1. L’enquête des écoles vitaminées en EPS

1.1. Genèse, objectifs de départ de l’enquête des écoles vitaminées en EPS

2Dans un contexte où il est difficile de réfréner les dégradations du service public d’éducation, notre enquête « Les Ecoles vitaminées en EPS » visait à rendre compte d’une autre réalité de l’enseignement de l’EPS à l’école primaire et ce, en dehors de toute vision réductionniste et caricaturale (trop souvent mise à jour par les enquêtes officielles du ministère) : celle vécue par des acteurs et actrices qui considèrent que l’EPS est et doit rester une discipline fondamentale. Notre enquête se distinguait donc des études officielles portant sur des données uniquement chiffrées et mettant en avant les dysfonctionnements sans les recontextualiser dans une vision globale du métier de PE et donc sans évoquer les obstacles. Ainsi, cette enquête proposait une analyse à la fois qualitative et quantitative sans occulter les problématiques spécifiques à l’école primaire, ni les représentations concernant la discipline EPS. Le questionnement concernait l’identité de l’école et son contexte (les équipements, les apports de la collectivité territoriale, l’existence de rencontres sportives ou non...), les dynamiques à l’œuvre dans l’école que ce soit autour de la programmation annuelle en EPS, le travail d’équipe ou l’existence d’une personne ressource en EPS ; mais aussi la durée des modules d’apprentissages et des séances d’EPS, ou l’existence de projets transversaux impliquant l’EPS. Nous avons aussi eu des questionnements sur la formation continue et sur le soutien institutionnel, ainsi que les collaborations éventuelles avec les intervenant·es extérieur·es. L’enquête s’est adressée à plusieurs acteurs et actrices de l’enseignement et de la formation : professeur·es des écoles, conseiller·es pédagogiques, formateur·trices INSPE, professeur·es d’EPS ainsi que deux enseignant·es-chercheur·es en sciences de l’éducation et de la formation, spécialistes de l’EPS.

3La visée de cette enquête était, de constituer un observatoire des pratiques déclarées par les collègues, afin d’appréhender ce qui se fait dans les écoles vitaminées en EPS. Elle s’inscrivait délibérément dans une perspective compréhensive visant à mettre au jour les logiques de fonctionnement des PE vis-à-vis de cette discipline intégrées dans la dynamique de leur école.

4Après avoir rappelé quelques éléments à l’origine de l’enquête, nous présentons maintenant la méthodologie adoptée lors de celle-ci.

1.2. Méthodologie de l’enquête des écoles vitaminées en EPS

6Les critères retenus pour identifier les « écoles vitaminées » et les raisons de leur choix sont les suivants :

• Ces écoles assurent l’horaire officiel en EPS (3 heures par semaine ou 108 heures /années) : cette volonté se heurte à de multiples obstacles même si cela reste un objectif à atteindre. L’EPS est importante pour la santé et le développement de l’enfant (recommandation de l’Organisation Mondiale de la Santé) et est un levier de lutte contre la sédentarité. D’autre part, le « droit au sport pour tous les enfants » prôné par la Charte de l’UNESCO est loin d’être une réalité : il existe encore de nombreuses inégalités sociales, territoriales et de genre. Ainsi, l’école, puisqu’elle implique une pratique obligatoire est un lieu déterminant pour l’accès de tous et toutes à la culture.

• Ce sont les PE qui font l’EPS : nous considérons que les PE sont en capacité d’enseigner une EPS ambitieuse, pour peu que soit réuni un ensemble de conditions, et notamment qu’elle soit « faisable ». Cela suppose donc qu’elle prenne en compte les caractéristiques qu’impliquent la polyvalence et les contraintes spécifiques de l’école primaire. Le recours des intervenant·es extréieur·es (IE) devrait permettre un « plus » et un « mieux » pour l’EPS fondé sur une co-intervention entre PE et IE, et ne devrait pas conduire à une substitution du PE à l’IE. Dès lors qu’il apparait un recours aux IE « tout-venant », en dehors d’un projet contractuel à l’initiative et sous la responsabilité des PE titulaires de la classe, les écoles n’ont pas été retenues pour l’enquête.

• Dans ces écoles, l’EPS repose sur l’existence d’une programmation annuelle des diverses PPSA en EPS. Elle relève (et révèle) d’un minimum de travail en équipe, et nous renseigne sur la relation entre les équipements et les PPSA proposées, la durée des séquences d’enseignement ou encore l’enjeu de stabilisation des apprentissages. Cette programmation est un indicateur d’une potentialité de contenus d’enseignement en lien avec les programmes et d’une progressivité liée à la durée de l’enseignement.

7Au regard de ces critères définis, l’échantillon des écoles retenues est constitué de 27 écoles ; et concerne donc 250 PE. Le recueil de données s’est appuyé sur des entretiens menés avec l’équipe entière ou une personne représentative de l’école. Ces entretiens ont été conduits par différent·es acteur·rices sur la base du volontariat militant et de leur connaissance du terrain (des écoles, des circonscriptions, des contextes locaux). A savoir par trois conseiller·es pédagogiques départementaux, trois enseignant·es d’EPS en INSPÉ et une enseignante-chercheure en STAPS et la coordonnatrice du projet - ex-formatrice à la retraite. Les entretiens ont été conduits à l’aide d’un guide qui a été élaboré par le groupe de travail constitué pour cette enquête après plusieurs passations tests. Ils ont été consignés dans un journal de bord par les les collègues qui menaient l’entretien. Le traitement des données a fait l’objet d’un traitement informatisé à l’aide du logiciel Excel sur la base des catégories présentées dans le rapport d’enquête (Pontais, 2022).

1.3. Exploitation de l’enquête qui permet de dégager les conditions d’une EPS programmée à hauteur conformément aux horaires

8Dans cet article, nous nous appuyons sur un échantillon représentatif des écoles ayant répondu à notre enquête. Le détail des écoles « vitaminées », au regard de leur milieu géographique (rural ou urbain), le nombre de classes dans l’école, le type d’école (maternelle, élémentaire, groupe scolaire) ainsi que la personne qui répond, se trouve en fin d’article en annexes 1.

9Nous présentons ci-après en trois grandes parties, les éléments qui ressortent de notre enquête et qui semblent être des conditions favorables à l’EPS déjà identifiées par la littérature professionnelle et scientifique. Mais elle révèle certains aspects peu développés jusqu’à présent. En effet, il s’avère que dans ces écoles, les PE ont un rapport particulier à la pratique sociale, à la discipline scolaire et à la gestion des contraintes temporelles ; une approche intégrée de l’EPS et enfin, une organisation collective de l’enseignement.

2. Analyse de l’enquête : un ensemble de conditions

10Tout d’abord, nous pouvons dire que les PE des écoles vitaminées ont un rapport particulier à la pratique sociale, à la discipline scolaire mais aussi à la gestion des contraintes organisationnelles et temporelles. Les écoles de l’enquête assurent une séance d’EPS par jour en maternelle et au moins 2 séances par semaine en élémentaire, de 45 minutes à 1 heure (parfois moins à cause de la météo) mais rarement plus, sauf aux beaux jours. Précisons que le calcul horaire n’a rien d’évident pour les enseignant·es qui omettent souvent de compter le temps de déplacements mais aussi les présentations et bilans de la séance d’EPS lorsqu’ils sont faits en classe.

2.1. Les PE : rapport à la pratique sociale, à la discipline scolaire et à la gestion des contraintes temporelles

11D’emblée, une remarque surprenante s’impose concernant la « sportivité » des PE de ces écoles vitaminées qui n’est pas homogène :

• Dans la majorité des écoles (63 %), seule la moitié des PE interviewés se considère de culture sportive.

• Dans 2 écoles, toute l’équipe d’enseignant·es se définit comme sportive.

• Dans 5 écoles, la majorité de l’équipe s’estime sportive.

• Dans 3 écoles, seul·es quelques PE se définissent comme sportifs ou sportives.

12Ce rapport au sport des enseignant·es est donc à souligner, mais ne suffit pas expliquer totalement la vitalité de l’EPS.

14Cela est rarement formulé de manière explicite, mais semble d’autant plus déterminant, parce que, pour assurer leur EPS à la hauteur des programmes, ces écoles doivent organiser leurs enseignements avec des rencontres sportives qui vont au-delà du prescrit, et qui de fait « débordent » des programmes. Nous pensons que cette difficulté à enseigner l’EPS ne devrait pas être ignorée, puisqu’il nous semble que l’avenir de cette discipline ne peut reposer uniquement sur la posture militante des enseignant.es. Il semble que le collectif apparaisse vraiment nécessaire pour porter ces convictions.

16Ainsi, la durée réelle possible est plus proche des 2h 15 hebdomadaires que des 3 heures préconisées. Il nous semble que cette information n’est jamais prise en compte par l’institution, alors qu’elle permettrait aux enseignant·es de comprendre pourquoi « on court tout le temps après le temps » comme nous l’ont souvent évoqué les collègues. De plus, cette information permet aussi de comprendre pourquoi la plupart des enseignant·es considèrent que la mesure ministérielle « Bouger 30 minutes par jour » est inapplicable parce qu’elle s’ajoute à l’horaire EPS, déjà difficile à assurer pleinement. La plupart des PE n’applique pas le bouger. Celles et ceux qui l’appliquent le confondent avec l’EPS.

2.2. Une approche intégrée de l’EPS

17Dans les écoles, support de l’enquête, les PE considèrent que l’EPS est une discipline fondamentale qui répond à de nombreux enjeux. D’une part, elle est nécessaire pour le développement des élèves, leur santé, leur bien-être, et le « vivre ensemble », mais elle répond aussi à des enjeux sociétaux : réduire les inégalités (sociales, territoriales, de genre) et offrir une ouverture culturelle sportive et artistique à tous les enfants. D’autre part, les PE affirment que l’EPS leur permet de connaitre leurs élèves dans un autre contexte que celui de la salle de classe et dans un autre rapport à l’apprentissage (sont évoqués : apprendre ensemble, autonomie, apprentissages techniques…). Ceci nous parait expliquer en partie pourquoi, dans ces écoles, les séquences d’apprentissages sont longues et en référence aux PPSA : souvent 9 à 14 séances en maternelle en moyenne et 6 à 10 séances en élémentaire.

18Ainsi, nous pointons que dans ces écoles, l’EPS est considérée comme indispensable au bon fonctionnement de la vie de la classe.

19Cependant, la programmation des PPSA ne rend pas compte à elle seule de l’enseignement de l’EPS par les professeurs des écoles. Les projets en EPS, basés sur le développement de nouvelles acquisitions motrices (savoir nager, courir, danser…) intègrent d’autres dimensions du métier et de la polyvalence du PE. D’une part, les PE des écoles vitaminées évoquent l’intérêt de l’EPS pour la socialisation (comprendre et respecter des règles, apprendre ensemble, égalité filles-garçons...), soulignent l’« importance de l’EPS sur le climat scolaire » (JDB-33), et pointent que la préparation des rencontres sportives stimule la dynamique de la classe. Cela se répercute sur la vie de groupe : « L’EPS, c’est l’expérience de soi et des autres, hyper important pour la vie en collectivité » (JDB-28). D’autre part, plusieurs PE évoquent le fait que « l’EPS est un support de nombreux apprentissages ». Les PE associent EPS au développement du langage, l’apprentissage de notions mathématiques, littéraires, artistiques…nécessaires pour apprendre en EPS. En maternelle notamment, la séance d’EPS est un formidable point d’appui pour la construction du langage (pour élaborer des stratégies ou pour prendre des repères sur soi, sur les autres ou sur le milieu, etc.). En élémentaire, une PE nous dit : « L’EPS est central par rapport aux autres apprentissages mais on peut faire des liens entre le lancer et les maths ; ou entre le vélo et explorer le monde » (JDB-28). Une autre explique « je fais toujours l’échauffement en me servant des lignes tracées au sol, j’emploie des termes comme diagonale, …ensuite, quand je fais la notion en maths, c’est bien plus facile » (JDB-36).

20Ces écoles évoquent que la démarche vécue en EPS de manière positive (que ce soient les essais/erreurs, les efforts ou la répétition) est souvent convoquée dans le cadre d’autres apprentissages, et dans d’autres disciplines.

2.3. Un horaire EPS plus conséquent grâce aux rencontres sportives intégrées dans le projet de classe

22C’est dans ce contexte que l’EPS occupe un volume horaire plus conséquent que celui affiché dans les prescriptions ministérielles. Les projets débordent le seul cadre disciplinaire EPS et sont intégrés dans des projets d’école plus généraux, par exemple un « projet EPS en lien avec le projet plus large de l’égalité filles-garçons » (JDB-16). Certain·es PE évoquent le côté transversal de l’EPS : « l’EPS, c’est transversal : apprendre des règles de vie, apprendre à gérer ta colère et ta frustration ; prendre conscience de son corps, c’est vraiment transversal : arbitrer, c’est savoir arbitrer, mais c’est savoir expliquer pourquoi tu siffles si l’autre conteste (…) Quand tu fais du sport, tu fais toujours autre chose » (JDB-30). Pour conclure, il semble que « C’est ce qui donne de la valeur à l’EPS, y compris aux yeux des parents » (JDB-16).

23En lien avec ces contenus de l’EPS intégrés et finalisés, notre enquête pointe que ce qui permet aux écoles vitaminées d’assurer l’horaire officiel d’EPS (3 heures par semaine ou 108 heures /années), ce sont l’ensemble des projets en lien avec l’EPS qui ne sont pas obligatoires, notamment les rencontres sportives ou artistiques sur le temps scolaire ; les évènements sportifs (par exemple : sorties vélo, randonnées, classes de mer, semaine olympique, etc.) ainsi que les projets transversaux (par exemple : les inégalités, la santé…). Ces projets dynamisent l’EPS ainsi que le travail d’équipe et donnent du sens aux apprentissages pour les élèves (et les PE !).

25En maternelle, les rencontres sportives de type USEP sont plus rares, mais souvent, les enseignant·es organisent des évènements (par exemple : un bal folk, une randonnée pour l’école entière, un spectacle pour les parents, des olympiades d’athlétisme, etc.). Ces rencontres et évènements sportifs contribuent à donner une identité de l’école et fondent un rapport positif à la culture sportive pour les élèves.

26L’organisation des enseignements autour de ces projets implique nécessairement un travail d’équipe parce ces projets nécessitent de faire des choix, mobilisent des plages horaires communes, voire des journées entières et une répartition équitable des financements. Il en est de même pour les rencontres USEP qui se font sur la base du volontariat. La définition de projets finalise les modules d’apprentissage autour de rencontres sportives. Il semble qu’elle apporte une signification aux savoirs enseignés en les inscrivant dans les logiques des activités sportives culturelles. Ces rencontres sportives finalisent les apprentissages. Elles orientent les enseignements-apprentissages à la poursuite des résultats d’action inscrits dans la logique culturaliste.

27Par exemple un PE précise que « c’est le CPC qui organise ces rencontres USEP (cross, danses bretonnes, CO, sports collectifs), au moins une par an, trois maximum. Ça booste tout le monde, ça donne un objectif aux élèves. Pas d’esprit de compétition, on se prépare pour le plaisir, pour partager avec d’autres enfants, c’est une ouverture culturelle, une sortie » (JDB-30). Une autre collègue évoque « quand on va dans une salle spécialisée en fin de module, ça impressionne les élèves. C’est une ouverture culturelle importante, du même ordre que l’on va au musée » (JDB-27). Ainsi, il semble que l’organisation de ces rencontres conduit également à concevoir de contenus d’enseignement et modes de travail didactique d’une densité épistémique plus consistante qu’à l’ordinaire, ce qui confirme les résultats de Verscheure et Amans-Passaga (2022), et Verscheure et Barale (2023).

28Assurer les modules d’apprentissage finalisés par des rencontres sportives concentre l’attention du PE et des élèves autour de significations partagées, l’atteinte d’un résultat et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir : « On voyait que les enfants ne faisaient pas le rapport entre ce qu’on faisait et ce qui se passe en dehors de l’école ; c’est comme ça qu’on a fait du basket au lieu des petits jeux collectifs ; pareil pour la gym » (JDB-28). La finalité évoquée d’une rencontre sportive semble favoriser l’entrée des élèves dans une recherche de progrès et de dépassement des savoirs initiaux en lien avec des contenus d’enseignements propres à l’EPS. Comme l’évoque une collègue : « On ne fait pas de l’EPS que pour la santé. On se bat pour de l’EPS et pas pour de la motricité » (JDB-16). Ces déclarations au sujet de leurs transformations professionnelles sont significatives. Celles-ci participent selon nous de la construction de nouveaux savoirs professionnels (Johsua, 1998). C’est ce qu’évoque notamment une collègue en précisant que « Maintenant, mes collègues ont vraiment l’impression de faire de l’EPS, d’enseigner et de faire apprendre quelque chose de valable et d’utile pour le développement des enfants et leurs pratiques en dehors de l’école » (JDB-17).

29Toutes les écoles interrogées ont fait part de leurs regrets concernant la suppression des conseiller·es pédagogiques de circonscription (CPC EPS) qui organisaient et dynamisaient ces rencontres sportives. En effet, les conseiller·es sont désormais phagocyté·es par les formations en maths et français et de multiples missions empilées par les directives ministérielles (accompagnement des néo-enseignant.es, égalité filles-garçons, laïcité…) et deviennent indisponibles pour assurer le suivi en EPS.

2.4. Une organisation collective de l’enseignement : volonté de travailler en équipe

2.4.1. Des visées communes

30D’une manière générale, ces écoles développent beaucoup de projets et pas seulement en EPS. Comme le résume une collègue « Quand on fait les choses seul, elles sont lourdes, en équipe, c’est plus facile » (JDB 20).

31Ces projets sont guidés par une vision culturaliste de l’Ecole dont les objectifs sont de manière imbriquée : le développement des élèves, leur accès aux cultures (littéraire, scientifique, sportive, artistique) en même temps que la réduction des inégalités sociales, de genre ou territoriales, comme l’illustre le propos suivant : « Il y a un enjeu à faire découvrir aux élèves ce qu’ils ne feront jamais en dehors de l’Ecole » (JDB-30).

32Les enseignant·es de ces écoles soulignent que ce travail en équipe demande du temps, beaucoup d’énergie et qu’il est très peu soutenu par l’institution. Il est cependant un point d’appui important pour faire face collectivement aux multiples injonctions de cette même institution. Ainsi, plusieurs PE évoquent « une réelle volonté de travailler en équipe » (JDB-16), il est précisé que « toute l’équipe pense d’abord à l’intérêt des élèves » (JDB-38), le fait qu’il y ait une « même vision du métier » (JDB-14) ; ou encore le fait d’avoir les « mêmes exigences envers les élèves » (JDB-03).

33La stabilité et la solidarité de l’équipe est importante « c’est important que l’équipe soit soudée, et stable, pour que tout le monde travaille bien » (JDB-28), ainsi que la transmission de la culture de l’école des anciennes vers les nouvelles collègues. Ainsi, une PE évoque le fait que « c’est confort d’arriver dans une équipe qui tourne, le-la collègue met les chaussons » (JDB-16), tandis qu’une autre souligne : « On s’entraide, celles qui ne surveillent pas la récréation installent le matériel, c’est moins lourd pour tout le monde, et quand tu arrives avec tes élèves, tout est déjà en place » (JDB-30).

34Concernant le travail en équipe, il ressort en premier dans l’enquête une entente sur les enjeux de l’école, ainsi qu’une culture professionnelle commune. Par exemple, un PE nous dit « Toute l’équipe a un état d’esprit ouvert à l’EPS dans toutes ses dimensions. Nous sommes convaincu.es de tout ce qu’ils apprennent en EPS (EPS et enseignement moral et civique). On a un regard sur l’enfant au-delà des apprentissages scolaires » (JDB-33) « on a tous été formé dans le même IUFM, on a la même conception de l’EPS, on emploie les mêmes mots, alors on se comprend vite » (JDB-14).

35Dans les entretiens, des collègues font des remarques qui vont dans le sens des résultats de recherches sur l’analyse du travail et le développement des métiers, à savoir un décalage entre le prescrit et le réalisé. « Les demandes de l’institution sont exorbitantes : il faut toujours faire plus avec moins. Dans notre équipe, on s’autorise à ne pas respecter, mais ça marche parce qu’on est un bon collectif. C’est le collectif qui permet de tenir. » (JDB-38) ou encore, « Le fait qu’il y ait plusieurs syndiqué·es dans l’école nous amène à discuter et mieux faire le tri dans tout ce qui nous tombe dessus » (JDB-39). Ainsi, les collègues affirment que travail en équipe est un atout fort qui permet de résister collectivement aux injonctions trop souvent contradictoires de l’institution et regrettent fortement un manque de temps pour la concertation.

36Enfin, nous notons également que le travail d’équipe permet une relation sereine et constructive avec les parents d’élèves. Plusieurs PE précisent en effet que « C’est important d’expliquer aux parents qu’il faut une tenue en EPS » (JDB-25). Certain·es disent : « On a des règles communes et le même discours vers les parents, et lors des rencontres ils supportent l’école » JDB-24) et évoquent le fait que c’est bien que « Non seulement les parents sont d’accord, mais ils participent ! » (JDB-36). « Ce sont les parents qui paient les IE (via la coopérative de l’école)… il faut obligatoirement leur expliquer l’intérêt de faire du rugby, de la voile.. » (JDB-28). Ainsi, dans un contexte où la communication ministérielle met l’accent sur les savoirs dits fondamentaux (français et mathématiques), le soutien des parents apparait comme une nécessité pour légitimer et dynamiser l’enseignement de l’EPS.

2.4.2. Un.e enseignant.e, personne ressource EPS

37Dans notre enquête, le travail en équipe est une réalité pour les collègues des écoles vitaminées ; souvent articulé autour d’une personne ressource EPS. Nous soulignons que la direction d’école joue en ce sens un rôle de soutien important. En effet, dans toutes les écoles vitaminées, sauf une, la direction d’école joue un rôle moteur en EPS, même lorsque l’équipe annonce fonctionner en collectif. Une directrice dit : « j’organise, j’impulse, je facilite les projets, j’encourage la co-intervention » (JDB-37), ceci sans rien imposer. Par ailleurs, dans 5 écoles, c’est le directeur ou la directrice qui joue le rôle de personne-ressource EPS. « Chaque fois qu’une personne nouvelle arrive dans l’école, il faut ré-expliquer… mais en même temps, c’est « confort » d’arriver dans une équipe qui tourne » (JDB-16). L’ensemble des directions d’école estime ne pas être soutenu par l’institution qu’elle trouve pesante et/ou inexistante. Une directrice nous dit « Une direction qui a les moyens … pilote ! Le problème de cette institution, c’est qu’elle fonctionne sur le bénévolat » (JDB-4) ; une autre souligne un besoin de confiance : « On voudrait qu’on nous fasse confiance, moins de paperasse. Aujourd’hui, si tu veux faire une sortie vélo, tu passes plus de temps à demander des autorisations qu’à préparer tes contenus ! » (JDB-13).

38Plus de la moitié (63 % des écoles vitaminées) font le choix d’avoir une personne-ressource EPS. Cette personne n’est pas « désignée » a priori par les collègues, c’est une responsabilité qui se construit au sein de l’équipe. Par exemple, une collègue nous dit « Dans l’école, nous avons été amenées à nous répartir les tâches. Une collègue s’occupe des fournitures pour les arts, l’autre des sciences, …c’est ainsi que je suis devenue « naturellement » référente EPS au sein d’une équipe où chacune joue un rôle particulier » (JDB-17). Il s’avère que le rôle dévolu à l’enseignant·e référent·e varie selon les équipes mais que dans tous les cas, il s’avère que la personne-ressource dynamise les équipes. Elle conseille pour l’achat de matériel, impulse des projets, s’implique dans l’organisation des rencontres sportives. Elle aide à l’organisation de la programmation, la préparation des séquences, des séances, comme l’atteste le propos suivant : « J’aide les collègues à faire le tri dans toutes les propositions didactiques, je leur sélectionne les choses intéressantes » (JDB-37) ou encore : « Je fais des propositions sur les situations d’EPS que j’ai moi-même testé auparavant » (JDB-17). Souvent, cette personne-ressource fait de la co-intervention ou des échanges de service.

39Ainsi, il n’y a pas de modèle type mais il n’en reste pas moins qu’il y a quelques points communs. Il est important de noter que ce rôle de personne-ressource est une décision volontaire et qu’il semble nécessairement être une co-construction de l’équipe. Cette personne-ressource a souvent eu une formation spécialisée (STAPS, ou a réalisé un mémoire de master en EPS) ou est impliquée dans le mouvement sportif local. Les entretiens montrent que l’institution pourrait davantage prendre appui sur ces PE, en particulier celles et ceux ayant eu un cursus STAPS. Dans le rapport des écoles vitaminées (Pontais, 2022), nous avons montré qu’une personne-ressource était une solution pertinente pour dynamiser une équipe d’école, alors même que l’institution ignore totalement ce rôle potentiel.

2.4.3. La programmation collective de l’EPS sur l’année

40Ce travail d’équipe en EPS nécessite et entraîne une programmation concertée à différentes échelles de l’école. Cela concerne en premier lieu la programmation des PPSA et son incidence sur la formation polyvalente des élèves. Cela se traduit par une répartition des installations matérielles et la programmation des PPSA qui en résulte. Les équipements ici sont déterminants. Sans espace ou équipement spécifique, certaines PPSA ne peuvent être programmées. Cette programmation peut concerner a minima chaque classe ou un cycle d’enseignement (deux ou trois classes) voire l’école entière.

41En effet, il y a une programmation des PPSA, mais souvent en plus, ces écoles inventent des modes de fonctionnement très favorables à l’EPS, et ce, en dehors de toute prescription institutionnelle.

42Dans les écoles vitaminées, la programmation intègre dès le début d’année les projets sportifs, sorties vélo, spectacle rencontres de danse, stages de pleine nature qui permettent de finaliser l’enseignement de l’EPS, aussi bien pour les professeurs que pour les élèves : réaliser un parcours vélo, élaborer une chorégraphie que l’on va montrer sur scène a du sens. Cette programmation qui se traduit par des cycles d’apprentissages longs, confirme les travaux de Verscheure et Amans-Passaga, 2022, Verscheure et Barale, 2023).

43Par exemple, au moins quatre écoles maternelles font des cycles très longs en référence aux PPSA : « On voyait que nos enfants ne faisaient pas le rapport entre nos parcours de motricité et ce qui se passe en dehors de l’école. Maintenant, les élèves sont hyper-impliqués, la séance de gym, c’est le moment le plus calme de la journée ! » (JDB-27). Dans une autre école, la PE évoque que « Maintenant, avec la référence aux PPSA, les collègues ont vraiment l’impression de faire de l’EPS, d’enseigner et de faire apprendre quelque chose de valable et d’utile pour le développement des élèves et pour leurs pratiques en dehors de l’école » (JDB-17). Au regard de ces données, on peut dire que nos écoles vitaminées proposent une EPS, avec des modules assez longs, susceptible d’enclencher de réels apprentissages d’actions nouvelles.

44Les débats sur la programmation conduisent ainsi à des échanges de points de vue porteurs de connaissances implicites sur les logiques de classification des PPSA en fonction de leurs contributions à l’éducation corporelle et au développement culturel des élèves : « On s’organise pour faire une APPN par an » (JDB-14). Ces échanges en équipe portent rarement sur l’identification de champs d’apprentissage, tels que ceux définis dans les programmes puisqu’il semble que ces catégories qui structurent les programmes ministériels ne sont pas une référence fonctionnelle. Les enseignant·es parlent tout simplement de natation, d’athlétisme, danse, badminton…

45Nous pouvons affirmer que le travail collectif d’élaboration d’une programmation au sein de l’école a un impact sur les savoirs professionnels. Il est un partage d’expérience mais va cependant au-delà des seules considérations contingentes puisque pour 23 écoles, elle dépasse la répartition des créneaux horaires et des équipements (Pontais, 2022).

2.5. La co-intervention comme modalité pertinente pour faire vivre une EPS de qualité

46La co-intervention est une modalité de travail qui s’observe lorsque deux PE travaillent simultanément avec leurs classes respectives. Elle ne relève pas d’une recommandation institutionnelle. Notre enquête montre cependant que la co-intervention se pratique dans 35 % des écoles de l’échantillon (Pontais, 2022), et apparait comme une modalité pertinente pour permettre de mettre en place et faire vivre une EPS de qualité. En effet, les enseignant·es voient dans ce travail à deux de l’entraide et de la mutualisation de compétences, de la sécurité et une gestion de classe plus facile malgré un nombre d’élèves plus important.

47Il s’avère que les PE y trouvent un intérêt pour plusieurs raisons :

• Elle est tout d’abord une solution qui facilite l’enseignement au quotidien : les déplacements vers les lieux de pratique, le gain de temps dans la mise en place du matériel, la gestion des relations entre élèves : « pendant que je fais l’échauffement, l’autre installe le matériel ; à la fin, l’une range le matériel, pendant que l’autre fait la relaxation » (JDB-26),

• Elle favorise les échanges de compétences et sécurise les enseignant·es qui se sentent moins à l’aise dans la discipline, « On prépare ensemble, et arrivées à la piscine, je fais les groupes, je donne les consignes, ensuite les collègues fonctionnent avec leur groupe. Elles sont beaucoup moins stressées maintenant ! » (JDB-2) et les incite à faire leur séance d’EPS « être à deux, ça booste ! », « être deux, ça nous oblige à aller en EPS ! ». Notons que les personnes-ressources - dont nous avons parlé plus haut - sont souvent impliquées dans la co-intervention.

• Cette coopération où deux PE font classe en même temps permet également la mise en place de modes de travail diversifiés qui sont susceptibles d’influencer les contenus d’enseignement, tels que la démultiplication du travail par atelier, des interventions plus individualisées auprès des élèves. « En athlétisme, on fait 3 classes en même temps. Si tu es seule, tu organises 3 ateliers, les élèves sont autonomes sur 2. Il n’y a des vrais apprentissages que sur un atelier. 3 enseignant·es ensemble, c’est 3 ateliers didactisés, c’est plus efficace » (JDB-14). Une enseignante précise : « la co-intervention entre enseignantes, ça change tout au niveau de l’observation, de la gestion des groupes », « ça permet une meilleure observation des élèves », « ça permet de faire du travail de tutorat « petits/grands » (JBD-26).

48Enfin, le dernier point favorable à la co-intervention concerne le gain concernant la pratique en « sécurité », du fait notamment de la présence de personne supplémentaire, ce qui « renforce l’encadrement », notamment en REP trouve cette modalité est très « aidante ». « C’est plus confortable » conclue un collègue.

49La co-intervention est donc une modalité de coopération qui, parce qu’elle nécessite des échanges, des discussions sur les contenus d’enseignement nous semble très intéressante à étudier de plus près, comme nous le préciserons en guise de perspectives.

2.5.1. Peu d’échanges de service

50Nous parlons d’échange de service lorsque deux PE intervertissent leurs enseignements entre deux disciplines. Ces échanges ont été un temps encouragés par l’institution en vue d’assurer la polyvalence des enseignements grâce au travail en équipe. L’enquête pointe le fait qu’il y a peu d’échanges de services entre des PE (seulement 7,5 % des écoles vitaminées), même s’ils existent ponctuellement. Sans nier l’intérêt que peuvent avoir des échanges de service, s’ils ne sont pas vu comme une façon d’échapper à l’enseignement de l’EPS, ils restent, dans le contexte actuel, une réponse à la polyvalence du PE plus formelle que réelle (Philippot et Baillat, 2011).

51Ce faible pourcentage d’échanges de service confirme les résultats d’une étude sur les effets de la formation « à dominante EPS » (Grassetie, 2006). Les enseignant·es de notre enquête l’expliquent ainsi : « On veut voir nos élèves en EPS » (JDB-34) ou une autre : « Si un collègue me demandait d’échanger son EPS, je ne sais pas si j’accepterais, j’ai envie de voir mes élèves, pas obligatoirement une autre classe, parce que l’EPS c’est un moment de complicité avec les élèves » (JDB-35). Dans les différents propos on relève cette idée récurrente de voir l’élève autrement qu’assis derrière sa table, dans des relations aux autres variées, dans des milieux inhabituels, dans des apprentissages non intellectuels plein d’émotions. Une collègue dit « c’est comme pour les profs d’EPS, on dit toujours que ce sont eux qui connaissent mieux les élèves et bien c’est pareil pour nous ; même si on a les élèves toute la journée, les voir en EPS nous apprend à les connaitre. » (JDB-34).

52Les arguments donnés par les PE peuvent aussi expliquer leur réticence à déléguer l’EPS à des intervenant.es extérieur.es, et à exiger de la co-intervention avec eux, dans les activités que les PE choisissent.

2.5.2. EPS et Interventions extérieures

54Ce qui fait l’originalité des écoles vitaminées, c’est que les partenariats sont « maîtrisés », en quantité et en qualité. La co-intervention est revendiquée, exceptée dans l’encadrement des APS telles les APPN, qui nécessitent officiellement un encadrement renforcé pour des raisons de sécurité et pour lesquelles l’enseignant·e s’efface devant les compétences organisationnelle et technique de l’intervenant.e.

55Plus généralement, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les demandes prioritaires des écoles vitaminées envers les collectivités territoriales ne sont pas celles de mise à disposition des intervenant·es mais des demandes concernant les équipements (50 % des écoles évoquent le manque d’espaces couverts), concernant le fait de pouvoir laisser le matériel en place sans déranger le centre de loisirs (par exemple en maternelle), celui d’avoir accès à des salles spécialisées, le fait d’avoir un adulte supplémentaire pour aider au montage/démontage de matériel (par exemple : gardien de gymnase) ou pour encadrer les sorties ou récréations (l’équivalent d’une ATSEM pour l’élémentaire) ou encore la formation des personnels municipaux…

56Nous pouvons mettre en évidence les priorités évoquées par les enseignant·es interrogé·es :

• pour les écoles sous-dotées, des demandes d’équipements couverts proches de l’école ;

• pour 100 % des écoles vitaminées, des demandes concernant la formation initiale et continue ainsi qu’un·e CPC EPS dans chaque circonscription pour assurer l’accompagnement au plus près des besoins de l’école.

• pour toutes les écoles, la demande d’une pression moins forte sur les enseignements dits fondamentaux de la part des différents échelons hiérarchiques.

• convaincues de l’importance de cette discipline, elles estiment également nécessaire une réelle valorisation de l’EPS au sein du système scolaire.

57Les modalités d’intervention sont diverses et témoignent d’inventivité pour éviter toute substitution.

58Dans une école, le collègue nous dit ainsi « Pour l’escalade, on a commencé à faire des ateliers jusqu’à 2 m de haut, on a bien avancé les apprentissages de base et ensuite l’IE est venu pour qu’à la fin, on puisse faire une vraie sortie sur les voies en pleine nature » (JDB-14).

59Pour toutes les autres PPSA (sans encadrement supplémentaire obligatoire), par exemple, en athlétisme, l’intervenant permet de faire trois groupes pour deux classes (JDB-27). Autre exemple : l’alternance une séance longue/ une séance courte l’une avec intervention, l’autre sans ; ou encore l’intervention permet le démarrage du module « en ultimate, l’IE est venu les deux premières séances nous aider et une fois qu’on a compris, on a continué seuls » (JDB-13).

60Ainsi, l’intérêt pour les enseignant·es est explicite : l’IE permet d’avoir accès à une installation ou du matériel, d’assurer la sécurité, de faire des groupes… On retrouve ici la priorité aux équipements déjà constatée par ailleurs : « ça permet d’avoir du matériel » (JDB-26). On repère que c’est une aide, un confort pour l’enseignant « si on devait installer nous-mêmes, on ne le ferait pas… C’est comme en natation, le fait que les MNS installent c’est déterminant » (JDB-4) ou encore : « l’intervenant prépare le matériel, tu gagnes un temps énorme » (JDB-26)

62Néanmoins, les PE, conscient·es des dérives possibles, réclament des temps de concertations et des formations communes avec les IE, pour avoir des partenariats fructueux : « on a sollicité l’intervenant extérieur en escalade (…) on prend sur le temps du conseil des maîtres pour se faire une formation » (JDB-14).

63Plus de la moitié des écoles concernées considèrent que l’intervention extérieure joue un rôle de formation continue informelle. « Nous n’avons plus d’intervenant extérieur depuis 4 ans, mais on continue de travailler sur la base de ce qu’il a apporté » (JDB-37). Cette remarque nous semble caractériser une école vitaminée.

64En effet, dans une école « ordinaire » où les enseignant·es se sentent en difficulté en EPS, le risque de substitution est très grand ; alors que dans ces écoles vitaminées, ces enseignant·es sont en capacité de choisir les interventions extérieures et d’en refuser certaines ; l’intervention extérieure est non seulement une plus-value à l’instant T, mais aussi un investissement sur l’avenir si les enseignant·es deviennent capables d’enseigner seul·es.

65A la suite de la présentation de ces éléments qui semblent être des conditions favorables à l’EPS déjà identifiées par la littérature professionnelle et scientifique, nous présentons quelques perspectives de recherche.

3. Perspectives de recherche

66Cette enquête contribue ainsi à une sorte d’observatoire des pratiques, qu’il conviendra de compléter en allant observer ce qui se fait réellement dans ces écoles, les logiques de fonctionnement ordinaire des PE, ce qui intéresse à la fois la recherche et la formation.

67Ainsi, à partir de ces résultats s’appuyant sur les pratiques déclarées, plusieurs pistes de travail et de recherches peuvent être envisagées pour prolonger la réflexion :

• la questions des équipements est déterminante, mais de quels équipements parle-t-on exactement ? Comment s’organisent les PE des écoles vitaminées qui ont très peu d’équipements ? Quelles PPSA, quels contenus et quelles formes de travail sont proposés pour que la séance d’EPS existe malgré des équipements insuffisants ?

• mener des recherches pour comprendre quelles formes prend le travail collectif au sein de ces écoles et dans quelle mesure les modalités de coopération influencent les contenus d’enseignement.

• mener des recherches sur la façon dont les rencontres sportives et les évènements sont intégrés aux contenus. De même pour les partenariats : quelles informations prennent les PE pour décider de faire intervenir un intervenant.es extérieur.es. Quels sont leurs critères pour poursuivre, faire fructifier ou au contraire arrêter un partenariat ?

• mener des recherches sur les acquisitions des élèves en EPS. A l’heure où il est question de diminution des capacités physiques des enfants, où l’institution entend proposer des tests de valeur physique à tous les niveaux de la scolarité, observer les acquisitions, les progrès des élèves qui bénéficient de davantage d’EPS serait des plus intéressants. Tout comme étudier le rapport des élèves à l’EPS à l’entrée du collège (rapport aux apprentissages, rapport aux autres, autonomie...), voire leur rapport à l’école.

68Mais cette enquête ouvre également d’autres pistes qui pourraient à fois produire de la connaissance et faire évoluer les représentations sur l’EPS à l’école primaire des divers acteurs.trices :

69L’enseignement de l’EPS repose sur un ensemble de savoirs professionnels, à la fois pratiques et théoriques. Les discours classiques, de « sens commun » véhiculent et accréditent l’idée que les PE ne les maîtrisent pas ou pas assez. Or, le développement des recherches sur les savoirs professionnels des enseignants depuis plusieurs décennies, en particulier depuis la création des IUFM, souligne combien les savoirs des enseignants sont multiples, variés, complexes. En particulier l’exercice du métier de professeur des écoles a nourri un certain nombre d’entre elles (Altet et al, 1996 ; Baillat et al, 2001 ; Bucheton, 2009 ; Daguzon et Goigoux, 2012 ; Goigoux, 2007 ; Philippot et Baillat, 2011... pour ne citer que quelques-uns). Toutes ces recherches soulignent combien cette profession est un métier qui s’apprend et repose sur savoirs stabilisés complexes à saisir.

70Est-il possible que les PE développent des savoirs dans les disciplines de la polyvalence et non en EPS ? Nous ne le pensons pas. A rebours d’un ensemble de discours qui dénie toute forme de professionnalité en EPS aux PE, la recherche sur les savoirs des PE doit se poursuivre et faire l’objet d’une attention soutenue et particulière. Parce que cette discipline se déroule dans un contexte particulier (hors la classe) aux contours institutionnels flous (programmes imprécis, recommandations ministérielles contradictoires …) que cette enquête a souligné, nous avançons que les PE de ces écoles vitaminées ont développé des savoirs et compétences spécifiques. Alors que l’expertise construite en formation professionnelle et des modalités de préprofessionnalisation des enseignants d’EPS en collège et lycée a depuis longtemps été valorisée et montrée en exemple pour la richesse de son approche, celle des PE doit être investiguée plus à fond afin de dégager par exemple en quoi les savoirs et compétences développés en EPS ont des répercussions sur les modalités d’enseignement des autres disciplines. De même il peut être fort instructeur de comprendre dans quelle mesure l’enseignement des disciplines de la polyvalence a également des incidences sur l’enseignement de la discipline EPS. A titre d’exemple il est possible de mentionner les quelques résultats sur le dispositif d’enseignement des sports collectifs par débat d’idées (Gréhaigne et Deriaz 2010 ; Thépaut, 2020). Cette approche à l’école élémentaire a souligné la proximité avec d’autres modalités d’enseignement s’appuyant sur les pratiques de débat, débat interprétatif, débat argumentatif (Dias-Chiaruttini, 2015, débat à visée philosophique à l’école élémentaire (Soulé et al, 2008…).

71Pour cela il convient de considérer pour reprendre une formule empruntée à Mérand (2005) qu’il ne s’agit pas de sportiviser l’EPS par une transposition directe des sports dans le cadre scolaire, en particulier par l’entremise des intervenants extérieurs mais bien plutôt de scolariser les pratiques sportives dans le contexte spécifique de l’école primaire. Un large champ de recherches est ouvert et reste encore à explorer ouvrant des perspectives novatrices.

72Ainsi une seconde perspective de recherche peut s’orienter vers l’étude des contenus d’enseignement-apprentissage élaborés dans les classes de ces écoles vitaminées. L’enquête a permis de mettre en évidence des séquences d’apprentissage plus longues. Dépassant le stade couvert par cette première enquête elle ouvre la voie vers une orientation plus spécifique sur les enseignements mêmes au cours des séances. Nous l’avons précisé précédemment, cette enquête tout en s’appuyant sur les résultats de recherche menés principalement dans une orientation didactique sur la base d’études de cas très contextualisées avait pour objectif une visée d’élargissement à un échantillon plus large et surtout plus étendu au niveau national. Cette enquête dessine un profil d’écoles et de classes caractéristiques favorisant des recherches comparatives avec les enseignements proposés dans les écoles ordinaires. Plusieurs dimensions peuvent ici être investiguées. La première peut concerner l’impact des rencontres sportives sur le sens attribué et finalités accordés aux enseignements-apprentissages. Cela permet-il des contenus d’enseignement plus fonctionnels et quelle est l’incidence sur les apprentissages des élèves ? Une seconde peut être plus orientée sur l’étude des apprentissages des élèves. Il est en effet possible de questionner la réussite des élèves lors des enseignements conduits dans ces classes. Une attention particulière peut être portée sur les modalités d’évaluation mises en œuvre dans ces écoles. L’EPS est-elle évaluée, si oui, de quelle façon ? En l’absence de notes attribuées, un projet de recherche peut être développé en prenant appui sur l’étude des livrets de compétences remplis par les PE. Ceux-ci sont parfois complétés de dessins des élèves, des photos prises au cours de séance, accompagnés d’appréciations. L’extrême diversité des formes de l’évaluation développées par les PE pour rendre compte des apprentissages des élèves à leurs parents ouvre un espace de recherche important. Ceci devrait permettre par inférence de nourrir des résultats conséquents sur les contenus d’enseignements.

73Dans le même ordre d’idée il est possible d’envisager que le fait d’être dans une école vitaminée a peut-être une incidence sur la réussite globale des élèves ? Ce type de renseignement permettrait sans doute de rassurer les PE et les parents d’élèves qui pensent qu’amputer l’enseignement de l’EPS permet la réussite en maths et en français.

74Une troisième perspective de recherche peut être engagée en direction de l’étude du climat scolaire régnant au sein des écoles vitaminées. Les entretiens de l’enquête l’ont souligné, les PE ont plusieurs fois mentionné les répercussions des séances et projets conduits en EPS sur le climat, l’ambiance de la classe. L’étude des contenus d’enseignement, leur prise en charge par les élèves s’effectue souvent au cours de modes de travail didactique impliquant des rôles sociaux endossés par les élèves, observateurs, arbitres, juges, marqueur … Les activités physiques sportives artistiques impliquent ces rôles inhérents à l’organisation de la pratique. Cette prise en charge, mentionnée dans les textes et recommandations ministérielles, occupe-t-elle une place importante, délibérée dans la mise en œuvre des séances ? Une attention soutenue dans la conduite d’entretien semi-directifs auprès des PE de ces écoles vitaminées serait en mesure d’apporter des résultats précis dans ce domaine. D’autres orientations de recherche peuvent également être envisagées dans ce cadre, relatives aux conditions de mise en œuvre de l’égalité filles-garçons ou des problématiques liées à l’inclusion.

75Enfin, une quatrième perspective de recherche émerge des résultats issus de cette enquête exploratoire. Elle est relative à la question de la formation continue. L’acquisition de savoirs professionnels qui transparait dans les entretiens souligne plusieurs dimensions : le rôle d’un référent au sein de l’école, l’importance du travail en équipe, le rôle de la direction d’école, le soutien de l’institution, l’accompagnement des conseillers pédagogiques. Celles-ci esquissent le poids de l’expérience professionnelle dans la mise en œuvre des enseignements. Les études présentées par Baillat et al, (2001), Daguzon et Goigoux (2007), Broccolichi et al, (2018) ont largement documentée la centration des PE débutants sur l’enseignement des deux disciplines français et mathématiques, avant d’élargir leurs compétences aux autres disciplines de la polyvalence. Cette perspective de recherche doit être en mesure de renseigner plus précisément le rôle des expériences et du parcours professionnel dans l’acquisition des savoirs et compétences au fondement de « l’énergie physique et militante » nécessaire pour s’inscrire dans la dynamique des écoles vitaminées. Cette première enquête a fait apparaître les nécessités de la formation continue sans réellement en dégager les ressorts dans les développements professionnels. Une recherche, qui reste à faire, doit éclairer cette dimension, en particulier dans un contexte de forte réduction des temps de formation continue au cours de la dernière décennie.

4. Conclusion

76Cette recherche d’une « EPS de qualité » renvoie selon nous au fait que l’EPS ne peut se contenter d’être une « discipline de service » (Martinand, 1992, p. 58) visant le développement de compétences citoyennes (respect des règles, autonomie, responsabilité, fonctionnement collectif ...), relatives au langage (écouter, savoir s’exprimer), à la réflexion. Elle doit aussi être une « discipline de cœur » (Martinand, 1992, p. 58) au service de la construction des habiletés motrices (Verscheure et Amans-Passaga, 2022) et de la réduction des inégalités sociales, culturelles, territoriales, de genre... au cœur du projet d’une école publique et démocratique. Cela renvoie aussi à la question de l’Interdisciplinarité scolaire (Lenoir et Sauvé, 1998) comme l’intégration de savoirs à partir de disciplines complémentaires, telles que mathématiques, français par exemple, au service de la programmation et des apprentissages de l’EPS…

77En effet, la mise en œuvre des séances d’EPS à l’école primaire soulève des difficultés spécifiques en termes de conception, d’animation et de pilotage des apprentissages (Amans-Passaga, 2010 ; Blanchouin, 2015 ; Devos, 2006 ; Pontais et Brière-Guenoun, 2014 ; Thépaut, 2019 ; Verscheure, 2020). Elle repose sur un ensemble de savoirs professionnels, à la fois pratiques et théoriques dont les discours classiques assurent que les PE ne maîtrisent pas ou du moins pas assez.

78Nous espérons, modestement, participer à la défense de l’idée que l’enseignement de l’EPS est non seulement souhaitable et possible, mais également accessible, sous réserve d’un certain nombre de conditions : « la preuve, dans ces écoles vitaminées à l’EPS ça marche ! ».