- 1 « L’homme machine, exposition au musée des Arts et Métiers », du 10 octobre 1994 au 10 janvier 1995 (...)
1Il y a presque trente ans, à l’occasion du bicentenaire de la fondation du Conservatoire national des Arts et Métiers, le musée des Arts et Métiers - musée national des techniques - présentait « L’homme machine », une exposition temporaire autour du thème de l’être artificiel1. Si les robots étaient bien entendu évoqués, aucun n’était alors montré, et pour cause : les robots, même non anthropomorphes, n’ont fait leur entrée dans les collections et dans l’exposition permanente du musée qu’au milieu des années 2000.
- 2 « Et l’homme… créa le robot », exposition présentée au musée des Arts et Métiers du 30 octobre 2012 (...)
2Depuis, une seconde exposition2, présentée en 2012, a mis en scène, entre autres, le renard électronique d’Albert Ducrocq, des robots du Commissariat à l’Énergie Atomique comme le Sherpa hexapode, Aïbo de Sony, ou un bras articulé industriel… Le musée, ses expositions et ses collections, pourraient-ils être appréhendés comme le reflet des progrès dans le domaine des robots et de la robotique ?
3Nous n’évoquerons pas ici le continuum ou les ruptures entre les concepts d’automates, d’automate programmable, de robot, de robot autonome, ou d’imitation de la vie, ou les abus de langage confondant automates et robots (Ramunni 2012, Alami 2012, Coiffet 2007). Il est vrai que la fascination qu’exercent les automates sur le public, par leur capacité à imiter de façon toujours identique et élégante certains comportements, invitent souvent à les présenter comme des précurseurs des robots et de la robotique.
- 3 Abbé Grégoire à la Convention, 8 vendémiaire an III.
4À l’automne 1794, l’abbé Henri Grégoire (1750-1831) propose la fondation d’un « conservatoire pour les arts et métiers, où se réuniront tous les outils et machines nouvellement inventés ou perfectionnés ». Cela « va éveiller la curiosité et l’intérêt et vous verrez dans tous les genres des progrès très rapides (…) L’artisan qui n’a vu que son atelier, ne soupçonne pas la possibilité d’un mieux. Le projet que nous présentons va l’entourer de tous les moyens d’enflammer son émulation et de faire éclore ses talents. »3 Le Conservatoire recevra tout naturellement, parmi les premiers objets de sa collection, les prototypes de tours et moulins à soie et autres machines à faire les chaînes conçues et améliorées par le mécanicien Jacques Vaucanson (1709-1782), qu’il avait rassemblés à l’Hôtel de Mortagne, dans le nouvel esprit de rationalisation des techniques propre à l’époque des Lumières. Vaucanson est connu principalement pour ses célèbres automates Le Joueur de Flûte, Le joueur de tambourin et surtout le Canard digérateur, mais ces trois automates légendaires ne sont jamais entrés dans les collections du Conservatoire.
5En revanche, parmi les beaux automates du XVIIIe siècle représentant un musicien en train de jouer, la célèbre joueuse de tympanon a, elle, rejoint en 1864 les collections du musée du Conservatoire national des arts et métiers. La joueuse de tympanon (fig.1) est présentée au musée dans un espace un peu mystérieux appelé « théâtre des automates », aux côtés de tableaux animés mécaniquement, de boîtes à musiques d’oiseaux chanteurs et de chefs d’œuvres de mécanique horlogère.
6La joueuse de tympanon a probablement été construite en 1784 et livrée l’année suivante à la reine Marie-Antoinette. Celle-ci en fait don l’année suivante à l’Académie des sciences qui la conservera jusqu’à son attribution au Conservatoire.
Fig.1. Automate joueuse de tympanon, 1784, inv. 5501, collection du musée des Arts et Métiers, Paris
Icône du théâtre des automates du musée des Arts et Métiers, la joueuse de tympanon est célèbre à la fois pour la prouesse technique de l’horloger mécanicien allemand Pierre Kintzing et pour la qualité du travail de l’ébéniste allemand Daniel Roentgen
© Musée des arts et métiers-Cnam/photo Pascal Faligot
7Cet androïde représente une jeune femme jouant d’un tympanon en forme de clavecin. Œuvre de l’horloger mécanicien allemand Pierre Kintzing, le mécanisme est situé sous les jupes de la dame (fig.2).
Fig. 2. Détail du mécanisme principal de la joueuse de tympanon
Situé sous les jupes et sous le tabouret de la joueuse de tympanon, le cylindre en laiton porte des cames et des picots du cylindre qui positionnent et déclenchent la frappe des marteaux tenus par la joueuse.
© Musée des arts et métiers-Cnam/photo Pascal Faligot
8Considéré comme l’un des plus perfectionnés de son temps, il anime les bras, la tête et le buste de la joueuse, qui frappe réellement les 23 paires de cordes de l’instrument avec deux petits marteaux. Un mouvement horizontal de balayage des bras sélectionne la corde tandis qu’un mouvement vertical du marteau la percute et la met en vibration (Haury et al 1993). Ce n’est donc pas une boîte à musique : le mécanisme actionne les bras de la joueuse et le tympanon vibre sous les percussions des marteaux qu’elle tient en mains. La rotation d’un cylindre en laiton, dont la surface présente des cames et des picots
- 4 Haury et al., p. 34-35.
« qui combinent leurs effets au niveau du coude de l’automate, associant la rotation du bras à la flexion/extension de l’avant-bras. C’est par la combinaison de la lecture des deux types d’informations qu’apparaît le jeu musical. La came permet le bon positionnement sur la corde, donc la hauteur de la note, le picot déclenche la percussion du marteau au bon moment. (…) La lecture de la came fournit le jeu mélodique, l’enchaînement des picots donne le jeu rythmique »4 (Haury et al 1993).
9À l’exceptionnelle qualité du mécanisme s’ajoute le talent de l’ébéniste allemand Daniel Roentgen, doté du titre « d’ébéniste mécanicien de la reine », qui a réalisé le meuble de l’automate.
- 5 Elizabeth King, dans un ouvrage à paraître, établit la liste des différentes sources disponibles, a (...)
- 6 Voir la notice du « Moving Monk » dans le catalogue de l’exposition « Making Marvels. Science & Spl (...)
10Non loin de la joueuse de tympanon, le « théâtre des automates » donne à voir une autre androïde musicienne automate, joueuse de mandoline cette fois-ci (fig.3). De dimensions plus réduites (elle mesure 35 cm de haut), les informations disponibles jusqu’ici5 invitaient à en dater la fabrication de la fin du XVIIIe siècle. Des recherches récentes (Friess 1990, King et Todd à paraître en 2023), viennent questionner cette datation en se basant sur le rapprochement avec trois autres automates du milieu du XVIe siècle : le Moving Monk, actuellement dans les collections de la Smithsonian Institution6, l’automate Saint Juanelo Turriano du Museum of Applied Arts de Budapest, ou la joueuse de mandoline du Kunsthistorisches Museum de Vienne, dont le profil, les matériaux, le type de mobilité et le mécanisme sont assez similaires.
Fig.3. Automate joueuse de mandoline, XVIIIe siècle ?, inv. 6152, collection du musée des Arts et Métiers
A la différence de la joueuse de tympanon, l’automate ne fait que mimer le jeu de la mandoline. Le mécanisme lui permet de se déplacer.
© Musée des arts et métiers-Cnam/photo Pascal Faligot
11Son mécanisme, là-aussi dissimulé sous les vêtements, de facture plus récente, comprend un barillet à ressort, une fusée à boyau et un régulateur à palettes, systèmes classiques en horlogerie. Les pieds sont animés d’un mouvement de va-et-vient, l’ensemble étant porté par un petit chariot à trois roues. Elle peut donc se déplacer, mais n’est pas munie d’un mécanisme de musique et elle ne fait que mimer le jeu de la mandoline.
- 7 Selon Girolamo Ramunni (Ramunni 2012), l’histoire de la constitution du savoir robotique s’est cons (...)
12Si l’on considère le mouvement cybernétique comme l’un des « actes »7 de la constitution du savoir robotique (Ramunni 2012), le musée a sans conteste comblé une lacune de ses collections avec l’acquisition, en 2005, du renard électronique surnommé « Job ».
- 8 Albert Ducrocq (1921-2001) était célèbre pour ses chroniques scientifiques sur Europe 1. Scientifiq (...)
13Conçu entre 1950 et 1953 par Albert Ducrocq8 (1921-2001), journaliste surtout connu pour ses chroniques scientifiques à la radio, « Job » (fig.4) est l’un des exemples de ces machines expérimentales apparues après la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l’instar de la célèbre tortue électronique conçue en 1950 par l’Américain William Grey Walter, dans le cadre de la cybernétique, cette science nouvelle qui considérait les mécanismes de rétroaction comme la base de l’autonomie des machines. Si ces tentatives n’ont pas réussi à recréer la vie artificiellement, elles ont largement contribué à l’essor de l’informatique, de la simulation, de la robotique et de l’intelligence artificielle.
14La présence de Job dans les collections (sous le numéro d’inventaire 44671) porte témoignage de cette pensée d’après-guerre, qui voyait dans la réalisation des robots un nouvel outil de libération et de progrès pour l’humanité. Le renard électronique s’insère également dans la longue tradition de mise en scène d’une créature artificielle, dotée de mouvement tout en ayant été inventée par l’homme, comme les automates.
15Job est équipé de deux cellules photoélectriques montées dans la tête qui font office d’organes de la vue, d’un microphone connecté à un amplificateur qui constitue son oreille, tandis que le toucher lui vient de capteurs qui réagissent à des obstacles. Des contacts placés dans le cou lui donnent le sens de l’orientation. Il dispose de plus d’un « flair capacitif » qui lui permet de reconnaître un obstacle à distance par un effet de capacité qui s’exerce sur son nez. En outre, Job est capable d’apprentissage grâce à une « mémoire ». Deux lampes, l’une verte, l’autre rouge, s’allumant au sommet de sa tête, tiennent lieu de langage.
Fig.4. Job, le renard électronique vers 1953, inv. 44671, collection du musée des Arts et Métiers
Muni des dispositifs électroniques des années cinquante, le renard cybernétique d’Albert Ducrocq (1921-2001) était recouvert d’une « carapace » portant une véritable peau de renard.
© Musée des arts et métiers-Cnam/photo Michèle Favareille
- 9 « Eppur si Muove : Art et technique, un espace partagé », exposition présentée au Mudam Luxembourg (...)
16Depuis son entrée dans le patrimoine du musée, Job constitue l’une des nouvelles « stars » de la collection, tant par le nombre de demandes de « consultations » par des chercheurs du monde entier, que par les demandes de prêts pour des expositions sur la robotique. Il a été présenté au Musée d’art moderne du Luxembourg (Mudam) en 2016 pour une exposition Art-Science9. Dernièrement, après l’avoir exposé pendant six mois dans son exposition semi-permanente dédiée à la robotique, Universcience, l’institution du parc de la Villette à Paris, a fait construire une réplique du renard pour remplacer l’original retourné aux Arts et Métiers.
- 10 Les collections du musée sont organisées en sept « domaines » : l’instrument scientifique, les maté (...)
- 11 Pour une discussion de cette affirmation, voir Coiffet 2007.
17En 2005, le musée des Arts et Métiers a repensé la période contemporaine du domaine « Instruments scientifiques » de son parcours permanent en accordant une large place à la thématique roboticienne10. Notons que dans l’exposition permanente du musée, les automates, principalement des XVIIIe et XIXe siècles, sont présentés dans la section « mécanique », tandis que les robots apparaissent à la fin de la partie des « instruments scientifiques », considérant que, du point de vue scientifique et technique, les robots se caractérisent comme des lieux d’intégration des meilleures connaissances scientifiques et techniques du moment. On a même pu dire à une certaine époque que le niveau d’excellence en robotique, ou le nombre de robots présents dans l’industrie, constituaient des indicateurs de l’excellence de la recherche et de la compétitivité de l’industrie d’un pays11.
18Le robot présenté au centre de cette partie robotique est le Lama (Lavochkin Alcatel Model Autonomous), l’un des premiers robots conçus pour participer à une mission spatiale sur Mars (fig.5). Le châssis mécanique articulé a été construit à Saint-Petersbourg par VNII Transmash en Russie. Racheté par Alcatel Space Industries en 1996, son instrumentation a été développée principalement au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS) du CNRS de Toulouse. Il est équipé de nombreux instruments : un gyroscope, un inclinomètre, des capteurs qui mesurent les positions de ses articulations, un odomètre, deux caméras noir et blanc, deux caméras couleur. Deux processeurs Motorola Power PC et deux processeurs Motorola 68040 traitent l’information.
Fig.5. Robot Lama, milieu des années 1990, inv. 44681, musée des Arts et Métiers
Mis en scène au centre de la salle du musée des Arts et Métiers consacrée à la robotique, le robot Lama agrège de nombreuses techniques de pointe issues de la collaboration de plusieurs laboratoires pour pouvoir se déplacer de façon autonome en environnement extraterrestre.
Collection du musée des arts et métiers. Photo : C. Foasso, 2022
19À la différence de la plupart des engins destinés à aller sur des planètes extraterrestres qui comprenaient un système de pilotage contrôlé depuis la Terre, la particularité de ce robot réside dans l’originalité de son système de déplacement : il navigue de manière autonome en construisant la carte de l'espace parcouru.
- 12 Lama a été intégré dans les collections du musée en mars 2006 sous le numéro d’inventaire 44681.
- 13 Prêté par le Laboratoire de Robotique de Paris (FRE 2507 CNRS), il date de 1990.
- 14 Pièce de quelques centimètres seulement, le nanotranslateur permet à un robot de déplacer sur quelq (...)
- 15 Le robot écureuil était prêté depuis 2006 par le Laboratoire d’Intégration des Systèmes et des Tech (...)
20Lama12 permet d’évoquer les différents capteurs de la vision, les moyens de la prise de décision, de l’autonomie, du déplacement. Ces aspects sont souvent relégués dans les grandes expositions au profit des robots humanoïdes ou de jouets robotiques. Pour illustrer certains autres aspects techniques fondamentaux qui font des robots non des jouets mais des acteurs incontournables de nos vies actuelles et futures, le choix a été fait de présenter des mécanismes élémentaires peu spectaculaires certes, mais fondamentaux dans les capacités des robots, comme un mécanisme préhenseur, à trois doigts, destiné à équiper un bras de robot manipulateur industriel13 ; un nanotranslateur14, et un robot « Écureuil » capable de grimper aux échelles15.
21En 2005, au moment de l’acquisition de Job, hormis 35 « automates », une recherche dans la base de données des collections ne renvoyait à aucun objet pour les requêtes « robot* » ou « cyber* », ce qui laissait penser que le champ des recherches en robotique et cybernétique était à initier dans les collections.
22C’est pourquoi lorsque, en 2010, un responsable du laboratoire de robotique du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), devant l’imminence d’un déménagement sur le plateau de Saclay, a pris contact avec le musée pour sauvegarder une collection de robots et télémanipulateurs conservés sur le site de Fontenay-aux-Roses, le musée s’est montré vivement intéressé. Il faut dire que la renommée du Musée des arts et métiers auprès d’une large communauté technicienne et scientifique fait qu’il est régulièrement contacté par des particuliers, mais aussi par des entreprises ou des laboratoires de recherche, souvent à l’initiative d’un chercheur ou d’un ingénieur ayant la fibre patrimoniale, pour préserver tout ou partie de matériels ou d’installations développés ou utilisés dans le cadre de son institution.
23La proposition du CEA apportait le témoignage de quarante ans de recherche sur la robotique au CEA, une collection de prototypes illustrant de façon exceptionnelle un pan de l’évolution des innovations en robotique d’une institution majeure dans le domaine, en France, entre 1950 et 1990.
- 16 CEA, « Journée souvenir Jean Vertut, Paris, 30 mai 1986 », 20p.
24À la suite des travaux précurseurs d’ingénieurs américains, la robotique prend son essor au CEA sous l’impulsion de Jean Vertut, un ingénieur16, d’abord pour des besoins spécifiquement nucléaires. Les premières machines des années 1950 permettent la télémanipulation d’échantillons radioactifs dans le cadre d’un service de protection contre les rayonnements ionisants. Ces recherches s’avèreront fort utiles quelques années plus tard lors d’incidents nucléaires comme celui de 1969 à Saint-Laurent-des-Eaux. Les années suivantes verront le passage de la téléopération à la robotique, reflet du glissement d’une culture mécanicienne vers celle d’une collaboration avec les domaines de l’automatique et de l’informatique. Au milieu des années soixante, il apparaît nécessaire de s’affranchir du lien matériel imposé jusque-là par les télémanipulateurs mécaniques, ce qui sera rendu possible par l’arrivée des servo-manipulateurs électroniques. La seconde rupture technologique majeure proviendra de la téléopération assistée par ordinateur, grâce à l’apport de la micro-informatique. Ces évolutions conduiront notamment à la réalisation de robots autonomes destinés à l’inspection dans un environnement qui aurait été contaminé à la suite d’un accident nucléaire.
- 17 Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des Systèmes (LAAS) du CNRS de Toulouse. Le LAAS, pour sa p (...)
- 18 Laboratoire d’Informatique et de Microélectronique de Montpellier, Université de Montpellier 2-CNRS
25Ces travaux sont menés au sein du laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies (LIST) du CEA, l’un des grands centres de recherche en robotique français aux côtés du LAAS17 de Toulouse ou du LIRMM18 de Montpellier. Après les études typiquement dédiées aux applications nucléaires, les recherches se sont diversifiées vers des applications industrielles comme les techniques de soudage, les techniques de contrôle non destructif, le nettoyage des quais du métro ou des parois en verre de la pyramide du Louvre, la recherche d’objets à grande profondeur, avec des appareils de plus en plus autonomes et intelligents.
26La collection du LIST illustre l’étendue de ces recherches. Ainsi, MA11 (1970), robot maître-esclave à transmission mécanique à câble, est symptomatique des recherches pour la télémanipulation de substances radioactives en cellule où le bras esclave reproduit les mouvements du bras maître actionné par l’opérateur derrière une vitre blindée. Il sera suivi de MA23 (1980) dont l’asservissement bras maître-esclave est électrique avec une électronique durcie pour l’intervention en milieu hostile. RD500 (1990), conçu pour le démantèlement d’installations nucléaires, inaugure la téléopération assistée par ordinateur (TAO), avec la possibilité de télémanipuler mécaniquement des objets de 50 kg en bout de pince. Dans cette lignée seront également conçus les premiers bras télémanipulateurs pour l’assistance aux personnes handicapées tels Spartacus (1984) ou Master (1990).
27Pour l’intervention en milieu hostile, plusieurs prototypes de robots capables d’effectuer divers types de déplacement ont été développés, comme TOMI (années 1970), sur chenille, commandé par ombilic, ou Centaure (1987), dont le véhicule et le bras sont téléopérés. Il est capable de monter des escaliers : plusieurs de ces robots ainsi que les générations qui suivront équipent et équiperont le groupe Intra (Intervention Robotique sur Accidents), implanté sur le site EDF de Chinon, pour intervenir à la place de l'homme en cas d'accident nucléaire de grande ampleur dans les installations nucléaires françaises. Sherpa (1990) est un robot qui se déplace sur six jambes télescopiques à pied tactile tout en maintenant son plateau horizontal pour porter des charges importantes. Il est capable de monter les escaliers à l’aide d’un algorithme de marche et une perception par imageur laser. TLV1 (Train Like Vehicle) et TLV2 (1995) comportent respectivement 2 et 4 « wagons » selon une architecture « suivre le premier » pour intervention en milieu hostile. Varape (1990) se déplace par ventouses et fut utilisé pour le nettoyage de la pyramide du Louvre. Merite (1975) fut conçu pour le déplacement à l’intérieur d’un tube, et MIR (1983) fut développé pour l’inspection du réacteur à neutrons rapides Superphénix, l’un pour escalader les parois, le second pour le contrôle des soudures dans l’espace étroit situé entre la cuve principale et la cuve de sécurité.
- 19 Il faut noter que deux robots ont été conservés par les chercheurs car ces derniers n’ont pu se rés (...)
- 20 Cf. Ramunni G., C. Foasso, et al., Et l’homme… créa le robot, Somogy Editions d’art-Musée des arts (...)
28Après un tri et l’élimination de quelques spécimens qui semblaient redondants ou ne présentant pas une innovation majeure, le musée a décidé de patrimonialiser 17 robots partiellement décrits plus haut.19 Certains d’entre eux - Sherpa, Mérite, Centaure, Varape - ont été présentés20 au public en 2012, lors de l’exposition « Robots » au musée des Arts et Métiers. Écureuil (1990) quant à lui « grimpe » à l’échelle dans l’exposition permanente depuis 2006 (fig.6).
Fig.6. Robot écureuil, 1990, inv. 45281, collection du musée des Arts et Métiers
Voisin du robot Lama, le robot Écureuil est issu des travaux du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Il grimpe à l’échelle pour intervention ou inspection en environnement contaminé.
© Musée des arts et métiers-Cnam/photo Michèle Favareille
- 21 En 2019, le projet d’un musée du robot et de l’intelligence artificielle à Séoul, a été annoncé. Sa (...)
29À l’instar d’autres institutions muséales, le musée des Arts et Métiers a ainsi enrichi ses collections d’un certain nombre d’artefacts issus des recherches en robotique, élargissant ses célèbres collections d’automates du XVIIIe siècle aux problématiques les plus contemporaines. Cette inscription dans le patrimoine est-elle le signe d’une maturité de cette discipline scientifique et technique où la science-fiction d’autrefois pénètre notre réalité quotidienne ? Des projets de musées consacrés à la robotique sont même en train de sortir de terre21.
30Si les robots sont parfois utilisés dans les expositions de robotique comme guides ou pour l’accueil des visiteurs, l’enjeu de montrer comment un robot perçoit son environnement, échange et communique avec lui, prend une décision, se déplace ou manipule, est malheureusement moins souvent présenté ou explicité. La facilité, au regard des collections des musées techniques consultables dans leurs bases de données, réside dans la préservation de robots-jouets familiers du public et gages de succès pour les expositions.
- 22 Cf. Foasso 2021, à propos de la sauvegarde d’un calculateur EAI 8800, hybride entre machine analogi (...)
31C’est une question récurrente pour le conservateur du patrimoine contemporain que de savoir quels objets sauvegarder22 (Foasso 2021), autrement dit : quels témoignages les gardiens de la mémoire que sont les professionnels de musée transmettent-ils à travers les objets, quelle mémoire de l’histoire des techniques et de nos civilisations façonnent-ils ? On peut également se demander dans quelle mesure la mémoire matérielle et immatérielle de l’histoire plus spécifique de la robotique peut être féconde pour l’avenir.
32Depuis le début des années 2000, les expositions consacrées au thème des robots se multiplient. Elles recueillent un succès d’audience. Ce fut le cas de l’exposition « Et l’homme créa le… robot » au musée des Arts et Métiers ou encore, plus récemment, l’exposition « Robots » du Science museum de Londres, blockbuster de 2017 (du 8 février au 3 septembre 2017), ou celle du musée des télécommunications de Berlin « Die Roboter kommen ! » (4 avril 2007–2 septembre 2007), mettant, comme d’autres, l’accent sur les liens avec la culture populaire et la science-fiction, les jouets, les robots humanoïdes de plus en plus ressemblants et préfigurant un futur questionnable sur nos relations avec les machines.
33Mais susciter l’enthousiasme du public par des expositions des produits les plus innovants, voire les objets en vogue du moment, non destinés à devenir a priori des objets muséaux ou muséifiés, pourrait s’avérer être la meilleure façon de stimuler l’appétence pour les sciences et les technologies, et accessoirement la fréquentation des musées et, par ricochet, la fibre muséale, patrimoniale du public comme des futurs chercheurs en robotique. C’est une question.
34Ainsi, la préoccupation de sauvegarder le patrimoine robotique serait peut-être vaine et à traiter non par la collecte contemporaine d’objets matériels dont il est difficile de conjecturer quelle pertinence ils pourraient bien avoir dans les décennies futures. Laisser agir la main invisible du temps et du hasard pour sélectionner les matériels qui subsisteront ou, comme bien souvent, faire confiance à l’intervention future d’un scientifique ou d’un ingénieur ayant la fibre patrimoniale, qui ne pourra se résoudre à conduire à la déchetterie telle ou telle production de son laboratoire ou de ses prédécesseurs : quelle serait l’option la plus pragmatique, sachant qu’il n’est pas possible de tout sauvegarder ?
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