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Les militantes du Parti de la justice et du développement au Maroc et d’Ennahdha en Tunisie : formes d’engagement et d’organisation

The activists within Morocco’s Justice and Development Party and Tunisia’s Ennahdha: Forms of Engagement and Organization
ناشطات حزب العدالة والتنمية في المغرب والنهضة في تونس: أشكال من الإلتزام السياسي والتنظيم
Anca Munteanu
p. 69-88

Abstracts

The integration of Ennahdha (Tunisia) and of the Justice and Development Party (Morocco) into the established political game has led to the feminization of these Islamist parties and impacted the career of women activists in their ranks. The article shows that women participated in the construction of Islamist movements through social work and by raising ideological awareness. Indeed, their associative skills enabled the constitution of a female electorate. These forms of engagement contradict the idea that Islamist women would necessarily be reduced to playing secondary roles in politics. However, the article takes into account that women are underrepresented in these parties’ decision-making bodies and in leadership positions. In addition, it shows that they comply with their parties’ official discourses on issues related to women’s rights. This article is not assuming that Islamism would be an engine of emancipation or, on the contrary, of domination of women. It shows that women’s access to Islamist movements led them to organize themselves and to participate actively in activities for the benefit of their parties. In this context, through social and political commitment, women have become important actors in Islamist parties.

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Full text

Introduction

1Ennahdha et le Parti de la justice et du développement (PJD) sont les deux partis de référentiel islamiste qui – ayant gagné les élections législatives en 2011, puis perdu en 2014 pour Ennahdha – continuent à participer aux gouvernements et à la vie politique de la Tunisie et du Maroc. Cet article part du postulat que l’entrée d’Ennahdha et du PJD dans le jeu politique institué a représenté un vecteur d’intégration des femmes au champ politique. La mise en perspective des trajectoires de ces deux partis permettra de décrire les formes d’engagement et d’organisation des femmes dans leurs rangs. De plus, cette étude montre comment le militantisme islamique sert d’une part de levier d’émancipation vis-à-vis d’autres formes de contrôle social, notamment le patriarcat familial. Néanmoins, d’autre part, ceci n’aboutit pas à un changement radical du système de domination qui persiste au sein des mouvements islamistes à travers d’autres formes (Abu-Lughod 1990 : 52).

2L’intégration politique des islamistes marocains s’est opérée graduellement. En effet, après l’assassinat du leader de la gauche, Omar Benjelloun, en 1975, les cadres de la Al-chabība al-islāmiyya (La jeunesse islamique) ont été emprisonnés, mais ont été exclusivement des hommes. Le mouvement est refondé en 1981 sous le nom Al-jamā‘a al-islāmiyya (Groupe islamique), mais n’a pas été autorisé par les autorités. En 1992, A. Benkirane, M. Yatim et S. El-Othmani ont fondé Harakāt al-islāh wa-l-tajdīd (le Mouvement pour la réforme et le renouveau). Les cadres de cette association ont intégré, en juin 1996, un parti politique légal et monarchiste, le « Mouvement populaire démocratique et constitutionnel » (MPDC). En septembre 1996, a eu lieu la fusion entre Harakāt al-islāh wa-l-tajdīd et la « Ligue pour le devenir islamique » (dont Ahmed Raissouni était le président) pour créer le « Mouvement unicité et réforme » (MUR) (Tozy 1999 ; Mohsen-Finan, Zeghal 2006). Le MUR, fondé en 1998, a précédé le parti politique du PJD.

  • 1 Entretien avec un responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.
  • 2 Ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Égalité et de la Famille http://www.soci (...)

3Le mouvement, d’abord bâti par des hommes, a été rejoint, dans une seconde phase, par des femmes. L’entrée des femmes dans le mouvement a jeté les bases d’une section féminine fondée d’abord dans le MUR et par la suite dans le PJD. Pourtant, au moment de la création du PJD, le nombre des femmes qui sont entrées en politique a été réduit. En effet, la plupart ont continué à travailler dans le MUR auprès des associations1. Néanmoins, l’adoption de quotas au Maroc à travers la liste nationale et la liste supplémentaire2 a encouragé la représentativité des femmes au Parlement et au niveau des communes. Ceci a constitué aussi un outil contribuant à donner une image inclusive du PJD. Ce dernier a participé aux élections à plusieurs reprises en insérant une part de femmes considérable (Škrabáková 2007 : 331).

4Le mouvement islamiste en Tunisie a été fondé dans les années 1968-69. Dès 1971, les premiers cercles islamistes ont été créés dans les mosquées tunisoises et le mouvement a été baptisé Al-jamā‘a al-islāmiyya (Groupe islamique). En 1981, Al-jamā‘a al-islāmiyya est devenu Harakat al-ittijāh al-islāmī (Le mouvement de la tendance islamique – MTI) et a demandé la légalisation de son activité en tant que parti politique. En 1989, le MTI prend le nom de Harakat Ennahdha (mouvement Ennahdha) qu’il porte encore aujourd’hui (Yankaya, Steuer, Zouaoui 2019). Au début, le mouvement était axé principalement sur la moralisation de la vie publique. L’oscillation entre le respect du cadre légal et le recours à la violence (Burgat 1988 : 303-305) a culminé à la fin des années 1980 et le début des années 1990 avec la répression du mouvement et l’exil des dirigeants. Ainsi, une division s’opère entre les « exilés » et les « prisonniers » qui fait naître des trajectoires militantes distinctes.

5Ceci se distingue aussi au niveau de femmes qui en Tunisie connaissent des périodes d’emprisonnement ou sont tenues en observation par la police, contrairement aux femmes exilées à l’étranger. Légalisé après 2011, Ennahdha (comme le PJD au Maroc) a gagné les élections législatives en Tunisie et s’est fait remarquer par le nombre important de femmes candidates et élues parmi ses rangs. De fait, en Tunisie, à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), le taux de représentativité des femmes était de 22,58 % (49 sièges sur 217), parmi lesquelles les militantes d’Ennahdha ont été le mieux représentées avec 19,35 % (42 sièges sur 217).

  • 3 Information recueillie auprès du PJD en juillet 2019.
  • 4 Source : Ennahdha en juillet 2019.
  • 5 Information recueillie auprès d’Ennahdha, en juillet 2019. Pas de renseignement accessible concern (...)

6Stéphanie Latte Abdallah (2010 : 18) a démontré à travers le cas jordanien que l’engagement militant des femmes au sein des mouvements islamistes a évolué vers une trajectoire plus indépendante, individualisée et même séculière. Toutefois, dans les instances décisionnelles internes, les femmes sont sous-représentées et n’ont pas forcément accès aux positions de pouvoir (Škrabáková 2007 : 331). Dès lors, le PJD comptait, en juillet 2019, 20 % de femmes au sein du Secrétariat général3. Selon un sondage du parti en juillet 2019, les femmes d’Ennahdha étaient présentes dans les différentes structures décisionnelles4 comme suit : 30,77 % du Bureau exécutif, 22,22 % du Bureau politique et 62 % du Bureau des étudiants. Elles représentaient 39,71 % du Groupe parlementaire à l’Assemblée des représentants du peuple, 25 % des Secrétaires d’Etat, 28,57 % des présidentes des Commissions parlementaires. En 2018, 61,76 % militantes d’Ennahdha ont été élues parmi les femmes maires5.

7Notre recherche a montré qu’en dépit de leur sous-représentation dans les instances du parti et dans les structures étatiques, l’engagement partisan des femmes fait d’elles des actrices importantes au sein de leur propre parti. L’article se propose d’analyser dans un premier temps les trajectoires d’engagement des femmes d’Ennahdha et du PJD et leur mode d’organisation dans les rangs des deux partis. Dans un deuxième temps, il mettra en relief comment les femmes participent à la fabrication d’un électorat islamiste à travers des activités à caractère social et éducationnel. Enfin, ce travail examinera leurs visions quant aux droits des femmes. Ce sujet est révélateur des projets que ces femmes mènent auprès des citoyennes et met en évidence leur lien au référentiel islamique. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les témoignages des femmes militantes que nous avons recueillis en 2016-2017 (à Tunis et à Rabat), en 2019 (à Paris auprès d’Ennahdha et auprès du PJD – MUR dans les communes d’Agadir, d’Inezgane-Ait Melloul et de Dcheira dans la région Souss Massa du Maroc) et en 2020 auprès d’Ennahdha à Tunis et à Medenine.

Les trajectoires d’engagement des femmes d’Ennahdha

  • 6 Entretien avec A.E., membre fondateur d’Ennahdha en janvier 2017.
  • 7 Entretien avec M.B. en janvier 2017.

8Les femmes ont intégré le MTI en Tunisie dès les années 19806. En guise d’exemple, la députée M.B.7, l’épouse du vice-président d’Ennahdha entre 2012-2015, s’est engagée dans le MTI à l’université, en 1986. Elle a d’abord été responsable au sein du syndicat des étudiants (proche du mouvement islamiste), l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE) et elle est devenue par la suite la présidente du Bureau des femmes du mouvement. Pendant l’emprisonnement de son mari (dans les années 1990) elle a été incarcérée pendant un mois en 1994 et après sa libération, elle a été tenue en observation par la police pendant cinq ans. En 2011, elle a été élue députée à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), qui était chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution tunisienne, et a continué son mandat en 2014 à l’Assemblée des représentants du peuple. De plus, elle a fait partie du Bureau exécutif d’Ennahdha entre 2012 et 2016 et continue à participer au majlis al-shūrā (Conseil consultatif) après le dixième congrès du parti, en mai 2016.

  • 8 Entretien avec W.Z. en novembre 2016.
  • 9 Entretien avec F.L. en janvier 2017.

9Cette trajectoire est commune à plusieurs femmes du mouvement, comme par exemple W.Z.8, la présidente du Bureau des femmes d’Ennahdha. Cette dernière a intégré le mouvement à l’époque du MTI. Elle s’est mariée avec un cadre du mouvement qui a été emprisonné pendant seize ans. Ensemble avec d’autres militantes, ces femmes ont continué à visiter les hommes en prison, elles ont gardé le lien avec les familles des autres prisonniers préservant ainsi l’unité du mouvement. Un autre exemple est F.L.9, la présidente de la Commission des droits de l’homme à l’ANC entre 2011 et 2014. Elle a intégré le MTI depuis ses quatorze ans. Elle a adhéré au syndicat des étudiants, l’UGTE, raison pour laquelle elle a été emprisonnée pendant six mois, en 1987.

  • 10 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.
  • 11 Ibid.

10Une autre militante d’Ennahdha dans la diaspora, S.D., nous a raconté qu’elle a commencé à militer dans le MTI à travers l’UGTE aussi10. De la même manière que F.L., elle a rappelé qu’un des objectifs du mouvement syndical était l’acceptation des étudiantes voilées dans les établissements scolaires. Ceci était interprété comme « un combat pour les droits des femmes11 ». De son avis, l’engagement dans le MTI a été « émancipateur », voici son témoignage :

  • 12 Ibid.

« […] lorsque je me compare à de jeunes filles de mon âge qui n’étaient pas engagées politiquement, elles n’ont pas pu faire ce que j’ai fait : sortir, participer aux manifestations, participer dans les débats. Il n’y avait pas de raison pour les parents de les laisser partir. C’était vraiment émancipateur12. »

  • 13 Ibid.
  • 14 Ibid.

11Ainsi, elle a expliqué que dans les années 1980 et 1990 « l’adhésion au mouvement islamique offrait une couverture morale qui rassurait les parents en ce qui concerne les femmes13 ». De fait, cette « couverture morale14 » offerte par le référentiel islamique du mouvement a contribué à la participation des femmes dans les rangs du MTI. Néanmoins, même si le militantisme a servi de levier vis-à-vis du patriarcat familial, le système de domination s’est reproduit au sein du mouvement islamiste à travers d’autres formes d’autorité (Abu-Lughod 1990 : 52). Car dans le mouvement, elles ont rejoint une structure pyramidale au sein de laquelle elles étaient regroupées dans la section des femmes et éloignées des centres décisionnels.

  • 15 Députée (2014-2016), Secrétaire d’État à la Formation professionnelle chargée de l’Initiative priv (...)
  • 16 Vice-présidente de l’ANC (2011-2014), députée (2014-2019).
  • 17 En guise d’exemple, Souad Abderrahim, la maire de Tunis, en fonction depuis juillet 2018.

12Néanmoins, l’exil de certains militants et leurs familles dans les années 1990 s’est traduit par des parcours diversifiés. Ainsi, le retour de la diaspora d’Ennahdha après 2011 a rendu le groupe des militants plus hétérogène, en particulier parmi les femmes. Après 2011, des militantes de la diaspora ont été promues par le leadership du parti à de hautes fonctions. Les députées d’Ennahdha élues dans la diaspora (comme par exemple Saida Ounissi15 et Mehrézia Labidi–Maïza16) ont intégré le Bureau exécutif du parti. Les têtes d’affiche favorisées par Ennahdha étaient des femmes polyglottes, politisées et parfois non voilées17. En fait, la position de vice-présidente à l’ANC a fait de Mehrézia Labidi–Maïza une des femmes les plus influentes dans le monde arabo-musulman. Son élection a parfois été interprétée comme un vecteur de changement de « la dynamique des femmes de foi dans leur engagement » (Du Chauffaut 2011 : 14). Sa nomination à l’ANC fut justifiée par son expérience dans le domaine des droits des femmes et du dialogue interreligieux qu’elle a assumé en tant qu’activiste pour les organisations Religions pour la paix et Global women of faith network.

13Son expérience semble différente de celles des femmes qui ont contribué au mouvement de l’intérieur du pays. Au niveau local, le mouvement Ennahdha est principalement social et porté par des femmes qui travaillent au sein d’associations à caractère social. Le parti bénéficie de l’apport des femmes qui, menant un travail au plus près de la population, aident à augmenter le nombre des adhérents et des votants. De fait, bénéficiant des capacités importantes pour la mobilisation de la base, leur apport est significatif lors des campagnes électorales, comme c’est le cas pour d’autres partis islamistes (Clark, Schwedler 2003 : 300 ; El Haitami 2016 : 78), comme en témoigne S.D., responsable d’Ennahdha :

  • 18 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

« Les femmes sont plus sur le terrain, plus proches des citoyens, elles sont actives […]. Parfois, elles organisent tout [N.D.L.R. les évènements, les associations], mais ce sont les hommes qui prennent la parole en tant que présidents. C’est une pyramide, dans les couches basses il n’y a que des femmes, après, en montant nous trouvons que des hommes18. »

  • 19 Entretien avec W.Z. en novembre 2016.

14Ennahdha a un « bureau » dédié à « la femme et à la famille ». En 2016, ce dernier était formé d’approximativement 50 femmes chargées de plusieurs commissions dédiées, parmi d’autres, à la femme, à l’enfant et aux personnes âgées. Mais, selon les déclarations de W.Z., la coordinatrice du Bureau des femmes, son objectif principal est l’amélioration des droits des femmes19. Néanmoins, l’organisation des femmes entre elles est critiquée au sein du parti par les femmes elles-mêmes. Selon S.D., responsable d’Ennahdha :

  • 20 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

« Dans les bureaux, les femmes sont censées s’occuper de la question des femmes. J’ai toujours refusé ces fonctions. Je ne suis pas contre l’existence de ces espaces de femmes. […] Mais, nous pouvons contribuer dans d’autres domaines. […] En principe, je vois dans les réunions que l’apport de la femme est différent. Car, nous avons une autre vision, nous sommes plus proches du terrain, nous ne sommes pas trop dans la théorie et l’idéologie, mais nous sommes terre à terre, nous côtoyons les gens, nous connaissons le besoin réel des gens20. »

  • 21 Ibid.

15Selon les déclarations de S.D., responsable d’Ennahdha dans la diaspora, ces pratiques ne sont pas considérées comme « patriarcales », mais comme « une habitude et un mode de travail21 » qui viendrait de la société elle-même. Mais, l’organisation des femmes dans un bureau différent semble les tenir à l’écart des questions politiques. Les postes à responsabilité dans les structures du parti sont généralement occupés par des hommes. De plus, les difficultés rencontrées par les militantes sont multiples – la charge de la famille, les réunions tardives, l’absence de véhicule personnel – ce qui les empêchent de participer aux réunions de façon régulière. S.D., une responsable d’Ennahdha a déclaré :

  • 22 Ibid.

« On devrait s’adapter pour faire des réunions les weekends et changer notre mode de vie et de travail, faire des réunions par Skype, mais il n’y a pas cette volonté. Les réponses sont que : les weekends seraient difficiles, cela n’arrange pas les hommes22. »

16En effet, la situation sociale et les responsabilités des femmes produisent une domination qui échappe à la volonté des acteurs et est présente en dépit d’une volonté contraire. S.D. a ajouté :

  • 23 Ibid.

« Les femmes se privent elles-mêmes de ce pouvoir et de cette opportunité, parce qu’elles manquent de confiance et parce que nous ne les encourageons pas à l’avance. […] Dans les réunions mixtes (N.D.L.R. du parti) où il y a beaucoup d’hommes, on sent que les femmes n’osent pas généralement prendre la parole ou se proposer pour présider les commissions. Si la femme n’ose pas, les hommes […] vont choisir des hommes23. »

  • 24 Entretien avec M.L. en janvier 2020.
  • 25 Ibid.

17Néanmoins, certaines femmes semblent demander des changements dans la gestion interne d’Ennahdha. De fait, en 2012, une cinquantaine de militantes ont « boycotté24 » le neuvième congrès du parti, pour protester contre le refus d’introduire des quotas pour les femmes dans les bureaux décisionnels, y compris au niveau local et régional. Même si selon M.L. au début « on n’a pas voulu voter les quotas des femmes dans les instances », le « boycott » a permis de fixer des quotas à hauteur d’un tiers pour les femmes25.

  • 26 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.
  • 27 Entretien avec K.B., membre de la liste électorale de France 1 aux élections législatives de 2014.
  • 28 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.
  • 29 Ibid.
  • 30 Ibid.

18De plus, en vue de la constitution des listes pour les élections législatives de 2019, le parti Ennahdha a mené d’abord des élections internes. Néanmoins, le leader R. Ghannouchi a changé plusieurs personnes élues par les membres comme têtes de liste. En France, le remplacement d’une militante historique d’Ennahdha26 a été considéré comme un manque de « reconnaissance27 » envers les partisans qui ont fait campagne pour elle28. Dès lors, cette situation a stimulé « un débat interne » en faveur du changement des règles de constitution des listes internes29. Actuellement cette dernière stipule que les élections internes sont « consultatives et pas décisives » dans la constitution des listes. Ainsi, lors du onzième congrès du parti (prévu en 2020), l’ancienne tête de liste de la circonscription de France 1 veut demander le changement du règlement interne considéré actuellement comme « non démocratique », pour imposer le respect des choix électoraux faits par la base30. Cette situation met en évidence que certaines femmes se montrent critiques envers la direction. Avec le temps, leurs critiques peuvent représenter des vecteurs de changement.

Intégration politique des militantes du PJD à travers la section des femmes

19Les militantes au sein du PJD sont également réunies dans un bureau qui leur est dédié. Mais, la trajectoire d’engagement des femmes PJD-istes diffère de celles d’Ennahdha, car la relation des deux mouvements islamistes avec les régimes en place a été distincte. Si Ennahdha a été réprimée dans les années 1990, ceci fut le moment de l’intégration graduelle du PJD au champ politique.

  • 31 Rencontre avec des femmes du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.
  • 32 Ibid.
  • 33 Ibid.
  • 34 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

20Selon les femmes militantes au PJD à Inezgane-Ait Melloul, l’objectif de la Section des femmes est premièrement de « sensibiliser le plus de femmes pour qu’elles ne soient pas influencées par d’autres partis politiques31 ». Cela implique une « sensibilisation » au message politique du PJD. De plus, les femmes du PJD sont censées leur offrir des informations concernant le cadre législatif en général, et notamment relatif aux droits des femmes. En outre, cette section apporte un « accompagnement social32 » aux femmes à travers des associations de quartier. De fait, l’organisation dans des structures de quartier, au niveau de la ville, au niveau de la province et de la région a permis la sensibilisation de femmes au message du PJD et du MUR. Les PJD-istes gardent le contact avec les citoyennes et répondent à leurs besoins administratifs, médicaux, sociaux, etc33. Dès lors, elles représentent leur mouvement auprès des citoyennes et sont une carte de visite pour le parti lors des élections, ce qui est aussi le cas d’Ennahdha34.

  • 35 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.
  • 36 Entretien avec N.E, une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

21Mais, si leur rôle est d’attirer des adhérentes, elles n’occupent pas généralement des positions de responsabilité dans les instances du parti ou en politique. En guise d’exemple, le PJD a des bureaux locaux (au niveau de chaque préfecture ou province) et un bureau régional qui regroupe les responsables du PJD dans la région Souss Massa. Selon les témoignages, lors des réunions du bureau régional du PJD (dans la région de Souss Massa) il n’y a que 10 % de femmes35. De plus, depuis 2015, les femmes du PJD ne représentent que 22,22 % des membres du Conseil communal d’Agadir. Trois d’entre elles occupent le poste de vice-présidente des Affaires sociales, de la Santé et de la Culture, alors que les trois autres sont des conseillères36. D’ailleurs, au niveau du Maroc, les femmes ne dépassent pas les 20 % des sièges, y compris dans les instances de décision des partis. Cette situation révèle des difficultés pour l’insertion des femmes dans le champ politique marocain qui ne sont pas spécifiques au PJD (Vairel 2018 : 66).

  • 37 Ibid.
  • 38 Ibid.
  • 39 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.
  • 40 Ibid.

22Le nombre inférieur de femmes indique qu’elles sont sous-représentées dans le champ politique de manière générale, mais aussi dans les structures décisionnelles du parti. Cependant, cette situation n’est pas considérée comme un signe de « domination37 » par les militantes elles-mêmes. De l’avis de N.E., une responsable du PJD à Agadir, les postes à responsabilité nécessitent la disponibilité de voyager, ainsi que la présence à des réunions tardives. Pour cette raison, les femmes n’ont pas une grande volonté de s’engager, puisque leur rôle dans la famille reste primordial38. En outre, S.B., vice-présidente du conseil communal d’Inezgane-Ait Melloul nous a raconté qu’au début du mouvement, la famille ou les maris n’acceptaient pas facilement l’engagement politique des femmes39. D’ailleurs certains militants refusent que leurs épouses rejoignent le parti40. Cette attitude est expliquée comme représentative des régions du sud marocain où la place de la femme est définie au sein de la famille et de la maison. Mais, le fait que les femmes soient exclues de certains rôles parce qu’elles « doivent » être à la maison pour garder les enfants ou ne peuvent pas sortir le soir démontre plutôt la nature complexe et structurelle de la domination, qui est rarement le résultat d’une intention calculée.

  • 41 Entretien H.A., responsable d’un réseau associatif. Agadir, novembre 2019.
  • 42 Ibid.
  • 43 Rencontre avec des femmes du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.
  • 44 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.
  • 45 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

23De plus, au niveau des nombreuses associations fondées par des membres du MUR, les présidents et les responsables sont des hommes, même si les femmes sont majoritaires au niveau du personnel, exception faite des associations qui s’adressent aux femmes et qui sont gérées exclusivement par des femmes41. H.A, responsable d’un réseau associatif, a expliqué cette situation par le fait que les réunions se tiennent le soir et les femmes ne participent pas à cause des responsabilités familiales. Par conséquent, de son avis, le but des bureaux exclusivement formés par des femmes est de leur donner la possibilité de mieux s’organiser entre elles42. D’ailleurs, S.Z., une des responsables de la section des femmes a expliqué que l’intérêt de ce bureau est de résoudre les problèmes des femmes qui ne peuvent pas être discutés avec les hommes43. Néanmoins, une autre, S.B., s’est montrée insatisfaite avec l’isolement des femmes entre elles44, comme ce fut aussi le cas d’une militante d’Ennahdha45.

  • 46 Rencontre avec des femmes du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

24Mais l’intégration des femmes dans le domaine politique permet leur politisation. En guise d’exemple, A.A., une des femmes rencontrées à Inezgane-Ait Melloul raconte que l’entrée dans le PJD l’a amenée à changer sa vision sur ce domaine qu’elle considérait auparavant comme l’apanage des hommes46. De fait, depuis 2002 le Maroc a adopté la liste nationale féminine grâce à laquelle environ 10 % des sièges de la Chambre des représentants sont réservés aux femmes (Desrues, Lopes Garcia 2008). De plus, le nouveau Code électoral, adopté en 2008, a promu la féminisation de la représentation politique. D’un côté, ceci s’est fait à travers l’introduction des listes complémentaires exclusivement féminines dans chaque commune ou arrondissement, réservant aux femmes entre 10 % et 14 % des sièges. D’un autre côté, dans les circonscriptions ordinaires, l’État devait attribuer un financement pour les campagnes électorales des partis cinq fois supérieur pour chaque siège remporté par une femme (Desrues, Kirhlani 2010).

  • 47 Entretien avec N.F., une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.
  • 48 Le Conseil de la préfecture d’Inezgane-Ait Melloul https://cpinezgane.ma/مكتب-المجلس/
  • 49 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.
  • 50 Ibid.
  • 51 Ibid.

25Néanmoins, en dépit du progrès en matière de représentation des femmes, N.F., une responsable du PJD a raconté que les quotas ont dû être adoptés, parce que « la femme est difficilement acceptée dans des postes de responsabilité47 ». Cette opinion rejoint un débat qui existe au niveau national (Vairel 2018 : 63 ; Desrues, Lopes Garcia 2008). De l’avis de S.B., une responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul, les quotas imposent la présence des femmes même si elles ne sont pas « compétentes » dans les postes qu’elles occupent. Son souhait serait de ne pas avoir besoin de ces quotas et de choisir les femmes en fonction de leur expérience. En même temps, elle reconnaissait que c’était une mesure nécessaire, car en tant que seule femme au conseil communal d’Inezgane-Ait Melloul48, sa position était due à l’existence des quotas49. De l’avis de cette responsable, les quotas ont permis aux femmes de montrer qu’elles sont « compétentes50 ». Selon elle, la contribution des femmes dans le domaine politique est un gain, car le regard des femmes est différent de celui des hommes, puisqu’elles sont, selon elle, plus « soucieuses » et capables d’accomplir plusieurs tâches en même temps51.

26De fait, les femmes qui ont occupé des postes à responsabilité dans le PJD avaient un parcours de longue date dans le MUR et dans le milieu associatif. Ceci a été interprété par Latmani (2007 : 30) comme une adhésion apparente des femmes au domaine politique. Néanmoins, l’engagement dans le milieu social a fait d’elles des acteurs importants pour la réussite électorale de leur parti.

Le milieu associatif : lieu d’expertise des femmes

27L’activité associative d’Ennahdha reste encore à étudier, puisque sa « spécialisation » en politique en 2016 annonçait la distinction entre l’activité partisane et les activités sociales et à caractère caritatif. Néanmoins, comme au Maroc, un réseau d’associations a été fondé après 2011 par des militants d’Ennahdha agissant dans des domaines multiples, comme la charité ou le développement (Merone, Sigilo, De Facci 2018 : 184 ; Gana, Sigillo 2018). Même si dans la plupart des cas les femmes ne président pas les associations, elles sont des membres actifs : elles font les permanences, participent aux projets, offrent des formations dans des domaines divers ou gardent les enfants. Certaines associations sont dédiées exclusivement aux femmes, même si les bénéficiaires ne sont pas que des femmes. Après 2011, le milieu associatif est devenu en Tunisie un lieu de formation pour les jeunes dans de multiples domaines : écriture des projets, gouvernance et développement, leadership, etc. S.D., responsable d’Ennahdha détaille ainsi :

  • 52 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

« J’ai vécu la naissance de ces associations dans plusieurs domaines qui travaillent pour l’intérêt de la Tunisie. Beaucoup d’associations ont choisi d’agir en Tunisie même si elles sont en France, surtout des associations humanitaires qui agissent contre la pauvreté. Énormément d’entre elles ont bénéficié des appels à projets et ont fait un grand travail. Des associations de femmes ont été créées aussi. […] Elles ont contribué à leur création. Mais, la majorité des présidents des associations sont des hommes52. »

28De fait, l’engagement des femmes dans le milieu associatif est un point de départ pour accéder à d’autres fonctions. Mais la plupart exercent dans des domaines classiques de la famille, de l’éducation, de la culture, etc., et sont ainsi éloignées de la prise des décisions. En guise d’exemple, en 2011 au Maroc, Bassima Hakkaoui a été nommée au poste de ministre de la Famille, de la Solidarité, de l’Égalité et du Développement social, une position traditionnellement déléguée aux femmes. Elle a d’ailleurs suivi un parcours dans la section des femmes du PJD au sein de laquelle elle a occupé la fonction de présidente. Néanmoins, elle a suivi très tôt le PJD en politique. Entre 2002-2007, elle était la seule femme à la tête d’une commission parlementaire, la « Commission des secteurs sociaux » (Vairel 2018 : 77). C’est le cas aussi de N.E., la vice-présidente à la culture à la municipalité d’Agadir pour le PJD qui s’est engagée dans le milieu associatif depuis les années 1980.

  • 53 Entretien avec N.E., une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

29Ainsi, plusieurs associations ont été fondées au niveau local sous la direction de N.E. : « L’association du conseil féminin » d’Inezgane constituée depuis 2001 est un centre d’écoute pour les femmes en précarité et victimes de violences, mais s’adresse aussi aux femmes rurales. D’autres sont dédiées à l’accompagnement des mères célibataires, renseignent les femmes concernant leurs droits, mais essayent aussi de les encourager à entrer en politique53. Un travail similaire est porté dans le milieu rural à travers la création des coopératives où les femmes sont majoritaires.

  • 54 Entretien avec A.S., une responsable de l’association en novembre 2019.

30D’autres femmes membres du MUR gèrent aussi des associations. L’association B***, par exemple, a été fondée en 2011 par neuf femmes qui avaient l’expérience du travail associatif dans la région. Elle est définie comme une association à référentiel islamique dont la responsable est une enseignante d’études islamiques au lycée. Cette association s’adresse aux femmes victimes de violences ou ayant des problèmes conjugaux et fait de la médiation pour les couples. Son objectif est d’aider les femmes tout en préservant l’unité de la famille. Les formateurs s’appuient sur des exemples de la vie du Prophète et sur la relation de ce dernier avec Aïcha pour encourager l’entraide dans le couple ou la tolérance54. En novembre 2019, l’association a reçu de la part de la commune d’Agadir un nouveau centre qui a la capacité d’héberger une vingtaine de femmes et leurs enfants. De fait, le bâtiment est partagé avec une autre association dédiée aux enfants abandonnés. D’ailleurs, le PJD gère la plupart des communes de la région Souss Massa, ce qui pourrait expliquer la coopération de cette association proche du MUR avec la commune.

  • 55 Le Conseil régional Souss Massa, https://www.soussmassa.ma/fr/les-elus-regionaux
  • 56 Nous avons rencontré quatre femmes parmi les neuf militantes du bureau de direction de l’associati (...)
  • 57 Entretien avec quatre femmes du bureau de direction de l’association M*** en novembre 2019.
  • 58 Entretien avec M.B. et L.Z., responsables du PJD à Agadir en novembre 2019.

31Un autre exemple est l’association M*** qui est un centre de réhabilitation de femmes en situation difficile, dont la présidente est une élue du PJD au conseil régional Souss Massa55. L’association fondée officiellement en 2014 à Dcheira travaille en partenariat avec la commune et le ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Égalité et du Développement social. Dans le bureau de l’association participent uniquement des femmes. L’association organise des cours de cuisine et accueille des femmes pendant la période hivernale. Au moment de notre discussion, l’association M*** n’avait pas d’autorisation officielle, raison pour laquelle les activités organisées étaient limitées. Néanmoins, une assistante sociale accueille les femmes pour des sessions d’écoute. Les quatre membres du bureau de direction56 ont déclaré ne pas être membres du MUR ou du PJD, mais des sympathisantes57. Néanmoins, les discours sont contradictoires, car une d’entre elles était en 2009 vice-présidente des affaires sociales de la commune, représentante du PJD58.

  • 59 Entretien avec quatre femmes du bureau de direction de l’association M*** en novembre 2019.
  • 60 Entretien avec O.M., responsable de l’OREMA à Agadir en novembre 2019.

32Les quatre femmes qui travaillent au sein de l’association M*** sont actives aussi dans une association dédiée aux enfants, l’association H***. Cette dernière, active depuis 10 ans, organise des activités pour les enfants deux fois par semaine, ainsi que des colonies de vacances une fois par an. Elle s’adresse aux enfants de la commune de Dcheira59. En effet, les militantes apportent au PJD un réseau associatif auprès des femmes et des enfants. D’ailleurs, l’adhésion au MUR et au PJD est précédée par une année « préparatoire » pendant laquelle les femmes et les hommes suivent séparément des cours hebdomadaires dédiés à l’étude des textes religieux60.

  • 61 Ibid.

33Une responsable de l’Organisation du renouveau estudiantin au Maroc (OREMA) nous a raconté son parcours : entrée dans le MUR depuis son lycée, elle a fréquenté les rencontres hebdomadaires dédiées aux enseignements religieux et éthiques, mais aussi à l’organisation du travail. Pour faciliter les rencontres, celles-ci se déroulent dans les quartiers permettant aux « sœurs » du mouvement d’organiser des sorties, des soirées entre filles. De plus, la coordinatrice du groupe devient « comme une mère », car elle apporte un suivi religieux et un soutien scolaire61. D’ailleurs, les rencontres continuent avec la même fréquence après l’année préparatoire aidant ainsi à garder le lien entre les membres et à augmenter les connaissances religieuses. Par conséquent, ces associations jouent un rôle politique puisqu’elles sensibilisent les jeunes générations aux idées du MUR que le PJD partage. De plus, une fois entrées dans le champ politique, ces personnes amènent avec elles une formation religieuse et une pratique respectueuse de la ligne idéologique du mouvement. C’est une des raisons pour laquelle les femmes militantes dans ces mouvements islamiques sont en accord avec leur référentiel idéologique et rejoignent les positions du parti concernant les droits des femmes.

Militantisme et droits des femmes

  • 62 Entretien avec N.E., une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.
  • 63 Entretien personnel avec A.B., la vice-présidente du MUR marocain, le 30 novembre 2017.
  • 64 Ibid.

34La section des femmes du PJD et les associations sont censées militer aussi pour le renforcement des droits des femmes62. Les femmes militant dans le MUR et le PJD que nous avons rencontrées plaidaient pour le respect de la religion dans le domaine des droits des femmes. En guise d’exemple, un réseau d’associations réunies au sein du Forum Zahra organise des activités pour la femme et la famille tout en essayant de valoriser la « culture islamique63 ». Ce réseau a été fondé en opposition aux associations féministes libérales des années 1990. Il revendique des droits pour « la femme » au sein de la famille, mais en cohérence avec l’identité islamique et la chari‘a (Eddouada, Pepicelli 2010 : 92). La responsable du Forum Zahra explique ainsi que les associations ont mis en place plusieurs projets en faveur de la femme et de la famille64. Elles ont écrit des recommandations pour combattre l’exploitation sexuelle des femmes et l’avortement, ainsi que pour aider les femmes faisant carrière. Pour ces dernières, le Forum Zahra a suggéré la construction de crèches, l’adoption du congé parental et le changement des mentalités à travers une éducation égalitaire entre frères et sœurs :

  • 65 Ibid.

« Nous avons la conviction que la question de la femme pourrait s’améliorer à partir de la famille. Car, dans la famille sont enseignés la plupart des concepts qui régissent la vie publique ou privée du couple65. »

  • 66 Entretien avec A.S, la responsable de B*** à Agadir en novembre 2019.

35De plus, ces associations préservent l’image de la femme dans le contexte de la famille. La responsable de l’association B*** nous a expliqué que le travail d’autonomisation financière des femmes n’est pas fait dans l’objectif qu’elles « fassent concurrence aux hommes » ou pour qu’elles puissent construire leurs vies sans eux. Au contraire, l’autonomie financière est censée améliorer leur « estime d’elles-mêmes », à aider les femmes à « se sentir utiles » et « en sécurité », tout en préservant comme priorité l’unité de la famille66. A.B., la vice-présidente du MUR marocain a ajouté :

  • 67 Entretien personnel le 30 novembre 2017.

« Notre principale mission est de travailler en respect avec nos références, dont l’islam. C’est une référence essentielle, importante, mais nous sommes ouverts à tout ce qui est ijtihād (interprétation) quand il n’y a pas de positions tranchées au niveau de la religion. […] Nous adhérons intégralement aux chartes internationales qui ne sont pas en contradiction avec notre religion67. »

  • 68 Entretien avec plusieurs cadres du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019. Entretien avec A.B (...)
  • 69 Entretien avec A.B., la vice-présidente du MUR marocain, le 30 novembre 2017.

36De fait, les femmes rejoignent les positions officielles de leurs partis conformes au référentiel islamique et soutiennent par exemple l’héritage et la pratique de la polygamie conformément à la loi islamique68. Le Code de la famille (adopté en 2004) avait rendu la polygamie plus difficile. Selon A.B., la vice-présidente du MUR marocain, la polygamie est « une convention sociale » qui a sa justification et qui ne peut pas être interdite par l’homme. Cette pratique est défendue par des arguments contre l’adultère ou contre le célibat69. Cependant, les opinions de la vice-présidente du MUR sont partagées entre l’utilité de cette pratique et les abus auxquels elle peut donner naissance :

  • 70 Ibid.

« Bien que nous acceptions une lecture selon laquelle la polygamie est un concept religieux, l’islam n’incite pas à la pratiquer. L’islam la considère comme une convention sociale dans certains cas. Donc, nous ne pouvons pas interdire la polygamie ou dire que nous sommes contre cette pratique. Mais, nous soutenons une pratique de la polygamie qui respecte les préceptes de la loi islamique et ne fait pas de dégât au niveau des droits de la femme, soit-elle la deuxième ou la troisième épouse70. »

  • 71 Entretien personnel avec B.H. en décembre 2017.

37De plus, de l’avis de B.H., ministre du PJD, les versets coraniques en référence à l’héritage « ne font pas de discrimination », mais un « partage selon une philosophie de la religion musulmane71 ». Dès lors, des solutions sont cherchées, afin d’améliorer la situation des femmes dans la succession, mais sans contredire la loi islamique. De l’avis de A.B., la vice-présidente du MUR :

  • 72 Entretien personnel avec A.B. en novembre 2017.

« L’héritage est parmi les choses très détaillées dans le Coran. […] il est difficile de réviser les pourcentages tels qu’ils sont spécifiés dans le Coran. Si l’homme hérite plus que la femme, c’est parce qu’il doit prendre en charge sa femme. L’important pour nous c’est de regarder la façon dont les biens de la famille sont gérés au cours du mariage, parce que dans la pratique la femme ne profite pas au maximum de cette fortune à laquelle elle a contribué72. »

38À l’instar du Maroc, les islamistes tunisiens restent fidèles à leur référentiel. La présidente de la Commission des droits de l’homme à l’ANC et membre d’Ennahdha, F.L., a expliqué que la loi de l’héritage prend en considération les habitudes de la société tunisienne selon lesquelles l’homme est obligé de prendre en charge les besoins de la famille. Elle a évoqué le clivage économique existant au sein de la famille :

  • 73 Entretien personnel avec F.L. en janvier 2017.

« L’héritage dans l’islam c’est une grande science. C’est l’affaire des spécialistes. […] C’est une vision économique des charges dans la société. […] La femme n’est pas obligée de répondre aux besoins de la famille, elle participe, mais n’est pas obligée. L’homme est responsable des charges de la famille. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas résoudre ce problème sans prendre en compte le contexte73. »

39De plus, une responsable d’Ennahdha a expliqué que l’inégalité dans l’héritage n’affecte pas l’égalité entre les sexes :

  • 74 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

« Celui qui est contre l’égalité dans l’héritage n’est pas contre l’égalité homme-femme. Nous sommes pour l’égalité entre l’homme et la femme : l’égalité des salaires, des chances, des postes de travail. Il n’y a pas des lois exceptionnelles concernant la femme. […] L’héritage est une question de société. […] Il y a des questions qui touchent à une structure sociétale qui ne peut pas être réglée avec une loi ou une commission74. »

40Néanmoins, les discours sont ambigus au sein d’Ennahdha. En effet, en août 2012, dans la Commission des droits et libertés, les députés d’Ennahdha ont qualifié la femme de « véritable partenaire de l’homme dans la construction de la nation » et l’ont définie dans une position de complémentarité : « leurs rôles étant complémentaires au sein de la famille » (Krichen 2016 : 188). Ce projet de loi a été approuvé majoritairement par les députés d’Ennahdha à l’ANC (Debuysere 2016 : 216). La présidente de la Commission des droits de l’homme, la députée islamiste F.L. a témoigné que la « complémentarité des rôles au sein de la famille » ne contredit pas le principe d’égalité des époux :

  • 75 Entretien personnel avec F.L. en janvier 2017.

« L’idée était de montrer qu’il y a une entraide entre l’homme et la femme, entre citoyen et citoyenne et que nous ne pouvons pas travailler ou réussir sans aide ou complémentarité des rôles75. » Après moultes discussions, cette formule a été finalement abandonnée.

  • 76 Livré en juin 2018 au Président Béji Caid Essebsi (2014-2019).
  • 77 Belhassine O., « En Tunisie, un pacte pour l’égalité et les libertés individuelles », in Justice I (...)
  • 78 Entretien avec plusieurs militantes d’Ennahdha en janvier 2020.

41Mais, trois ans après l’adoption de la nouvelle Constitution, le président Béji Caid Essebsi a initié un projet censé instaurer l’égalité de genre dans tous les domaines. Ainsi, a été créée la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE)76 qui a proposé des réformes selon les normes internationales en matière de droits humains, des libertés et de l’égalité77. La position officielle d’Ennahdha a été opposé au rapport livré en juin 2018 au président B.C. Essebsi (Gana, Sigillo 2019). La question de l’égalité des sexes dans l’héritage a créé beaucoup de débats. De fait, les militantes d’Ennahdha ont rejoint la position officielle du parti et ont demandé la répartition de l’héritage en conformité avec la norme religieuse78.

Conclusion

42Cette étude montre que les femmes ont aidé à la constitution du mouvement islamiste tunisien et marocain à travers un engagement de longue date auprès des femmes. Grâce à un travail de proximité, leurs compétences ont contribué à diffuser le message islamiste parmi les femmes et les citoyens en général. Elles sont de la « main-d’œuvre politique » pour leurs partis. De plus, elles gèrent un réseau d’associations sociales qui joue un rôle électoral et de sensibilisation majeur. Certaines de ces associations sont dédiées aux femmes et travaillent dans le respect du référentiel islamiste.

43L’article décrit les modalités d’insertion des femmes dans les partis islamistes. Les responsables politiques femmes du PJD ou d’Ennhadha ont suivi un parcours associatif ou dans un segment interne dédié aux femmes. Mais l’intégration des deux partis dans le jeu politique institué a impacté le parcours des femmes militantes, qui sont arrivées, pour certaines d’entre-elles, à occuper des postes publics. Elles ont pu ainsi sortir de la « section » ou du « bureau » dédiés aux femmes pour accéder à un domaine plus large.

44Contrairement au PJD, le groupe des militantes d’Ennahdha est plus hétérogène, certaines ont vécu à l’étranger, alors que d’autres sont restées en Tunisie pendant la période de répression du mouvement. Ces femmes ont été propulsées après 2011 dans la vie politique instituée à côté des hommes. D’ailleurs, leur présence en tant que candidates du parti ou dans les structures étatiques a aidé à augmenter la visibilité des femmes dans le champ politique. Toutefois, tant dans le cas du PJD que chez Ennahdha, ceci ne s’est pas traduit par une égalité en termes de leadership.

45Malgré leur engagement militant de longue date dans le parti et dans les affaires liées aux femmes et à la famille, elles restent minoritaires dans les instances internes et les structures étatiques. Ceci a été expliqué par un mode de fonctionnement qui met les hommes au-devant de la scène politique. Néanmoins, leur participation en politique et leur militantisme au sein des associations ou dans le domaine des droits des femmes (en respectant la référence islamique) indiquent que la logique partisane conduit à élargir le champ d’intervention des femmes islamistes. Ceci fait d’elles des actrices importantes dans les rangs de leur parti, mais aussi sur la scène politique de manière générale.

Ce travail a reçu le soutien du Conseil européen de la recherche dans le cadre du programme de recherche et d’innovation de l’UE Horizon 2020, programme TARICA convention no 695674.

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Notes

1 Entretien avec un responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

2 Ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Égalité et de la Famille http://www.social.gov.ma/en/taxonomy/term/412

3 Information recueillie auprès du PJD en juillet 2019.

4 Source : Ennahdha en juillet 2019.

5 Information recueillie auprès d’Ennahdha, en juillet 2019. Pas de renseignement accessible concernant le nombre des femmes dans le Conseil Consultatif (majlis al-shūrā) qui compte 150 membres.

6 Entretien avec A.E., membre fondateur d’Ennahdha en janvier 2017.

7 Entretien avec M.B. en janvier 2017.

8 Entretien avec W.Z. en novembre 2016.

9 Entretien avec F.L. en janvier 2017.

10 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Ibid.

15 Députée (2014-2016), Secrétaire d’État à la Formation professionnelle chargée de l’Initiative privée (2016-2018) et ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle (2018-2019).

16 Vice-présidente de l’ANC (2011-2014), députée (2014-2019).

17 En guise d’exemple, Souad Abderrahim, la maire de Tunis, en fonction depuis juillet 2018.

18 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

19 Entretien avec W.Z. en novembre 2016.

20 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

21 Ibid.

22 Ibid.

23 Ibid.

24 Entretien avec M.L. en janvier 2020.

25 Ibid.

26 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

27 Entretien avec K.B., membre de la liste électorale de France 1 aux élections législatives de 2014.

28 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

29 Ibid.

30 Ibid.

31 Rencontre avec des femmes du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

32 Ibid.

33 Ibid.

34 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

35 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

36 Entretien avec N.E, une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

37 Ibid.

38 Ibid.

39 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

40 Ibid.

41 Entretien H.A., responsable d’un réseau associatif. Agadir, novembre 2019.

42 Ibid.

43 Rencontre avec des femmes du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

44 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

45 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

46 Rencontre avec des femmes du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

47 Entretien avec N.F., une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

48 Le Conseil de la préfecture d’Inezgane-Ait Melloul https://cpinezgane.ma/مكتب-المجلس/

49 Entretien avec S.B., responsable du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019.

50 Ibid.

51 Ibid.

52 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

53 Entretien avec N.E., une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

54 Entretien avec A.S., une responsable de l’association en novembre 2019.

55 Le Conseil régional Souss Massa, https://www.soussmassa.ma/fr/les-elus-regionaux

56 Nous avons rencontré quatre femmes parmi les neuf militantes du bureau de direction de l’association M***.

57 Entretien avec quatre femmes du bureau de direction de l’association M*** en novembre 2019.

58 Entretien avec M.B. et L.Z., responsables du PJD à Agadir en novembre 2019.

59 Entretien avec quatre femmes du bureau de direction de l’association M*** en novembre 2019.

60 Entretien avec O.M., responsable de l’OREMA à Agadir en novembre 2019.

61 Ibid.

62 Entretien avec N.E., une responsable du PJD à Agadir en novembre 2019.

63 Entretien personnel avec A.B., la vice-présidente du MUR marocain, le 30 novembre 2017.

64 Ibid.

65 Ibid.

66 Entretien avec A.S, la responsable de B*** à Agadir en novembre 2019.

67 Entretien personnel le 30 novembre 2017.

68 Entretien avec plusieurs cadres du PJD à Inezgane-Ait Melloul en novembre 2019. Entretien avec A.B., une responsable du MUR à Rabat en novembre 2017.

69 Entretien avec A.B., la vice-présidente du MUR marocain, le 30 novembre 2017.

70 Ibid.

71 Entretien personnel avec B.H. en décembre 2017.

72 Entretien personnel avec A.B. en novembre 2017.

73 Entretien personnel avec F.L. en janvier 2017.

74 Entretien avec S.D., membre de la liste électorale de France 1 en 2019 en octobre 2019.

75 Entretien personnel avec F.L. en janvier 2017.

76 Livré en juin 2018 au Président Béji Caid Essebsi (2014-2019).

77 Belhassine O., « En Tunisie, un pacte pour l’égalité et les libertés individuelles », in Justice Info, publié le 30/07/2018, URL : https://www.justiceinfo.net/fr/divers/38192-en-tunisie-un-pacte-pour-l-egalite-et-les-libertes-individuelles.html, consulté le 28/07/2019.

78 Entretien avec plusieurs militantes d’Ennahdha en janvier 2020.

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References

Bibliographical reference

Anca Munteanu, “Les militantes du Parti de la justice et du développement au Maroc et d’Ennahdha en Tunisie : formes d’engagement et d’organisation”Égypte/Monde arabe, 21 | 2020, 69-88.

Electronic reference

Anca Munteanu, “Les militantes du Parti de la justice et du développement au Maroc et d’Ennahdha en Tunisie : formes d’engagement et d’organisation”Égypte/Monde arabe [Online], 21 | 2020, Online since 02 January 2022, connection on 18 April 2024. URL: http://journals.openedition.org/ema/11607; DOI: https://doi.org/10.4000/ema.11607

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About the author

Anca Munteanu

Anca Munteanu est chercheuse post-doctorante au sein de l’ERC TARICA rattachée au laboratoire Ladyss-Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est titulaire d’un doctorat obtenu en 2019 à l’Ecole doctorale de sciences juridiques de l’université de Grenoble en cotutelle avec l’Ecole doctorale de sciences politiques de l’université de Bucarest. Sa thèse a été consacrée à l’étude de l’idéologie et du rapport au pouvoir du parti islamiste Ennahdha dans une perspective comparée avec le Parti de la justice et du développement (PJD), au Maroc. Dans le cadre de l’ERC TARICA ses recherches sont consacrées à l’intégration au champ politique de ces deux partis et au processus qui en découle en interne : fragmentation, formes d’organisation, rôle des femmes, etc.

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