1L'archéologie québécoise jouit habituellement en France d'a priori favorables, certainement pour deux raisons : la première étant à n'en pas douter que ces maudits Français ont toujours un pincement au cœur quand ils pensent à leurs cousins du Canada, la seconde, plus sérieuse, est peut-être que l'archéologie québécoise a fait découvrir aux Français qu'ils pouvaient faire de l'archéologie moderne et même contemporaine : c'est en partie grâce aux fouilles d'Amérique du Nord qu'on a pu affiner la chronologie des productions de céramiques modernes d'Europe occidentale. C'est donc plein d'un naïf enthousiasme que je me suis chargé de la lecture de ce livre pour en faire la recension.

3Ces chapitres, au nombre de neuf, sont largement illustrés d'une iconographie variée présentant les vestiges et leur restitution, les mobiliers, les sources d'archives et images de l'époque (peintures, gravures, plans ou portraits), mais aussi d'encadrés expliquant des points méthodologiques, présentant des compléments historiques ponctuels ou encore d'histoire des techniques : « Reconstituer l'environnement ancien de l'îlot des palais » [approche paléo-environnementale] ; « La petite faune des magasins du roi » [archéo-entomologie] ; « Interpréter les symboles » [sigillographie] ; « Intendants ayant occupé l'ancienne brasserie ou le premier palais entre 1684 et 1713 » ; « Les garde-magasins ayant travaillé à l'intendance » ; « Pour connaître la fonction de l'herminette » ; « Du bois pour la construction maritime » ; « Des techniques et des métaux variés », pour n'en citer que quelques-uns.

Les premières occupations du site

6Entre le début du XIV^e siècle et le début du XVII^e siècle, le site ne fait l'objet d'aucune nouvelle occupation. La première occupation euro-américaine du site est datée des années 1638-1660 (soit à partir d'une trentaine d'années après la fondation de Québec) et ne semble être caractérisée que par l'installation de quelques habitations.

Les entreprises de Jean Talon

8Les bâtiments associés aux entreprises de Jean Talon sont indiqués sur les plans d'archives reproduits p. 17, 19, 22 et 24 ; la fabrique de potasse a été partiellement fouillée, ce qui n’est pas le cas des fours à chaux. Depuis cette date, l'occupation du site est continue. La brasserie fonctionne de 1668 à 1675 mais ne réussira jamais à être rentable. Les installations de production ont été pour partie retrouvées : germoir, touraille (séchoir pour le maltage du grain germé) et salle de brassage. Les fouilles ont permis de retrouver, avec les vestiges de la brasserie, de nombreux taxons végétaux. Il est évident que les céréales ont été consommées. De fait, les vestiges carpologiques retrouvés correspondent essentiellement aux mauvaises herbes associées. Les auteurs notent que ces dernières sont majoritairement de provenance européenne et il est probable qu'elles aient été mélangées aux céréales importées d'Europe.

9La fabrique de potasse dont le bâtiment était situé à l'est de la brasserie avait deux débouchés économiques : la production de savon d’une part, la production de potasse pour l'industrie verrière locale et européenne d’autre part. Cette fois encore, les résultats ne furent pas à la hauteur de l'investissement. Nicolas Follin, bénéficiaire du privilège de la fabrique depuis 1671, rentre en France en 1674. Le bâtiment devient alors une boulangerie jusqu'en 1709, date à partir de laquelle il « sert de complément aux magasins du roi » (p. 24).

Palais, magasins, entrepôts au XVIII^e siècle

10En 1684, la résidence de l'intendant Jacques de Meules est détruite par un incendie. Il s'installe alors à la brasserie qui est acquise par Louis XIV en 1686 pour en faire le siège officiel de résidence de l'intendant. Le bâtiment, sous l'appellation « palais de l'intendant », connaîtra alors plusieurs phases d'occupation avec des destructions-reconstructions (notamment un important incendie en 1713 qui obligera à la reconstruction du palais) et des évolutions de destination des bâtiments jusqu'à la fin du régime français en 1760. Il sera ainsi question du premier palais de l'intendant (1686-1713), puis du second palais (1713-1760).

11À partir de 1686, la brasserie est transformée en une résidence officielle de l'intendant. Elle accueille en ses murs la salle du conseil souverain, une chapelle, les prisons, les magasins du roi et plusieurs logements. Des annexes sont installées dans la cour.

12Quelques pièces relevant des magasins du roi ont été fouillées. Elles servaient à stocker des produits destinés à l'approvisionnement des troupes et de l'administration ou des marchandises destinées à être vendues pour le compte de la couronne. Ces pièces ont livré du mobilier témoignant de la structure économique de la Nouvelle-France : du matériel en lien avec la recherche minière ou la production de métaux menées par l'administration coloniale tout au long du régime français (jusqu'en 1760), des objets destinés à l'approvisionnement des troupes ou à la traite des fourrures, par exemple de nombreuses pièces de fusils. Celles-ci étaient vraisemblablement produites dans l'est de la France. Comme des parties d'épées, certaines étaient probablement destinées à la vente pour la traite des fourrures (pièces de fusils).

14Le premier palais issu de la brasserie de Jean Talon est aussi lié à la fortification de la ville dans les années 1690, dont la trace a ponctuellement été mise au jour. La découverte des vestiges bien conservés d'une palissade en bois (thuya ou cèdre blanc) en est significative. L'étude de ces vestiges a permis en partie d'établir les courbes dendrochronologiques de référence pour cette partie de l'Amérique du Nord moderne (Querrec 2012). Cette enceinte comprenait au long de son tracé onze petites redoutes en pierre. La fortification, bien qu'encore provisoire, a contribué à résister au siège de William Phips entre le 16 et le 22 octobre 1690. Le premier état du palais de l'intendant est fossilisé à la suite d'un incendie survenu dans la nuit du 5 au 6 janvier 1713.

15De 1713 à 1719, un nouveau palais est construit plus près de la rivière et une partie des ruines de l'ancien bâtiment est réutilisée : on répare les deux tiers du bâtiment qu'on utilise pour les magasins du roi, les prisons de la ville, la boulangerie du palais et les logements afférents. C'est à ce moment qu'est dallée la rue sous le coteau. Elle mène vers le château Saint-Louis, résidence du gouverneur et deviendra la rue Saint-Vallier.

16Au début du XVIII^e siècle, les magasins du roi accueillent les entrepôts et les magasins de la traite des fourrures, contrôlant les marchandises qui entrent et sortent. Les réparations permettent le rajout d'un étage en 1744, mais l'ensemble sera à nouveau détruit en 1760.

Un site industriel et commercial au XIX^e siècle

18En 1759, les Anglais prennent Québec. Entre 1760 et 1845, après la chute du régime français, le site accueille des militaires puis de l'habitat civil. Le second palais est transformé en caserne pour les soldats anglais, puis, en 1775, il sert aux révolutionnaires américains. À ce moment-là, les Anglais étant cantonnés à proximité, le site est bombardé et l'ensemble du quartier incendié. Le palais brûle une nouvelle fois et, à la fin du XVIII^e siècle, le site est en ruine. Il resservira cependant encore d'entrepôt et de zone de stockage, puis les habitats environnants seront rénovés. Diverses activités artisanales ou de petite industrie (tannerie, tabletterie, hangars, commerces...) s'installent.

19Au début du XIX^e siècle, la vocation commerciale et industrielle du site s'affirme. Des entrepôts sont installés, mais de nouveaux incendies éclatent en 1843 et 1845, ravageant à nouveau le quartier. Après l'incendie de 1845, le site s'industrialise à nouveau. La ville réglemente alors la construction en bois et met en place diverses infrastructures (aqueduc, égouts, éclairage). Une fonderie est installée à l'ouest de l'îlot puis, en 1852, s'installe la Brasserie Boswell qui fonctionnera, au gré de l'évolution de l'entreprise (J. K. Boswell & Son, Boswell & Brother, Boswell-Dow …) jusqu'à l'arrêt de la production de Boswell en 1968. Le site est alors converti en entrepôt jusqu'en 1974. Il est fermé et racheté par la ville de Québec. Sont ensuite installés dans les bâtiments de l'îlot le Centre d'initiation à la ville de Québec, une caserne de pompiers (1978-2008) et le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (1993). Sur le site seront réalisées les fouilles (25 campagnes à partir de 1982). De fait, l'archéologie traite pour cette période de vestiges que nous pourrions avoir connus dans notre enfance, les recherches archéologiques ayant débuté sur ce site entre 1970 et 1982.

La vision d'un quartier de Québec dans la longue durée

20L'apport des sciences naturelles est significatif tout au long de l'ouvrage. Si les aspects géomorphologiques sont juste évoqués, l'archéozoologie, l'archéoentomologie et l'archéobotanique sont abordées via des exemples significatifs qui sont exploités sous la forme de focus, extrêmement parlants, illustratifs et permettant une compréhension croisée des vestiges (constitution du sous-sol, structures, mobilier...) jusqu'à attester par exemple la présence des stocks de céréales par les restes d'insectes qui s'en nourrissent. L'étude et la présentation de documents d'archives éclairent l'évolution de l'îlot. Toutes ces données nous renseignent sur les modes de vie et l'installation d'une colonie encore fragilement implantée au XVII^e siècle, ainsi que sur les conditions sanitaires difficiles des quartiers ouvriers entre le milieu du XIX^e siècle et les années 1960 (puces, punaises de lit, infestations parasitaires, p. 131-134). L'archéoentomologie mise en œuvre pour l'ensemble des zones fouillées permet aussi de voir qu’au XVIII^e siècle les occupants des lieux, s'ils bénéficiaient de meilleures conditions d'hygiènes, n'en n'étaient pas moins tributaires de la bonne conservation des céréales (p. 49-51).

21L'ouvrage apporte donc une vision d'un quartier de Québec dans la longue durée. Son évolution témoigne des transformations politiques, sociales et économiques. Il montre comment s'est constituée la mémoire urbaine et industrielle d'une ville en documentant à différentes échelles une évolution non linéaire puisqu'elle est faite d'évènements historiques et de mutations sociales. Cette approche multiscalaire permet aux auteurs d'affirmer qu'« une bonne connaissance de l'histoire des techniques est essentielle pour interpréter les découvertes archéologiques » (p. 164).

22Ouvrage de vulgarisation scientifique largement illustré, il met en avant le patrimoine tant archéologique qu'industriel par l'approche de l'évolution du bâti et du quartier.