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2025

Production de l’espace urbain et (re)configurations politiques locales dans la Tunisie postrévolutionnaire.

Le cas de Téboulba (Sahel tunisien)
Nizar Ben Tekaya

Texte intégral

Thèse de Doctorat en Géographie, sous la direction d’Olivier Legros (Université de Tours & CITERES-EMAM), soutenue le 12 décembre 2024 à la Maison des Sciences de l’Homme Val de Loire (MSH-VdL), Tours. 452 p.

1Cette thèse est le fruit d’une recherche dont l’objectif était d’examiner les transformations de l’espace urbain et des configurations politiques locales dans la Tunisie postrévolutionnaire, en se concentrant sur le cas de Téboulba dans le Sahel tunisien.

Contexte et objectifs

2La recherche s’inscrit dans un contexte caractérisé par les transformations politiques et institutionnelles majeures qu’a connues la Tunisie à la suite de la révolution de 2010-2011. Cette période a été marquée par une série d’événements importants, notamment l’organisation de multiples scrutins électoraux, incluant des élections législatives, présidentielles, et les premières élections municipales démocratiques en mai 2018. Ces dernières ont mis fin à une période transitoire où les municipalités étaient gérées par des délégations spéciales, suite à la dissolution des conseils municipaux hérités du régime de Ben Ali. Parallèlement, le pays a connu des réformes institutionnelles visant à renforcer la démocratie locale. L’adoption d’une nouvelle Constitution en 2014, qui accorde une place prépondérante au pouvoir local dans son chapitre vii, et la promulgation du Code des collectivités locales (CCL) en 2018, ont posé les jalons d’une gouvernance plus décentralisée et participative.

3Dans ce contexte de renouveau démocratique et de réformes institutionnelles, l’objectif principal de cette thèse est d’analyser les impacts de ces changements sur la gouvernance et l’aménagement urbain à l’échelle locale, en prenant pour cas d’étude la ville de Téboulba dans le Sahel tunisien. La recherche vise à comprendre comment les nouvelles dynamiques à l’œuvre dans le champ politique national et les réformes engagées se traduisent concrètement dans la gestion urbaine et les relations entre les différents acteurs locaux. Elle s’intéresse particulièrement aux reconfigurations du système politique local, à l’évolution des processus de prise de décision dans l’action publique urbaine, et à la manière dont les nouveaux mécanismes de participation citoyenne sont mis en œuvre et appropriés par les acteurs locaux. En examinant ces questions à travers le prisme de Téboulba, l’étude cherche à apporter un éclairage sur les défis et les opportunités que présente la transition démocratique pour la gouvernance urbaine en Tunisie.

Questions de méthodologie

4La méthodologie employée pour notre recherche s’appuie sur une approche qualitative, combinant plusieurs techniques de collecte de données. Au cœur de cette démarche se trouve une série d’entretiens approfondis menés auprès d’un large éventail d’acteurs locaux, incluant des élus municipaux, des responsables administratifs, des militants associatifs, des entrepreneurs, et des citoyens ordinaires. Ces entretiens, majoritairement semi-directifs et accessoirement « libres », ont permis de saisir les perceptions, les motivations et les stratégies des différents acteurs impliqués dans la gouvernance et l’aménagement urbain de la ville.

5En complément de ces entretiens, l’auteur a mis en œuvre une observation participante afin de saisir les processus de prise de décision, les interactions entre les acteurs, et les manifestations concrètes des actions urbaines. Cette immersion a été particulièrement nécessaire pour comprendre les subtilités des relations de pouvoir et les dynamiques informelles qui sous-tendent la gouvernance locale. L’observation a porté sur divers espaces et événements, tels que les réunions du conseil municipal, les assemblées et réunions associatives, et les émissions des médias (associatifs) locaux.

6La recherche s’est également appuyée sur une analyse approfondie de documents officiels, incluant les procès-verbaux des réunions municipales, les plans d’aménagement urbain et d’investissement municipal, les rapports budgétaires, et les textes législatifs relatifs à la décentralisation et à l’action municipale. Cette analyse documentaire a permis de contextualiser les observations de terrain et de retracer l’évolution de l’action publique urbaine et des cadres institutionnels régissant la gouvernance locale à Téboulba.

Structure de la thèse

7La structure de la thèse présente une progression analytique cohérente, partant d’une contextualisation historique et géographique pour aboutir à une étude détaillée des dynamiques contemporaines de gouvernance locale à Téboulba.

8La première partie établit les fondements de l’étude en explorant le contexte historique, géographique et socio-économique de Téboulba. Elle retrace l’évolution de la ville, passant d’un espace rural à une ville moyenne dynamique, grâce au développement de secteurs clés comme l’agriculture irriguée, la pêche et l’industrie textile. Cette section examine également les configurations politiques qui ont façonné la gouvernance locale depuis l’indépendance, soulignant la persistance d’un ordre sociopolitique ancré favorisant les descendants des marabouts fondateurs, particulièrement ceux de la zone haute de la ville.

9La deuxième partie se concentre sur les élections municipales de mai 2018, un tournant historique pour la démocratie locale tunisienne. Elle analyse la compétition politique à Téboulba, longtemps bastion destourien, en mettant en lumière l’opposition entre le parti islamiste Ennahdha et les forces séculaires. Cette section examine les nouvelles dynamiques politiques, la diversité des candidats, les enjeux locaux et les stratégies de campagne, offrant ainsi un éclairage sur les reconfigurations du système politique local.

10La troisième partie explore les dynamiques d’acteurs et les rapports de force dans l’action publique urbaine, en se focalisant sur la mise en œuvre du Plan annuel d’investissement (PAI) participatif. Elle met en évidence les interactions entre élus, administration municipale, société civile et citoyens, tout en soulignant les opportunités et les défis liés à l’introduction de mécanismes de gouvernance participative.

11La quatrième partie analyse la gouvernance locale en temps de crise, en examinant la réponse de Téboulba à la pandémie de Covid-19. Elle illustre comment les dynamiques politiques et sociales observées précédemment se sont manifestées et ont évolué dans ce contexte exceptionnel, mettant en lumière la capacité d’adaptation et de résilience de la gouvernance locale face à des défis imprévus.

Principaux résultats

12Les principaux résultats de cette thèse éclairent les transformations politiques et urbaines dans la Tunisie postrévolutionnaire, en prenant Téboulba comme cas d’étude. L’émergence de nouveaux acteurs politiques suite à la révolution de 2010-2011 a complexifié le paysage politique local, instaurant un pluralisme inédit. Ce nouveau contexte a offert une opportunité aux formations politiques émergentes, tant partisanes (comme le Courant démocrate) qu’indépendantes (telles que les listes Téboulba Afthal et Téboulba Amana), de faire entendre leur voix.

13Cependant, ces nouveaux entrants ont dû composer avec l’influence persistante des partis historiques et des structures de pouvoir traditionnelles. Les tensions entre les Nahdhaouis et les Destouriens ont façonné la compétition électorale, obligeant les nouveaux acteurs à élaborer des stratégies adroites pour séduire un électorat souvent plus attaché à des affiliations historiques et familiales qu’à des considérations purement politiques.

14L’étude révèle également la fragmentation des voix au sein des mouvements destouriens, dont les divisions internes ont profité aux mouvements islamistes. Les résultats des élections ont aussi révélé des dimensions socio-économiques qui ont impacté le vote. La thèse met en avant la prépondérance des ressources financières dans le succès des campagnes électorales, illustrant comment certains candidats ont su tirer parti de leur réseau d’influence économique pour mobiliser les électeurs, rendant le processus électoral encore plus vulnérable aux pratiques de clientélisme.

15En effet, la recherche révèle la persistance de pratiques clientélistes, malgré les réformes démocratiques engagées. Ces pratiques, ancrées dans les réseaux socio-spatiaux et familiaux, continuent d’influencer les dynamiques politiques locales, illustrant la complexité des processus de transition démocratique à Téboulba.

16En dépit de l’avènement du pluralisme politique et des élections libres, l’une des principales conclusions de cette recherche est que des structures de pouvoir anciennes, enracinées depuis plusieurs siècles, continuent d’influencer les dynamiques politiques locales. Les élites traditionnelles, souvent incarnées par les notables, conservent une influence déterminante sur le paysage politique. Par exemple, les descendants de familles maraboutiques, tels que les Ayaycha, occupent des postes de leadership stratégiques, reléguant les autres groupes à la périphérie des décisions politiques. Cette situation met en évidence la complexité des reconfigurations politiques à Téboulba, où la modernisation des institutions coexiste avec des héritages historiques profondément ancrés.

17Par ailleurs, la thèse fait le constat d’une évolution notable des modalités de l’action publique urbaine à Téboulba, notamment à travers l’introduction de processus participatifs. L’adoption du Plan annuel d’investissement (PAI) participatif, en remplacement de l’ancien Plan d’investissement communal (PIC) quinquennal, illustre cette transformation. Ce nouveau dispositif a permis de remettre en question certaines traditions anciennes et d’offrir une voix plus forte aux groupes historiquement marginalisés. De surcroît, il a favorisé l’émergence d’une société civile dynamique, désireuse de s’impliquer dans les décisions politiques locales.

18Toutefois, l’étude souligne les défis liés à la mise en œuvre effective des principes de démocratie participative. Elle met en exergue les tensions persistantes entre, d’une part, les aspirations citoyennes à plus d’inclusion et de justice socio-spatiale, et, d’autre part, les contraintes techniques, administratives et budgétaires auxquelles sont confrontées les autorités locales. De plus, la recherche révèle que la planification et la localisation des équipements urbains ne sont pas de simples choix techniques, mais des enjeux politiques majeurs. Ces décisions font l’objet de négociations, voire de confrontations, entre divers groupes d’intérêts, notamment entre les élus municipaux et les acteurs associatifs.

19Également, la thèse met en lumière le rôle stratégique de l’espace urbain dans les dynamiques de légitimation et de communication politique. Loin d’être un simple cadre de gouvernance, l’espace est utilisé par les acteurs politiques comme un outil de mobilisation et de revendication. Ainsi, les conflits autour de l’allocation des ressources urbaines reflètent les luttes de pouvoir qui se jouent à l’échelle locale. L’étude montre que, bien qu’innovante dans son intention, la gouvernance participative se heurte à des obstacles structurels et à des conflits d’intérêts. Cependant, elle constitue aussi un cadre permettant de repenser les interactions entre citoyens, élus et techniciens dans le processus décisionnel.

20L’analyse de la gestion de la pandémie de Covid-19 à Téboulba met en lumière la capacité des acteurs locaux à faire face à une crise sanitaire majeure. Cette pandémie a catalysé une mobilisation sans précédent de la société civile. Face à un État perçu comme absent, les acteurs locaux – autorités municipales, associations et collectifs informels – ont rapidement mis en place des initiatives pour soutenir les populations vulnérables.

21La crise a également révélé les lacunes structurelles du système de santé à Téboulba. Déjà fragilisée avant la pandémie, la ville souffrait d’un déficit en infrastructures sanitaires, une situation aggravée par l’urgence sanitaire. Dans ce contexte, la création et la mise en fonctionnement d’une unité de soins dédiée aux patients atteints de Covid-19 constituent une réponse proactive des acteurs locaux.

22La mobilisation de la société civile a joué un rôle déterminant dans le succès de ce projet, permettant de surmonter de nombreux défis, notamment le manque de personnel médical et les pénuries d’oxygène, exacerbés par une bureaucratie rigide et les contraintes budgétaires du ministère de la Santé. Malgré ces obstacles, le projet de l’unité Covid-19 à Téboulba illustre la résilience et l’ingéniosité des acteurs locaux, qui ont su contourner les circuits traditionnels en recrutant du personnel médical de manière autonome et en assurant l’approvisionnement en oxygène grâce à des réseaux diversifiés, souvent informels.

23Cette mobilisation a révélé à la fois des élans de solidarité remarquables et des rivalités liées aux stratégies de récupération politique entre acteurs opposés, notamment entre les partisans de la mouvance destourienne et ceux de la mouvance islamiste. La gestion de la crise et de ses effets a ainsi été marquée par ces tensions.

Conclusion

24Ces résultats se veulent une contribution pour une analyse fine des dynamiques de transformation politique et urbaine dans une ville tunisienne postrévolutionnaire. L’étude du cas de Téboulba offre ainsi un miroir des transformations plus larges à l’œuvre dans le pays, illustrant les défis et les opportunités que présente l’engament dans un processus de démocratisation pour la gouvernance urbaine et le développement local. En accordant une voix à une pluralité d’acteurs locaux et en explorant les réalités souvent occultées de cette catégorie de villes, cette recherche ambitionne d’enrichir le corpus existant en y apportant une contribution s’inscrivant dans la continuité des travaux existants tout en explorant de nouvelles pistes. Elle souligne, en définitive, la nécessité de poursuivre les efforts de recherche sur ces thématiques afin d’accompagner et d’éclairer les processus de transformation politique et urbaine en cours en Tunisie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nizar Ben Tekaya, « Production de l’espace urbain et (re)configurations politiques locales dans la Tunisie postrévolutionnaire. »Les Cahiers d’EMAM [En ligne], Résumés de thèses, mis en ligne le 15 avril 2025, consulté le 21 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/emam/6106 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13rar

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