1Cette ciuitas, mentionnée par une série de documents épigraphiques du IIe siècle ap. J.-C., occupait un territoire qui s’étendait jusqu’au Chareb sur la rive nord du Chott el-Fejaj et avait pour centre l’oasis de Telmine dans le Nefzaoua* actuel.
2Comme l’avait démontré R. Cagnat, c’est bien ce même groupe ethnique qui est cité par Ptolémée (IV, 3, 6) sous le nom de Nugbeni, dans une énumération de tribus à l’est du fleuve Kinups, où il figure entre les Tidamensii et les Nukpii. La déformation des noms par métathèse, courante chez cet auteur, étant ici manifeste, il faut restituer Nubgenii au lieu de Nugbeni. Quant à la position de ces peuples, elle est selon J. Desanges, indiquée beaucoup trop à l’est, ce que prouve « le décrochage oriental des Kinuphii eux-mêmes par rapport au fleuve dont ils portaient le nom ». En fait, les Nukpii pourraient être rapprochés, comme le suggère J. Desanges, de la nuptium natio, c’est-à-dire de la ville de Nepte (Nefta*). Les Tidamensii de leur côté doivent être identifiés comme l’a montré M. Euzennat avec les occupants de la Phazanie antique dont la capitale était Tidamè = Kydamè (Cidamus* = Ghadamès), mais qui s’étendait plus au nord jusqu’au Jebel tunisien actuel, puisque les deux autres « villes » dont fait état Pline (H.N., V, 35) au sujet des Phazaniens étaient Cilliba = Tillibari (Remada) et Alele = Talalati (près de Tataouine). Ainsi, pour autant du moins que les Nybgéniens aient eu effectivement pour voisins ces deux peuples, leur territoire correspondait bien au pays du Nefzaoua*, situé entre la rive orientale du Chott el-Jérid, le Grand Erg et la bordure occidentale du Dahar, revers saharien du Jebel.
3Ptolémée mentionne également à partir de l’Ethiopie et au-delà de la Phazanie, des Nugbênitae qualifiés d'Aethiopes*. Cette apparente duplication d’ethniques pourrait se justifier par les migrations saisonnières des Nybgéniens nomades ou semi-nomades sur leurs parcours sahariens (cf. Еb, XXXIII, « Nomadisme »), Quant au qualificatif, il n’a rien pour surprendre s’agissant de populations présahariennes sans doute largement mélanodermes dans l’antiquité (Camps 1970, p. 35-45). Mais il pourrait se comprendre aussi, dans la vision de l’Afrique de l’époque à laquelle se rapporte le tableau de Ptolémée, comme un moyen pour désigner un groupe ou une fraction occupant une aire géographique – l’Ethiopie – située au-delà de la Gétulie contrôlée par Rome (Pline, V, 30 : J. Desanges, p. 347-348). Dans cette hypothèse, étant établi par ailleurs que l’armée romaine avait commencé à occuper le Nefzaoua entre le règne de Domitien et celui de Trajan (ILAf.655 et 656), les Nybgéniens pouvaient être tenus au début du second siècle pour un peuple vivant à cheval sur ce qui deviendra par la suite le « limes ». Il en sera de même plus tard, dans la même région pour les Arzuges* (cf. J. Desanges, ЕB VI (A284), 1989).
4Les documents épigraphiques relatifs aux Nybgenii ne permettent de circonscrire le territoire de cette ciuitas qu’au nord du Chott, mais avec une grande précision puisqu’il s’agit des bornes de divers types marquant les limites de celui-ci avec les territoires respectifs des deux cités voisines de Tacapae (Gabès) et de Capsa (Gafsa).
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Le nom en abrégé N Y B G se lit sur une borne de centuriation découverte au sud du Jebel es-Stah, à 5 km de l’Henchir Chenah et à 6 km à l’ouest des Biar Belouffa (CIL VIII, 22786 e), appartenant à une série de cippes datés du proconsulat de C. Vibius Marsus, sous le règne de Tibère en 29-30 ap. J.-C. et posés par les arpenteurs de la IIIe légion Auguste. Mais la mention des Nybgéniens qui ne se retrouve pas sur les autres bornes résulte sans doute d’un ajout postérieur : plutôt qu’à cette opération d’arpentage réalisée après la défaite de Tacfarinas* et de ses alliés gétules* (Cinithiens) c’est à une campagne de délimitation territoriale effectuée plus tard entre les ciuitates de la région et réutilisant les mêmes coordonnées topographiques de la forma, qu’il convient de la mettre en relation (Trousset 1978, p. 135).
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La même abréviation N Y B G se reconnaît en effet sur deux inscriptions de même type signalées par le commandant Donau non loin de la borne précédente « au pied du Djebel Stiah qui borde au nord la pointe orientale du chott el-Fedjedj » (CIL VIII, 22787-22788). Publiées par Cagnat et Dessau, elles ont aujourd’hui disparu. Il s’agissait de cippes terminaux posés sur l’ordre de l’empereur Trajan, conformément au plan cadastral envoyé à l’opérateur : secundum formam missam sibi ab eo. Le renseignement figuré plusieurs fois sur ces bornes : term(inus) inter Tac(apitanos) et Nybg(enios) indiquait qu’elles marquaient la limite des territoires ressortissant respectivement des gens de Tacapae et des Nybgenii, dont les noms rappelés au bas et sur les faces opposées des monuments, étaient tournés vers l’est pour les premiers et vers l’ouest pour les seconds (de même sur la borne CIL VIII, 22786 e pour ces derniers).
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C’est encore cette entité tribale dont il est question explicitement sous le nom de ciuitas Nybgeniorum sur deux bornes milliaires (ILAf., 655) découvertes à la même époque à 65 km à l’ouest des jalons précédents au sud du Jebel el-Asker, éléments de la ligne de hauteurs dominant la rive septentrionale des Chotts. Ces témoins appartiennent à la série datée du commandement militaire de L. Minicius Natalis en 105 ap. J.-C. sur la route ouverte entre la cité des Capsitani et celle des Nybgenii. La mention des distances comptées respectivement a capitibus viarum à partir des centres des deux cités, permet de préciser l’emplacement de la démarcation au voisinage du col de l’Asker, non loin des ruines d’un édifice religieux consacré au nom de Trajan par des magistrats portant le titre des suffètes. En contrebas du col, une clausura filtrait le passage en direction de Gafsa et des ouvrages similaires dont le plus important est la muraille de Bir oum Ali à 30 km plus à l’est, se retrouvent à tous les points de franchissement de la même chaîne, matérialisant de la sorte, entre la plaine du Segui au nord et celle du Chareb au sud, la frontière des deux cités.
- 1 La forme réfère certainement à la racine pan-berbère MLL, « blanc, brillant... » (Ndlr).
5Enfin, le report sur la carte de la distance indiquée par les bornes en direction de ce lieu, avait permis à R. Donau et R. Cagnat d’identifier à Telmine, village situé dans le groupe d’oasis du Nefzaoua et où se remarquent nombre de vestiges de monuments antiques, le centre de la ciuitas en question (Trousset 1974, fig. 21). On sait par une inscription signalée par Ch. Tissot (CIL VIII 83) qu’il sera érigé en municipe sous le règne d’Hadrien. Le même centre est connu par l’Itinéraire antonin (éd. O. Cuntz, 74, 3, p. 10), la Notitia dignitatum (éd. O. Seeck, Oc. XXV, 3, 21, p. 174), les listes d’évêchés (A. Mandouze, Prosop. de l’Afrique chrét., Paris, 1982, p. 1020) et l’Anonyme de Ravenne (éd. M. Pinder – G. Parth, p. 145, 4), sous les noms de Turris Tamalleni, Tamallen, Tamalluma et Thamamuleni qui transparaissent dans le nom actuel de Telmine et dont le sens est sans doute éclairé par le terme berbère tamelli, temellé : « couleur blanche, blancheur »1 (V. Loubignac, Dialecte berbère des Zaïan, Paris, 1925 ; Fr. J.-M. Cortade et M. Mammeri, Lexique français-touareg, Paris, 1967, p. 60 s.v. « blanc »). Quant à l’antique turris de l’Itinéraire antonin, son nom s’est conservé dans celui de Torra, quartier de l’oasis de Mannsoura et ancienne capitale du Nefzaoua au Moyen Age (Abu l’Fida, Description des pays du Magreb, trad. Ch. Solvet, Alger 1839, p. 127 ; Trousset 1974, p. 42-43). Plutôt que par une création militaire romaine ex nihilo, le terme pourrait s’expliquer à l’origine par la présence de quelque pyrgos ou borj où les chefs Nybgéniens avaient leur résidence fortifiée et où ils déposaient leur récolte ou leur butin, d’après l’évocation faite par Diodore (Bibl.. hist. III), des Libyens semi-nomades d’une autre région pré-saharienne (cf. F. Chamou, « Les Libyens d’après Diodore de Sicile », B.S.N.A.F., 1980-1981, p. 254-257).
- 2 Inebgi, anebgi ou anegbi (avec métathèse b/g), et ses diverses variantes locales (anbji...) est un (...)
6En évitant de pousser au noir le tableau très hypothétique des relations de ces chefs de tribus avec leurs voisins ou leur khammès des oasis (au risque de tomber dans le vieux cliché du « nomade pillard »), on pourra se demander néanmoins, si leur nom ne résulterait pas d’une manière d’euphémisme berbère, au sujet d« ‘invités » (inebgi/anebgi2) dont la visite n’était pas toujours souhaitée.
7Les autres données concernant les Nybgéniens sont sujettes à révision. Il faut renoncer sans doute à lire leur nom sur une inscription du Jebel Terhendourt à 5 km à l’est de Sidi Guenaou (CIL VIII 11051), en laquelle W. Barthel (B.) 1911, p. 91) avait cru voir un ter(minus) aligné sur le decumanus 65 de la centuriation de C. Vibius Marsus. Vérification faite sur le terrain, en aucun cas cette inscription funéraire ne peut être interprétée comme un jalon de limite de territoire. De même avaient été sollicités abusivement les restes de texte relevés par Donau sur trois fragments de borne trouvés à 6 km au sud-ouest de Bir Soltane, entre Bir Rhezen (Bezereos) et Ksar Tarcine (Donau B.A.C., 1909, p. 38 ; ILAf. 30). Barthel y voyait à tort une autre limite de la ciuitas Nybgeniorum et la preuve d’une nouvelle extension sous Trajan de la centuriation vers le sud. Si l’on reconnaît la formule des bornes de délimitation posées ex auctoritate Traiani, les noms gravés ici laissent entrevoir des communautés différentes : Maba... pourrait être, à titre d’hypothèse, mis en relation avec l’oued el-Mahbas qui vient du Dahar et déverse ses crues dans la Garaet bou Flidja (G. Boris, p. 9) ; les Arzosei avaient été identifiés aux Arzuges et rapprochés par Courtois des actuels berbères Marâzig qui ont pour centre Douz et nomadisent dans la partie sud du Nefzaoua (J. Desanges, 1962, p. 78-80). Les Nybgenii en revanche, occupaient selon toute apparence la partie nord de celui-ci.
8Des limites de parcours fixées au début du siècle dernier près de Bir Soltane pour mettre fin aux disputes entre les Marâzig du Nefzaoua et les Haouaïa du Jebel (Maquart, « Etude sur la tribu des Haouaïa », Rev. Tunis., 30, 1937, p. 254, 288), de même que les commissions arbitrales du Segui entre les tribus de Gafsa et celles de Kebili à propos des terres collectives de labours, éclairent peut-être la logique de ces anciens bornages : entérinant sans doute des règlements coutumiers antérieurs, ils rendaient possible pour chaque communauté la combinaison des trois activités saisonnières sur lesquelles repose aujourd’hui encore l’équilibre de vie des tribus semi-nomades du Sud tunisien (labours et moissons dans les chareb et les segui, nomadisation au Sahara, arboriculture dans les oasis ou le Jebel (B. Sarel-Sternberg, p. 123 ; Trousset Еb, XXXIII, « Nomadisme dans l’antiquité »).
9A basse époque, le nom des Nybgenii est éclipsé par celui des Arzuges qui s’étend alors à toute une zone allant du Jérid à la Tripolitaine jusqu’à Lepcis (Orose, I, 2, 90). La fortune de cet ethnique pourrait être liée comme le suggère J. Desanges à celle de Sahariens qui avaient su garder leur réputation de passeurs ou de guides sur les confins de l’Empire (cf. EB VI, 1989, « Arzuges »).
10→ Voir « Nugbenitae »