition et l’enchaînement des actions sont organisés et finalisés par l’objet d’enseignement visualisable et mis en débat grâce aux interactions du trio. Cette stratégie immédiate d’enseignement permet aux élèves d’avoir une vision plus précise de ce qu’ils font et de comparer leurs prestations avec celles de leurs camarades en lien avec les attentes didactiques et éducatives de l’enseignant. L’enseignant peut aider l’élève à identifier les causes de ses échecs et de ses réussites, au travers de la représentation qu’il se fait du réel et de soi-même. Cette option didactique contribue à la construction d’une forme d’autonomie (notamment par le partage d’expériences), conséquence d’un travail plus qualitatif et réflexif où le cadre imposé est néanmoins relativement contraignant. Ce cadre permet également d’optimiser en le « rentabilisant » ce temps de pratique. Ici, il est intéressant d’interroger le rapport qu’entretient Guillaume avec ce qu’il nomme « autonomie ». En effet, l’autonomie projetée par Guillaume pour ses élèves ressemble plus à une dépendance à l’image en écho à son désir d’emprise, au regard des autres, à son propre regard et au regard de l’enseignant qu’à une réelle émancipation qui libérerait le Sujet-apprenant de la domination imposée au travers de la relation asymétrique entre l’enseignant et l’élève. Cet objectif de rendre les élèves autonomes est pourtant une base de sa position relationnelle. Mais in situ, les élèves sont invités à rentrer dans un cadre bien construit où il est plus question d’hétéronomie puisque c’est Guillaume qui a réfléchi au dispositif pédagogique. Ceci pourrait constituer son « impossible à supporter » qui fera l’objet d’un autre travail de recherche. Les élèves sont « invités » à entrer dans un cadre bien construit où il est davantage question d’hétéronomie puisque c’est Guillaume qui a réfléchi au dispositif didactico-pédagogique. Les élèves, dans ce cadre, doivent revêtir des rôles sociaux liés à l’APSA. C’est à partir de ces rôles et à l’aide de l’outil vidéo, qu’ils sont supposés devenir autonome. Il semble que les échanges qui s’installent entre, d’une part, les élèves et Guillaume puis entre les élèves entre eux à travers l’utilisation de la vidéo puissent conduire à la construction d’une autonomie relative conforme aux attentes de l’école et pas nécessairement souhaitée par l’élève. Cette hypothèse aurait besoin d’être mise à l’épreuve dans d’autres études de cas.

35À ce stade de notre étude et de notre réflexion, l’utilisation de la tablette dans ce cycle de musculation éclaire de manière originale la démarche d’un enseignant à travers sa singularité (son rapport au numérique) et ses choix didactico-pédagogiques (apprentissages coopératifs, cadre contraint, choix des ateliers, rôles sociaux, logiciels utilisés, consignes données, etc.) qui participe à la construction par les élèves de compétences variées. Dans cet exemple, il semblerait que l’outil numérique mobilisé représente une plus-value dans le processus d’enseignement-apprentissage.

36En effet, chez les élèves, on avait observé de nouvelles postures d’investissement dans les tâches proposées par l’enseignant. Ces dernières permettent une structuration des compétences par le biais d’un outil qui convoque l’image de soi et des autres, la mise en débat de ces images et la construction de stratégies d’apprentissage collectives. Dans notre étude, la tablette influence positivement l’activité de l’élève et aide à la construction d’interactions riches et variées. Cet outil ne révolutionne pas l’enseignement de l’ÉPS mais il met en avant la possibilité de redonner aux interactions une place primordiale dans les apprentissages pour accéder à une forme d’autonomie sous contrôle en acte.

Conclusion

37Cette étude au filtre de la didactique clinique permet d’apporter une autre compréhension de ce qui s’enseigne en EPS au travers de la construction de la démarche enseignante mettant en avant l’importance de la prise en compte des tensions et des contradictions du sujet enseignant dans l’analyse des dispositifs d’enseignement – apprentissage. L’usage de la vidéo apparaît ici comme le « symptôme » de la division du Sujet et des effets de son déjà-là. Résultant d’un processus décisionnel, la démarche d’enseignement de Guillaume est au service de la transmission-appropriation des savoirs, au cœur du didactique et au sein duquel le Sujet-enseignant singulier, assujetti et divisé agit et se débat en prenant – parfois à son insu – un certain nombre de décisions au regard d’un « réseau d’intentions » complexes (Carnus, 2009b, p. 50). Ses choix didactiques et pédagogiques lui permettent de composer avec cette division, de répondre à des raisons professionnelles en même temps qu’à son désir inconscient. Ce cas nous permet de rendre compte comment, au travers de ses conceptions, ses intentions et ses expériences, Guillaume élabore sa propre démarche d’enseignement, la met en œuvre à chaque épreuve interactive et la remanie dans un après-coup qui n’en finit pas de s’écrire. Cette démarche permet de répondre à quelque chose d’intime en lui, davantage que pour satisfaire ses élèves qui parfois résistent voire s’opposent à son désir. Cette temporalité constitutive de la méthodologie didactique clinique participe du développement professionnel de l’enseignant dans lequel le partage d’expériences et son remaniement jouent un rôle fondamental.