1El-Ya‛qûbî qui écrit à la fin du IXe siècle son Kitâb El-Buldân cite Numalata*, identifiée à Maghnia et, dans les Traras, « la grande cité de Falusan » identifiée à Nedroma, construite au pied de la montagne Filhaoucen. Une autre ville, Ternana, située à huit milles de Falusan-Nedroma est sous le commandement d’un membre de la famille des Sulaymanides, ‘Abd Allâh surnommé El-Tarnanî, qui avait également sous son autorité le territoire de Tawunt. Capitale régionale, Nedroma connut un développement important à l’époque almoravide et almohade.
2El-Bekrî situe la ville de Nedroma à treize milles de Honaïne dont « elle est séparée par une montagne appelée Tadjra ». Il signale que Nedroma est située au pied de cette montagne. Tout autour de la ville il y a « des plaines fertiles et des champs cultivés ». La ville est protégée par un rempart. El-Bekrî décrit la ville avant la conquête almoravide donc avant qu’elle ne prenne un statut de capitale régionale avec la construction d’une mosquée-cathédrale.
3Grâce à une inscription trouvée sur une chaire (minbar) de la mosquée de Nedroma actuellement déposée au Musée National des Antiquités d’Alger, on a un petit indice du développement de la région des Traras à cette époque. Cette inscription, malheureusement incomplète, se déploie sur un dossier fermé de quatre planches de cèdre rassemblées composant ainsi un arc de plein cintre surhaussé. On y lit sur la bordure :
« Bienfaiteur, le Miséricordieux qu’Allah bénisse... et sa famille excellente et leur accorde le salut. Il n’y a de Dieu qu’Allah et Muhammad est l’envoyé d’Allah ».
[« la religion aux yeux d’Allah »]
4Puis sur la partie centrale :
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Quiconque recherche une religion autre
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que l’Islam, cela ne sera pas accepté de lui
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...
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Ceci est un don de l’émir, du seigneur
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... Yû
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Suf Ibn Tashfîn qu’Allah perpétue son succès
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et le comble... A eu lieu
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Son achèvement par les soins du jurisconsulte du Qaḍi Abû ‛Abdallâh.
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Muḥammad ‛Abdallâh... le
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Jeudi dix-sept du mois...
-
...
5Cette chaire était encore debout et intacte lors de la visite que fit Charles de Mauprix en 1889 dans les Traras et qui vit :
« Une vieille chaire en bois « minbar » dont le devant est sculpté et garni d’inscriptions coufiques. Cette chaire serait selon lui contemporaine soit du premier dynaste soit d’un de ses fils, qui n’a pas alors régné puisqu’il est qualifié d’« Emir » et de « Sayyid » ».
6G. Marçais suggère le nom d’El-‛Azîz. Rachid Bourouiba et René Basset font remarquer que si la donation avait été faite après la mort de Yûsuf, on aurait fait suivre le nom de ce dernier de la phrase : « qu’Allah lui fasse miséricorde ». L’invocation qui suit le nom de Yûsuf Ibn Tashfîn : « qu’Allah perpétue son succès » n’est faite qu’en faveur d’une seule personne. Si au contraire, le minbar avait été offert par un fils de Yûsuf, du vivant de celui-ci, l’inscription aurait mentionné le donateur et le prince régnant. Il s’ensuit que l’Emir mentionné dans l’inscription n’est pas un prince proche du pouvoir, mais sans doute, un délégué local. Pour que cette chaire ait été faite sur l’ordre d’un émir qui ait des chances d’avoir été un gouverneur et non un héritier du trône, il aurait fallu que :
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que Yûsuf ibn Tashfîn ait été encore vivant,
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qu’il y ait eu eulogie unique après sa mort.
7Enfin, Bourouiba estime que cette chaire a dû être fabriquée sous le règne de Yûsuf Ibn Tashfîn avant 479/1086, date de la victoire de Zallaqa, car après cette date, le chef almoravide porta le titre d’Amîr al-Muslimîn (Prince des musulmans).
8On pourrait penser plutôt que la mention de Sayyid convient parfaitement à un prince de sang, qui peut avoir été gouverneur de la région. Le titre de Sayyid fut utilisé aussi pour les princes de sang.
9La chaire signale le nom du Cadi de la ville, le jurisconsulte (faqîh) Abû ‘Abdallah. La mention d’un qâḍî chargé de l’achèvement du minbar, laisse supposer que ce personnage avait un lien avec la région, et qu’il était probablement le qâḍî de la ville. Si cette hypothèse est exacte, cela tendrait à montrer que Nedroma était devenue un centre régional important ayant son propre cadi. On sait que la mosquée elle-même est une création almoravide comme celles de Tlemcen et d’Alger. Fondée à la fin du XIe siècle où au début du XIIe siècle, cette mosquée dispose d’une salle de prière à neuf nefs. Elle est construite sur le même plan que celui des mosquées almoravides d’Alger et de Tlemcen que l’on retrouve ici à une dimension plus réduite. Le minaret lui, fut construit au XIVe siècle. Une inscription en caractères coufiques gravée sur une plaque de marbre sur le mur Est de la salle de prière porte la date de 749 H/1348-49.
10La construction d’une mosquée (encore en fonction), de remparts dont des pans subsistent à ce jour, atteste une volonté d’implantation dans les Traras. Pourquoi les Almoravides avaient ils choisi Nedroma ? – Pour en faire une capitale régionale ? La ville disposait de centres agricoles non négligeables. Il faut remarquer que ce n’est qu’avec El-Bekrî que Nedroma apparaît puisqu’auparavant elle s’appelait Fallousan. Ce changement de nom traduit-il une évolution ? L’ont-ils choisie pour remplacer Nakur qui ne se releva plus de sa destruction par les Almoravides ? Ont-ils pris en compte sa position stratégique au pied du Fillaousan et presque à égale distance des ports de Tawunt et de Honaïne ? El-Bekrî lui-même la montre en relation avec toutes les villes et ports du littoral. Cette position permettait de drainer les marchandises qu’apportaient les Andalous et les Italiens vers les grands centres comme Tlemcen, Oujda ou Fès. La construction de la mosquée de Nedroma a dû se faire dans le cadre d’un milieu urbain en expansion, lui-même lié au commerce et à la prospérité des ports. D’autres mosquées plus petites existent comme celles de Sidi Siadj, Lalla Zohra Cherifa, la mosquée El-Haddadin, la mosquée El-Guedarine, la mosquée Riah, la mosquée Saïdene, la mosquée Alia, la mosquée Sidi Mendil, les mosquées de Sidi Yahia Ben Aoufine et de Sidi Ben Ali qui sont construites dans le plus pur style maghrébin.
11Les Sanhadja* du désert dans leur conquête du Maghreb ont très tôt occupé les trois capitales maghrawiennes (Fès – Tlemcen – Sijilmassa). Ils ont poussé au-delà vers l’Espagne contrôlant ainsi de bout en bout, les routes caravanières et la circulation des produits. Cela les a amenés naturellement à développer les points d’appui dans la zone littorale : Nedroma – Honaïne – Arechgoul – Oran – Ténès – Cherchell – Alger, favorisant par là une vie plus active sur les côtes et l’agrandissement des centres urbains qui se dotèrent à cette époque de nouveaux monuments (Alger, Nedroma...).
12Au XIIe siècle, El-Idrîsî qualifiait Nedroma de :
« grande ville, peuplée, pourvue d’un rempart et d’un souk et dont la position est à flanc de montagne. Elle a des champs nombreux, de céréales, et une rivière qui coule, à l’Est, irriguant des vergers, des jardins, des exploitations agricoles. ».
13On sait qu’au début du pouvoir Zayyanide*, Nedroma ne reconnut pas l’autorité de Djabir ben Yûsuf. Ce dernier marcha contre la ville dont il entreprit le siège. Il fut atteint par une flèche lancée du haut des remparts de la ville par Yûsuf El-Ghaffârî El-Tilimsânî. Il mourut en 629 H/1231-32. En 695 H/1296, le sultan mérinide* Abû Ya‛qûb fit pendant quarante jours le siège de la ville. Malgré les catapultes, Nedroma résista. Il dut se retirer le 5 août 1296. Vers la fin du XIIIe siècle, au moment du siège de Tlemcen, le gouverneur de Nedroma et seigneur de Tawunt, Zakariya Ibn Yakhlaftan El-Matghârî se mit en dissidence et proclama la souveraineté mérinide. Pourtant Yahia Ibn Khaldûn nous apprend que le chambellan et confident du sultan Zayyanide Abû Sa‛id, un certain Abû ‛Abd Allâh Muḥammad Ibn ‛Amîr, était de la tribu des Oulhassa*, branche de la confédération des Koumiya comme les Matghara*.
14Continuant sa description du pays des Traras vers l’ouest, l’anonyme d’El-Istîbçâr décrit la ville de Nedroma, près de la montagne de Tajra comme une : « ville produisant beaucoup de céréales et la ville est un bon marché ». Elle est reliée à un port sûr et fréquenté que domine un beau ribat » – Est-ce Tawunt ? Puis il cite la ville de « Tarnana entourée de murailles et située sur le littoral. Elle sert de station aux bateaux et est le lieu d’arrivée des caravanes de Sijilmassa* et d’ailleurs... ». Il ajoute : « Il y a sur cette côte de nombreuses villes qui tombent en ruines, car autrefois, ce littoral était très peuplé et avait des campagnes fertiles comme la ville de Tamajrit, le port maritime d’Oujda » dont il dit par ailleurs : « c’est par Oujda qu’on passe tant à l’aller qu’au retour pour se rendre d’Orient en Occident, à Sijilmassa et ailleurs ».
15La dernière révolte contre l’autorité abdelwadide eut lieu vers le milieu du XIVe siècle (octobre 1348). Elle fut l’œuvre du Shaykh des Koumiya, membre de la tribu des Bani ‛Abed de Honaïne, Ibrahim Ibn ‛Abd El-Malik, qui souleva, le pays des Traras pour se rendre indépendant. Ibn Khaldûn lui prête l’ambition d’avoir voulu restaurer la grandeur de sa tribu. Tout le littoral des Traras s’embrasa. Le sultan abdelwadide, Abû Thabit, réduisit à l’emprisonnement puis mis à mort le chef rebelle après avoir pris d’assaut Honaïne et Nedroma.
16Au XIIIe, XIVe et XVe siècles, il ne restait que quelques fractions de tribus des Koumiya, appelés anciennement Satfura. Elles obéissaient au pouvoir en place à Tlemcen et payaient l’impôt. Ibn Khaldûn les divisait à cette époque en trois branches :
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les Nedroma qui comprenaient les Farana, les Farda, les Hafana, les Harsa, les Nafùta ;
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les Banu Yalul, qui comprenaient les Habisha, les Hawwara, les Masifa, les Walgha, les Watiwa ;
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les Saghara qui comprenaient les Banu Habasha et les Matila.
17Ces tribus s’allièrent, par la suite, aux Oulhassa pour former la confédération des Traras, mais elles ne pouvaient rivaliser avec les tribus nomades qui remontaient du désert créant ainsi le lien humain entre la mer et le Sahara, en particulier les Banu Hilal.
18C’est à Nedroma que se retira le mawlây Abû Ya‛qûb, à l’avènement au trône de ses deux frères Abû Sa‛id et Abû Thabit. Le futur Abû Hammû Mûsa II demeura avec son père dans cette ville.
19Le grand voyageur maghrébin Ibn Batouta, natif de Tanger (mort en 1377), en faisant le pèlerinage de la Mecque choisit l’itinéraire terrestre et passa par Nedroma et Tlemcen. S’il ne mentionne pas Honaïne, on peut remarquer qu’il fait le détour par Nedroma pour aller à Tlemcen, ce qui devait être un itinéraire caravanier. Léon l’Africain affirme que la ville fut construite à l’époque romaine et « on trouve des vestiges des édifices antiques autour de la ville. Elle était selon lui très étendue », « dans une plaine à environ deux milles de la montagne et douze mille de la mer Méditerranée ».
20Abû Muḥammad Ḥassan El-Wazzân dit Léon l’Africain affirme que la ville a été construite durant l’antiquité :
« par les Romains quand ils gouvernaient la région. Ils la construisirent d’une grande étendue, dans une plaine, à environ 2 milles de la montagne et 12 milles de la mer Méditerranée. Une rivière peu importante passe auprès d’elle. Nos historiens disent que les Romains l’édifièrent dans le même site et sur le même plan que Rome et que c’est de là que lui vient son nom parce que ned, dans la langue africaine a le même sens que similis en latin. ».
21Cette assertion a très peu de valeur. Les vestiges d’époque romaine sont très rares pour ne pas dire inexistants et les recherches archéologiques faites pendant deux mois par Mac Carthy vers 1850 avaient été infructueuses ; les seules ruines trouvées dataient du moyen-âge. La ville est bâtie au pied de la montagne du Filaoussan à 16 km de Ghazaouat et à 13 km de Honaïne. Elle a gardé une partie de ses murailles et de sa Qasba. La ville était connue pour son caractère industrieux (potiers, forgerons, tanneurs, tisserands...).
22Au début du XVIe siècle, Léon l’Africain a pu voir les remparts de la ville qui étaient encore debout mais les maisons étaient entièrement détruites. Il écrit : « elles furent rebâties de bien vilaine façon ». Toutefois il fait remarquer :
« La campagne est extrêmement productive : on voit autour de Nedroma de nombreux jardins et des terrains plantés de caroubiers. On mange beaucoup de caroubes, aussi bien dans les villes que dans le reste du pays et on utilise aussi dans l’alimentation le miel qui est produit ici en grande quantité. Nedroma est aujourd’hui prospère car les artisans y sont nombreux. On y fabrique surtout des toiles de coton parce qu’il pousse beaucoup de coton dans la région ».
23Il met l’accent sur l’esprit libre des gens de Nedroma :
« Le roi ne peut tirer aucun revenu de cette ville. Il y envoie des gouverneurs qui sont acceptés s’ils plaisent à la population et qui sont renvoyés s’ils ne lui plaisent pas. Cependant les gens de Nedroma envoient parfois au roi quelques petits cadeaux (hady) pour être sûrs de pouvoir faire entrer leurs marchandises à Tlemcen ».
24Marmol de Carvajal écrit au milieu du XVIe siècle que la ville a été construite par les Romains « à deux lieues et demie du mont Atlas et à quatre de la mer ». Il affirme que sa situation « est semblable à celle de Rome dont elle a tiré son nom ». Ptolémée, selon Marmol dit que c’est « l’antique Salème, et la place à douze degrés dix minutes de longitude et à trente-trois degrés et vingt minutes de latitude ». Pour Marmol, on peut voir, hors des remparts de Nedroma, les restes de vastes édifices des Romains, où il y a de grandes tables et des colonnes d’albâtre avec des tombes de pierre sur lesquelles sont gravées des inscriptions latines. Parlant des habitants, Marmol affirme : « Ils moissonnent quantité de froment et d’orge, ont force troupeaux et font les plus belles toiles de coton de toute la Barbarie... »
25Le pouvoir ottoman installa au XVIe (1554) siècle un représentant à Nedroma pour la perception de l’impôt dans les Traras. Il devait chaque fois faire appel à des troupes pour prélever la lezma que les populations montagnardes refusaient de payer. La ville fut convoitée tour à tour par les Chorfas du Maroc et par les Turcs qui occupèrent définitivement la ville en 1791
26L’Emir Abd El-Kader en fit sa principale et dernière base de repli dans son combat pour préserver l’ouest de l’Algérie de l’occupation française. Il nomme un gouverneur en 1831 et établit son camp à Nedroma puis à Aïn Kébira en 1836. La ville est occupée par les troupes françaises du général Bedeau le 8 mars 1842. La ville est sous autorité française mais elle a un Agha. En 1859 c’est El-Hadj Hamza Ben Rahal qui assure ces fonctions. En 1880, la ville est érigée en commune mixte et placée sous l’autorité d’un administrateur français. La ville était réputée pour ses potiers et ses tisserands. Elle a gardé des vestiges en pisé de son passé médiéval mais la vieille ville commence à perdre de son cachet sauf autour de la mosquée et du bain, qui remonte à l’époque almoravide selon la tradition. La ville accueillit elle aussi des émigrés andalous.
27Nedroma est visitée par Μ. E. de Lorral (1875). Il vient des montagnes des Traras :
« Le chemin descend à Nedroma en interminables lacets. Nedroma est une petite ville arabe et juive, comme on n’en voit que dans la province d’Oran. Elle est nichée au fond du cirque et bâtie sur l’emplacement d’une vaste cité métagonitique. Des ruines nombreuses attestent de l’importance de l’ancienne Nedroma. Ces vestiges consistent en murs de pisé effrités par le temps, mais toujours inébranlables... ».
28Lorral trouve les environs bien cultivés. Il ajoute que les indigènes façonnent de la poterie « ce sont des coupes à deux anses, ornées de dessins dont les teintes brunes rappellent celles des vasques étrusques ». En 1875 la population était de 2000 musulmans, cinq cents israélites et un Espagnol. Lors de l’expulsion des musulmans d’Espagne, un grand nombre d’entre eux vint se réfugier à Nedroma. On raconte que les descendants de ces exilés conservent encore les clefs de leurs maisons de Grenade et de Cordoue.