1Puissant roi maure qui régnait dans les années 530 sur toute l’ancienne province de Maurétanie Césarienne, soit les deux-tiers de l’Algérie actuelle, ce personnage n’est connu que par deux brefs passages de la Guerre vandale, récit de la reconquête byzantine de l’Afrique composé vers 550 par le Grec Procope de Césarée. Selon ce témoin direct des événements, qui séjourna en Afrique de 533 à 536, Mastinas, peu avant 535, s’était entendu avec le chef des Maures indépendants de l’Aurès, Iaudas, pour évincer Ortaias, le prince souverain de la région située entre leurs deux États, soit le Hodna et une part plus ou moins vaste de l’ancienne Maurétanie Sitifienne (Guerre vandale, II, 13, 19). Mais le débarquement byzantin de 533, qui mit fin à un royaume vandale affaibli et ayant perdu depuis près d’un demi-siècle toute autorité sur ces régions, contraria ses projets. Ortaias s’entendit avec les Grecs et collabora, d’une manière qui ne convainquit guère ses alliés, à leur expédition de 535 dans l’Aurès. Celle-ci échoua, sans que Mastigas se manifeste. En 539, le général byzantin Solomon repartit à l’assaut contre l’Aurès, s’en empara, puis annexa les régions situées à l’ouest du massif, soit le royaume d’Ortaias. Mais il n’alla pas plus loin, et n’entreprit apparemment rien contre Mastigas, qui, à nouveau, ne semble pas avoir aidé son allié Iaudas dans cette guerre, même s’il l’accueillit après sa défaite. Procope, concluant son récit de ces événements de 539, se contente de dire à propos de l’ancienne Maurétanie Césarienne : Là habitait avec ses Maures Mastigas, qui avait pour sujet et tributaire tout le pays sauf la cité de Césarée (Guerre vandale, II, 20, 30-31). Il est fort douteux, comme le laisserait croire l’inscription signalée par Ibn Khaldûn sur un des Djédars, que Solomon ait entrepris, entre 540 et 544 (date de sa mort) une autre campagne dans ces régions. Les Byzantins, outre Caesarea (Cherchell) ne réoccupèrent seulement que d’autres sites côtiers (ainsi Rusguniae, dans la baie d’Alger), avec lesquels les liaisons se firent seulement par mer. Ce simple détail, signalé par Procope (II, 20, 32, à propos de Caesarea), suffit à affirmer que Mastigas était resté un souverain totalement indépendant, et non un vassal de l’Empire : le fait qu’il donna asile à Stotzas, chef des soldats byzantins mutinés contre leur général, en 537, le confirme d’ailleurs implicitement.

2Malgré les efforts de certains historiens pour distinguer derrière le récit de Procope deux personnages (Mastigas, et Mastinas), c’est donc bien sur un seul et puissant roi que ces bribes d’informations jettent un trop furtif éclairage. Malheureusement, on ignore tout ou presque des origines du royaume de Mastigas, comme de celles de l’homme lui-même. Il est cependant fort possible qu’il ait été le successeur direct de Masuna, « rex gent(ium) Maur(orum) et Romanor(um) » attesté sur une inscription de l’ouest algérien, à Altava (Ouled Mimoun), en 508, et qu’il ait appartenu à la dynastie enterrée dans les Djédars. Les dimensions de certains de ces monuments s’accorderaient bien à l’importance d’un État dont l’étendue territoriale était au VI^e siècle comparable à celle de toute l’Afrique byzantine. Les souverains qui les firent construire étaient, au moins pour plusieurs d’entre eux, chrétiens. Procope ne dit rien de la religion de Mastigas, mais nous savons que des communautés chrétiennes demeurèrent en Maurétanie Césarienne au VI^e siècle : On trouve ainsi des inscriptions chrétiennes à Guetna jusqu’en 524, à Albulae (Aïn Temouchent) jusqu’en 544, à Altava jusqu’en 599 et à Pomaria (Tlemcen) jusqu’en 651. Ces Églises furent assurément soumises au pouvoir de Mastigas, et leur existence ne semble guère avoir posé de problèmes. Elles restèrent même en contact avec l’épiscopat de l’Afrique vandale et byzantine, et de l’Italie : au concile de Carthage en 525, malgré « les dures nécessités de la guerre » en Maurétanie, l’évêque Secundinus de Mina (Relizane) représenta tout « le concile de Césarienne » (cf. Ch. Munier éd., Concilia Africae, CCL, t. 149, 1974, p. 260 et p. 271). Et en 646 encore, un concile de Maurétanie se tint, sous la présidence de son primat Reparatus (cf. R. Riedinger éd., Concilium Lateranense a. 649 celebratum, Berlin, 1984, p. 67), dont les positions furent commentées au grand concile de Rome en 649. Il ne faut donc pas voir le royaume de Mastigas comme un territoire coupé du monde, et plongé dans la barbarie et le chaos. Comme Masuna, il unit des Maures et des Romains dans une construction politique originale et indépendante, un véritable État, où il leva des impôts (Procope évoque la levée d’un tribut) et frappa probablement monnaie. Seuls le manque de sources écrites, et l’insuffisance des études archéologiques sur les niveaux d’occupation tardive des sites de l’intérieur de la Maurétanie Césarienne empêchent peut-être de voir en lui un des grands personnages de l’histoire berbère de l’Antiquité.