1L’année 2011 a marqué un tournant majeur pour le Soudan amputé de près d’un quart de son territoire avec la sécession de sa région Sud qui a obtenu l’indépendance en juillet de cette année. Cet événement s’avère historique sur le plan international avec l’entrée d’un nouvel État dans le concert des nations, sur le plan régional puisqu’il suppose pour chaque État riverain de repenser sa place dans un nouveau système d’États, mais aussi sur le plan national où il signe l’échec d’un projet politique national. 2011 ouvre donc une nouvelle ère pour le régime de Khartoum.
- 1 Les régions du centre correspondent aux États riverains de la vallée du Nil (État du Nord, État du (...)
2D’un point de vue économique, le Soudan a perdu avec la création du Soudan du Sud près des deux-tiers de ses champs pétroliers qui alimentaient depuis les années 2000 une économie pétrolière vitale pour le régime puisqu’elle procurait l’essentiel des devises étrangères du pays et une rente précieuse permettant au régime de s’affirmer comme un État développeur (Verhoeven 2015) alors qu’il était contesté par les armes dans la plupart de ses régions périphériques. Le régime a néanmoins réussi à se maintenir au pouvoir malgré les conflits dévastant les régions du Darfour, des Monts Nouba et du Nil Bleu ou de l’Est (Sørbø, Ahmed 2013), mais aussi malgré les mobilisations populaires à son encontre qui n’ont pas manqué d’éclater dans différentes villes du pays à la suite de ce que l’on a appelé « les printemps arabes ». Un des principaux griefs que les opposants armés ou civils ont contre les islamistes tient au développement extrêmement asymétrique des territoires au profit de la capitale et des régions dites du « centre » du pays1, régions déjà largement favorisées depuis l’époque coloniale. L’économie pétrolière mise en place dans les années 2000 n’a pas échappé à ce schéma, l’essentiel des retombées économiques ayant profité à ces mêmes régions, qu’il s’agisse du secteur des services principalement installés à Khartoum (Patey 2014) ou des grands projets de développement (routes, barrages) établis principalement dans les États du centre (État du Nil, État de Khartoum, État de la Gezirah). Avec l’indépendance du Sud et la fin de l’ère pétrolière (associée à la chute des cours mondiaux du pétrole), ce sont les secteurs agricole et minier qui sont devenus les pierres angulaires de l’économie soudanaise. Or, la localisation géographique des ressources de ces deux secteurs tout comme les pratiques d’exploitation qu’ils supposent pourraient modifier profondément le jeu économique soudanais, un aspect que nous avions suggéré dans la conclusion d’un précédent travail (Chevrillon-Guibert 2016). L’objet de cette contribution tient précisément à analyser les reconfigurations des rapports aux territoires des différents acteurs, privés ou publics, participant à l’activité minière aujourd’hui au Soudan, ainsi que les transformations du rôle de l’État en tant que régulateur et protecteur des citoyens.
3À l’instar de nombreux pays sahéliens, le secteur minier soudanais connaît depuis quelques années un véritable boom. Cet essor du secteur attise les convoitises non seulement du régime de Khartoum qui y voit sa planche de salut, mais aussi celles d’acteurs privés internationaux et nationaux souhaitant investir dans des activités industrielles et semi-industrielles (Chevrillon-Guibert 2016 ; Calkins and Ille 2014). Il suscite également les espoirs de centaines de milliers de mineurs artisanaux qui espèrent sortir de la misère grâce à cette activité. Dans le secteur de l’or, principal minerai exploité au Soudan, les intérêts et stratégies de ces différents acteurs alimentent des rapports au territoire et aux frontières bien différents. Alors que certains mineurs artisanaux se révèlent extrêmement mobiles dans leur recherche des filons les plus prometteurs, les investisseurs industriels désirent au contraire bénéficier de concessions territoriales stables et pérennes. À partir des pratiques des acteurs, des intérêts qu’ils expriment et des stratégies qu’ils mettent en place, nous proposons d’étudier comment les différentes activités minières construisent les territoires, mais aussi le rapport des individus à ces territoires et aux frontières. Les acteurs concernés sont des commerçants et entrepreneurs mais aussi des acteurs publics, des chefs locaux, etc. Il s’agit de comprendre la façon par laquelle tous ces acteurs se saisissent des initiatives publiques pour développer le secteur, comment ils les discutent, s’en accommodent ou les contestent parfois, pour développer des stratégies propres à la poursuite de leurs intérêts. Ce travail entend éclairer la façon dont s’articulent les différents intérêts et pratiques des acteurs miniers quant au territoire et aux frontières, et les tensions générées. Nous souhaitons également souligner la variabilité des situations, car les gisements se trouvent dans des régions diverses, celles du centre mais aussi celles périphériques marginalisées ou frontalières (Darfour, Sud Kordofan, États du Nord et de la Mer rouge). Ce travail doit nous permettre de saisir la redéfinition des relations État/sociétés/territoires en cours au Soudan et ses implications dans un espace régional renouvelé.
- 2 Les terrains au Soudan ont pu être réalisés grâce au soutien du CEDEJ-K.
4Cet article s’inscrit dans une réflexion personnelle plus large menée sur les pratiques autoritaires lues à travers les activités économiques mais également dans une réflexion collective sur les conflictualités qui se développement autour des ressources minières au Sahel. Il s’appuie sur un travail de terrain mené en juin 2015, avril et novembre 2016, décembre 2017 au Soudan, et décembre 2016 au Tchad2.
5Durant les années 2000, les cours mondiaux des minerais ont connu une véritable envolée et se sont maintenus à un haut niveau depuis, rendant leur extraction rentable même pour de faibles quantités. Valeur refuge par excellence, l’or a tout particulièrement bénéficié de ces hauts cours sans même connaître de baisse significative au moment de la crise financière mondiale de 2008. Au Soudan, la potentialité de l’indépendance du Sud et ses conséquences en termes économiques (perte d’une large part de l’économie pétrolière) a très tôt été envisagée par le régime de Khartoum. Les orientations du plan stratégique du gouvernement pour la période 2005-2011 témoignent de cette anticipation : leur principal objectif tenait à diversifier les activités exportatrices du pays par le biais d’encouragements à l’exportation de bétail, de certains produits agricoles (sucre, céréales) et de minerais (or essentiellement).
6Dans le domaine minier, le plan fait clairement état de la volonté gouvernementale de favoriser l’industrialisation du secteur, tout en s’assurant également de nouveaux bénéfices grâce à la création en 2012 d’une raffinerie détenue par la banque centrale. À l’époque où le plan est conçu, seul le secteur industriel compte aux yeux du régime et l’orpaillage se trouve alors largement rejeté dans l’illégalité et ses acteurs aux prises avec l’arbitraire du pouvoir. Cependant, ce dernier secteur constitue jusqu’à aujourd’hui encore le principal pourvoyeur de minerai et, conscient de cet état de fait, le gouvernement central a changé d’attitude : si l’orpaillage n’a jamais été interdit, il était très limité initialement car le matériel de détection était quant à lui interdit, puis le gouvernement a fini par autoriser les détecteurs de métaux (2007-2008) et ainsi toléré ; il a alors entrepris de maîtriser sa production par le biais du contrôle de sa commercialisation (Chevrillon-Guibert 2016). Les difficultés pratiques de ces choix ont cependant conduit à de nouveaux arrangements commerciaux et de nouvelles politiques de contrôle.
7À l’instar de nombreux pays sahéliens, le boom minier que connaît le Soudan s’avère jusqu’à aujourd’hui essentiellement un boom de l’orpaillage : ce sont des centaines de milliers d’individus qui s’improvisent chercheurs d’or, à des échelles diverses. Au Soudan, une véritable ruée vers l’or a débuté dès le milieu des années 2000 sur l’ensemble du territoire mais l’aisance des conditions de vie dans les régions du Nord et de l’Est qui ne connaissent pas de conflits a favorisé la découverte et l’exploitation de gisements là-bas. Les régions touchées par la guerre ne sont pas restées en reste pour autant ; au Darfour, tout comme dans le Kordofan ou les Monts Nouba, l’exploitation artisanale et semi-artisanale bat son plein depuis plusieurs années mais les investissements industriels et semi-industriels sont plus limités. L’afflux de mineurs dans ces régions en conflit où se trouvent les gisements, souvent rurales, isolées, l’établissement des exploitations et les revenus qu’elles procurent et drainent dans des contextes économiques très pauvres, ont suscité de profonds bouleversements locaux. C’est particulièrement le cas de la région du Darfour, une région frontalière du Tchad et de la Libye où les gains potentiels ont créé de fortes convoitises dans le contexte de la guerre du Darfour, notamment chez les groupes armés en quête de ressources. Le conflit qui a débuté en 2003 s’inscrit désormais dans la durée et les groupes rebelles doivent renouveler leurs sources de revenus en fonction des changements conjoncturels, tels que l’effondrement de la Libye ou l’implosion du Soudan du Sud (Bartlett 2016).
8En 2016, s’appuyant sur la loi Dodd Franck, des ONG militantes américaines ont d’ailleurs essayé d’inciter les États-Unis à mettre en place un embargo sur l’or provenant du Soudan au motif qu’il financerait le conflit darfourien et ses seigneurs de guerre (Ille 2016, Kumar 2015, Enough 2017). Certains observateurs ont néanmoins souligné la difficulté d’identifier l’or qui proviendrait du Darfour de celui provenant des autres régions du pays dans la mesure où le commerce du précieux minerai est extrêmement centralisé. Le gouvernement a quant à lui dénoncé cette tentative en arguant du rôle économique central que joue ce secteur pour les populations locales. Si ce dernier argument est vraisemblablement juste, notons que ce discours oublie de mentionner combien l’exploitation de l’or constitue avant tout pour le régime une planche de salut face à une crise économique dramatique depuis la séparation du Sud du pays et donc une rente essentielle pour mener ses choix politiques, notamment la poursuite de la guerre dans ses périphéries.
- 3 Entretiens et observations (Khartoum 2015, 2016).
9Cependant au niveau local, l’enjeu pour le gouvernement soudanais consiste à maîtriser ce secteur artisanal en plein développement dans la mesure où les projets industriels tant espérés peinent à voir le jour3.
- 4 Idem. Le SPLM-N (Sudan People’s Liberation Movement-North) est un groupe d’opposition au Soudan iss (...)
10La volonté initiale du gouvernement de contrôler la production artisanale par la centralisation du commerce de l’or, alors même que l’exploitation des gisements s’opérait dans les régions, a eu l’effet inverse de celui escompté. Il a décuplé la contrebande à travers des circuits transfrontaliers entre Soudan et Libye pour l’or du Darfour (Tubiana 2016), Soudan et Égypte ou Arabie Saoudite pour celui des États situés au nord et à l’est, et enfin Soudan et Soudan du Sud dans les zones frontalières contrôlées par les rebelles du SPLM-N4.
- 5 Ce différentiel n’a cessé de s’accentuer depuis l’indépendance du Sud.
11En 2015, la centralisation instaurée au moment de la création d’un monopole de la Banque centrale sur le commerce d’exportation de l’or artisanal grâce à la sélection de quelques intermédiaires à Khartoum autorisés à lui revendre l’or a été assouplie, puis abandonnée un an plus tard sous la pression des acteurs du secteur, mais également devant le constat d’échec de ces mesures pour enrayer l’importante contrebande. Les bénéfices de cette dernière sont favorisés par l’important différentiel entre le taux de change officiel de la livre soudanaise et celui du marché noir5. Néanmoins en novembre 2017, il semblerait que le gouvernement revienne sur la question en obligeant à nouveau les commerçants à vendre leur or exclusivement sur le marché national.
12En ce qui concerne les activités d’exploitation proprement dites, après avoir longtemps interdit l’utilisation de détecteurs de métaux nécessaires au développement du secteur artisanal, le gouvernement central a finalement choisi de les autoriser (après les avoir initialement tolérées) en même temps qu’il mettait en place de nouvelles régulations du secteur commercial. La légalisation du secteur concerne cependant principalement les activités ; les travailleurs restent peu protégés par la loi. Le gouvernement central a essentiellement concentré ses efforts sur le contrôle de l’activité espérant bénéficier plus facilement de ses rentes par la taxation et contrecarrer l’importante contrebande. Pour cela, il cherche à regrouper dans des espaces spécifiques les activités de transformation (broyage, nettoyage et extraction de l’or).
13Un des effets immédiats de la fin de la répression du secteur artisanal a été la recomposition du secteur et des pratiques de ses acteurs dont le nombre n’a cessé d’augmenter depuis le milieu des années 2000 malgré l’interdiction du matériel d’orpaillage. Le développement des activités a encouragé la création spontanée de marchés spécialisés où les acteurs du secteur viennent se fournir pour leurs besoins quotidiens (nourriture, vêtements, divertissements) mais aussi pour leurs activités (réparations, pièces de rechange, essence, etc.). D’autres marchés spécialisés pour l’or ont également vu le jour aux abords de diverses localités dans les territoires concernés par le boom minier artisanal.
- 6 Sur la diffusion des détecteurs de métaux, voir l’article de Anna Dessertine (2016) qui analyse le (...)
14L’interdiction des détecteurs avait conduit à ce que seul l’orpaillage mobile se développe du fait des risques pris par les orpailleurs la bravant, leur mobilité atténuant le risque d’être attrapé et sanctionné. Les prix des appareils devenus abordables au Soudan au cours des années 2000 grâce à la diffusion des produits chinois bon marché (favorisée localement par le partenariat économique Chine-Soudan développé avec l’exploitation du pétrole) a également encouragé ce type d’orpaillage6.
- 7 Entretiens et observations (Soudan, État du Nil et Khartoum, 2015, 2016).
- 8 Entretiens et observations (Tchad, région d’Ati, 2016).
- 9 Entretiens et observations (Soudan, État du Nil et Khartoum, 2015, 2016).
15Cette pratique de l’orpaillage mobile consiste en des équipes formées d’une dizaine d’orpailleurs se partageant plusieurs appareils et évoluant sur des centaines de kilomètres à la recherche d’or situé à la surface du sol7. Au Soudan, ce sont principalement les zones sableuses au Nord et de l’Ouest du pays qui sont concernées, mais les orpailleurs soudanais n’hésitent pas à traverser les frontières pour se rendre jusqu’en Afrique de l’Ouest ou en Afrique du Nord dans des pays où les ruées sont plus récentes. Cela est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, l’or de surface a été largement épuisé au Soudan avec le passage de centaines de milliers d’hommes qui ont vidé les réserves. Les orpailleurs soudanais profitent alors de leur expérience dans le maniement des détecteurs et de leur expertise dans la connaissance des filons pour se faire accepter à l’étranger. Ils ont acquis une forte réputation pour ce type de détection dans toute la sous-région8. Néanmoins des détecteurs plus puissants sont récemment arrivés sur le marché soudanais, relançant localement l’intérêt de l’activité mobile9.
16La légalisation des détecteurs n’a pas arrêté ce type d’activité très mobile au profit d’exploitations stables ; elle a cependant permis sa complexification en permettant le déploiement de nouvelles techniques d’extraction utilisées en combinaison avec les détecteurs. De nombreux orpailleurs ont commencé à associer l’utilisation du détecteur avec le maniement d’engins de type tractopelle permettant de creuser et retourner les sols pour aller chercher l’or plus profondément. C’est aussi le cas avec des explosifs utilisés pour suivre en profondeur des filons prometteurs. Ces techniques d’extraction plus onéreuses ont pu voir le jour avec la disparition des risques liés à la répression de l’orpaillage au détecteur. La plus grande sédentarité impliquée par ces techniques et leur coût financier, important comparativement à l’orpaillage mobile qui n’utilise que les détecteurs, rendait quasi impossible leur développement avant que le secteur artisanal ne soit autorisé. Cela constitue d’ailleurs un facteur explicatif des fortes disparités existant en matière de mécanisation des activités minières au Sahel car nombreux sont les pays sahéliens qui n’autorisent pas (ou peu) l’orpaillage artisanal ce qui tend à limiter le développement de nouvelles techniques dans ces pays.
17La sédentarité a également favorisé au Soudan le développement de nouvelles techniques comme par exemple les tamis (plus ou moins mécanisés). Ces changements techniques rapprochent la gestion de certaines activités d’orpaillage et les investissements qui leur sont liés de celles de l’extraction aurifère qui s’opère à partir de puits où la sédentarité est une donnée de base de l’activité puisqu’il s’agit de creuser entre 10 et 40 mètres selon la structure des gisements pour suivre les filons.
18À partir du moment où les acteurs sont un minimum sédentaires, cela change profondément leur rapport au territoire en ce qui concerne les communautés locales occupant les lieux et avec qui il faut s’arranger pour la vie quotidienne (hébergement, nourriture, etc.), mais aussi les autorités locales contrôlant la zone ou encore celles nationales qui ont plus facilement prise sur les activités menées par les orpailleurs.
19La nature des lieux modifie énormément les rapports entre orpailleurs et environnement local : si l’on se trouve au milieu de zones désertiques dans l’État du Nord, peu de négociations avec les communautés ou autorités locales sont nécessaires pour mener son travail ; en revanche, dans des zones plus habitées, ou encore dans des zone en conflits comme au Darfour, les orpailleurs doivent se placer sous la protection des personnes contrôlant militairement la zone ou s’arranger avec les communautés locales (voir infra).
20Cependant, quelque que soit le lieu, la possibilité d’être sédentaire a des conséquences notables non seulement pour ce qui est des techniques d’extraction de l’or du sol mais également en ce qui concerne les étapes suivantes de concassage, de nettoyage et d’extraction finale du minerai (le mercure est le produit le plus répandu pour cette dernière étape). La légalisation du détecteur a ainsi permis le développement des activités artisanales et la création de sites spécialisés de transformation et d’extraction finale où sont regroupés dans un même espace les moulins, où sont broyés en sable fin la roche ou le sable grossier contenant l’or, les piscines, dans lesquelles le minerai contenu dans le sable est amalgamé à l’aide de mercure, et les commerçants d’or qui achètent au bout de la chaîne le produit fini. Dans ces sites, de nouvelles techniques se sont également répandues, notamment des moulins dits « chinois » combinant le moulinage et l’amalgamation de l’or.
- 10 L’ensemble du paragraphe est fondé sur des entretiens et des observations menés en novembre 2016 da (...)
21L’un de ces sites, situé à proximité de la localité d’Abu Hamed dans l’État du Nil, a connu un essor sans précédent depuis 5 ans environ10. En 2017, ce sont plusieurs milliers de travailleurs qui sont regroupés dans le site (Méléard 2017). De plus, aux abords immédiats du site, se trouvent six industries de retraitement des déchets des orpailleurs, une activité particulièrement rentable dans la mesure où les techniques utilisées par les orpailleurs, même mécanisées avec les moulins « chinois », laissent dans leurs rejets encore une grande quantité d’or.
22La concentration des activités de transformation tend à faire diminuer leur coût général. À partir d’une certaine quantité, il devient alors plus intéressant pour les orpailleurs de parcourir des centaines de kilomètres pour traiter leur matériel dans ces lieux organisés où le coût de l’extraction est moins chère et celle-ci plus importante pour une même quantité de sable ou de roches recueillis que si le travail est effectué sur les lieux d’extraction de façon plus artisanale.
23L’apparition d’abord spontanée de ces sites se trouve aujourd’hui vivement encouragée par les autorités, non seulement gouvernementales, mais également locales. Au début de l’année 2017, un média proche du pouvoir énonçait : « The ministry is seeking to legalize and regulate the traditional mining which spans (2 states, 44 localities, 65 markets, 221 locations and 43,890 wells.) »11.
24La concentration des activités sur un même site identifiable plutôt que leur dispersion sur le territoire à proximité des gisements, et les besoins de leurs acteurs (en eau, en électricité, en sécurité) sont l’occasion pour le pouvoir central de s’octroyer un rôle de premier plan dans la gestion locale des activités économiques et leur régulation en les inscrivant dans une planification à l’échelle nationale.
- 12 Beaucoup de pratiques de contournement existent et nos interlocuteurs n’étaient pas avares de détai (...)
25Ces lieux, où se concentrent les activités, permettent également aux autorités un bien meilleur contrôle que celui des gisements disséminés sur un vaste territoire12. Le contrôle peut alors porter non seulement sur la quantité de minerai extrait in fine et ainsi limiter sa contrebande aux frontières, mais aussi et surtout sur le minerai qui va être traité et que les autorités taxent à l’entrée du site. La taxation est au cœur de la nouvelle organisation car elle est vitale en temps de disette pour le régime qui se veut « État développeur ». Il semble en tout cas que ce soit le calcul fait par le gouvernement central lorsqu’il a choisi de tolérer l’extraction artisanale en attendant que l’industrialisation du secteur extractif prenne le pas sur ces activités (Chevrillon-Guibert 2016) et, plus récemment, lorsqu’il a choisi d’abandonner la centralisation du commerce des produits issus de cette extraction à l’intérieur du pays et son monopole à l’export (depuis janvier).
26Sans surprise, ces sites présentent un fort attrait pour les échelons inférieurs de l’État, à la fois au niveau des localités concernées mais aussi des États fédérés qui cherchent eux aussi à bénéficier d’une part de la rente, tout comme certains segments du régime ou autres acteurs détenant un pouvoir (chef de groupe armé, autorité traditionnelle, etc.).
- 13 La rente pétrolière a également permis à de nombreuses entreprises détenues par la sécurité nationa (...)
27Derrière le souhait d’encourager le secteur industriel minier, le gouvernement central avait initialement cherché à reproduire ce qui s’était passé dans le secteur pétrolier : le développement d’une économie d’enclave lui apportant une rente juteuse qu’il contrôlait pleinement et de façon largement opaque (Patey 2014)13. Néanmoins le fait qu’il faille compter sur le secteur artisanal a profondément changé la donne dans la mesure où la question des territoires se pose de façon très différente du cas de l’économie pétrolière très enclavée. Le développement d’activités semi-mécanisées a également favorisé ces interactions entre populations, territoires et diverses autorités.
28Depuis deux ans, une forte concurrence s’est installée entre les différents échelons de l’État soudanais pour bénéficier de la rente que constituent les taxes imposées aux activités extractives artisanales mais aussi celles des activités de service qui se greffent autour (restauration, réparation du matériel, etc.). La forte instabilité législative existant autour des régulations minières ou leur inexistence concernant certains aspects favorisent grandement cette compétition entre les entités qui tentent d’influencer le pouvoir central pour bénéficier d’un meilleur pourcentage dans le partage, mais aussi de positions intéressantes dans le système ou de nouveaux investissements étatiques.
- 14 Pour une discussion au sujet de ce type d’agence parapublique créé à l’image de celle existant dans (...)
29Parfois ont lieu de véritables bras de fer entre segments du régime. Le différend qui a opposé une entreprise privée proche de l’appareil de sécurité soudanais et les citoyens de la localité d’Abu Hamed est une riche illustration de cette compétition. L’origine du différend a porté sur la taxation opérée à l’entrée du site de transformation sur les sacs apportés par les orpailleurs contenant la roche ou le sable dont ils veulent extraire l’or. Initialement la localité entendait taxer elle-même les sacs à l’entrée du site, mais le gouvernement central lui a enjoint d’utiliser les services d’une entreprise privée détenue par des membres de la sécurité nationale soudanaise. Le montant des taxes devait être ensuite partagé à hauteur de 35 % pour la localité et le gouvernement de l’État du Nil et 65 % pour le gouvernement central. La localité s’est retrouvée contrainte d’accepter l’intermédiaire de l’entreprise mais s’est rapidement rendue compte qu’elle n’avait pas accès aux sommes versées par les orpailleurs (l’entreprise ne délivrait pas de reçus) et qu’ainsi, il lui était impossible de savoir si elle recevait réellement le pourcentage de la rente qui lui revenait. Contrariée par l’opacité de la procédure, la localité a rapidement dénoncé les pratiques de l’entreprise et créer une union locale des travailleurs du secteur minier afin de défendre ses intérêts mais aussi afin de réunir des personnes à même d’effectuer le travail des agents de l’entreprise sur place. L’administration locale était soutenue par la population d’Abu Hamed dans ses démarches. Les habitants espéraient profiter plus directement des bénéfices issus du site, à la fois d’un point de vue financier, mais aussi pour l’emploi des jeunes gens de la localité, tout particulièrement de ceux disposant d’une bonne instruction. La population d’Abu Hamed considérait que ces derniers étaient bien plus à même d’effectuer le travail du fait de leur égale qualification et de leur origine locale, un atout important qu’elle jugeait essentiel à ses yeux. Des manifestations dénonçant la situation et le rôle de l’entreprise ont éclaté à Abu Hamed au printemps 2014 à l’occasion d’un fait divers survenu sur le site dans lequel des agents de l’entreprise étaient impliqués. Dénonçant initialement l’évènement contraire aux bonnes mœurs, les manifestations ont peu à peu pris une tournure plus vindicative à l’encontre des pratiques des agents de l’entreprise et du contrat dont bénéficiait cette dernière. À l’issue de ces contestations, une négociation a débuté entre la localité et l’entreprise. Celle-ci, arguant de réfléchir à employer des habitants de la localité pour les contenter, utilisa en réalité ce laps de temps pour solliciter des soutiens au sein du régime et obtenir un contrat du ministère des Finances lui accordant le rôle de prélever les taxes sur le site. La durée du contrat était d’un an, c’est à dire qu’il était prévu qu’il se termine à la fin de l’année 2014 ; contrairement à son souhait, l’entreprise n’arriva pas à le faire renouveler, cependant, à son terme, ce n’est pas la localité qui hérita du rôle convoité de prélever les taxes mais une entreprise au statut mixte créé par le ministère des Mines et celui des Finances, la Sudanese Mineral Resources Company, déjà en charge de superviser le secteur industriel14. L’arrivée de cette nouvelle entreprise relevant de l’autorité fédérale a été relativement bien acceptée localement même si elle ne satisfaisait pas totalement les revendications du comité populaire du fait de son caractère public et de son rattachement explicite au ministère des Mines. La précédente entreprise était décriée en raison de son statut privé et de ses liens avec certains segments du régime (la sécurité nationale) mais aussi car elle n’employait pas les jeunes instruits de la localité, contrairement à la Sudanese Mineral Resources Company.
30Cette histoire illustre de façon saillante la concurrence qui se joue au sein de l’appareil d’État, entre institutions officielles ou segments influents, autour des questions du partage de la rente minière et des régulations du secteur.
- 15 Cette concurrence entre localités pour les sites d’activités économiques n’est pas spécifique au se (...)
31La concurrence s’opère à de nombreux niveaux et notamment entre entités de même nature. Par exemple, un site de transformation identique à celui de Abu Hamed a été créé à Abidiya, une localité relativement proche d’Abu Hamed. La proximité des localités – deux heures de camion environ – place les deux sites en concurrence directe pour les orpailleurs qui travaillent dans des gisements éloignés et pour lesquels les 150 kilomètres qui séparent les deux localités comptent peu comparativement aux services proposés. Le montant des taxes, le coût des services proposés et leur qualité se révèlent être décisifs dans la compétition que se livrent les deux localités, des aspects sur lesquels tentent de jouer l’ensemble des autorités qui peuvent d’une manière ou d’une autre influer15.
32Les tensions entre l’État du Nil et l’État de la Mer rouge sont une autre illustration de cette compétition féroce. L’État du Nil, où se situent de nombreux sites de transformation, se trouve régulièrement accusé par l’État de la Mer rouge de prélever des taxes qui lui reviendraient dans la mesure où les sacs traités dans ses sites de transformation proviennent pour certains de gisements situés sur le territoire de l’État de la Mer rouge. Pour pallier ce qu’il considère comme un manque à gagner, l’État de la Mer rouge a choisi de mettre en place des barrières mobiles au niveau desquelles il taxe les camions d’orpailleurs, mais cela créé de vives tensions entre États fédérés. Le gouvernement central n’hésite pas à jouer de ces rivalités pour se poser en arbitre et asseoir son rôle au sein du secteur que lui contestent certains segments infra-étatiques.
- 16 Ariab est la plus grande mine industrielle soudanaise. Initialement détenue par Areva, elle a ensui (...)
- 17 Le site de presse Radio Dabanga, proche de l’opposition, relate plusieurs de ces confrontations : h (...)
33Les tractations autour de l’or s’articulent ainsi à tous les niveaux de l’État et notons qu’elles ne sont pas l’apanage du secteur artisanal. Elles existent également au niveau du secteur industriel, malgré la prééminence du gouvernement central dans le domaine. En réalité, elles concernent surtout les petites entreprises du secteur, celles qui extraient les minerais par des procédés industriels ou qui retraitent les déchets des orpailleurs avec des techniques et des investissements limités qui n’ont rien à voir avec ceux des grandes mines industrielles comme la mine historique d’Ariab16. Au début de l’année 2017, sous la pression populaire, l’État du Nord a été contraint d’annuler une licence accordée à une entreprise qui souhaitait séparer les minerais par divers procédés chimiques. Les habitants regroupés au sein d’un comité populaire pour la protection de l’environnement ont dénoncé les procédés envisagés par l’entreprise qui souhaitait travailler dans la région au motif qu’ils les considéraient comme dangereux par les populations locales. Ce cas n’est pas isolé et de nombreuses initiatives similaires existent dans d’autres localités, notamment dans les États du Kordofan17. D’une façon générale, le régime de Khartoum tente de limiter ce type de contestations en n’hésitant pas à emprisonner les activistes au motif qu’ils troublent l’ordre public.
34Ces différentes tensions mettent en lumière une problématique importante concernant le partage de la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles : celui de la répartition entre les différents échelons territoriaux. Cette problématique soulève des questions de justice sociale dans laquelle se confrontent les perceptions de ce qui est considéré comme équitable eu égard à l’impact écologique et social de l’exploitation des ressources mais aussi aux attentes des populations vis-à-vis des entités publiques (et donc la répartition des rôles entre ces entités).
35Du point de vue de l’État central, les tractations opérées entre la localité d’Abu Hamed et le gouvernement central quant aux enjeux de taxation indiquent clairement que l’État central ne peut être l’unique autorité régissant le secteur artisanal même s’il est un point de passage obligé. Contrairement au secteur industriel dans lequel il maîtrise l’essentiel du processus en attribuant les licences de prospection et celles d’exploitation, et en assurant le suivi des opérations de toutes les entreprises, le fonctionnement du secteur artisanal lui impose de négocier avec ses échelons inférieurs. Les difficultés de mise en place du monopole du commerce de l’or produit artisanalement et la suppression de ce dernier avant de le réintroduire récemment abondent dans le même sens. Le nouveau rôle donné à la compagnie des ressources minières pour taxer localement les activités artisanales témoignent d’une adaptation de l’État central à ce nouveau contexte.
- 18 Documents confidentiels vus par l’auteure.
- 19 En 2013, un conflit violent pour le contrôle de la mine opposant différents sous-groupes arabes ava (...)
36Néanmoins, si dans l’État du Nil, la compagnie a réussi à devenir l’acteur central de cette taxation, ce n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire. Au Darfour, dans la région de Jebel Amer, cette opération était réalisée jusqu’à il y a peu par une administration créée de façon ad hoc par le chef coutumier de la région qui entretient des relations compliquées avec le gouvernement central. En effet, Musa Hilal fut aussi le chef de file des fameuses milices « Janjawid » accusées de crimes dans les premières années du conflit du Darfour : nommé quelques années plus tard, en 2008, conseiller spécial au sein du gouvernement fédéral, il finit par quitter cette fonction en 2014 ainsi que le parti du congrès national, le parti du pouvoir, pour créer un parti indépendant pour les élections générales de 2015. Au même moment, il entreprend d’asseoir son contrôle sur la riche région du Jebel Amer en créant une administration non officielle ne dépendant que de lui et en s’appuyant sur des milices qui lui sont fidèles et qui ont été intégrées aux forces gouvernementales avant d’en être finalement exclues. Il est difficile de connaître précisément le système mis en place localement étant donné l’impossibilité de mener des enquêtes sur le site, néanmoins les informations secondaires obtenues à partir de journaux et d’entretiens menés avec des mineurs ayant travaillé là-bas semblent indiquer que cette administration opère de façon similaire à celle étatique en taxant les travailleurs du site mais aussi en contrôlant son accès en ce qui concerne les entreprises souhaitant opérer dans la région. Cette administration s’arroge des prérogatives relevant de l’État central car, concrètement, pour opérer, les entreprises doivent solliciter l’accord de cette administration de Musa Hilal comme elles le feraient auprès du ministère des Mines18. Cette administration locale n’hésite pas à prendre des décisions en contradiction directe avec celle de l’État. Par exemple, l’entreprise soudanaise MAM, qui avait obtenu une autorisation de prospection et d’exploitation du ministère des Mines pour travailler sur le site de Jebel Amer, s’est vue refuser l’accès au site par cette administration locale. À plusieurs reprises, l’État central a tenté de reprendre le contrôle de la mine de Jebel Amer aux mains de Musa Hilal et de son administration mais avec un succès d’autant plus mitigé que Jebel Amer se situe dans une zone en conflit (au Darfour) et que ce territoire riche en minerais est disputé par différentes communautés locales et leurs milices19. Une intervention de l’armée au début de l’année 2017 et probablement des tractations avec les différentes communautés et leurs leaders a néanmoins permis à l’État de reprendre pied dans la zone. Cependant, ce retour de l’État n’est alors pas total, il s’opère aux côtés de l’administration de Musa Hilal qui maintient son contrôle sur une partie de la rente. Au cours de l’année 2017, ce dernier a intensifié ses critiques à l’encontre du régime tout en se rapprochant des groupes rebelles de la région, attisant à l’extrême le conflit qui l’oppose au régime. Fin novembre 2017, l’armée a fini par reprendre le contrôle de l’ensemble du site de Jebel Amir en attaquant la zone. Musa Hilal a été capturé et arrêté à cette occasion ainsi que d’autres leaders locaux. Musa Hilal devrait être jugé par un tribunal militaire à Khartoum.
- 20 Entretiens à Khartoum et dans l’État du Nil (2015, 2016).
37La proximité de la région avec les frontières libyenne et tchadienne ajoute de la complexité à la situation dans la mesure où de très nombreux travailleurs étrangers venus à la recherche du précieux minerai sont présents sur le site de Jebel Amir ; originaires d’autres territoires et bien souvent d’autres communautés ethniques, ils ne dépendent pas traditionnellement des autorités locales contrôlant la zone ce qui minimise d’un côté l’emprise de ces dernières sur eux mais qui parallèlement accroît l’influence des détenteurs d’armes. Ces travailleurs au statut très précaire (situation irrégulière sur le territoire, grande pauvreté, etc.) se retrouvent sans protection face à l’arbitraire et l’avidité des hommes armés entraînant des situations humainement peu tenables. Les problèmes de sécurité sont d’ailleurs un aspect systématiquement souligné par les orpailleurs quand ils justifient leur choix de travailler dans des régions éloignées de là où ils sont originaires. C’est également la justification avancée par de nombreux entrepreneurs darfouriens qui avaient initialement investi dans des licences de prospection au Darfour et qui ont choisi d’abandonner ces licences au profit d’autres dans les régions du Nord ou de l’Est du pays20.
- 21 Par exemple, un différent a opposé l’entreprise Ariab à un groupe de jeunes entrepreneurs issus d’u (...)
38Cette situation extrême où des entreprises négocient leur accès à la zone auprès d’une autorité non officielle s’apparente à d’autres situations très courantes dans des zones pacifiées où les entreprises, qui ont obtenu une licence de prospection et d’exploitation auprès du ministère des Mines, doivent néanmoins négocier leur accès aux gisements localement afin d’exercer sereinement leurs activités. Cela concerne des entreprises étrangères bien sûr ou les grandes industries comme Ariab21 mais aussi de plus petites entreprises soudanaises.
- 22 Observations et entretiens dans l’État du Nil (2016).
- 23 Idem. Voir aussi Méléard (2017).
39Enfin, soulignons que le développement d’activités semi-mécanisées a ouvert de nouvelles possibilités d’investissements pour des entrepreneurs nationaux. Si aujourd’hui de plus en plus d’orpailleurs mobiles sont en mesure d’acheter des détecteurs pour eux-mêmes, la pratique de la location auprès de propriétaires qui investissent dans le matériel reste très courante. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne le matériel lourd (engins, tamis, etc.) : il est avant tout acheté par des investisseurs qui le loue ensuite à des équipes de travailleurs. Il arrive également qu’un investisseur finance l’équipe pour ses besoins courants. La clef de répartition des bénéfices sera alors fonction des engagements financiers et humains des uns et des autres. Ces investisseurs se trouvent être parfois des personnes issues des localités environnantes qui effectuent là un placement ; dans ce cas, ils accèdent aisément aux gisements et négocient via leur capital social local les éventuels différends que les activités minières pourraient provoquer tout en développant des pratiques paternalistes et clientélistes22. Ainsi, dans une localité proche d’Abu Hamed, le chef de la localité, également autorité traditionnelle et religieuse détient l’ensemble des services du marché d’or local ainsi que l’entreprise semi-mécanisée qui transforme et extrait le précieux minerai. Il est ainsi le personnage incontournable des activités minières artisanales. Nombreux sont aussi les hommes d’affaires qui ne sont pas originaires de régions minières et qui investissent dans le secteur semi-mécanisé, en passant généralement par des relais locaux. De bonnes relations avec de grands commerçants d’or peuvent aussi être une stratégie efficace pour s’implanter localement23.
40Dans notre précédent article (Chevrillon-Guibert 2016), nous avions souligné le rôle potentiel de l’économie minière en matière de rééquilibrage territorial dans la mesure où les mines d’or sont situées dans l’ensemble des régions soudanaises et notamment dans celles aujourd’hui en conflit (Darfour, Sud-Kordofan). Il nous semblait en effet que leur situation en périphérie pouvait limiter intrinsèquement la dynamique inégalitaire des politiques de développement liées au pétrole (mais aussi historiquement à l’agriculture d’exportation) à l’origine d’un développement très asymétrique du territoire (Niblock 1987 ; Chevrillon-Guibert 2013). Les observations menées récemment au Tchad et au Soudan permettent de confirmer ces conclusions, mais également de les préciser et de les nuancer en soulignant la variabilité et la fluidité des façons par lesquelles se définissent les rapports État/société/territoire dans les contextes miniers locaux et l’adaptation continue des acteurs à ces contextes mouvants. Notre analyse montre combien le développement du secteur artisanal au Soudan participe à la redéfinition continue de ces rapports à travers des négociations entre les acteurs économiques, l’État et ses différents échelons. Elle souligne la diversité de ces négociations et de leurs résultats qui modèlent les pratiques autoritaires à l’oeuvre dans le gouvernement des mines au Soudan.
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