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Crédits : CNRS éditions

1L’ouvrage d’Antoine Maire La Mongolie contemporaine. Chronique politique, économique et stratégique d’un pays nomade passe en revue les changements structurels de ce pays depuis la chute du mur de Berlin jusqu’à nos jours. Composé de six chapitres plus ou moins chronologiques, l’ouvrage est précédé d’un avant-propos de Jacques Legrand, ancien président de l’Inalco et professeur de langue et civilisation mongoles. Il comporte plusieurs cartes, de nombreux tableaux et figures illustratives en annexe ou dans le corps du texte, ainsi qu’un riche index.

2L’introduction (pp. 9-27) pose le cadre géographique, politique et économique du pays, ainsi que le socle théorique utilisé, entre des approches indépendantiste et développementaliste, afin d’argumenter la thèse centrale de l’ouvrage, posée en conclusion (pp. 299-316) par Antoine Maire qui en vient à qualifier l’état mongol de « rhizomatique », en s’inspirant de la théorie de Deleuze et Guattari.

3Le premier chapitre dresse le bilan de « L’héritage du socialisme » (pp. 29-59), vu comme une période « d’émancipation et de développement », également marquée par des « contraintes » et « une importante répression politique » (p. 30). Antoine Maire revient justement sur le rôle du Japon et de la composante militaire durant le xx^e siècle en Mongolie. Il montre comment le changement des structures sociales classiques lors de l’entrée dans le socialisme a accru le rôle des « réseaux informels d’entraide » au sein de la population mongole déjà caractérisée par l’importance des relations de réciprocité familiales et locales (p. 45). Il insiste sur les éléments de fracturation intrinsèques au régime socialiste mongol qui peine à se faire reconnaître au plan international et à assoir son indépendance vis-à-vis de l’URSS, en particulier lors des purges de Choïbalsan, organisées sous la pression de Staline à partir de 1936, qui ont entraîné la mort de vingt à trente mille moines bouddhistes (p. 53).

4Antoine Maire aborde ensuite, dans un deuxième chapitre, « La révolution démocratique de 1990, matrice de la Mongolie contemporaine » (pp. 61-101). Il insiste sur l’originalité de la transition démocratique mongole, laquelle s’est effectuée pacifiquement, l’élevage nomade ayant permis d’amoindrir les conséquences de la crise économique traversée durant dix ans par le pays. Le nomadisme pastoral, caractérisé par les notions de liberté et d’égalité, a par ailleurs permis le renforcement des processus consultatifs dans la gestion du pays et de la culture du compromis entre les acteurs impliqués dans les prises de décision collectives (p. 90). Le choix politique et économique d’une « transition radicale » (p. 93) vers une économie de marché s’est appuyé sur l’aide internationale pour mettre en place un programme de privatisations, la libéralisation des prix et l’introduction d’acteurs privés dans le nouveau système financier. Appuyée de graphiques, tableaux et autres figures, la fin de ce troisième chapitre illustre le changement politique de la Mongolie dont la transition doit se conformer aux exigences des bailleurs internationaux qui la soutiennent, mais qui laissent progressivement la place au voisin chinois, aujourd’hui majoritaire dans la balance commerciale mongole. Elle insiste sur la place rapidement prise par l’« immense potentiel minier » du pays (p. 100).

5Le troisième chapitre, « Garantir l’indépendance et la souveraineté, les défis de la nouvelle stratégie internationale de la Mongolie » (pp. 103-149), revient sur la politique des « nouveaux voisins » par ailleurs développée par l’auteur dans sa thèse de doctorat en sciences politiques, « La Mongolie entre dépendance et politique développementaliste, 1990-2016 » (2017), et également publiée dans un précédent ouvrage La Mongolie en quête d’indépendance (2012). Enclavée entre la Russie et la Chine, la Mongolie entretient d’importantes relations commerciales avec ses deux voisins et développe des partenariats forts avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union européenne, qualifiés de « troisièmes voisins » (p. 111). Le pays peut ainsi assoir sa position de neutralité au plan international et fonder son nouveau développement sur la diversification de son économie. Ensuite, Antoine Maire illustre à partir de trois études de cas comment les autorités mongoles sont passées d’un plan favorisant l’arrivée d’acteurs internationaux dans l’exploitation des ressources minières, jusqu’en 2005-2006, au renforcement du contrôle de l’État sur ces investissements, après 2012. Il montre comment les ajustements législatifs du contrôle étatique des Investissements Directs à l’Étranger (IDE) oscille entre la pression de l’opinion publique, qui y est défavorable, et celle des investisseurs, indispensables à l’exploitation des ressources minières dans un pays en souffrance d’infrastructures et de débouchés commerciaux autres que la Chine (p. 133). Ainsi le troisième chapitre introduit-il le recentrage économique du pays autour des ressources minières.

6Justement appelé « Mine-golie ? Un pays façonné par le secteur minier » (pp. 151-197), le quatrième chapitre décrit les évolutions législatives et réglementaires entreprises dès 1992 par les autorités mongoles afin d’ouvrir ce « nouvel eldorado » aux IDE (p. 153). Antoine Maire part de l’étude du complexe minier d’Oyu Tolgoi pour illustrer comment, depuis 2010, la Mine-golie est demeurée « cantonnée à la simple exportation de matières premières » (p. 165). Il montre comment cette situation a rendu le pays dépendant des IDE (en particulier du Canada et de la Chine). La fin du quatrième chapitre insiste sur la place jouée par les conglomérats mongols dans cette évolution économique. En effet, la nouvelle génération de jeunes entrepreneurs, ayant tous étudié à l’étranger, qui a commencé par faire du « commerce à la valise » dans les années 1990, a diversifié son activité initiale dans les années 2000 en favorisant ses relations commerciales internationales. Elle se constitue aujourd’hui comme une « bourgeoisie comprador » (p. 191) à forte influence politique. Le quatrième chapitre conclut sur la dépendance de la Mongolie aux ressources minérales et aux partenariats étrangers, ce qui accentue sa vulnérabilité, car tout projet de développement minier possède dès lors des « implications économiques, sociales, politiques et stratégiques » (p. 197).

7Le cinquième chapitre, intitulé « Le monde politique mongol, charnière entre des dynamiques contradictoires » (pp. 199-253), souligne l’imbrication des conglomérats privés aux intérêts économiques et des acteurs politiques à la suite des réformes entreprises depuis les années 1990. À partir de l’exemple du complexe minier de Tavan Tolgoi, Antoine Maire illustre comment la théorie développementaliste se déploie de manière originale en Mongolie dont l’enclavement et le faible niveau d’industrialisation impliquent la participation d’investisseurs étrangers. Ce chapitre insiste sur l’importance des réseaux et des alliances aux plans économique, politique et géostratégique, imposant la création de coalitions labiles, « fragiles et évolutives », et la centralité du compromis dans le processus de décision politique (p. 252). Il souligne comment cette démocratie du consensus peut constituer un « frein au développement, mais aussi et surtout » un outil décisif de la stratégie de sécurité et de développement mongole.

8Le dernier chapitre, « La projection du pays dans l’avenir, penser le développement économique » (pp. 255-297), analyse les différentes stratégies développées par les autorités mongoles pour éviter la « malédiction des ressources ». Au début de la transition démocratique, quand le Parti démocrate prenait le pouvoir, il libéralisait l’économie, alors que, quant à lui, le Parti populaire favorisait la planification et l’investissement public au cœur de sa stratégie développementaliste. À partir de 2015, tous les parlementaires ont fini par considérer la planification comme un outil économique efficace. Selon Antoine Maire, les objectifs de la Mongolie s’inscrivent alors à l’échelle macro-économique. Ils visent la diversification des ressources, la promotion des exportations, l’industrialisation et le développement d’infrastructures locales, afin de diminuer le poids des importations dans la balance commerciale. Le pays se dote donc de différents fonds destinés à la gestion des moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs, en particulier de la Banque du développement qui lui permet d’attirer de nouvelles ressources. Enfin, l’État réaffirme son rôle dans le développement du pays et la gestion de la rente minière.

9Antoine Maire conclut son ouvrage en soulignant le rôle de médiateur des conglomérats privés dans la politique de la Mongolie, basée sur la recherche du compromis, le partage des ressources et l’ancrage démocratique du pays. Il montre le caractère hybride de l’État mongol, entre modèle développementaliste et État dépendant, appuyant sa souveraineté sur une organisation rhizomatique. L’horizontalité des relations sociales, l’importance des réseaux et la nécessité du compromis et du consensus imbriquent les dynamiques politiques, économiques et stratégiques de cet « État rhizomatique », toujours menacé par les mouvements populistes qui agitent le pays.

10Cet ouvrage qui fera date propose une analyse du parcours cheminé par la Mongolie depuis les années 1990, de son héritage socialiste jusqu’à son hyper-contemporanéité. Fondé sur l’analyse politique de différents documents officiels, de sources de seconde main et de nombreux entretiens avec des hommes politiques, économistes, etc., il analyse finement comment les traditions pastorales nomades se retrouvent dans l’administration politique de ce pays dont l’histoire récente paraît originale dans la région, plutôt caractérisée par l’avènement de régimes autoritaires, voire autocratiques. Le poids des conglomérats locaux aux plans politique, économique et stratégique entraîne une imbrication multi-scalaire des prises de décision publiques, fondées sur une culture du compromis liée aux traditions pastorales nomades. L’enclavement du pays accentue, quant à lui, le poids des IDE pour l’industrialisation du pays et la diversification de son économie et de ses partenaires commerciaux. Ainsi, la stratégie des « troisièmes voisins » autorise la Mongolie à sortir de sa dépendance vis-à-vis de l’économie chinoise.