1Les bâtiments et les sites de l’ancienne activité industrielle en Italie (mines, usines, centrales électriques, infrastructures de transport, villages ouvriers, etc.) ont tardé, par rapport à d'autres pays, à être perçus comme des témoignages culturels à protéger. Pendant longtemps, la notion de patrimoine a coïncidé avec les grandes expressions architecturales et monumentales des siècles passés. Ce n'est que dans les dernières décennies du siècle dernier que les signes d'une sensibilité croissante en faveur des architectures du travail et des valeurs de la culture industrielle ont commencé à se manifester. Parallèlement, la découverte du potentiel de valorisation de ce patrimoine s’est affirmée. Cette reconnaissance qui n'a pas été immédiate. Elle a nécessité l’émergence d'un regard différent par rapport aux lieux de l'abandon industriel. Avec la désindustrialisation des années 1960, s'ouvre une période de renouvellement urbain, parallèle à ce qui se passe dans d'autres pays. Les installations de production désaffectées sont démolies pour construire de toutes pièces sur les zones redevenues libres. Ce sont les années où le patrimoine industriel a subi les destructions et pertes les plus importantes. À la fin des années 1980, une autre perception des usines abandonnées émerge ; on commence à entrevoir en elles une esthétique et des valeurs qui justifient les investissements nécessaires à leur conservation et à leur réutilisation. De cette manière, des expériences importantes sont également lancées en Italie dans le redéveloppement d'installations industrielles individuelles comme dans la régénération urbaine des quartiers urbains qui ont le plus souffert, en termes de détérioration physique et sociale, en raison des effets de la désindustrialisation.
2Cet article vise à passer en revue les interventions les plus récentes de récupération du patrimoine industriel en Italie, classées selon des approches différenciées en fonction de l'ampleur des changements apportés, suite à la transformation de la construction d'origine (Preite, Maciocco 2021). Les exemples présentés montrent que la frontière entre ce qui doit être conservé et ce qui peut être modifié sans que l'identité originelle de la structure à récupérer en souffre, découle encore excessivement de l'interprétation subjective des architectes qui ont conçu le projet de réemploi.
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3Avant d'illustrer les modalités de réutilisation du patrimoine industriel en Italie, il est nécessaire de répondre aux questions suivantes : à quelle période fait-on référence lorsque l'on parle de « patrimoine industriel » en Italie ? Est-ce un héritage de formation ancienne ou de reconnaissance récente ? En Italie également, est apparue et continue d'exister la controverse qui divise encore les experts du patrimoine industriel entre ceux qui fixent le début temporel du domaine d'étude à l'avènement de la révolution industrielle en Angleterre, c'est-à-dire à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle (Ticcih 2003)1, et ceux qui font plutôt remonter le début de l'objet d'étude aux premiers usages de la roue hydraulique et aux débuts des nouvelles techniques métallurgiques et minières au Moyen Âge (Bergeron, Dorel Ferré 1996)2. En réponse à cette question, on peut dire qu'il y a eu en Italie une phase prolongée de proto-industrialisation, qui a duré du XIe au XVIIIe siècle et au cours de laquelle on ne peut manquer de remarquer d'importants progrès technologiques, une utilisation intensive des sources d'énergie naturelle et des formes d'organisation productive plus avancées que l'atelier artisanal (Cipolla 1995, Poni 2009).
4Il est cependant tout aussi certain que l'industrialisation moderne (caractérisée par une forte utilisation des machines en remplacement du travail manuel, par l'utilisation d'énergies fossiles au lieu d'énergies naturelles, par la décomposition du travail en tâches élémentaires, plutôt que par l'exécution par le travailleur de toutes les étapes du processus de production) s’affirme en Italie avec retard par rapport à d’autres pays européens (Are 1974, Crepax 2002).
5De nombreux et significatifs témoignages subsistent pour démontrer la longue durée de la proto-industrialisation. Par exemple, « Rocca San Silvestro » (fig. 1) est le meilleur exemple des « châteaux miniers » apparus en Toscane entre le Xe et le XIe siècle pour exercer non seulement des fonctions de garnison du pouvoir aristocratique, mais aussi pour mener des activités productives, comme le traitement métallurgique des minerais extraits des régions environnantes. À Rocca San Sivestro, les deux fonctions occupaient des niveaux distincts : à l'étage supérieur, la partie fortifiée, avec la tour de guet ; à l'étage inférieur, les logements des mineurs et les espaces de traitement métallurgique. Abandonnée à la fin du XIVe siècle et tombée en ruine, la Rocca a ensuite été redécouverte et restaurée grâce à une longue campagne de fouilles archéologiques. Elle est devenue l'une des principales attractions du parc archéologique et minier de San Silvestro, inauguré en 1996.
Fig. 1. Rocca San Silvestro (Toscane)
Rocca San Silvestro est un château fort construit autour du Xe siècle, grâce à l'exploitation seigneuriale des riches gisements minéraux des collines de Campiglia Marittima (Sienne). La Rocca est composée de deux étages concentriques. L'étage supérieur constitue la véritable partie fortifiée, avec la tour de guet, tandis que l'étage inférieur est le centre habité des mineurs, avec les maisons, le four, la zone de production et le village ouvrier. Restauré par le Département d'archéologie de l'Université de Sienne, le château représente aujourd’hui un haut lieu du Parco Archeo-minerario de San Silvestro, inauguré en 1995
© Massimo Preite
6Un deuxième cas est celui de « L'Arsenal de Venise » (fig. 2), dont les origines remontent au XIIe siècle. Il atteint l'apogée de son développement au XVe siècle, période au cours de laquelle il représentait certainement le plus grand chantier naval d'Europe (48 hectares de surface et environ 2 000 employés). Grâce à son organisation productive, l’Arsenal a anticipé le concept moderne d'usine et le principe de la chaîne de montage : les ouvriers spécialisés réalisaient successivement les différentes opérations d'assemblage, à partir de pièces standardisées. L’Arsenal abrite aujourd'hui les célèbres biennales d'art et d'architecture.
Fig.2. L’arsenal de Venise
L'Arsenal de Venise, construit en 1104 sur l'initiative du doge Ordelafo Faliero, est devenu au XIVe siècle et XVe siècle le plus grand complexe industriel au monde, par le développement d’un système original de travail quasi à la chaîne où l'infrastructure du bateau en chantier se déplaçait le long d'une ligne de production, sur laquelle les différents composants préfabriqués étaient assemblés. Depuis 1999, une partie des installations de l'Arsenal (Corderie, Artiglierie, Tese Cinquecentesche, Tese delle Vergini) est dévolue à la Biennale de Venise et accueille des expositions d'art contemporain.
© Massimo Preite
7« Forno San Ferdinando », à Follonica, est l'un des premiers fours de fusion de Toscane, né (au milieu du XVIe siècle) à l'instigation de Cosimo II dei Medici afin de doter le Grand-Duché d'une industrie métallurgique moderne. Depuis 2013, il est devenu le siège d'un musée particulièrement innovant - MAGMA - qui, avec des outils interactifs, offre au visiteur une simulation virtuelle minutieuse du processus métallurgique antique.
8L'industrie italienne du XVIIe siècle est bien représentée par le « Filatoio Rosso » de Caraglio (Piémont). Il s’agit d’une des plus anciennes filatures de soie encore conservée en Europe. Construite en 1676, elle resta en activité jusqu'au milieu des années 1930. Depuis 2005, les torsades hydrauliques pour la production du célèbre « organsine piémontais », la plus belle soie produite en Europe dans les années 1700, sont exposées à l'intérieur.
9Enfin, il reste à mentionner la « Real Colonia San Leucio » à Caserte (Campanie), créée en 1778 pour le développement de l'industrie de la soie et devenue World Heritage Site de l'Unesco en 1997. Le roi Ferdinand IV de Bourbon a conçu une ville de plan circulaire, avec un carré au centre pour un nouveau siège royal. Elle aurait dû être appelée Ferdinandopoli. Aux ouvriers de la soie étaient attribuées des maisons à l'intérieur de la colonie, équipées d'eau courante et d'installations sanitaires. L'usine d'origine, dans le palais du Belvédère, est aujourd'hui le siège du « musée de la Soie » où sont conservés les anciens métiers à tisser pour le traitement de la fibre.
10Les exemples illustrés démontrent plus particulièrement que les mines, la métallurgie, la construction navale et le textile ont toujours été des points forts de l'économie nationale. Malgré cela, il est indéniable que l'industrie moderne est apparue tardivement par rapport à d’autres pays européens. De nombreuses grandes entreprises nationales ne sont nées qu’à la fin du XIXe siècle (Fiat 1899, Ansaldo 1853, Breda 1896, Montecatini 1888, Edison 1884, Pirelli 1872, Marelli 1891, etc.). Le patrimoine industriel italien est donc un patrimoine qui a un peu plus d'un siècle d’existence. Et, pour rajouter du retard au retard, c'est un patrimoine qui n'a commencé à être reconnu comme tel et à être valorisé que depuis les années 1990. S'il est indéniable que, quantitativement, le patrimoine préservé n'est pas comparable à celui des pays européens d'industrialisation plus précoce (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, etc.), on ne peut nier qu'il existe un terrain sur lequel les expériences italiennes peuvent se comparer avec les meilleures expériences européennes de reconversion et de valorisation de sites industriels : celui de la qualité architecturale des interventions de valorisation. C'est à partir de cette conviction qu’on a envisagé une sélection des meilleurs exemples de l'architecture italienne contemporaine dans la reconversion d'espaces industriels abandonnés. Au cours des 30 dernières années, les initiatives visant à transformer d'anciennes usines en centres d'innovation, musées, universités, centres d'exposition, bibliothèques et autres activités publiques et privées se sont multipliées. Des expériences multiples de récupération de sites et usines industriels abandonnés, il est possible de tirer au moins trois enseignements fondamentaux qui seront illustrés plus en détail dans les paragraphes suivants.
11À y regarder de plus près, les installations industrielles récupérées ne font pas toujours ressortir une valeur patrimoniale marquée ; au contraire, bon nombre des usines reconverties étaient des établissements tout à fait ordinaires qui, dès que leur activité a cessé, sont devenus attrayants en raison de leur situation urbaine, d'un faible prix du foncier et, surtout, de la grande flexibilité de leur espace intérieur. Ce sont ces prérequis qui ont justifié des décisions d'investissement (pour l'acquisition et la conversion du bien) dictées davantage par la rentabilité économique que par un engagement en vue de préserver la valeur historico-documentaire du bâtiment industriel désaffecté.
12Les expériences qui ont montré comment une transformation peut s'opérer en préservant les éléments essentiels d'une architecture industrielle sont nombreuses et témoignent de l'aptitude des usines désaffectées à être converties en une grande variété de fonctions. On trouve des exemples de cette extraordinaire capacité d'adaptation dans presque tous les secteurs industriels :
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Les grandes cathédrales laissées vides à la suite de la fermeture du raffinage du sucre ont été transformées en nouveaux temples de la culture : la sucrerie de Parme a été modifiée par Renzo Piano pour devenir un nouvel auditorium, celle de Classe (Ravenne) un nouveau musée archéologique. Celle de Rovigo est désormais un centre d'exposition pendant celle de Ferrare accueillait un campus universitaire.
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D'anciennes filatures et usines de coton (bâtiments à plusieurs étages avec un développement linéaire, des murs en maçonnerie et des colonnes en fonte à l'intérieur) ont été réutilisées comme nouveaux centres muséaux (Museo del Giocattolo à Cormano, Museo del Tessuto à Prato, Museo dell'Arte della Lana à Stia, etc.) ;
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D'anciens entrepôts industriels de la mécanique et de la métallurgie sont devenus le siège de pôles d'innovation technologique (Brin 69 à Naples, Innovation Park à Reggio Emilia, Forgiatura à Milan, NOI Techpark à Bolzano), des sièges de créateurs de mode de renommée mondiale (Gucci Hub, Fendi HQ, Zegna HQ) ou des centres d'enseignement supérieur (Mirafiori Design Center à Turin, Golinelli Foundation à Bologne).
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D'anciennes industries de production de boissons ont été l'occasion de réaménagements du patrimoine industriel parmi les plus célèbres d'Italie : le siège historique de l'usine Campari a été transformé en Galleria Campari (une exposition sur les formes de communication que l'entreprise a développées avec l'aide des principaux protagonistes de l'avant-garde artistique en Italie) ; l'usine Peroni a été transformée en Musée d'art contemporain de Rome (conçu par Odile Odecq) ; une ancienne distillerie est devenue le prestigieux siège de la Fondazione Prada, un important promoteur d'expositions internationales d'art contemporain.
13Il est légitime de se demander quelles ont été les raisons du succès indéniable des interventions en vue d’une réutilisation d’un patrimoine industriel renvoyant à des bâtiments de production ordinaires, sans valeur monumentale marquée.
14À y regarder de plus près, la majorité des sites de production désaffectés obéit à des critères de linéarité (les filatures de coton, les grandes cathédrales du raffinage du sucre) et de séries structurelles (les hangars de l'industrie mécanique) : qu'il s'agisse de l'intervalle constant des fenêtres extérieures et des colonnes en fonte d'une ancienne filature de coton, de la succession régulière des piliers qui délimitent l'espace intérieur des grands hangars de l'industrie mécanique ou de la séquence ordonnée des baies qui, avec leur profil en dents de scie, sont devenues un élément caractéristique de nombreux paysages industriels, toutes les typologies que nous venons de considérer obéissent à un principe d'ordonnancement commun, celui d'un espace généré par la répétition d'un même module.
15Sur la base de ces prémices, les organismes industriels peuvent être considérés comme les héritiers d'une autre catégorie de bâtiments fondée sur des principes similaires de modularité sérielle, et qui a favorisé l'évolution des villes italiennes vers une condition plus moderne. Les complexes conventuels, en raison de la sérialité de leur organisation spatiale, se sont avérés être, une fois que leur fonction monastique a cessé d'exister, un cadre adapté à l’accueil des fonctions urbaines de la ville moderne, qui reposent davantage sur la répétition cellulaire d'un module élémentaire (comme les écoles, les hôpitaux, les prisons, les universités, les bureaux administratifs, les bibliothèques, etc.). La « forme conventuelle », en raison de sa grande flexibilité, est devenue une matrice réutilisable pour une infinité d'usages autres que ceux d’origine. Un rôle similaire est joué aujourd'hui par le patrimoine industriel : ses multiples reconversions révèlent une adaptabilité et une flexibilité qui ne sont certainement pas moindres que celles dont ont fait preuve les structures monastiques.
16Mais le patrimoine industriel italien compte aussi de nombreux exemples de grande valeur architecturale et monumentale. Le village ouvrier de Crespi d'Adda et sa magnifique Centrale Hydroélectrique Taccani à Trezzo sull'Adda (MI), les Officine Grandi Riparazioni (OGR) et l'usine Fiat-Lingotto à Turin, les usines Olivetti à Ivrea (architectes Figini, Pollini et autres), les villes industrielles de Carbonia et Torviscosa, la Cartiera Burgo, à Mantoue (conçue par Pier Luigi Nervi, 1961-63), sont autant d'exemples d’un patrimoine industriel exceptionnel, à aborder avec prudence avant toute forme d'intervention. Mais, comme nous l'avons déjà noté dans le paragraphe précédent, une grande partie du patrimoine industriel italien est également composée d'usines et de bâtiments de valeur ordinaire qui méritent d'être préservés davantage pour leur intérêt historico-documentaire que pour leur valeur esthétique et architecturale.
17De cette diversité du patrimoine industriel par rapport au patrimoine architectural traditionnel découle la deuxième leçon : à l'exception d'un nombre limité de cas caractérisés par une valeur technique et architecturale importante, la protection des bâtiments industriels n'exige pas systématiquement une restauration rigoureuse. Il semble souvent plus légitime de procéder à une réadaptation fonctionnelle judicieuse des bâtiments qui, sans porter atteinte aux caractéristiques fondamentales d'intégrité et d'authenticité de l'œuvre, est en mesure de compenser, par de nouvelles activités, les coûts de transformation et d'entretien futur du bâtiment.
18Dans la littérature spécialisée, la pratique de la conservation par la réutilisation a pris des noms différents : en Italie, on parle de « conservation active » et dans les pays anglo-saxons de « réutilisation adaptative » (adaptive reuse). Il s’agit d’approches distinctes en vue de définir une philosophie d'intervention dans laquelle convergent toutefois plusieurs stratégies, qui se distinguent par un dosage différent entre conservation et transformation. La gamme d'alternatives possibles varie de la préservation maximale, lorsque la forme, les matériaux et les systèmes de construction d'une ancienne structure industrielle restent inchangés, à des interventions de transformation de plus en plus envahissantes, impliquant le remplacement des matériaux, des variations internes de la structure du bâtiment, des agrandissements volumétriques, jusqu'à l'ajout de nouvelles formes architecturales.
19Dans la suite de cet article (qui constitue un résumé d'une recherche plus large en cours), quelques exemples de réutilisation du patrimoine industriel seront présentés, en se référant à quatre catégories distinctes d'intervention, présentées par ordre décroissant de protection, de la restauration à la rénovation de plus en plus envahissante des caractéristiques structurelles et formelles des bâtiments industriels réhabilités (Preite, Maciocco 2021).
20La première catégorie comprend les interventions dans lesquelles la préservation de l'artefact architectural « tel qu'il était » est une priorité ; dans ce cas, les projets correspondaient à des solutions qui respectent pleinement la morphologie volumétrique du bâtiment, les matériaux et les systèmes de construction d'origine, en limitant les transformations et les remplacements au strict minimum. Parmi les interventions qui peuvent être attribuées à la catégorie de la meilleure restauration architecturale, la transformation de l'ancienne boulangerie militaire Santa Marta (Vérone) en un nouveau campus universitaire (Massimo Carmassi 2015) figure en bonne place. Elle est le résultat d'un engagement à préserver tous les éléments matériels et structurels qui se sont succédé dans le temps de manière à rendre lisible, à travers leur stratification, l'évolution qui a conduit la structure à être ce qu'elle est aujourd'hui (fig. 3).
Fig.3. Boulangerie Santa Marta (Vérone)
Architecture de style néo-médiéval, construite en 1863-65, elle représente un exemple unique dans l'architecture militaire des Habsbourg. En 2015, le bâtiment a été réaffecté comme nouveau siège de l’Université de Vérone, sur la base d’un projet conçu par l'architecte Massimo Carmassi.
© Mario Ciampi
21La transformation de l'ancienne filature « cimatoria Campolmi » de Prato en Bibliothèque et Musée du Textile, en revanche, est le résultat de l'utilisation combinée des différentes méthodes de restauration appliquées aux structures d'époques successives : de la méthode la plus traditionnelle pour les structures porteuses en maçonnerie et les toitures des parties les plus anciennes du bâtiment, à la plus innovante pour le réaménagement de la voûte parabolique en béton de la salle de lecture.
22Cette catégorie comprend des interventions dans lesquelles, tout en laissant inchangés le contour et le volume du bâtiment industriel, le revêtement extérieur a été remplacé par des matériaux différents de ceux d'origine, presque dans l'intention de faire porter à la structure une nouvelle robe. Dans certains cas, ce remplacement a été entrepris dans le but de dématérialiser l'enveloppe du bâtiment, afin d'en améliorer la transparence. La réutilisation de l'ancienne raffinerie de sucre Eridania à Parme dans l'auditorium Niccolò Paganini (conçu par Renzo Piano en 1999 et inauguré en 2001) en est un exemple (fig. 4).
Fig. 4. Sucrerie, construite par Eridania à Parme en 1899
Elle a été transformée en 2001 en Auditorium Paganini, sur un projet de l'architecte Renzo Piano. De la structure d'origine, les murs longitudinaux, d'environ 80 m de long, ont été conservés et restaurés, ainsi que le volume, tandis que les murs transversaux ont été démolis et remplacés par des fenêtres pleine hauteur, obtenant un environnement unique avec d'excellentes performances acoustiques.
© Paganini Congressi
23Préservant la volumétrie originale du bâtiment, les murs longitudinaux, d'environ 80 mètres de long, ont été restaurés, tandis que les murs d'extrémité ont été démolis et remplacés par de grandes fenêtres offrant aux spectateurs présents à l'intérieur une relation visuelle directe avec le paysage environnant. Dans un même souci de transparence, le projet de reconversion de l'ancienne usine métallurgique Mecfond de Naples en un nouveau pôle technologique, nommé BRIN 69, a été mis en œuvre (fig. 5). L'abolition des barrières visuelles entre l'extérieur et l'intérieur favorise une relation plus directe des nouvelles fonctions avec les banlieues napolitaines environnantes.
Fig. 5. Vue du jardin suspendu créé à l'intérieur du bâtiment industriel Mecfond
Ce bâtiment, construit vers 1900 à Naples, a été transformé en 2012 en BRIN 69, une nouvelle pépinière d'entreprises, conçue par Vulcanica Architettura.
© Archivio Vulcanica
24Dans certains cas cependant, le remplacement du revêtement a conduit au résultat inverse de la transparence, à savoir l'obscurcissement. La transformation des anciens séchoirs de tabac de Città di Castello (Ombrie) en siège de la Fondazione Alberto Burri en est un exemple (fig. 6). Dans les pavillons complètement obscurs, éclairés en permanence par une lumière artificielle, une exposition des grands cycles picturaux de l'un des protagonistes majeurs de la « materic art » a été mise en place. Le Hangar Bicocca en est un autre exemple. Ce site industriel d'Ansaldo-Breda, racheté ensuite par Pirelli, a été reconverti en 2012 comme centre international d'art contemporain pour organiser des expositions « site specific », c'est-à-dire des installations artistiques spécifiquement conçues pour l'espace du Hangar. L'installation permanente des « Sept palais célestes » d'Anselm Kiefer dans un grand espace scellé à l'extérieur par une coque métallique de couleur argentée et peint en bleu foncé à l'intérieur correspond à cette logique.
Fig. 6 Les anciens séchoirs à tabac de Città di Castello (Ombrie)
Construits entre la fin des années 50 et le milieu des années 60 du XXe siècle par la Fattoria Autonoma Tabacchi pour sécher le tabac tropical produit dans la Haute Vallée du Tibre, ils ont été transformés en 1990 en « Fondazione Burri », lieu d'exposition des cycles en grand format réalisé par Alberto Burri entre 1974 et 1993. La nouvelle destination a permis de sauver les structures architecturales d'une destruction certaine, un exemple intéressant du génie industriel du XXe siècle.
© Massimo Preite
25Dans les projets relevant de cette catégorie d'intervention, la forme extérieure du bâtiment industriel récupéré est restée inchangée, tandis que la structure de l'espace intérieur a été considérablement modifiée par l'insertion de nouveaux corps architecturaux. Cette pratique, de plus en plus répandue en Italie et à l'étranger, s'applique aux grands entrepôts de l'industrie mécanique et métallurgique où les grandes dimensions (adaptées aux activités de productions nécessitant de grandes machines et beaucoup d'espace pour la dispersion de la chaleur vers le haut) se seraient révélées hors de proportion par rapport à la taille des nouvelles activités à insérer. La solution a consisté à apprivoiser ces espaces illimités par une répartition de la surface interne afin de créer des volumes bâtis plus proportionnés et un nouveau réseau de cheminement, obtenant ainsi une mini structure urbaine composée de nouvelles architectures (boxes in the box) à l'intérieur du bâtiment à récupérer (conçu comme une boîte plus grande). La « boîte dans la boîte » (boxes in the box) désigne cette nouvelle approche (Reichen 2015).
26La reconversion de l'ancienne fonderie SABIEM en une cité de la culture et des sciences, ouverte en octobre 2015 à l'initiative de la « Fondation Golinelli », en est un premier exemple. Dans le grand volume de cette fonderie, un nouvel organisme « urbain » a été créé, divisé en 6 modules distincts : dans les nouveaux bâtiments, entrecoupés de places et de rues, s’organisent les activités éducatives prévues par la Fondation.
27Le deuxième exemple est celui des hangars 19 et 18 des « Officine Meccaniche Reggiane » à Reggio Emilia. Dans les deux cas, une nouvelle architecture a été insérée à l'intérieur pour la réalisation d'activités dans les domaines de l'éducation et de la recherche. Le Hangar 19 abrite le Technopole où sont concentrées les activités de recherche, d'enseignement supérieur et d'innovation technologique ; les nouvelles « boîtes » destinées à abriter ces activités sont alignées le long d'un parcours surplombé par les terrasses des étages supérieurs (fig. 7). Dans le Hangar 18, en revanche, destiné à devenir le nouveau Parc de l'innovation, une structure urbaine complexe a été créée avec une voie urbaine centrale le long de laquelle les nouveaux volumes des bâtiments alternent avec de véritables carrés urbains qui bénéficient de la lumière naturelle. Celle-ci rayonne à partir de quelques grandes ouvertures dans la toiture.
Fig. 7. Officine Meccaniche Reggiane (Ateliers Mécaniques), Reggio Emilia (Émilie Romagne)
Construits en 1904, ils faisaient partie d’une industrie italienne fondée au début du XXe siècle pour la production de trains et d'obus d'artillerie, et devenue célèbre à la fin des années 1930 pour la production d’avions de chasse. En 2013, les “Officine” ont été transformés en “Tecnopolo Reggiane” pour l’innovation technologique, d’après un projet de l’architecte Andrea Oliva.
© Massimo Preite
28Il reste à considérer une dernière catégorie de reconversion qui, au lieu de concerner des bâtiments uniques, s’oriente vers la récupération de sites industriels plus complexes, composés d'une pluralité d'usines, entrepôts, équipements, etc. Dans ces projets, plusieurs méthodes d'intervention s'hybrident : la restauration et la rénovation de parties du bâtiment existant, la démolition de parties moins importantes et la construction de nouvelles architectures.
29Un premier exemple est le nouveau siège de Gucci Hub, installé dans l'ancienne usine d'aviation Caproni, construite en 1915. Le nouveau complexe est le résultat d'une intervention mixte de conservation et de nouvelle construction (fig. 8). En fait, les anciens hangars en briques rouges ont été préservés, en conservant la construction originale et notamment les toits en sheds. Au centre du complexe, en revanche, un nouveau bâtiment de six étages a été inséré, destiné à accueillir des bureaux, des salles d'exposition et d'autres locaux.
Fig. 8. Ancienne usine aéronautique Caproni (Milan)
Bâtie à Milan en 1915, elle a ensuite été récupérée en 2016 en tant que Gucci Headquarters, d’après un projet conçu par Studio Piuarch. L'usine aéronautique a été complétement restructurée et agrandie grâce à l'insertion de nouveaux volumes contrastés. La succession de baies avec sheds et façades en briques contraste avec un nouveau volume vitré haut de six étages aux façades dessinées par un système de brise soleil. À l'intérieur se trouvent les espaces destinés aux défilés de mode et aux événements, mais aussi des bureaux, des showrooms et des buvettes.
© Giovanni Hanninen
30Un autre exemple de patrimoine industriel réutilisé par de grands stylistes concerne la transformation d'une ancienne distillerie milanaise comme nouveau siège de la Fondazione Prada (conçue par Rem Koohlass, 2015-2018). Ce complexe réunit sept bâtiments existants (entrepôts, ateliers et silos) et trois nouvelles structures : un espace d'exposition pour les expositions temporaires, un espace multifonctionnel et un bâtiment-tour de 60 mètres de haut (fig. 9).
Fig. 9. Ancienne “Distilleria Italiana Spiriti” (Distillerie Italienne de Spiritueux), Milan
Réalisée en 1920 à Milan, elle est devenue depuis 2015 un nouvel espace d’exposition, nommé Fondazione Prada, d’après un projet de OMA Rem Koolhaas et Chris van Dujin qui a prévu d’ajouter sept nouvelles architectures aux trois bâtiments préexistants. La Fondation Prada est une institution culturelle dédiée à la réalisation de projets dans les domaines de l'art contemporain, du cinéma, de la photographie, de la philosophie, de la danse et de l'architecture.
© Massimo Preite
31Enfin, il convient de mentionner la restauration d'Alumix, une grande usine de production d'aluminium érigée pendant la période fasciste et inspirée par le rationalisme monumental de l'époque. En 2017, ce complexe a été transformé en un nouveau parc technologique appelé « NOI (Nature Of Innovation) Techpark » à partir d’un projet qui a habilement combiné la conversion des bâtiments industriels existants avec la construction de nouvelles structures architecturales (fig. 10). Parmi les éléments précieux du patrimoine préservé, la tour piézométrique et deux anciennes usines de transformation de l'énergie se distinguent : la première abrite une pépinière d'entreprises, la seconde des laboratoires de recherche. Lors de la construction du nouveau bâtiment (Monolithe noir), directement relié à l'Incubateur, toute tentation d'imiter l'architecture existante a été évitée.
Fig. 10 Alumix à Bolzano (Tyrol du Sud)
Alumix est une usine de production d'aluminium, réalisé à Bolzano pendant le fascisme entre 1936 et 1939/40. Le système planimétrique est caractérisé par quatre petits bâtiments, un château d'eau, et par deux bâtiments plus grands qui abritaient les transformateurs électriques utilisés pour les fours de fusion de l'aluminium ("Bolzano 1" et "Bolzano 2"). Les deux bâtiments, d'une qualité architecturale indéniable, sont un exemple du beau rationalisme italien, soucieux des enseignements du Bauhaus et de la recherche fonctionnaliste allemande. Le complexe a été réadaptée en 2017 pour devenir un nouveau parc technologique, nommé NOI (Nature Of Innovation) TECHPARK. Il abrite des instituts de recherche, des laboratoires scientifiques, des entreprises et start-ups, toutes engagées dans des activités de recherche et développement.
© Alessandra Chemollo
32Si l'on jette un regard critique sur les expériences de restauration du patrimoine industriel italien évoquées ci-dessus, on ne peut que constater un fossé évident entre la théorie et la pratique, entre les principes auxquels les interventions devraient se conformer et les pratiques de conception menées parfois avec une extrême nonchalance. Au moins trois recommandations avaient clairement émergé du débat au cours de ces dernières années à propos de l’approche en vue de conserver et de restaurer le patrimoine industriel :
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Que toute proposition de réaménagement soit précédée d'une étude historique approfondie des anciens bâtiments industriels afin de bien comprendre, non seulement leurs caractéristiques structurelles, mais aussi les processus de production qui ont eu lieu à leur intérieur ;
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Que les projets de récupération soient conçus de manière à préserver la lisibilité de l'identité historique et fonctionnelle des bâtiments industriels à récupérer, malgré les adaptations nécessaires pour accueillir les nouvelles fonctions ;
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Que les nouvelles architectures s'inspirent des conditions contextuelles et des caractéristiques morphologiques et dimensionnelles du tissu bâti environnant, sans tomber dans des formes de mimétisme stérile.
33Face à ces principes, force est de constater que nombre des interventions illustrées ci-dessus s'en écartent, même sensiblement. Les projets élaborés n'ont pas toujours été en mesure d'identifier les relations de continuité à établir entre les structures préexistantes et les nouvelles, ni de sélectionner dans les premières les éléments les plus significatifs qui auraient mérité un plus grand effort d'intégration (formelle, matérielle et/ou structurelle) entre l'ancien et le nouveau. Pour être plus précis, plutôt que l'incapacité à saisir les aspects contextuels qui sont si fondamentaux dans la culture du patrimoine industriel, certains projets peuvent être tenus responsables d’avoir poursuivi un agenda différent et radicalement indépendant des valeurs de « mémoire » sur lesquelles se fonde la philosophie de la conservation des sites industriels. Souvent, il ne reste pratiquement rien du récit lié à l'activité de production antérieure ; il est remplacé par un nouveau propos, célébrant l'entreprise qui a réadapté les anciens espaces industriels dans le dessein de promouvoir ses motivations commerciales et asseoir son image.
34Dans de trop nombreux cas, malgré les déclarations des concepteurs d'avoir agi en conformité avec les principes de la Charte de Venise (préservation des structures originales, rejet de tout mimétisme, distinction nette entre le préexistant et les nouveaux éléments ajoutés), le fil de la mémoire est interrompu, les valeurs d'authenticité sont réduites à un simulacre et le site/bâtiment « hybridé » ne représente dans sa nouvelle configuration qu'une métaphore fanée de son état original. Dans d'autres cas, l'intention transgressive du concepteur est plus que manifeste : dans son projet pour la nouvelle Fondazione Prada, Rem Koolhass a décidé de « placer en état d'interaction permanente » des éléments nouveaux et anciens, comme s'il s'agissait de « fragments incapables de se composer en une seule image », théorisant que de cette disharmonie délibérée entre les nouveaux bâtiments et les structures préexistantes peuvent naître d'infinies possibilités de création artistique (Fondation Prada 2021).
35Le troisième enseignement concerne la nécessité d'une vue d'ensemble des interventions effectuées, si l'on veut en saisir les conséquences urbanistiques. Ce n'est que l'effet combiné d'une multiplicité d'interventions qui rend mesurable le rôle du patrimoine industriel dans les processus de régénération de la ville contemporaine. À cette fin, nous examinerons les modalités de récupération du patrimoine industriel dans un certain nombre de villes italiennes telles que Turin, Venise, Milan et Rome. La réutilisation d'espaces désaffectés, bien que réalisée par le biais d'interventions distinctes, s'est traduite, dans ses effets combinés, par une véritable force systémique capable de promouvoir la renaissance de parties considérables des anciens quartiers industriels (Preite, Maciocco 2021).
36La première ville à examiner est Turin, où la reconversion de l'usine Fiat du Lingotto a symboliquement marqué le début de la réutilisation du patrimoine industriel en Italie, avec la transformation d'une première section de l'établissement en un nouvel auditorium (1993). Au cours de ces années marquées par la transformation du Lingotto, un nouveau plan d'urbanisme pour la ville (conçu par Vittorio Gregotti et Augusto Cagnardi) a été approuvé. Il prévoyait la démolition de tous les bâtiments industriels préexistants et leur remplacement par de nouveaux. Contrairement à ces prévisions urbanistiques, le succès de l'opération du Lingotto a, au contraire, apporté la preuve que le patrimoine manufacturier désaffecté, loin d'être un obstacle, peut représenter un levier efficace pour assurer la régénération de l'ancienne ville industrielle et devenir une icône architecturale très attractive. L'adaptabilité de la structure en vue d’accueillir une grande variété de nouvelles fonctions (un centre d'exposition, un centre de conférence, deux hôtels, un centre commercial, l'université d'ingénierie automobile, etc.) a fourni la démonstration la plus convaincante de l'aptitude des bâtiments industriels à assumer de nouveaux rôles dans la ville contemporaine. Surfant sur la vague de ce succès, le sauvetage in extremis d'un certain nombre de structures industrielles condamnées par le plan d'urbanisme a pu être entrepris. Après quelques essais prometteurs de réutilisation temporaire, les Officine Grandi Riparazioni (OGR, fig. 11) ont finalement été reconvertis dans un nouveau « District de créativité et d'innovation » (2017). Un autre cas, non moins emblématique, est celui des zones occupées par les anciennes forges de Fiat (Ferriere Vitali) transformées en Parco Dora. Dans ce cas, les bâtiments industriels préexistants ont été admirablement intégrés dans un nouvel aménagement paysager conçu par l'architecte Peter Latz (2012).
Fig. 11. OGR Officine Grandi Riparazioni (Grands Ateliers de Réparation de locomotives), Turin
Construits à Turin en 1885-1889, ils ont été transformés en 2017 en un nouveau centre d'exposition, nommé « District de la Créativité et de l'Innovation », sur la base d'un projet de Boffa Petrone & Partners.
© Massimo Preite
37Le deuxième exemple est celui de Venise, ville touristique par excellence dans l'imaginaire collectif mondial, mais qui, dans un passé récent, après l'unification nationale, était aussi l'une des plus importantes villes industrialisées d'Italie. Les nombreuses activités manufacturières qui se sont installées le long des bords de la lagune ont enrichi la ville lagunaire d'un patrimoine de bâtiments industriels impressionnants. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, avec la fermeture progressive des usines, le rôle industriel de Venise a pris fin, posant le problème de la réutilisation du patrimoine désaffecté. Si l'on doit porter un jugement sur les reconversions effectuées, on ne peut nier que, dans certains cas, les interventions réalisées ne semblent pas les plus appropriées aux caractéristiques originales des anciens bâtiments de production. Il est cependant indéniable que nombre des nouvelles fonctions attribuées (la citadelle de la justice dans l'ancienne usine de tabac, les nouveaux instituts universitaires dans l'ancienne filature de coton de Santa Marta et l'ancien abattoir de S. Giobbe, les nouveaux espaces d'exposition dans l'Arsenal et dans les anciens entrepôts de sel (Magazzini del sale), les nouvelles installations résidentielles et d'hébergement dans les anciennes usines Dreher, Junghans et Molino Stucky, fig. 12) ont permis à la ville lagunaire de ne pas être circonscrite au stéréotype touristique et d'accroître, au contraire, son profil d’ensemble urbain diversifié.
Fig. 12. Molino Stucky, Venise
La conception de Molino Stucky, construit à Venise entre 1884 et 1895 à l'initiative de Giovanni Stucky, a été confiée à l'architecte Ernst Wullekopf, qui a créé l'un des plus grands exemples d'architecture néo-gothique appliquée à un bâtiment industriel. Depuis 2003, l'usine est destinée à un complexe immobilier équipé d'une "résidence", d'un centre de congrès et d'un hôtel capable de 379 chambres, d'un restaurant panoramique et d'une piscine, d'une salle de conférence de deux mille places.
© Massimo Preite
38Le quartier de Tortona (Milan) représente aujourd'hui l'un des exemples les plus célèbres de la régénération de l'ancienne ville industrielle. Certaines des industries les plus importantes de Milan, dont l'usine électromécanique Ansaldo, se sont installées dans cette zone au début du XXe siècle.
39Immense bâtiment construit tout au long du périmètre d’un grand ilot urbain, il a été acheté après avoir été désaffecté par la ville de Milan. En 1999, un concours international d'architecture a été lancé pour sa reconversion en activités culturelles et muséales. L'architecte David Chipperfield, lauréat du concours, a ainsi élaboré le plan d'un nouveau bâtiment de forme libre pour accueillir le Museo delle Culture (Mudec, 2015). Les autres bâtiments restaurés ont été utilisés pour les ateliers du Teatro della Scala et le nouveau centre culturel « Base ». La régénération de ce quartier industriel milanais n'est pas seulement le résultat d'une initiative publique. Au début du nouveau millénaire, des grandes maisons de couture ont commencé à acheter des usines et des ateliers désaffectées pour agrandir leurs sièges sociaux (Headquarters) et leurs showrooms. Se développent ainsi les initiatives d'Armani pour construire son showroom Armani/Silos dans l'ancienne usine Nestlé de Via Borgognone (fig. 13), ou d'Ermenegildo Zegna et de Fendi pour installer leur HQ dans l'ancienne aciérie de Riva Calzoni. Aujourd'hui, Distretto Tortona représente l'un des pôles les plus attrayants et les plus dynamiques de la région métropolitaine milanaise et la démonstration la plus efficace de la façon dont des bâtiments industriels désaffectés peuvent se révéler des lieux parfaits pour des activités culturelles, des entreprises innovantes et des start-ups dans les secteurs créatifs de la mode et du design.
Fig. 13 Silos Armani, Milan
Grenier à grains, construit en 1950 à Milan, et transformé en 2015 en Silos Armani, espace d’exposition. Le projet s'est développé à partir d'une idée d'Armani lui-même qui a également suivi le projet.
© Massimo Preite
40Si les usines de Turin, réutilisées à la suite du grand succès du Lingotto, sont un exemple de redéveloppement de parties de la ville industrielle contre les prévisions du plan d'urbanisme qui aurait voulu les liquider, si Distretto Tortona est un exemple de régénération qui a eu lieu spontanément, à l'initiative d'opérateurs individuels qui ont procédé de manière autonome par rapport à la planification urbaine, le réaménagement de l'ancien quartier industriel de Testaccio-Ostiense à Rome constitue, en revanche, la démonstration que la récupération d'équipements et d'installations à l’abandon, au lieu d'être mise en œuvre par des interventions individuelles et déconnectées, peut se faire de manière coordonnée, dans le cadre d'un plan directeur couvrant toute la zone concernée par la transformation.
41Créés en 1907 sur les marges de la Via Ostiense, tous les équipements et les installations typiques de la ville industrielle moderne sont venus s'installer dans le nouveau quartier du Testaccio : deux centrales pour la production d'énergie électrique (la centrale de S. Paolo de la Società Anglo Romana et la centrale municipale de Montemartini de 1912), le Foro Boario - Marché au bétail (1888-1891) - et l'Abattoir (1888-1890), les Marchés généraux (1910-1922), les Entrepôts généraux (1900-1912), le gazomètre (1937).
42Avec la cessation des activités au cours des années 1970, un processus de récupération des usines désaffectées a commencé. La première étape a concerné la transformation de la centrale électrique Montemartini en un espace d'exposition pour la section archéologique des Musées du Capitole. Les réaménagements ultérieurs ont trouvé un cadre efficace dans le projet urbain « Ostiense Marconi » élaboré par l'administration capitoline (1999-2000) pour récupérer les équipements et les infrastructures avec l'insertion de fonctions qualifiées capables de régénérer le quartier. L'ancien abattoir de Testaccio abrite le MACRO (Musée d'Art Contemporain de Rome), la Cité de l'autre économie (marché du commerce équitable) et la nouvelle université de Roma Tre, les Mercati Generali ont été prévus pour accueillir la Cité de la jeunesse. Les Magazzini Generali ont été réutilisés pour des activités de formation (école de pompiers). Une partie du bâtiment Mira Lanza est désormais occupée par le Teatro India.
43Quelles conclusions peut-on tirer des expériences de régénération urbaine que nous venons d’analyser ? Dans quelle mesure l'intégrité des sites industriels désaffectés a-t-elle été préservée ?
44Les exemples montrent que la conservation rigoureuse des bâtiments industriels constitue l’exception, tandis que les cas où la conservation et la transformation se combinent sont beaucoup plus fréquents. L'équilibre entre les deux modes d'intervention est très problématique. Certains architectes sont réticents à harmoniser leur intervention avec les formes des bâtiments existants : dans ces cas, une discontinuité morphologique radicale s’interpose entre l'ancien et le nouveau.
45Cette diversité d'approche n'est toutefois pas uniquement imputable aux différentes attitudes subjectives des concepteurs ; elle est plutôt le signe d'un dilemme non résolu dans les stratégies de réutilisation du patrimoine industriel : une usine désaffectée, un site industriel qui n'est plus en activité, doivent-ils être considérés comme la dernière étape du cycle d'évolution qu'ils ont traversé pour arriver à l'état dans lequel ils se trouvent, ou est-il permis de supposer que les modifications ultérieures apportées par les projets de réutilisation peuvent également être lues comme « porteuses d'une autre valeur historique » et donc légitimement faire partie d'une trajectoire de changement qui, au lieu d’être terminée avec la désaffectation du site industriel, se poursuit avec l'ajout d'autres étapes à un processus de stratification en devenir (Melot 2012) ?
46Face à ce divorce entre conservation et transformation, il est nécessaire d’envisager deux lignes d’action, apparemment opposées, mais toutes les deux composantes d'un même projet de valorisation patrimoniale. Plusieurs documents officiels soutiennent ce principe. En fait, la Déclaration de Davos de 2018 « Towards a high-quality Baukultur for Europe » prône de considérer « la culture du bâti qui envisage l’entretien et la conservation du patrimoine culturel d’une part, la conception et la planification de l’ensemble de l’environnement construit d’autre part, comme formant un tout indissociable » et, donc, à conjuguer la conservation du construit existant et la création contemporaine comme les deux faces d'un même projet. Encore plus récemment, le principe d’une démarche intégrée visant la conservation du patrimoine et une nouvelle culture de la construction est à la base du « Report on the New European Bauhaus (NEB) » rédigé en juillet 2022 par le Parlement Européen et qui formule une double recommandation : d’un côté l’élaboration des critères spécifiques « a sustainable and innovative building culture », de l’autre l’impulsion de la NEB « to preserving, restoring, adapting and protecting the cultural heritage for the future…. whereas it is increasingly impacted by climate change and environmental degradation and faced with other challenges such as underinvestment, bad planning and poorly managed tourist flows ».
47Il n'y a aucune raison de douter que celle-ci soit la voie à suivre pour donner au patrimoine de l’industrie le rôle qu'il mérite dans l'avenir des villes post-industrielles.