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Un Indien d’Auroville, étudiant étranger dans la dèche à Paris : une question de précarité ou de mobilité ?

An Indian from Auroville, foreign student down and out in Paris: a matter of precariousness or mobility?
Lorraine Guénée
p. 27-48

Résumés

Les étudiants étrangers forment un groupe particulièrement touché par la précarité en France, que l’on retrouve à l’aide alimentaire. Ces étudiants en mobilité internationale ne sont pourtant pas coutumiers du recours à l’assistance dans leurs pays d’origine. Comment se représentent-ils cette expérience et y font-ils face ? Une étude de cas, réalisée avec un étudiant indien installé à Paris, déjà diplômé de deux masters, suivi au long cours, rend compte du hiatus entre conscience d’une position privilégiée et précarité effective, et explore le cheminement qui conduit à demeurer en France quoi qu’il en soit. Des arbitrages de l’étudiant qui peuvent sembler peu rationnels, pour s’épanouir plutôt que de ne penser qu’à gagner sa vie, s’associent à des formes de débrouille, et un recours à des camarades, passant par la même expérience migratoire, pour atténuer les effets de la précarité, amortir l’expérience du déclassement et ne pas fermer l’horizon de parcours professionnels convoités par intermittence.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Claude Grignon, Les étudiants en difficulté, pauvreté et précarité, rapport du président du consei (...)
  • 2 Lorraine Guénée (coord.), Ysé Bedo, Caroline Douay, Amandine Lebugle, Clémentine Leservoisier, Lis (...)
  • 3 Les écarts de devises entre les pays d’origine et l’euro sont conséquents, limitant l’efficacité d (...)
  • 4 Xavier Collet, Sylvie Toullalan (2016), « Construction d’un indicateur de la précarité étudiante, (...)

1Le recours à l’aide alimentaire, indice de difficultés économiques pour se nourrir de façon autonome, est un signal fort de précarité étudiante1. Les étudiants étrangers sont particulièrement concernés en Île-de-France, notamment dans ce moment de problématisation publique de la précarité étudiante qu’a été la crise du Covid-19. À l’hiver 2021-2022, 80 % des personnes présentes dans les distributions alimentaires étudiantes franciliennes, surtout parisiennes, interrogées pour l’enquête « étudiantes et étudiants en crise », ÉtuCris (Encadré), sont étrangères2. Ces étudiants étrangers sont très majoritairement issus de pays où le coût de la vie est moins élevé qu’en France. Ils poursuivent leurs études alors que l’immense majorité d’entre eux a déjà un diplôme de l’enseignement supérieur et que près de la moitié sont même déjà titulaires d’un master. Ils font essentiellement partie de la fraction des étudiants internationaux « indépendants » venus sans bénéficier d’une bourse de mobilité de leur pays ou de la France, « qui s’enlise souvent dans des situations de […] précarité » (Agulhon, De Brito, 2009 : 267). Décohabitants, c’est-à-dire vivant hors du foyer parental dans une région où ce n’est pas la norme pour la population étudiante générale vu la cherté du loyer, ils ont du reste moins accès aux aides familiales, travail et soutien institutionnel que cette population3. En France, les études s’appuyant sur un indicateur de mesure de la précarité étudiante concordent sur un résultat : les étudiants étrangers forment un groupe particulièrement vulnérable4.

  • 5 Entre 2015 et 2020, le nombre d’étudiants internationaux en France a augmenté de 22 % pour atteind (...)

2Ce phénomène se retrouve dans d’autres pays attractifs en matière d’éducation supérieure. De récents travaux, notamment anglophones, invitent à proposer une vision moins homogène de ce groupe, d’une part en admettant que les étudiants qui peuvent faire le choix de la mobilité internationale, et en cela « privilégiés », peuvent malgré tout faire l’expérience de la précarité, et d’autre part en rendant compte des formes et des variations de celle-ci au sein du groupe des étudiants étrangers (Mulvey, Morris, Ashton, 2023). Notre recherche endosse cette perspective. ÉtuCris montre notamment comment la durée de séjour constitue une variable clef pour distinguer les formes de précarité, l’échantillon pouvant être décomposé de façon tripartite (Guénée, Bedo, 2024). La moitié des interrogés sont des étudiants étrangers « néoarrivants », venus pour la rentrée universitaire précédent l’étude, surtout exposés à un choc de pouvoir d’achat et des galères administratives. Des étrangers plus « installés », présents depuis plus d’un an en France, sont contraints à l’autonomie financière. Des étudiants français de classes populaires (2 sur 10) héritent d’une précarité familiale, contrairement aux étudiants étrangers. Ainsi les étudiants étrangers plutôt de milieux favorisés dans leur pays d’origine, n’ont pas d’expérience de l’assistance avant d’arriver en France. Ils forment une « clientèle universitaire » diversement aisée (Pinto, 2013), de plus en plus nombreuse5. Tous ont dû mobiliser des ressources pour être sélectionnés sur le plan scolaire, franchir les obstacles administratifs liés à l’obtention d’un visa, prouver qu’ils détiendront des ressources suffisantes pour vivre en France. Comment se représentent-ils donc ce « sas de précarité » (Colombi, 2016) auquel ils sont exposés à leur installation à Paris ? Quelle forme prend-il et comment composent-ils avec cette situation inédite pour eux ?

  • 6 Lorraine Guénée, Odile Macchi, Erwan Le Mener, Éléonore Guillemot, Paolo Renoux, Adèle Fourestier, (...)
  • 7 L’Esprit d’Auroville » est un terme flou usité par les Auroviliens, membres de cette communauté jo (...)

3C’est une certaine expérience du déclassement social qui est documentée ici principalement à partir d’une étude de cas (Encadré), menée en parallèle de l’enquête ÉtuCris, auprès d’un étudiant rencontré en décembre 2020 dans le cadre d’une autre enquête sur l’appauvrissement des travailleurs de l’hôtellerie-restauration mis à l’arrêt par les mesures de lutte contre le Covid-196. Je me rends alors à une distribution alimentaire dédiée aux étudiants à Paris, à la recherche de personnes privées de leurs « petits boulots » dans le secteur. Raja, 29 ans, en France depuis deux ans, fait partie de la poignée d’individus répondant à ce profil. Dans « l’Esprit d’Auroville7 », il s’est exposé à un environnement international dans cette cité du sud de l’Inde où il se rend en famille depuis qu’il est enfant, en nourrissant un rapport intime et spirituel avec la figure charismatique de « la mère », née et ayant vécu sa jeunesse en France, fondatrice de cette communauté. Durant sa première année universitaire à Paris, en 2018-2019, inscrit dans une formation d’enseignement supérieur prisée, il obtient un deuxième master en économie en anglais, alors qu’il détenait déjà un tel diplôme en Inde. Grâce à une épargne personnelle conséquente constituée avant son départ, il évite les déboires économiques des étudiants étrangers « néoarrivants ». Il apprend ensuite la langue française et prépare une certification linguistique quand le confinement de la population française est déclaré en mars 2020. Extra dans la restauration, il perd alors une source de revenus importante en raison de la fermeture du restaurant qui l’emploie. L’aide alimentaire destinée aux étudiants se développant, il s’y rend assidûment. La perte de son travail met à mal l’équilibre économique fragile avec lequel il compose, caractéristique des enjeux des « installés », où il cultive son autonomie plutôt que de demander de l’argent à sa famille, quitte à peiner à payer la lourde charge que constitue son loyer et s’investir dans des secteurs qui recrutent aisément du personnel immigré qui n’est pas complètement francophone comme lui.

4L’article commence par exposer le hiatus entre une situation initiale « privilégiée » de l’étudiant, en Inde et à son arrivée en France, et l’expérience de la précarité vécue ensuite à Paris (1). Ses diverses formes sont explicitées en examinant les façons de gagner de l’argent de l’étudiant, d’en dépenser le moins possible et en partant de son point d’ancrage principal, sa petite chambre en résidence universitaire. On rend ainsi également compte des dimensions non pécuniaires de la précarité. Renvoyé à son statut d’étranger en difficulté d’insertion en France, l’étudiant décide pourtant de rester à Paris, sans trouver à y gagner sa vie mais sans se résoudre non plus à une position d’assisté (2). Si l’on peut alors anticiper, comme lui qui se dit « riche », qu’il se confronte à une précarité de circonstances qui tient d’abord au choix de mobilité étudiante, comment la supporter ?

Méthodologie de l’enquête

L’étude de cas entamée avec l’étudiant en décembre 2020 a nourri la problématisation d’une enquête collective de l’Observatoire du Samusocial de Paris, ÉtuCris, où près de 500 étudiants rencontrés dans des distributions alimentaires franciliennes ont été interrogés par questionnaire à l’hiver 2021-2022, dont une quarantaine ont ensuite répondu à un entretien semi-directif. L’enquête permet en retour de situer Raja dans une population parmi laquelle il aurait pu être interrogé.

Un suivi ethnographique et « ethnocomptable », visant à mieux comprendre comment l’étudiant joint les deux bouts et ses choix de vie, constitue la matière principale de ce papier. Cela renvoie à une façon d’étudier « ce qui compte dans la vie », soit dans un premier sens « ce qu’on a pris en compte […] à quoi donne-t-on de l’importance, […] [dans un second sens] comment l’agent et ses actions ont été pris en compte : […] de quoi doit-on répondre […] ? […] [auquel] s’ajoute un sens neutralisé de rapport aux objets, centré sur le comptage des choses […] (Cottereau, Marzok, 2012 : 7). Ainsi Raja et moi avons entrepris d’inventorier ses ressources alimentaires à domicile, il a noté ses repas durant quelques semaines. Il m’a donné accès à ses relevés de compte et les a commentés, de façon à reconstituer d’un côté ses ressources et revenus, et de l’autre ses dépenses enregistrées, dans une période allant de son arrivée en France, fin septembre 2018, jusqu’à l’hiver 2021. Cela permet de se figurer précisément la transformation et la diminution progressive des ressources pivots de l’étudiant, de décrire et quantifier finement la précarité qu’il a vécue et son évolution.

Le journal d’enquête constitué pour cette étude de cas compte 37 entrées jusqu’à mai 2022 (et une centaine de pages), surtout concentrées en 2021. Ce journal garde trace des « actions en cours, des significations internes et, finalement, des pertinences locales » (Baciocchi, Cottereau, Hille, 2018 : 10). Ce suivi au long cours évite de « sacrifier à une illusion rhétorique » en produisant une histoire de vie comme « le récit cohérent d’une séquence signifiante et orientée d’événements », et favorise une lecture des événements biographiques « comme autant de placements et de déplacements dans l’espace social » (Bourdieu, 1986 : 70-71).

Hiatus entre ressources initiales et précarité parisienne

5C’est à Paris que l’étudiant, arrivé avec des ressources assurées, sur le plan universitaire et financier, fait pour la première fois l’expérience de la précarité. Cette partie rend compte des épreuves traversées par des étudiants internationaux bien dotés mais « qui s’activent internationalement par le bas » (Ennafaa, Paivandi, 2008 : 69), une fois installés dans le pays d’immigration.

Solides assises avant et pour immigrer

6Raja, né en 1991 dans un chef-lieu du Mahararashtra, n’est pas un enfant de l’élite économique, politique ou intellectuelle de son pays. Toutefois, comme l’écrasante majorité des étudiants étrangers interrogés à l’aide alimentaire, il grandit sans connaître de difficultés financières familiales. Son père, ex ingénieur en mécanique, possède son propre garage deux roues dans une ville du Rajasthan ; sa mère y travaille aussi et Raja prête main forte au commerce familial une fois validée sa licence d’ingénieur informatique. Cet engagement professionnel d’un an et demi n’est pourtant qu’une parenthèse. Raja poursuit ses études à l’université de New Delhi, valide un master en data science en 2016. Diplôme en poche, il devient assistant de recherche en économie, puis travaille pour une institution financière internationale de lutte contre la pauvreté. Cet emploi, qui lui permet d’épargner l’argent qui financera son projet d’études en France, correspond à une expérience professionnelle de choix dans son domaine de formation. Comme la plupart des « migrants qualifiés », il ne quitte donc pas l’Inde du fait d’une mauvaise expérience sur le marché du travail de son pays (Colombi, 2016). Il se projette dans la recherche, vers un doctorat, à Paris.

  • 8 Le site de Campus France résume ces conditions valables « dans la plupart des cas » pour les étudi (...)

7Durant sa première année à Paris, en 2018, l’étudiant en économie vit en ponctionnant 5660 € épargnés pour financer son projet d’immigration (Annexe 1), ce qui le distingue de nombre d’étudiants étrangers, africains notamment, moins dotés à l’arrivée, retrouvés d’emblée dans les files de l’aide alimentaire dans ÉtuCris. Cette ponction est toutefois inférieure de plus de 2000 € à la somme requise comme gage de solvabilité lors de la délivrance d’un visa long séjour étudiant8. Économe, il vit avec environ 150 € une fois son loyer versé, aides au logement déduites. Toutefois, il n’est pas contraint à travailler en parallèle de son master. La deuxième année, au premier semestre universitaire, il peut encore compter sur le reliquat d’épargne rassemblé pour obtenir son premier visa long séjour et vit surtout de ses revenus de stagiaire puis d’assistant de recherche en économie. En janvier 2020, il bénéficie de l’aide conséquente mais momentanée de son frère, qui le convainc de s’inscrire dans une école de langue française que Raja estime très coûteuse et lui transfère en conséquence plus de 4 000 €.

  • 9 Site Campus France, Ibid.

8À ce titre, sa relation avec son unique frère cadet, avec qui il vivait à Delhi, est primordiale. Quand Raja arrive à Paris, celui-ci travaille depuis peu comme expert-comptable pour l’équivalent de 1000 € par mois, un bon salaire en Inde. C’est lui qui se constitue garant pour le renouvellement de son titre de séjour pour sa deuxième année universitaire en France (2019-2020). C’est également lui qui trouve et postule à sa place à un emploi plus en adéquation avec ses compétences, et lui permet de redevenir l’assistant de recherche d’un professeur en mathématiques dans une université parisienne, en octobre 2021. Même à distance, son frère est donc une ressource clef, capable d’amortir ses difficultés administratives et d’insertion en France. Quand Raja s’inscrit en langue française, il ne dispose cependant plus de liquidités « pour payer ses factures et acheter ce dont il a besoin au quotidien9 ». C’est à partir de là, en pleine survenue du Covid-19 qu’il s’installe durablement dans une situation de précarité sévère.

Signaux de précarité dans tous les domaines de la vie quotidienne

9Dès les prémices de l’enquête, Raja pointe différentes sources d’instabilité économique se répercutant sur sa vie sociale : petits boulots et échecs de recrutement dans son domaine de compétence, budget contraint et poids du loyer, témoignages d’un manque de relations affectives. Les aspects financiers de la précarité doivent être compris dans « un cadre global d’insécurité qui affecte tous les aspects de la vie » (Mulvey, Morris, Ashton, 2023).

Découvrir les expériences de travail à la marge

10Un an et demi après son arrivée à Paris, l’étudiant expérimente divers petits boulots : extras dans la restauration, distribution de prospectus publicitaires, cours particuliers en statistique, jour d’essai comme préparateur de commandes. Les trois mois d’été 2020, il profite de la reprise du secteur de la restauration pour gagner 3 000 € comme runner extra, un poste de service sur plateau de la cuisine à la salle. Comme le restaurant ferme à nouveau du fait de l’épidémie de Covid-19, il tente un autre blue-collar job sur les conseils d’un camarade de résidence introduit dans le milieu : inventoriste pour de grandes enseignes en tant qu’intérimaire pour des agences. Le plan n’est pas si bon : en comptant le temps consacré à se rendre dans des entrepôts lointains, il indique que cela fait passer son revenu horaire sous le salaire minimum. Blessé au doigt, cumulant seulement 500 € de revenus en trois mois, l’étudiant fait l’expérience de conditions de travail qu’il n’aurait selon lui jamais connues s’il avait décroché un contrat doctoral en sortie de master : épuisement lié au froid ou au transport d’objets lourds, embauche de nuit, au noir ou au pied levé.

11En parallèle, Raja n’a de cesse de postuler pour des postes en économie, comme assistant de recherche, chargé d’études ou encore consultant – sans associer toujours une lettre de motivation, sans ajuster son CV, en répliquant ses candidatures auprès de la même institution. C’est sans succès et cela sape sa confiance sur ces capacités à être recruté en France. « Même s’il y a 1 000 offres, c’est une offre pour tout le monde, sauf pour moi. J’ai le sentiment comme ça », déclare-t-il en avril 2021 alors qu’il vient de recevoir une réponse négative pour un emploi de collecte archivistique, qui ne requérait même pas un master. Raja a une veille sur les petits boulots dans divers domaines, sans que cela ne soit toujours fructueux. L’été 2021, un recruteur de fast-food ne retient pas sa candidature parce qu’il estime son niveau de langue insuffisant pour être face clientèle, Amazon ne signe pas un contrat à temps partiel de quatre mois avec lui car son titre de séjour étudiant expire dans trois mois et demi. Dans des périodes sans fonds, l’étudiant se laisse tenter par diverses opportunités de gains d’argent. Il fait par exemple du boursicotage une source de revenus (400 € à l’hiver 2020-2021), déclarant une banque en ligne comme sa banque principale et s’arrangeant pour « parrainer » des camarades ouvrant un compte auprès de l’établissement (Annexe 1). Raja est tenu à des calculs opportunistes constants.

12Il finit pourtant par s’engager dans des formes de travail qui ne rapportent rien. Quand il décroche finalement un contrat de 12 h comme teaching assistant pour accompagner la rédaction d’une étude de cas en économie l’été 2021, l’absence d’un ordinateur performant se révèle une véritable source d’inquiétude et s’en procurer un neuf, en empruntant de l’argent à un camarade de résidence égyptien devenu manager dans les télécommunications, lui revient plus cher que ce que lui rapporte finalement la mission. En parallèle, il est bénévole pour un projet humanitaire porté par un organisme au Ghana. Là, Raja n’est pas inquiété administrativement pour travailler faute de titre de séjour dans une période de renouvellement de celui-ci, mais il reconnaît que c’est un comble : être en situation financière insécurisante et travailler bénévolement pour lutter contre la pauvreté.

Dépenser le moins possible, l’alimentation frugale

  • 10 Ces calculs mensualisés ne comprennent pas les éventuels paiements en liquide, mais l’étudiant se (...)

13Les contraintes budgétaires apparaissent comme une caractéristique centrale du mode de vie de Raja. Y répondent outre des petits boulots des formes de débrouille, tels des emprunts à des camarades dont il dépend pour se déplacer ou téléphoner (Annexe 2). Sur le plan alimentaire, le système D est particulièrement saillant. Nous avons retracé les montants déboursés par carte bancaire au supermarché chaque premier semestre universitaire. Alors qu’il dépensait près de 100 € par mois en moyenne à son arrivée à Paris en 2018-2019 et 135 € pendant le même intervalle de temps l’année suivante, pré Covid-19, Raja ne dépense plus qu’une quarantaine d’euros le semestre où je le rencontre10. Ce qu’il mange alors provient essentiellement de dons caritatifs. On relève six sources associatives ou institutionnelles différentes lors d’un inventaire (Annexe 3). Quand l’étudiant s’approvisionne dans le circuit marchand, il se borne à des courses d’appoint en supermarché hard-discount, fréquenté dès son arrivée à Paris – ce qui traduit déjà une volonté d’être le plus économe possible – ou dans une supérette de proximité pour quelques produits qu’il affectionne, dont des épices. « Par hasard », il reçoit également des dons alimentaires de camarades. À onze reprises, du 18 au 26 décembre 2020, cinq voisins de sa résidence lui offrent des surplus de cuisine : des frites, un sandwich à la viande, des plats africains au poulet, etc.

  • 11 Politique gouvernementale étendue à tous les étudiants en janvier 2021, existant pour les étudiant (...)

14L’examen des menus d’une semaine rend compte d’un fractionnement alimentaire (Annexe 4). Il n’y a que le thé au lait poivré sucré du matin qui apparaisse comme une habitude. Sinon, Raja se nourrit d’encas – jusqu’à douze prises alimentaires dans une journée. Il cuisine peu, sauf du riz-lentilles aux légumes en grande quantité. Ce serait une façon ordinaire de manger au pays d’origine, où il ne se nourrissait cependant pas ainsi par petites portions. Végétarien depuis ses 13 ans, il était convaincu que ne pas manger de viande rendait « plus pur » et explique que l’arrivée en France lui a fait reconsidérer cela. L’étudiant se figure qu’il grignote par ennui dans une période d’inactivité, quoiqu’on puisse se demander, compte tenu des denrées en stock, si cette façon de s’alimenter et cette ouverture aux produits carnés ne correspondent pas aussi à une gestion de la faim, affectant les étudiants les plus démunis dans ÉtuCris. Il doit en effet composer avec des dons alimentaires, des produits qu’il n’aurait pas forcément choisis, parfois en quantité considérable, si bien qu’il fréquente plusieurs lieux de distribution pour diversifier son panier. Faire la queue le démoralise cependant. Il ne cesse d’évoquer le temps perdu et renonce finalement à se rendre en distribution. L’été 2021, il récupère presque tous les jours des invendus au supermarché d’en face, par l’application Hop Hop Food. Là, il doit se connecter tous les matins pour valider un panier dont il ne maîtrise pas le contenu et éprouve une certaine gêne d’être reconnu par les employés du magasin fréquenté intensivement. Neuf mois après la mise en place du repas à 1 € en restaurant universitaire11, que Raja fréquentait sa première année à Paris, il considère qu’il n’a pas pris « une bonne décision » en ne s’emparant pas de cette solution.

15Les autres dépenses mensuelles de l’étudiant sont également très contrôlées. Par carte bancaire, au premier semestre universitaire 2020-2021, la somme allouée au transport en vélo louable, téléphone et wifi, frais bancaires, assurance habitation correspond à une quarantaine d’euros par mois, soit l’équivalent de ce qui est déboursé pour l’alimentation. Raja consent seulement à quelques dépenses d’habillement, très bon marché, comme quand il doit investir dans une tenue complètement noire pour servir. Son loyer, 378 € aides déduites, lui apparaît dès lors comme sa seule dépense incompressible. « C’est simple, je ne dépense presque rien, sauf que le loyer », rétorque-t-il quand je propose qu’il note ses dépenses. Il pousse la logique de frugalité au maximum, en tout domaine, à l’exception des études.

Recourir aux aides d’urgence, seul et déprimé dans sa résidence

  • 12 Soit un montant quatre fois plus élevé pour un semestre d’étude que celui d’une année complète de (...)

16Paradoxalement, se maintenir dans une position d’étudiant est autant une porte d’accès aux guichets de l’assistance que ce qui y maintient Raja. Les frais d’inscription qu’il règle pour un deuxième semestre d’étude de la langue française à la rentrée 2020-2021, en ponctionnant plus d’un tiers des ressources salariées accumulées l’été, correspondent ainsi à 1100 €12, auxquels s’ajoutent 92 € de contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC) et 75 € de timbre fiscal pour renouveler son titre de séjour étudiant. Au cours de la même période, concerné par des difficultés de paiement de son loyer, il fait en sorte d’être subventionné, ce qui le rapproche d’autres étudiants étrangers « installés » depuis plus d’une année en France dans ÉtuCris. Il bénéficie ainsi d’une aide d’urgence du Crous en novembre 2020 (500 €) ; d’un soutien du même montant et du même type de la part de son université d’appartenance le mois suivant, ainsi que d’un effacement de dette pour le montant d’un loyer début 2021, accordé par les gestionnaires de sa résidence universitaire. Ceux-ci se montrent particulièrement aidants et arrangeants, en particulier un employé, Africain immigré en France, qui l’autorise par exemple à laisser des affaires dans sa chambre lors de la fermeture annuelle en août.

17C’est à partir de sa chambre de 9m2 que l’on peut aussi se figurer les effets de la précarité et ses ressorts affectifs pour Raja. L’étudiant fréquente des camarades de résidence, tissant avec eux des relations de service, comme quand il garde le cactus d’une voisine de chambre (cf. photo 1). S’il peut compter sur des prêts de leur part, il constate pourtant que ces amitiés découlent de la proximité physique : « ce n’est pas forcément des gens qui restent ensuite dans ta vie ». Les interactions de voisinage, même nombreuses, ne comblent donc pas forcément son sentiment de solitude. Me laisser partir est difficile, il m’invite toujours à rester, peut se montrer insistant pour cela. Plus largement, il exprime des besoins d’affection physique, se plaint que les relations manquent de chaleur en Occident. Morose, il a tendance à se replier chez lui, confessant une certaine « addiction » pour le visionnage de vidéos en ligne. L’étudiant se dit « déprimé depuis longtemps » quand je le rencontre et je me suis parfois demandée si la tenue négligée de son logement dont les surfaces pouvaient être jonchées de vaisselle sale, contenants divers, produits alimentaires dans des états variés, ne reflétait pas ses baisses de moral tel un chômeur « effondré » et « apathique », pour reprendre une façon de désigner certains des Chômeurs de Marienthal, se distinguant « par l’abandon de tout effort de tenue du ménage » (Lazarsfeld, Jahoda, Zeisel, 1981 [1960] : 89).

Photo 1 : Photographie d’un coin de chambre de Raja, dans une période morose

Photo 1 : Photographie d’un coin de chambre de Raja, dans une période morose

Source : enquête Hors-Service, Observatoire du Samusocial de Paris. Cliché de l’autrice, 7 janvier 2021.

18Sa situation économique et sociale est telle qu’il est difficile d’adhérer lorsqu’il répète, fréquemment, qu’il est « riche » ou le deviendra. Elle interroge les limites de l’internationalisation qui ne constitue pas forcément un tremplin pour certains étudiants parmi les « transnationaux enracinés ». Dans une typologie des étudiants dans les écoles de management hôteliers suisses est ainsi qualifié un groupe, auquel on peut rattacher Raja, de détenteurs de diplômes nationaux ne venant pas de l’Union Européenne, faisant un premier long séjour à l’étranger, maîtrisant l’anglais et qui ont eu plutôt des opportunités locales, dans le pays d’origine, pour internationaliser leur profil éducatif (Delval, Bühlmann, 2020).

Faire l’expérience d’une précarité de circonstances

19L’étudiant extracommunautaire subit un « cloisonnement des statuts et des cycles de vie fixés par les institutions, qui rendent compliquées les passerelles entre les études et l’emploi pour les étrangers » (Lendaro, 2013 : p. 790-791). Cela l’expose en l’occurrence à une « rupture juridique » préoccupante (Ibid.). Raja ne se présente pourtant pas comme quelqu’un qui restera confronté à la précarité et a des prises pour éviter d’endosser une position d’étranger précaire, à rapporter notamment à sa philosophie de vie et aux échanges entre camarades, passés par cette expérience commune d’immigration étudiante.

Rester étranger en France

20Ce n’est pas au travail que l’étudiant constitue un capital social. Deux groupes de travailleurs dont Raja croise la route le confinent en effet à un statut d’étranger : des étudiantes françaises qui s’embauchent à côté de leurs études et des collègues immigrés employés dans la restauration. Il a le sentiment que de jeunes serveuses qui sont aussi en contrat court, mais pas étrangères, l’associent aux employés réguliers, bengalis, avec qui il parle hindi. Elles ne se lient pas avec lui, pas plus qu’un barman, Sri Lankais, qui lui délègue seulement du sale boulot de manutention et se comporte comme s’il pouvait lui « piquer » son poste (« aucune chance ! »). En racontant cette histoire avec morgue, l’étudiant fraîchement diplômé d’un master prestigieux témoigne du trouble de sa position, confondue avec celle d’un travailleur étranger lambda dans la restauration.

21Administrativement son statut d’étranger le rattrape. Pour sa quatrième rentrée universitaire parisienne, il s’inquiète du renouvellement de son titre de séjour. Plutôt que de réfléchir à son parcours en fonction de ses motivations, il pense son inscription comme un moyen de convaincre la préfecture de sa légitimité à rester en France, ce qu’il évaluera plus tard comme une très mauvaise stratégie. En 2020, Raja a été reçu par un agent qui lui a laissé entendre que sa demande serait validée de justesse, qu’il faudrait donner des gages financiers plus solides l’année suivante. Or, il a vivoté. Il n’a de surcroît pas validé son dernier semestre universitaire en langue et se trouve contraint de demander un certificat d’assiduité à l’université. Il recevra une obligation de quitter le territoire français. Se sentant fondé à faire recours et trouvant des ressources pour parvenir à faire annuler cette décision administrative, il s’engage dans une lutte difficile en 2022, par voie d’avocat – après obtention d’une aide juridictionnelle, conseillée par une association d’aide aux étrangers vers qui l’oriente l’employé de sa résidence universitaire susévoqué. Après plus d’un semestre sans possibilité de travailler ou de toucher des aides au logement, l’issue est favorable. L’affaire rappelle que le traitement institutionnel de la migration qui s’applique à ces étudiants étrangers peut rapprocher leur expérience de celles d’autres migrants (Wagner, 2016). Dans ÉtuCris, il est plus généralement donné à voir diverses problématiques d’accès aux droits et ressources : accès contraint à l’emploi avec plafonnement horaire, recrutement plus difficile pour les personnes qui ne sont pas parfaitement francophones ; reports de soins liés à la difficile familiarisation au système d’assurance maladie ; difficultés accrues à se loger à tarif abordable sans être prioritaires dans les logements subventionnés par le Crous pour des étudiants très majoritairement non éligibles aux bourses.

22Quand le parcours de Raja n’est plus lisible, y compris pour lui-même, comme une façon de se perfectionner par les études pour rentrer dans son pays avec un bagage cosmopolite, il se voit rappeler que sa décision de rester en France ne lui appartient pas. Il se dit, comme une rengaine, que continuer sa route vers un autre pays, comme les États-Unis, le tirerait de ses difficultés, par comparaison avec le parcours d’anciens camarades de classe. Partir vers un pays anglophone serait aussi poursuivre une logique d’accumulation de cosmopolitan capital (Delval, Bühlmann, 2020). L’envie de vivre en France sans gages d’insertion l’emporte néanmoins.

Élire domicile à Paris mais pas pour y gagner sa vie

23L’endurance de l’étudiant face aux épreuves qu’il traverse est à rapporter à son horizon d’inspiration spirituel et à une attitude mentale qui le porte à voir au-delà de ses besoins pécuniers.

Imprégné de l’idéal « Aurovilien », suivre une voie incertaine

  • 13 Y vivent selon le « Auroville Residents Service » 2288 personnes de 60 nationalités, d’abord des I (...)

24L’argument moteur de Raja pour justifier sa venue en France diverge de ceux des étudiants dans ÉtuCris, mettant en avant la proximité de membres de leurs familles, d’amis ou encore un certain héritage d’expériences migratoires pour expliquer leur décision d’étudier à Paris. Raja se distingue, dit-il, des « gens [qui] viennent pour mieux gagner leur vie, ou pour vivre à l’étranger ». Pour lui, c’est son expérience de la communauté spirituelle d’Auroville – où vivent de nombreux Français13 – où se forme sa « familiarité » à l’étranger (Agulhon, De Brito, 2009)., qui guide sa venue. La formation universitaire est un argument de second ordre. Suivre les traces de « la mère » est certes une façon singulière de motiver son départ, mais est-elle toutefois fondamentalement différente d’autres formes de « rêves », d’idéalisations que l’on retrouve dans les discours des étudiants interrogés pour ÉtuCris, qui présentent la France comme « un pays où on peut réaliser [ses] rêves » ? Si cela se démarque des justifications touristiques ou par la carrière, formes classiques de présentation de l’attraction pour la mobilité vers un pays étranger, cela correspond bien à la recherche d’une « expérience d’incertitude, de nouveauté, de déconcertation » (Colombi, 2016 : 113). Cela s’apparente aussi aux façons de valoriser des « passeurs » ou role models pour les Indiens qui mettent en avant, dans leurs trajectoires de réussite sociale, des personnes « ayant ouvert une fenêtre vers un ailleurs possible », même en étant des « modèles passifs » (Naudet, 2012 : 47).

  • 14 « Le travail n’y serait pas le moyen de gagner sa vie, mais le moyen de s’exprimer et de développe (...)

25Imprégné de l’idéal aurovilien, Raja l’est sur plusieurs plans, philosophiques plutôt que pratiques. Il n’y a ni marqueurs religieux dans son intérieur ni rituels apparents comme des exercices de respiration. Il m’envoie parfois des vidéos produites par des disciples célèbres du mouvement ou des poèmes et pensées, au milieu de chansons pop. L’idéal d’affranchissement vis-à-vis de l’argent, le fait de considérer un niveau spirituel souvent snobé, le principe d’« éducation perpétuelle » (un terme de la charte d’Auroville) plutôt que de concurrence étudiante et professionnelle, semblent bien caractériser son éthique. Sa façon de candidater à de multiples offres d’emploi de façon peu sérieuse et d’être en revanche engagé chaque année universitaire dans une formation différente laisse penser qu’il se projette plus comme étudiant éternel que comme travailleur devant gagner sa vie14. À la rentrée 2021-2022, il s’inscrit soudain dans une formation d’arabe évoquée par la copine d’un partenaire de tennis indien. Il n’avait auparavant jamais exprimé un désir d’apprendre cette langue.

  • 15 Confronté à un grand multilinguisme comme ses compatriotes, Raja parle déjà quatre langues : marat (...)
  • 16 « Se détacher complètement [de son pays] pour s’intégrer à un nouveau marché du travail […] demand (...)

26Raja est à la fois pragmatique et indécis. Il se voit poursuivre sa route dans la recherche en Afrique de l’Ouest, pour faire une expérience où la maîtrise de la langue française se révélerait utile selon lui. Dans le sens Nord-Sud, il n’est donc pas sans concevoir son séjour comme une opportunité pour s’ouvrir à d’autres destinations, une perspective sur l’internationalisation partagée par les étudiants en mobilité internationale (Pinto, 2013). S’il regrette certes d’avoir « procrastiné » en n’étudiant pas la langue française en Inde, il l’apprend finalement quand il en a directement besoin15. Cependant, ses réticences à s’orienter en fonction du marché du travail en Inde, la dynamique la plus évidente des carrières internationales, le font basculer dans une voie extrêmement difficile16, empreinte d’incertitude. Quand un professeur lui propose de le soutenir finalement pour un projet de thèse en contrat d’entreprise fin 2021, il n’accuse pas d’emblée réception de la proposition, faute de savoir s’il veut vraiment avoir le climat pour objet de recherche. La rentrée suivante, il rejoint pourtant une grande école d’ingénieurs où il commence sans trop de conviction un troisième master sur cette thématique environnementale.

Ne pas se résoudre aux contraintes, goûter aux loisirs

27Raja fait à reculons ce qui se présente comme une contrainte. « J’aimerais bien faire un travail pendant la journée et profiter de mes soirées, dans le parc. C’est normal non ? », commente-t-il, lassé des petits boulots. Il limite au maximum son engagement, quitte à se décommander ; se fait porter pâle, prétextant un Covid-19 ; se fait disputer par un encadrant qui l’a prévu au service alors qu’il ne vient pas pour accompagner un ami en sortie ; refuse une opportunité d’embauche comme serveur parce qu’il juge l’expérience trop fatigante. Il se sent alors détenteur d’un « pouvoir » sur sa vie, content d’être libre.

  • 17 D'après son biographe Georges Van Vrekkem (voir The Mother, the story of her life, Rupa & Co, 2004 (...)

28Ses préoccupations financières et son ascétisme avaient donné le sentiment à l’étudiant qu’il ne « vi[vait] plus ». Raja change donc progressivement la donne pour se consacrer à ses aspirations. Lui qui jouait au cricket et a pratiqué le basket en Inde finit par assouvir son envie de sport, en prenant un abonnement trimestriel peu onéreux qui permet l’accès à des courts de tennis au printemps 2021. Il exprime aussi un fort intérêt pour l’apprentissage de la musique, s’intéressant à des activités semblables à celles affectionnées par « la mère »17. Le sport est propice à des rencontres féminines, un objet de conversation central pour Raja qui s’agace lorsque je ramène la discussion à ses conditions de vie économiques.

29Une telle capacité d’abstraction de ses difficultés matérielles immédiates tient en la croyance en sa richesse. On peut l’entendre comme la certitude que les formes de précarité traversées ne sont que temporaires, la possibilité de compter sur des ressources, un bagage universitaire, une famille bien installée. Il faut aussi l’envisager comme la mise en pratique d’un idéal non-matérialiste qui inspire beaucoup l’étudiant, pour qui vivre seul dans un pays où son pouvoir d’achat est bien plus bas est l’occasion de nouvelles expériences, ordinaires, populaires. « C’était une bonne expérience quand même, sentir comment le peuple fait pour gagner de l’argent », commente-t-il a posteriori son expérience d’inventoriste, à l’automne 2021. Pourtant, Raja tient absolument à garder du temps pour lui, même quand il n’a pas un sou en poche.

Recevoir du soutien plutôt que du secours, décider de son sort

30Tenir à distance la position d’étudiant étranger précaire porte aussi Raja à ne pas assumer facilement une position d’assisté, favorisant les formes d’entraide entre camarades.

Rôle crucial du réseau de camarades

31C’est accompagné d’un camarade que l’étudiant se rend pour la première fois à l’aide alimentaire, comme de nombreuses personnes interrogées dans ÉtuCris. C’est une façon de passer le pas alors qu’il éprouve d’abord de la honte à accéder à ce service. Pour se départir de ce sentiment, il relativise peu à peu son recours aux distributions par un discours sur la lutte contre le gaspillage alimentaire (tenu par les associations organisatrices elles-mêmes) ; il rapproche même le moment d’occasions de ne pas payer pour manger dans le cadre d’événements festifs et religieux en Inde.

32Un jour qu’il me demande 50 € de façon pressée, il n’est pas chez lui quand je lui porte l’argent. Une fois la somme virée quelques jours plus tard, il m’indique que son problème est réglé, que cela ne valait pas la peine de lui verser, sans pour autant me rembourser. Il me garantit en revanche qu’il le fera lorsque je l’invite au restaurant et que cela n’est pas en jeu dans l’interaction. En somme, il fait en sorte de créer une position (fictive) de réciprocité différée, plutôt que d’accepter celle d’un secours immédiat. Cette observation n’est pas sans rappeler la façon dont circule L’argent des pauvres en cité de transit (Laé, Murard, 1985), où il s’agit de maintenir la relation dans le temps par le crédit, quand rétablir l’égalité mettrait fin aux cycles d’échanges (Lae, Murard, 1985).

  • 18 Si l’Inde est dans le podium des pays d’origine des étudiants les plus mobiles dans le monde, elle (...)

33Cette attitude est tenable en partie grâce au soutien du réseau de camarades étrangers qui doivent aussi vivre chichement et sont à même de comprendre les difficultés que Raja traverse. S’engagent donc des échanges matériels, pécuniers, et tout simplement de conseils et d’encouragements. Le « réseau » joue un rôle « essentiel » quand le statut juridique est instable et le rapport à l’emploi compliqué par cette difficile transition entre position d’étudiant et de travailleur (Lendaro, 2013). Raja ne peut pas compter sur un réseau communautaire étoffé souvent accessible pour les étudiants africains précaires, très majoritaires dans ÉtuCris – qui ont plus facilement la possibilité d’être hébergés chez des tiers et d’accéder à des repas bon marché par des membres de la famille ou des connaissances de celle-ci installées en région parisienne. Sa nationalité ne correspond pas aux parcours migratoires universitaires les plus établis en France18. Il choisit cependant de rester dans la même petite chambre plusieurs années pour bénéficier de cette entraide entre camarades et établit même un parallèle entre son lieu de vie et la communauté d’Auroville, du fait de ces formes de partage et parce qu’« il y a beaucoup de nationalités ». Lorsqu’il doit occuper un studio prêté par un doctorant indien parti rendre visite à sa famille l’été 2021, l’absence de cuisine commune, propice au troc et à la communication, lui pèse.

34Ce collectif de pairs représente aussi une fenêtre vers un horizon plus dégagé, par voisinage d’expérience avec des étudiants qui parviennent à obtenir un poste à responsabilités évitant ou sortant de la précarité. Par un groupe Facebook pour chercher des partenaires de tennis, Raja rencontre par exemple celui qui lui prête ce studio, ou encore un jeune homme travaillant pour une ambassade et logé dans un appartement spacieux d’un beau quartier parisien. Un ancien camarade de master à New Delhi avec qui il est en contact, installé en Allemagne sans être germanophone, travaille dans une entreprise d’ingénierie pour un salaire de 60 000 € par an. Contrairement à des immigrés moins qualifiés, l’étudiant peut ainsi se figurer des options hors de la galère, occupées par des personnes qui ont une position initiale (avec des titres académiques) proche de la sienne qu’il pourrait de fait atteindre à son tour.

Disposition à la responsabilisation individuelle

35Raja, qui occupait une position confortable avant d’émigrer, s’est exposé à un parcours plus incertain en France par une bifurcation choisie. Il est essentiel pour lui de conserver un pouvoir d’agir. Quand il se retrouve confronté à une mesure d’éloignement du territoire français, quatre ans après son arrivée, il est mis juridiquement en incapacité de décider de son sort. C’est ce qu’il déplore le plus. Il n’exclut pas un départ de la France (jusqu’à la rédaction de ce papier fin 2023) mais veut choisir le moment et la destination. Quand les temps sont durs, il compte le moins possible sur son frère, qu’il refuse de solliciter financièrement ou comme garant pour l’administration. Ce sont des marques claires de sa volonté de s’en sortir par lui-même.

36Dans une société peu ouverte à la mobilité sociale, les Indiens concernés par des trajectoires ascendantes mettent peu en avant des facteurs de responsabilité individuelle pour expliquer leur réussite, contrairement à des États-uniens ou même à des Français dans la même situation (Naudet, 2012). Dans une position inverse de déclassement social, Raja n’a pourtant de cesse de se dire responsable de ses difficultés et ce tout au long de l’enquête. Il pousse loin cette logique : en temps de Covid-19, alors que la conjoncture l’oblige à arrêter de travailler, il répète que l’on ne peut faire de la crise un élément fondamental de sa précarité du moment : à lui d’évoluer. C’est cette disposition mentale qui paraît la plus grande source de résistance contre la précarité, pour un jeune homme qui refuse une vie de travailleur banale, « où on est content d’être en CDI et on n’apprend plus », quitte à se retrouver dans la dèche à Paris ou ailleurs.

Conclusion

37L’internationalisation peut valoir déclassement social pour un étudiant pourtant doté de solides ressources en arrivant en France. Ce qui peut apparaître comme un enlisement dans la précarité tient justement à l’envie de demeurer dans ce pays, où le statut juridique des étudiants étrangers souhaitant devenir travailleurs est instable, compliqué par des politiques migratoires qui rendent cette transition difficile. Une précarisation s’opère puisque les trajectoires des immigrés se sont compliquées à travers les générations, marquées par un temps d’insertion plus long (Lendaro, 2013). Cela vaut pour les étudiants étrangers dont les « problèmes matériels » et leurs « incidences psychologiques » ne datent cependant pas d’hier, en particulier à Paris (Farinaux, 1966 : 623).

38Le mode de vie de l’étudiant, vu à la loupe quelques mois à partir d’une analyse budgétaire, révèle des formes de précarité diverses et importantes, même à l’échelle de la population étudiante qui se rend à l’aide alimentaire. Il ne passe pas seulement par un « sas de précarité », ce qui peut être le cas de camarades étrangers rencontrés dans ces distributions et qui cochent pendant quelques mois toutes les cases des indicateurs de précarité – difficultés financières et retards de paiement des factures, dont le loyer ; emploi indispensable pour vivre, sentiment d’isolement, santé dégradée, etc. – avant que leur position ne se rééquilibre. Raja se maintient dans l’incertitude, sans statut social protecteur, plusieurs années.

  • 19 Le mot « décision » peut paraître inadapté pour désigner un choix « façonné par les circonstances (...)
  • 20 La France et l’Inde ont ainsi adopté l’été 2023 une « feuille de route », visant par exemple à cré (...)

39Quoique sa situation économique soit fragile et bien que cela le prive de revenus, l’étudiant « décide19 », pour préserver son temps, de limiter absolument son engagement dans les activités productives qu’il estime impropres à l’épanouissement personnel. Est-ce aussi pour « profiter » de la vie qu’il se refuse à s’aligner sur une logique d’accumulation ou de faire-valoir de son « capital international », en présentant son expérience française comme un atout pour se projeter dans une carrière dans son pays ? Quid d’une sortie de la précarité par la « mobilité » dans un autre pays, anglophone, qu’il n’exclut pas jusqu’à aujourd’hui, quoique sa nationalité soit désormais facilitatrice dans un contexte politique où les étudiants indiens sont bienvenus en France et la délivrance des visas facilitée 20? Ce cas montre ce que la mobilité internationale recouvre de peu glorieux pour des étudiants étrangers « nomades », venus par eux-mêmes en Europe et ne se sentant pas tenus à rester un temps circonscrit, (sur)vivant de petits boulots et pour qui le non-retour au pays d’origine est loin de faire figure d’exception (Agulhon, 2021). Des façons de « faire de nécessité vertu », affirmées en situation d’enquête à des moments de précarisation de sa position, peuvent sembler cultiver une sorte d’illusion biographique, les aspirations de Raja paraissant avoir d’autant moins de chances de se réaliser que l’étudiant étranger a peu d’entregent pour redresser sa trajectoire. Demeurer en France, sans attache sentimentale, au prix d’un déclassement social à durée indéfinie, reste pour autant, d’après le discours sur soi de l’étudiant, l’occasion d’un certain perfectionnement personnel qui constitue en quelque sorte son « privilège ». Les rebondissements observés durant les plus de deux années de suivi ethnographique invitent à ne pas préjuger de l’issue de son parcours.

Annexe 1. Tableau 1. Périodisation des ressources de l’étudiant à partir de ses relevés de compte bancaire de son arrivée en France en septembre 2018 à janvier 2021

Annexe 1. Tableau 1. Périodisation des ressources de l’étudiant à partir de ses relevés de compte bancaire de son arrivée en France en septembre 2018 à janvier 2021

Annexe 2. Scène extraite du journal de terrain, première visite à l’étudiant dans sa chambre de résidence universitaire, 11 décembre 2020.

40Pour notre premier rendez-vous à sa résidence universitaire, Raja ne peut me prévenir de son retard : le téléphone portable emprunté à un camarade chinois pour remplacer le sien dysfonctionne également. Il n’a pas d’abonnement pour les transports parisiens et emprunte aussi le passe d’un voisin de chambre albanais, appliquant pour frauder une photographie de lui sous la coque plastique qui le contient. L’étudiant m’emmène dans sa chambre, 9m2, dont les vitres laissent filtrer les bruits du boulevard, très passant. Pan de mur peint en bleu ciel, sol couvert de lino et autres murs crème, petit lit métallique et linge blanc (d’hôpital), néon comme lampe de chevet, plan de travail en plastique blanc et vieux rangements en contreplaqué ou bois vernis foncé : le tout forme un ensemble assez vétuste. Raja lâche visiblement prise sur le ménage (des mouchoirs usagés, entre autres, traînent de-ci de-là). Il me disait, la veille, à la fois apprécier la dimension internationale de la résidence et vouloir quitter ce logement exigu quand sa situation serait « normale ». Il s’interroge cependant à voix haute, dans un français où la concordance des temps pèche encore, suffisamment pour qu’il se refuse à proposer des cours de soutien scolaire à Paris : n’aurait-il pas mieux fait de penser autrement, « changer d’endroit » [de logement ou de pays ?] et sa situation se serait améliorée ? « Charriot vivant », ainsi qualifie-t-il avec ironie, en reprenant le terme d’une camarade de résidence française, son poste de runner dans un restaurant de quartier cossu, commis transportant plats et boissons de la cuisine à la salle. « Par exemple, le manager m’appelle et me dit “‘viens à 18h30.”’ Je ne sais pas combien d’heures je vais faire. Et il n’y a pas de signature avant du contrat. S’il y a beaucoup de clients, je peux rester jusqu’à minuit. Et parfois je bosse juste deux heures. It’s like going to the casino. », commente-t-il à propos de ce qu’il présente comme sa première source de revenus en 2020. Il a trouvé l’emploi en janvier, par un groupe Facebook dédié au recrutement d’extras dans la restauration, conseillé par des étudiants. Il vient à peine de recevoir confirmation du renouvellement de son titre de séjour, expiré depuis l’an passé (il détenait jusque-là des récépissés, dont l’un étendu six mois par décision gouvernementale, engorgement des préfectures lié aux mesures de lutte contre le Covid-19 oblige). Raja part faire bouillir de l’eau à la cuisine collective au bout du couloir, nous buvons un thé noir avec un nuage de lait dans deux pots de confiture vides, ainsi n’a-t-il « pas besoin d’acheter une tasse ». Nous entamons l’inventaire des denrées alimentaires présentes chez lui, (…) 19 œufs ! « Il y en a toujours en distribution ». Pas au fait du fonctionnement de l’association caritative qui intervient le plus proche de son domicile, Raja pense à tort qu’il faut être orienté par un travailleur social avant de s’y rendre. Il fréquente donc d’autres lieux d’aide plus distants depuis octobre et la fermeture au second confinement du restaurant qui l’employait [En matière de droit au séjour, le statut d’étudiant étranger exclue la possibilité de toucher des allocations chômage. L’absence de contrat pérenne écarte du reste l’étudiant du dispositif d’activité partielle alors en vigueur. Il signe des contrats déterminés d’usage, à la journée.]. Ce n’est pas une bonne vie », commente l’étudiant, à découvert de 70 €, à propos de cette position de bénéficiaire d’aides, tout en indiquant que le Covid-19 n’est qu’un facteur aggravant ses peines, l’empêchant par exemple d’avoir suffisamment d’argent pour renouveler son ordinateur défectueux. Un camarade de couloir, tchadien, passe le saluer. Ils s’arrangent pour récupérer chacun un panier de denrées dans une association différente le lendemain. Quotidiennement en relation avec des camarades de résidence, Raja reste néanmoins songeur quand il s’agit de dire de qui il se sent proche. M’invitant à brûle-pourpoint à rester dormir (proposition que je décline), il m’indique qu’il peut héberger des convives, qu’il faut en théorie pour cela le déclarer à la réception ainsi que régler un petit montant, ce que personne ne fait en pratique.

Annexe 3. Tableau 2. L’inventaire des denrées alimentaires dans la chambre de Raja le 11 décembre 2020

Catégorie alimentaire Produit précis (Précision poids/nbre) Provenance (Source d’aide alimentaire ou lieu d’achat)
Boissons Thé Distribution alimentaire (Agoraé)
Don de voisin de chambre
Café Récupéré dans la résidence
Céréales et dérivés Pâtes spaghetti Distribution alimentaire (Agoraé)
Reste de macaroni (100g)
Riz de Camargue (500g)
Lentilles vertes Achat (Lidl)
Semoule fine
Pois cassés Achat (supérette)
Couscous
Lentilles roses
Riz basmati Association communautaire (BAPS) *
Lentille indienne NR
Farine Don de voisin de chambre
Épices & condiments Herbes de Provence Récupéré dans la résidence
Thym Distribution alimentaire (Agoraé)
Curry Achat (NR)
Ail semoule (déshydraté)
Cumin
Sel Association communautaire (BAPS) *
Cardamome Amené d’Inde
Curcuma
Graines de fenouil
Épices « éthiopiennes » NR
Curry Achats (NR)
Cannelle
Muscade
Fenugrec
Sauce tomate (500g) Distribution alimentaire (Linkee)
Fruits & légumes Clémentines (4) Distribution alimentaire (Linkee)
Fenouils (3)
Carottes (2)
Aubergines (2)
Tomate
Oignons
Betteraves
Salade
Courgettes (4)
Poivrons (3)
Chou-fleur
Patate douce
Pommes de terre Don de voisin de chambre
Micropain de beurre (10g) Distribution alimentaire (Linkee)
Matière grasse Huile d’olive Récupéré dans la résidence
Huile (non spécifié) Association communautaire (Indian Gujarati Culture Association) *
Huile médicale Amené d’Inde
Plat cuisiné Bol de frites (250g) Don de voisin de chambre
Velouté de poireaux Distribution alimentaire (Agoraé)
Barquette de petit salé - lentilles Distribution alimentaire (Linkee)
Barquette volaille - carotte - penne
Produit d’entretien Liquide vaisselle Distribution alimentaire (Du beurre dans les épinards)
Lessive (2,5kg)
Lessive (3kg)
Produits laitiers Packs de lait (6l) Bon d’achat du Crous (Carrefour) *
Yaourts (4) Distribution alimentaire (Linkee)
Yaourt nature fromage blanc Don de voisin de chambre
Produits sucrés Paquet de boules chocolat, Sucre Distribution alimentaire (Agoraé)
Compotes pomme-banane (4)
Viande - poisson - œufs Thon Distribution alimentaire (Agoraé)
Œufs (19) Distribution alimentaire (diverses)

Source : enquête Hors-Service, Observatoire du Samusocial de Paris. * désigne un produit fourni pendant le premier confinement de la population française, au printemps 2020, temps d’investissement caritatif particulier. Bochasanwasi Shri Akshar Purushottam Swaminarayan Sanstha est une association hindouiste qui ne fournit pas autrement d’aide alimentaire, comme l’Indian Gujarati Culture Association. L’étudiant reçoit un bon d’achat de 50 €, valable dans les enseignes Carrefour, par le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) Les distributions alimentaires de l’Agoraé (dépendant de la Fédération des associations générales étudiantes), qui fonctionnent normalement sur un format d’épiceries solidaires, correspondent à un engagement hors les murs lié à la crise sanitaires.

Annexe 4. Les menus d’une semaine fin décembre 2020

41Jour 1. 9h, thé (lait, poivre noir, sucre) et 3 galettes avec confiture de figue, offerte par l’enquêtrice. 10h, 4 dattes. Midi, soupe instantanée aux champignons, offerte par une camarade. 14h, 2 betteraves, orange, 3 tranches de pain d’épices avec confiture de figues. 15h, 2 œufs au plat (sel, poivre noir). 18h, lait chaud (curcuma, sucre, poivre noir). 22h, pot de petit pois en conserve (560g), 2 tranches de pain d’épice, confiture de figue. Échange what’s app: « J’ai remarqué que je mange beaucoup […] Je devrais faire un régime… Je mange tout le temps. »

42Jour 2. 9h, comme hier, mais avec du pain d’épice. 10h, orange, 7 dattes. 11h, 4 tranches de pain d’épice, confiture de figue. Midi, trois betteraves. 14h, gombo, riz, poulet, oignons, tomates (huile, épices), donnée par un camarade (M.). 15h, 16h30 et 19h, riz aux lentilles avec 1 courgette, 1 pomme de terre, ½ oignon (huile d’olive, sel, poivre noir, curcuma, herbes de Provence, curry). 19h, chocolat au lait Kinder. 21h, lait chaud aux épices, 2 tranches de pain d’épice et confiture. 23h, 2 chocolats Kinder.

43Jour 3. 9h, comme J1. 10h, Kinder. 14h30, riz-lentille aux légumes de la veille (500g), Kinder. 15h30, riz-lentille aux légumes (300g). 17h, Kinder. 20h, riz-lentille aux légumes (100g), soupe au poivron et chou, olives. 21h, lait chaud aux épices. 23h, gâteau chocolat fondu. Minuit, 2 Kinder.

44Jour 4. 8h30, thé au lait, poivré, sucré. 10h, poire. 13h, bol de frites porté par un camarade (M.). 13h et 16h, le riz-lentille aux légumes (400g et 250g). 18h, olives. 20h, ½ baguette, saucisse de viande, œuf, pomme de terre (huile, épices), sandwich apporté par un camarade (Y.). 20h, gâteau (Hop Hop Food). 22h, poulet (huile, épices), donné par un camarade (C.). 23h, pain aux abricots, croissant, confiture d’abricot.

45Jour 5. 9h, thé habituel, banane. 10h, pain et confiture d’abricot. 14h, riz-lentille aux légumes avec variation : ½ fenouil, 2 patates douces, mêmes épices (200g), associé à des œufs sur le plat, margarine, sel, poivre. 19h, pain, légumes (non précisé). 21h, manioc, sauce tomate, poulet rôti, « plat de Côte-d’Ivoire », partagé avec un camarade (C.).

46Jour 6. 9h, thé habituel, banane. 10h, Kinder. Midi, lait chaud aux épices. 13h, orange, poire. 13h30, 3 dattes, données par un camarade (Y.). 17h, riz, frites, dinde, sauce tomate, « plat nigérien », partagé avec un camarade (M.). 18h, riz-lentilles aux légumes de la veille (150g). 20h, gâteau aux pommes « maison », pana cotta aux fruits rouges. 21h, riz aux légumes (100g).

47Jour 7. 6h, thé. 7h, betteraves. 9h, croissant. 13h30, paquet « apéro boule aux pois chiches soufflés ». 14h30, salade composée avec 2 œufs, betteraves, choux de Bruxelles, cacahuètes, coriandre. 19h, brownie, crème de marron. 20h, bol de céréales.

48NB : les pesées, retranscrites partiellement, sont notées par l’étudiant.

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Pinto C. (2013), Mobilité sociale et mobilité internationale d’étudiants étrangers : Trajectoires de jeunes professionnels chiliens et colombiens à Paris, New York et Boston, thèse de Doctorat, Université Paris-Est.

Wagner A.-C. (2016), « Attirer les talents internationaux, Les ambiguïtés d’une hospitalité sélective », Savoir/Agir, n° 36, p. 33-38.

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Notes

1 Claude Grignon, Les étudiants en difficulté, pauvreté et précarité, rapport du président du conseil scientifique de l’ONVE à monsieur le ministre de l’éducation nationale, 2000.

2 Lorraine Guénée (coord.), Ysé Bedo, Caroline Douay, Amandine Lebugle, Clémentine Leservoisier, Lison Ramblière, Manantsoa Rasolonjatovo (2022), Entre quête d’autonomie et recours à l’aide alimentaire francilienne, les trajectoires heurtées d’étudiantes et d’étudiants en crise (ÉtuCris). En ligne, consulté le 28 septembre 2023. URL : https://www.samusocial.paris/sites/default/files/2022-11/EtuCris_15.11.22_WEB.pdf.

3 Les écarts de devises entre les pays d’origine et l’euro sont conséquents, limitant l’efficacité de l’aide familiale. Il est hasardeux de compter sur un emploi rémunérateur peu après son installation en France, a fortiori dans un contexte de plafonnement du temps de travail des étudiants étrangers dans le cadre du droit au séjour hors des séquences intégrées aux études, généralement à 964 heures par an. Précisons aussi que les bourses sur critères sociaux sont accessibles aux personnes qui n’ont pas la nationalité française seulement après avoir établi depuis deux ans leur foyer fiscal dans le pays et en-deçà de 28 ans.

4 Xavier Collet, Sylvie Toullalan (2016), « Construction d’un indicateur de la précarité étudiante, enjeux, définitions et indicateurs », Resosup, cahier n° 5.

5 Entre 2015 et 2020, le nombre d’étudiants internationaux en France a augmenté de 22 % pour atteindre 252 444 personnes, plaçant le pays en sixième position d’accueil mondial. Source : institut statistique de l’Unesco, 2020. En ligne, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.campusfrance.org/fr/actu/chiffres-cles-2023-64-millions-d-etudiants-en-mobilite-internationale.

6 Lorraine Guénée, Odile Macchi, Erwan Le Mener, Éléonore Guillemot, Paolo Renoux, Adèle Fourestier, Hors-Service, enquête sur les manifestations socio-économiques de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les travailleurs de l’hôtellerie-restauration (Île-de-France, mars 2020 - mai 2021), rapport de l'Observatoire du Samusocial de Paris, 2021. En ligne, consulté le 28 septembre 2023. URL :https://www.samusocial.paris/sites/default/files/202211/Hors%20service_rapport1_17.11.22_WEB.pdf.

7 L’Esprit d’Auroville » est un terme flou usité par les Auroviliens, membres de cette communauté jouxtant Pondichéry, utilisé dans le mémoire de Maël Shanti Vidal (« Manifesting the Invisible » : Auroville, de Silence à Présence, une ethnographie du croire aurovilien, mémoire de master de l’École des hautes études en sciences sociales, 2018) pour évoquer leur rapport avec les divers symboles qui font le socle de l’expérience communautaire, dont la figure de la Mère Divine, inspirant Raja ; la Charte, lue par elle lors de l’inauguration de la cité en 1968, le Rêve, texte qu’elle a rédigé en 1954, proposant un horizon idéal de paix, d’enrichissement personnel dans un lieu où « l’argent ne serait plus le souverain seigneur […] ». Mirra Alfassa, « Un rêve ». En ligne, consulté le 26 octobre 2023. URL : https://auroville-france.org/un-reve/.

8 Le site de Campus France résume ces conditions valables « dans la plupart des cas » pour les étudiants étrangers qui : « doivent réunir suffisamment d’économies avant leur départ pour subvenir à leurs besoins par eux-mêmes pendant au moins une année […]. Pour obtenir le ‘ ‘visa étudiant’’ […], les candidats doivent fournir au consulat une attestation de virement irrévocable d’un montant de 615 € par mois […]. Dans la plupart des villes, ce revenu mensuel est très faible au regard du coût de la vie quotidienne. » En ligne, consulté le 29 septembre 2023. URL : https://www.mali.campusfrance.org/preparer-son-budget.

9 Site Campus France, Ibid.

10 Ces calculs mensualisés ne comprennent pas les éventuels paiements en liquide, mais l’étudiant se sert de son compte bancaire comme outil de gestion et les paiements non tracés sont très exceptionnels.

11 Politique gouvernementale étendue à tous les étudiants en janvier 2021, existant pour les étudiants boursiers sur critères sociaux depuis août 2020. Pour bénéficier de ce tarif réduit, il faut désormais se déclarer en situation de précarité au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous).

12 Soit un montant quatre fois plus élevé pour un semestre d’étude que celui d’une année complète de master en France pour les ressortissants nationaux. La tarification supérieure de l’enseignement supérieur appliquée aux étudiants étrangers n’atteint cependant pas les niveaux, très élevés, du monde anglosaxon.

13 Y vivent selon le « Auroville Residents Service » 2288 personnes de 60 nationalités, d’abord des Indiens (1628 personnes), les Français occupant le deuxième rang (428). En ligne, consulté le 1 septembre 2023. URL : https://www.auroville.org/contents/3329.

14 « Le travail n’y serait pas le moyen de gagner sa vie, mais le moyen de s’exprimer et de développer ses capacités et ses possibilités, tout en rendant service à l’ensemble du groupe qui, de son côté, pourvoirait aux besoins de l’existence et au cadre d’action de chacun », M. Alfassa, « Un rêve », op.cit., https://auroville-france.org/un-reve/.

15 Confronté à un grand multilinguisme comme ses compatriotes, Raja parle déjà quatre langues : marathi, appris à l’école quand il vivait dans le Maharashtra ; hindi et anglais, les langues nationales du nord ; et il se débrouille en marwari, dialecte du Rajasthan parlé par les clients du garage de son père.

16 « Se détacher complètement [de son pays] pour s’intégrer à un nouveau marché du travail […] demande un réglage des paramètres très particulier, avec notamment une destruction des liens unissant à [son pays], des capitaux de carrière qui ne sont vraiment utiles qu’à l’étranger et des modes d’intégration rares. » (Colombi, 2016 : 177)

17 D'après son biographe Georges Van Vrekkem (voir The Mother, the story of her life, Rupa & Co, 2004), la fondatrice d'Auroville s'intéressait à ces activités sportives et artistiques.

18 Si l’Inde est dans le podium des pays d’origine des étudiants les plus mobiles dans le monde, elle n’occupe pas plus que le douzième rang en nombre d’étudiants présents en France, en progression mais loin derrière les pays du Maghreb ou la Chine. Source : Mesri/Sies, 2020, 2021, 2022, Cf. Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde. En ligne, consulté le 18 août 2023. URL : https://www.campusfrance.org/fr/recherche/type/ressource_documentaire/categorie/les-chiffres-cles-441.

19 Le mot « décision » peut paraître inadapté pour désigner un choix « façonné par les circonstances de [sa] vie en France » plutôt qu’un choix rationnel, ce que Henri Eckert et Jean-Luc Primon (2021) soulignent en introduction du dossier « Étudiants en mobilité internationale : s’installer en France ou rentrer au pays ? », Agora Débats/Jeunesse, n° 88.

20 La France et l’Inde ont ainsi adopté l’été 2023 une « feuille de route », visant par exemple à créer une communauté d’alumni, avec un accès facilité aux visas Schengen de cinq ans pour les détenteurs d’un master, après au moins un semestre d’étude en France. En ligne, consulté le 29 septembre 2023. URL : https://www.campusfrance.org/fr/actu/feuille-de-route-franco-indienne-30-000-etudiants-indiens-en-france-en-2030.

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Table des illustrations

Titre Photo 1 : Photographie d’un coin de chambre de Raja, dans une période morose
Crédits Source : enquête Hors-Service, Observatoire du Samusocial de Paris. Cliché de l’autrice, 7 janvier 2021.
URL http://journals.openedition.org/emulations/docannexe/image/4450/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 121k
Titre Annexe 1. Tableau 1. Périodisation des ressources de l’étudiant à partir de ses relevés de compte bancaire de son arrivée en France en septembre 2018 à janvier 2021
URL http://journals.openedition.org/emulations/docannexe/image/4450/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 492k
URL http://journals.openedition.org/emulations/docannexe/image/4450/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 419k
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Pour citer cet article

Référence papier

Lorraine Guénée, « Un Indien d’Auroville, étudiant étranger dans la dèche à Paris : une question de précarité ou de mobilité ? »Émulations, 51 | 2025, 27-48.

Référence électronique

Lorraine Guénée, « Un Indien d’Auroville, étudiant étranger dans la dèche à Paris : une question de précarité ou de mobilité ? »Émulations [En ligne], 51 | 2025, mis en ligne le 15 septembre 2025, consulté le 11 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/emulations/4450 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14o5c

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Auteur

Lorraine Guénée

Observatoire du Samusocial de Paris, France

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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