- 1 Décret de fondation du Musée National de Rio de Janeiro in Lopes (2008 : 42)
- 2 Ignacio Alvares Pinto de Almeida était Chevalier et Monsieur de la Maison de Sa Majesté Impériale e (...)
- 3 La SAIN a été étudiée par divers chercheurs après les travaux de pionniers de Perugine (1978) et Si (...)
1Le Musée Royal, devenu ensuite Impérial et enfin National, de Rio de Janeiro (Brésil), a été créé en 1818. Le décret de sa fondation déterminait que devaient être versés au bâtiment récemment acquis à Campo de Santana, situé au centre de Rio de Janeiro, « le plus rapidement possible, les instruments, les machines et les bureaux qui existaient dispersés ailleurs »1. Ouvert au public tous les jeudis matin à partir de 1821, le musée exposait des modèles de machines industrielles dans deux chambres au rez-de-chaussée du bâtiment, à la demande d’Ignácio Alvares Pinto de Almeida ( ?-1844)2, qui est devenu l’un des organisateurs de la future Sociedade Auxiliadora da Indústria Nacional - SAIN3.
2À côté des collections de minéralogie, botanique, zoologie, des dons d’antiquités gréco-romaines appartenant auparavant au roi D. João VI, et des armoires contenant quatre-vingts modèles des arts et métiers les plus courants au siècle précédent, pour l’éducation des princes, les machines étaient exposées et rencontraient un grand succès auprès du public. L’expansion des collections était mentionnée dans la presse quotidienne aussi que dans la revue O Auxiliador da Indústria Nacional (grosso modo, L’Assistant de l’Industrie Nationale, fig.1), voix officielle de la SAIN, publiée à partir de 1833. Cet article suit les références à ces collections, qui, malheureusement, n’existent plus, par le biais de leurs représentants, des données sur les acquisitions, l’intérêt de leur utilisation, les conditions d’emplois, etc., publiées dans des sources imprimées. L’article entend notamment contribuer à la compréhension du rôle d’une élite éclairée dans un pays ancré dans l’esclavage.
Fig.1. « O Auxiliador da Indústria nacional », page de titre, 1861
Ce périodique a été régulièrement publié depuis la fondation de la SAIN, association dont Frederico Burlamaque a été secrétaire perpétuel et directeur des publications pendant plusieurs années. Il apportait des informations sur les activités du Conservatoire de la SAIN et encourageait la mécanisation de l'agriculture, en diffusant des informations des agriculteurs locaux et de leurs correspondants internationaux, ainsi que des nouvelles du Conservatoire des Arts et Métiers de Paris.
Brazilian digital library, Biblioteca national, https://memoria.bn.br/DocReader/DocReader.aspx ?bib =302295&Pesq =Conservat %c3 %b3rio&pagfis =13046.
3Afin de mieux comprendre le rôle de la SAIN et du Conservatoire, il est important de rappeler brièvement que l’économie brésilienne reposait sur le secteur agraire. Elle subissait les conséquences de la conjoncture internationale dans les premières décennies du XIXe siècle. La situation était devenue défavorable, ce qui a conduit à la stagnation du secteur agricole traditionnel jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les principaux produits brésiliens (sucre, coton, café, tabac, cacao et caoutchouc) ont commencé à faire face à la baisse des prix à l’exportation. Pour sortir de la crise, selon Lourenço (2001 : 128), certains groupes parmi les élites qui partageaient une « conscience réformiste, étaient prêts à se battre contre [...] le retard humiliant de l’agriculture, encourageant des améliorations matérielles et morales nécessaires pour le progrès du pays ».
4Née dans ce contexte économique et dans un environnement intellectuel où les idéaux des Lumières étaient encore florissants (Silva 1968), la SAIN a réuni les groupes les plus divers des élites économiques de l’empire : propriétaires : agriculteurs, commerçants et industriels ainsi que des professionnels libéraux (bacheliers et fonctionnaires, médecins, naturalistes et enseignants), mais aussi des militaires et des prêtres (Domingues 2001 : 92). La SAIN a mené une croisade en faveur du progrès technique et des avantages économiques des méthodes agricoles modernes. Elle s’est d’abord orientée vers les réformes qui pouvaient résoudre la question épineuse du travail des esclaves (Lourenço 2001). La conviction que les machines pouvaient apporter des avantages incalculables à l’agriculteur et contribuer à l’amélioration de l’industrie, en remplacement du travail esclave qui se perpétuait dans une routine misérable, a accompagné la naissance de la SAIN. Cette approche a subsisté tout au long de son existence (Perugine 1978). Bien que la première loi antiesclavagiste au Brésil ne date que de 1850, il existait déjà des manifestations en faveur de sa suppression dès la première moitié du XIXe siècle. Elles étaient souvent associées à des idées de progrès et à l’importance du travail libre, surtout chez les colons européens, en vue d’améliorer les productions agricoles et de créer les conditions nécessaires à l’établissement des industries. Ainsi, les machines, leurs modèles et les instructions d’utilisation sont devenues essentielles.
5En 1847, une conférence a engagé la discussion autour du thème : « Quels sont les moyens les plus appropriés pour nos agriculteurs de remplacer les bras des esclaves par des bras libres ? »4. Après la loi de prohibition du commerce des esclaves de 1850, l’Auxiliador a appelé de nouveaux membres à rejoindre la SAIN pour mettre à la disposition des agriculteurs et des industriels un grand nombre de modèles/maquettes d’instruments capables de remplacer les bras des esclaves5. Il a également proposé de fabriquer et de vendre, à prix coûtant, des machines qui intéresseraient les agriculteurs. Une annonce de l’Auxiliador établissait la liste, parmi les nombreuses machines que la SAIN possédait, de celles en apparence très utiles, par exemple un four pour cuire de la farine de manioc qui économisait du combustible (fig.2). Il était construit de façon à ne pas perdre de chaleur, sans émettre de fumées et dans le but d’améliorer les conditions de travail. Divers modèles de charrues et de harnais adaptés aux animaux, des outils de désherbage, coupe-herbe, semoirs, des râteaux, égreneurs de maïs et de coton, tondeuse de paille et d’herbe, des appareils pour faire du beurre étaient aussi conservés et complétaient l’ensemble des objets disponibles6.
Fig.2. Cylindre en fer forgé pour griller la farine de manioc et alambic en cuivre
Le manioc était l'un des constituants de base du régime alimentaire des peuples autochtones du Brésil. Il a été rapidement intégré dans les habitudes alimentaires de la population générale et de nombreux petits agriculteurs l'ont cultivé. De là l'intérêt des exposants à présenter de nouveaux modèles. Le modèle exposé dans la 1re Exposition Nationale de l'Industrie a été fabriquée à la fonderie Ponta da Areia (Rio de Janeiro). Le périodique O Auxiliador da Industria Nacional, publié par la SAIN, publiait souvent des notes sur de nouvelles machines visant à moderniser la culture du manioc. De nouveaux modèles de ces machines ont été exposés au Conservatoire de la SAIN. La deuxième image montre un Alambic en cuivre construit par la société privée de Lenoir & Ramos. C’est un équipement largement utilisé pour la fabrication d'alcool et surtout de la cachaça, boisson alcoolique extrait de la canne à sucre et d’une grande importance dans l’économie coloniale
Recordaçôrs da Exposiçao Nacional de 1861, Rio de Janeiro 1862 : 39 ; https://objdigital.bn.br/objdigital2/acervo_digital/div_iconografia/icon493895/icon493895.pdf
6La SAIN a été formellement organisée en 1827, mais plusieurs documents signalent des initiatives pour la structurer à partir de 1816 au moins. Cependant, à ce moment, la proposition d’Ignacio Alvares Pinto d’Almeida, comme le précise Perugine (1978 : 54), a été presque unanimement rejetée, quelques-uns affirmant même :
- 7 O Brasil ainda se não achava preparado para receber associações deste gênero, chegando alguns a ter (...)
« Le Brésil n’était toujours pas prêt à recevoir de telles associations et certains ont suggéré que lui [Pinto d’Almeida] devrait éliminer ces idées folles de sa tête, en même temps impraticables aussi bien qu’anarchiques et subversives »7.
7Finalement, après l’indépendance du Brésil en 1822, Pinto d’Almeida organisa les statuts et rassembla des membres chez lui, avant de s’adresser à l’empereur D. Pedro I (Perugine 1978 : 55) :
- 8 Apresentados à Augusta Majestade do Sr. D. Pedro Primeiro, Imperador Constitucional, e Perpétuo Def (...)
« Présenté à la Majesté Auguste de M. Pedro le Premier, Empereur Constitutionnel et Défenseur Perpétuel du Brésil, par Ignacio Alvares Pinto d’Almeida, Chevalier… du même Seigneur Auguste, il a donné son approbation Impériale pour établir dans cette ville très héroïque et loyale de Rio de Janeiro, au profit de l’industrie nationale de ce pays, un entrepôt et un conservatoire de machines et de modèles, dirigés par une Société conformément à ces mêmes statuts. Rio de Janeiro, le 2 décembre 18248. »
- 9 Uma Sociedade Nacional de Promoção à Indústria e também um Conservatório de Artes e Ofícios, uma es (...)
8La Société était contemporaine de l’Empire : fondée avec l’approbation de Dom Pedro I, elle a reçu, en 1840, la protection de D. Pedro II. Les statuts de la SAIN, rédigés définitivement en 1825, soulignaient déjà, dans le paragraphe 1er, les avantages, notamment économiques, de l’utilisation des machines agricoles largement employées dans plusieurs pays européens considérés comme développés. Ces statuts ont suivi l’avis du directeur du Musée National, João da Silveira Caldeira (1800-1854, docteur en Médecine de l’Université d’Edimbourg), qui a clairement mis en évidence, en s’appuyant sur le Conservatoire des Arts et Métiers français, l’importance des équipements industriels pour le développement de l’agriculture – encore caractérisée au Brésil, comme nous l’avons remarqué, par le travail des esclaves. Il s’agissait d’établir « une Société Nationale pour l’Encouragement de l’Industrie et aussi un Conservatoire des Arts et Métiers, une sorte de Musée de l’industrie, où les citoyens pourraient à tout moment inspecter et copier les modèles de n’importe quel instrument ou machine »9.
- 10 Vanucci (2016) a trouvé 62 demandes de privilèges pour la proposition d'inventions, la plupart (39) (...)
9L’avis du directeur du Musée National, qui a été inséré dans les objectifs de SAIN, allait encore plus loin, soulignant que, dans un pays comme le Brésil, un simple dépôt de machines, comme ce qui commençait à exister au Musée National, pourrait devenir sans intérêt pour l’avancement de l’industrie si une série de mesures n’étaient pas adoptées. Parmi ces mesures figurait la nécessité pour le Conservatoire d’acquérir de nouveaux modèles et de diffuser des explications claires en vue d’une utilisation par des personnes non familières de telles machines et attachées à d’anciennes coutumes. Il fallait aussi que les Présidents des Provinces (équivalents aux Départements en France) envoient au Conservatoire une collection – importante, si possible – des instruments et machines utilisés dans tout l’Empire, notamment ceux employés dans les principales cultures agricoles du pays comme le coton, le sucre, le café, le tabac, ainsi que des machines en usage dans les travaux miniers. Les autres mesures proposées étaient les suivantes : a) des jugements rendus par des personnes de l’art (c’est-à-dire les constructeurs de machines) et des concours visant à l’amélioration des machines existantes, b) une indication des exploitations agricoles où de nouvelles machines pourraient être testées à grande échelle, c) des brevets et privilèges pendant quelques années pour les concepteurs de machines10, d) des récompenses pour ceux ayant rapporté de nouveaux modèles de l’étranger.
- 11 Document de fondation de la Sociedade Auxiliadora da Indústria Nacional, transcrit à la Revista IHG (...)
10Les propositions comprenaient aussi une description du personnel : un administrateur du Conservatoire, un professeur de géométrie appliquée, un professeur de mécanique et un professeur de dessin qui devaient enseigner et être disponibles pour fournir des explications. Afin de rendre la collection du Conservatoire plus complète, de petits modèles, des maquettes, devaient être ramenés d’Europe ou, a minima, des dessins en couleur d’instruments et de machines, accompagnés de légendes, afin qu’ils puissent être adoptés par les principales activités agricoles du pays. Les coûts de ces mesures, initialement supportés par l’État, seraient remboursés par la Société, que le Directeur du Musée proposait d’appeler Promoteur de l’Industrie Nationale, par une référence explicite à son homologue français. En plus d’évoquer les membres et le fonctionnement général de la Société, les statuts exigeaient la publication d’une revue pour faire connaître les innovations réalisées dans le pays, solution utile, notamment pour les agriculteurs des provinces de l’intérieur11.
- 12 Para aumentar a prosperidade da indústria nacional. Statuts .... Voir note 8.
- 13 Statuts .... Voir note 8.
11Toutes ces mesures n’ont pas été mises en œuvre immédiatement. Mais l’objectif central d’une aide à l’industrie par l’acquisition de machines et de modèles industriels était rappelé dans le discours d’Ignacio Alvares Pinto de Almeida, au moment d’inaugurer la SAIN, le 19 octobre 1827, devant ses 49 sociétaires (Almeida 1828). Les machines et modèles exposés au public seraient ainsi connus, pourraient être copiés, formes d’encouragement en vue d’accroître la productivité du travail. Les statuts de la SAIN comprenaient également, parmi les obligations de la Société, l’acquisition, la collecte et la conservation des machines, modèles et inventions réunis « pour l’augmentation et la prospérité de l’industrie nationale »12. Il faut souligner que les statuts fondateurs de SAIN présentés à l’Empereur du Brésil en 1824 proposaient en réalité « un Dépôt et un Conservatoire de machines et de modèles, dirigés par une Société conformément à ces statuts »13.
- 14 Diário Fluminense, 1829, vol. 13 (3). http://memoria.bn.br/DOCREADER/706744/4812
- 15 Interessante e numerosa coleção de modelos feitos segundo os diferentes sistemas de mecânica, reduz (...)
- 16 Auxiliador, 1832(20) : 360. (Version digitale non disponible)
12On connait peu les premières années de formation des collections du Conservatoire des machines et des modèles de la SAIN. Les machines d’Ignacio Alvares Pinto de Almeida étaient exposées depuis 1821 au Musée National. À partir d’au moins 1825, elles occupaient une ou deux salles à l’étage inférieur du Musée, accessible par la Rue dos Ciganos, à côté de l’entrée principale du bâtiment, au Champ de Santana (aujourd’hui Place da República), selon les indications du directeur Caldeira. Un avis du gouvernement daté du 18 juillet 1827 signale, sans fournir de détails, qu’aurait été commandées au profit de la SAIN des machines utiles à l’industrie. Un autre texte, de 1829 cette fois, établit que la priorité devait être accordée à l’achat de machines et de modèles agricoles dont la SAIN assurerait la mise à disposition du public14. En 1830, le ministre chargé des affaires brésiliennes aux États-Unis avait mis à la disposition de la Société : « une collection intéressante et nombreuse de modèles fabriqués selon les différents systèmes mécaniques, réduits à une petite échelle, ainsi qu’un ensemble varié de fonte »15. À cette époque, la SAIN possédait 89 machines et modèles ainsi que 171 volumes d’ouvrages divers. En 1832, l’un de ses membres, Antonio Correia Picanço, enseignait gratuitement, les mardis et jeudis, la géométrie libre appliquée aux arts industriels dans les salles du Musée16.
13C’est dans cet espace du Musée National que la Société a pu constituer au fil des ans son propre Conservatoire de Machines et Modèles. Elle y tenait ses réunions régulières. Si les collections semblent être restées modestes, le Conservatoire, tout au long du XIXe siècle, a reçu les dons de livres, des spécimens de graines et de plantes du Brésil ou de l’étranger qui étaient présentés dans l’arrière-cour du Musée. Cette approche devait servir à engager le processus d’acclimatation. Les objets et échantillons horticoles pouvaient être étudiés par les intéressés dans la salle de la Société, les jeudis matin ou après-midi, créneaux pendant lesquels les visiteurs pouvaient également recevoir des conseils et avoir accès aux manuels. Cette salle devait également réunir les modèles et les dessins des nouvelles machines, afin qu’ils puissent être étudiés par les directeurs de la SAIN et leurs comités respectifs. Les conférences et les débats de la SAIN, qui ont souvent donné lieu à des publications dans son journal, se sont également tenus au Conservatoire.
14La SAIN elle-même affirmait ne pas avoir de traces de son fonctionnement jusqu’en 183317, année au cours de laquelle elle a commencé à publier sa revue mensuelle dont la mission était de diffuser des innovations technico-scientifiques, particulièrement orientées vers l’agriculture, comme L’Auxiliador ou la Collection de Mémoires Intéressants et Nouveaux aux Agriculteurs, Fabricants, Artistes et Classes Industrielles au Brésil. Il s’agissait de textes originaux ou traduits à partir des travaux publiés aux États-Unis, en France, en Angleterre, etc.
15C’est principalement à travers des journaux quotidiens et de l’Auxiliador qu’on peut suivre de plus près les caractéristiques de ce petit Conservatoire. La « Liste abrégée des machines et modèles qui se trouvent dans le Conservatoire de la SAIN, qui peuvent être examinés et vus tous les jeudis matin »18 constitue l’un des seuls documents qui permettent de se faire une idée de ces collections. On pouvait recenser les machines et les modèles suivants :
Machines : 1 machine pour égrener le coton, 2 machines pour couper l’herbe, 1 ensemble de mesures en bois du Maranhão, un équipement de labours avec ses harnais, une grande charrue, 1 grille pour les champs, 2 machines à battre le maïs, 1 pour faire de la farine de manioc, 1 pour aérer le café, 2 scies françaises, 1 latrine…
Modèles : 6 modèles de scies différentes, 2 pour préparer le café, 1 pour l’exploitation de l’or, 2 pour préparer le lin, 1 poulie à soulever des masses, 2 ustensiles à filer à la main, 2 pour faire du beurre, 2 pour filer la soie, 22 modèles de machines différentes, 2 pour fabriquer des cordes, 1 pour le tournage du métal, 1 pour fabriquer des voussoirs, 1 modèle d’une partie d’une machine à vapeur, 1 modèle de machine pour servir de pompe hydraulique, 1 de métier à tisser, 1 de batteuse de coton, 1 modèle de machine de voiture, 1 pour cuire de façon économique, 1 à laver le linge, 1 fer à repasser, 2 modèles de ponts en bois, 1 du tunnel de Londres, 1 à ériger des digues temporaires, 2 pour le tournage du bois, 1 à tanner des cuirs, 1 à battre le blé, 1 modèle pour faire des vis, 1 pour le tournage de chevilles en fer, 1 pour préparer des pompes, 1 à presser le foin, 1 à graduer, 1 d’une charrue simple portugaise, 1 d’une civière complète.
16C’était une collection modeste, où les modèles étaient plus nombreux que les machines, que la SAIN avait comme ambition de classer. Augmenter le nombre des objets témoignait de la réussite des appels aux donateurs potentiels.
17Les nouvelles et informations publiées dans des quotidiens permettent d’obtenir plus d’éléments sur le « Conservatoire de machines et de modèles », la « Chambre et/ou Salle des machines », la « Salle des modèles », le « Conservatoire Mécanique », selon les différentes références aux collections de la SAIN. En 1834, une petite voiture à vapeur, de la province de Maranhão, a été offerte et déposée dans la salle des modèles de la SAIN. En 1835, dans le musée de la salle des machines, il y avait, par exemple, un nouveau modèle de moulin et des échantillons de serpentine, un minéral à la composition chimique suivante : H4Mg3Si2O9. La légende indiquait qu’il était utilisé, humidifié, dans les peaux tannées, pour faciliter le fonctionnement des vis et le mouvement des arbres de la machine.
18La SAIN a pu annoncer par la suite que sa collection de machines avait été augmentée avec de nouveaux modèles : par exemple, un semoir, un moulin à farine domestique, un coupe-arbre, ainsi que sept modèles différents d’équipements d’incendies, acquis par l’intermédiaire du président de la Société Polytechnique Pratique de France. Tous les modèles étaient reçus accompagnés de dessins et de descriptions. Ils ont été achetés avec les ressources de la SAIN, complétées par des fonds de l’ancien consul du Brésil en France. Une partie de ces ressources était également apportée à l’un des associés qui, voyageant en Angleterre, était chargé d’acquérir des machines ou de nouvelles maquettes18.
19Le Conservatoire a fait l’objet de quelques réunions du Conseil de la SAIN en juillet 1837. Les rapports des réunions montrent des désaccords sur les mesures à prendre pour l’améliorer. Certains membres ont insisté sur la demande, déjà présentée par le passé, d’engager un spécialiste chargé de conserver les machines existantes. Il devait aussi être en mesure de construire les machines demandées. Le Conseil a finalement décidé d’augmenter la gratification du gardien et d’engager un assistant pour le nettoyage et les réparations nécessaires des machines, estimant qu’il n’y avait pas besoin d’embaucher un profil particulier. Le Conseil a également discuté de la nécessité de disposer d’un journal de bord qui expliquerait l’intérêt des machines et des modèles existants, une proposition remise à plus tard.
20La création d’un Musée National de l’Industrie dans la Salle du Conservatoire a également été proposée. Après avoir discuté des possibilités d’obtenir des objets de fabrication nationale, un programme a été élaboré : les membres étaient chargés de les collecter. L’un des associés devait les réceptionner, les authentifier et identifier leur constructeur ; un autre devait rédiger un projet de règlement pour fixer les conditions d’acquisition et d’exposition. Les objets devaient être exposés les jours des réunions publiques de la SAIN. L’un des associés s’est porté volontaire pour une conférence sur les outils de labour et les tissus lors des journées de séances publiques19.
- 20 Brasil. Ministério do Império. Relatório da Repartição dos Negócios do Império. Rio de Janeiro, 184 (...)
21Ces mesures semblent avoir eu un certain effet. Cette année-là, plusieurs articles fabriqués à Rio de Janeiro sont entrés dans les collections du Conservatoire : des échantillons de peignes de l’usine Adão de O. Carvalho, des tissus de l’usine de soie de Fructuoso L. da Motta, membre de la SAIN, des chapeaux, du papier et du carton provenant de l’usine de M. Constant, des savons fins de la Fabrique Quintino Pestana. Beaucoup d’autres objets ont aussi été exposées. Les dons des années suivantes présentaient la même variété : deux pots d’argile fabriqués dans la poterie de Mme Agueda Malheiros, deux paniers en paille ciré, un caméo avec le buste de la reine D. Maria I réalisé par le naturaliste et sociétaire João Manso, spécialisé dans le travail des argiles et des porcelaines, une petite urne et une théière d’argile blanche, un petit échantillon de sucre de betterave, des échantillons de pedra sabão (Stéatite ou Talc – Mg3Si4O10(OH)2) accompagnés d’un Mémoire à publier dans l’Auxiliador ; deux échantillons d’extrait d’urucum (Bixa orellana) et un verre d’huile extraite de graines d’orange, produite dans la ferme d’un des associés ; des bouteilles de brandy à la goyave. En outre, des échantillons de charbon de terre de la province de Santa Catarina, de pyrite de fer (FeS2) et de schistes bitumineux de la province d’Alagoas étaient adressés au directeur du musée pour analyse. Néanmoins, toutes ces machines et maquettes étaient dispersées, ce qui posa problème lors d’expériences avec la machine à vapeur du Conservatoire . Le directeur du Musée proposa que, pour une meilleure conservation, il serait souhaitable de les réunir dans une seule pièce20.
22En parallèle, la SAIN grandissait au point de gagner sa place et de devenir un acteur prépondérant de la société brésilienne : le nombre de membres passa de 200 pendant les années 1830 à 677 en 1854 (fig.3).
Fig.3. Diplôme de membre de la Sociedade Auxiliadora da Indústria Nacional (SAIN)
En devenant membres de SAIN, les associés recevaient ce diplôme. Son ‘design’ affiche (sens horaire), en plus de quelques instruments et machines, les mots « Invenção » [Invention], « Commercio » [Commerce], « Agricultura » [Agriculture] et « Indústria » [Industrie], traduisant les idées centrales de la SAIN. Cette image correspond, spécifiquement, au diplôme du magistrat Albino José Barbosa de Oliveira (1809-1889).
Brazilian digital library, Biblioteca national, http://objdigital.bn.br/acervo_digital/div_manuscritos/mss1245258/mss1245258.htm
23La Société était convaincue de rendre des services variés et importants en faveur de l’industrie nationale, comme la diffusion de son journal ainsi que des plantes et semences pour les agriculteurs, le prêt de machines et la possibilité de réaliser des expériences, etc. Ce constat ressort de l’étude de plusieurs correspondances, dont certaines émanant de femmes (Perugine 1978). Comme le remarque Perugine (1978 : 96),
- 21 Percebe-se, pela análise das cartas enviadas ao Auxiliador e publicadas, uma identidade de interess (...)
« on note, à travers l’analyse des lettres envoyées à l’Auxiliador et publiées, une identité d’intérêts entre le magazine, à travers ses éditeurs et le lectorat. Souvent, cette affinité est devenue manifeste, en particulier en ce qui concerne la promotion du développement technique de l’agriculture21 ».
24Néanmoins, la SAIN souffrait de plus en plus d’un manque de ressources pourtant nécessaires dans le but d’organiser une exposition de produits nationaux et afin de distribuer des récompenses aux producteurs. Certains sociétaires estimaient d’ailleurs que les salles du Musée n’étaient pas les plus appropriées pour l’exposition et l’étude de machines et maquettes, bien que le Conservatoire continuât de les recevoir et de les exposer. Il suscitait des initiatives en vue d’en assurer la promotion.
- 22 Entrarem na exposição que deles se costuma fazer nesse ato. Diário do Rio de Janeiro, 1844(06799) : (...)
- 23 Brasil. Ministério do Império. Relatório da repartição dos Negocios do Império. Rio de Janeiro, 184 (...)
- 24 Auxiliador, 1848(9) : 344. http://memoria.bn.br/DocReader/302295/6647
25Quant aux expositions temporaires, elles sont connues par les invitations à célébrer les anniversaires de la SAIN en 1844 et au cours des années suivantes. On en profitait pour rappeler que tous ceux qui avaient des objets dignes d’intérêt pour l’industrie nationale et qui voulaient les faire connaître, pouvaient les apporter dans les salles du Musée, pour les faire « entrer dans l’exposition habituellement faite dans cette occasion »22. Il s’agissait alors de dépôts d’objets pouvant donner lieu à restitution. La collection s’est agrandie au cours du temps, mais de manière modeste. À la fin des années 1840, la SAIN possédait dans son Conservatoire l’une des six machines à égrener le coton, reproduites et distribuées aux provinces à partir de celles acquises en 1845 auprès d’un inventeur national. L’obligation de distribution de maquettes et de machines par les municipalités de l’intérieur du pays devait servir à moderniser l’industrie, ambition constamment répétée dans les rapports au gouvernement. À cette époque, l’un des sociétaires est parti pour Paris afin de réunir des dessins, des maquettes de machines et des informations sur les améliorations industrielles23. En 1848, le Conservatoire a reçu un instrument qui a été mis en évidence dans les pages de l’Auxiliador. Il s’agissait d’un saccharimètre destiné, comme son nom l’indique, à mesurer la quantité de saccharose dans les différents sucres24. Le café devançait la canne à sucre dans l’exportation des produits primaires, mais celle-ci restait une production majeure. À partir de septembre 1849, le Conservatoire exposait, en plus d’anciennes machines de la collection SAIN, un nouvel outil d’égrenage du coton, adressé par le gouvernement.
26En 1847, la SAIN a publié un long article rédigé par Emilio Joaquim da Silva Maia, directeur de la Section de Zoologie et Anatomie Comparée du Musée National. Ce sociétaire annonçait l’intention de la SAIN d’inaugurer la pratique des expositions publiques afin de développer son engagement au profit de l’industrie nationale, à l’instar des pratiques d’autres pays, comme la France, la Belgique, la Prusse, l’Autriche et Naples25. Ce serait un premier essai, limité à la capitale impériale. Malgré l’opposition de quelques-uns, de nouvelles expositions ont été organisées au cours des années suivantes, avec le soutien de la société et du gouvernement.
27L’exemple à suivre, ne laissant aucun doute quant aux avantages des expositions industrielles, était la France. Son exposition en 1798, bien que très simple, avait été une véritable fête nationale. Celle organisée en 1844, avec des milliers d’exposants et des prix, faisait ressortir non seulement l’essor de l’industrie, mais aussi l’engagement du gouvernement français en vue de protéger son industrie. Même sans promettre la distribution des prix, ce qui aurait été impossible cette année-là, la SAIN pensait aux grands avantages que le pays pourrait engranger en réunissant et exposant dans un même endroit le plus grand nombre de produits possible. C’est à ce but que la SAIN a destiné les salles situées au sous-sol du Musée. De l’avis de ses promoteurs, ce fut un premier stimulus afin d’attirer l’attention du gouvernement et du public pour sortir l’industrie de la torpeur dans laquelle elle se trouvait. L’État pouvait prendre conscience des caractéristiques matérielles de l’industrie nationale. En conséquence, un tel exposé public devait repousser les doutes, simplifier les processus décisionnels et généraliser l’utilisation de machines et d’objets utiles qui, autrement, resteraient inconnus. L’article se termine par un appel aux agriculteurs et fabricants en tous genres pour s’inscrire, avec l’assurance que leurs produits seraient reçus avec intérêt, exposés correctement et étiquetés, et enfin restitués. Ils seraient accompagnés de certificats délivrés par les membres autorisés de la SAIN.
28Comme cela a été mentionné, le Musée National et la SAIN ont partagé pendant des années leurs collections, leurs sociétaires, leurs espaces et leurs ambitions. Quelques directeurs du premier figuraient parmi les sociétaires de la seconde. À la suite de João da Silveira Caldeira, les directeurs qui lui ont succédé au musée, notamment Frei Custódio Alves Serrão (1799-1873), directeur de 1828 à 1847, puis Frederico Leopoldo César Burlamaque (1803-1866), directeur de 1847 à 1866, ont continué à soutenir fermement la Société. Burlamaque, l’un des directeurs les plus actifs du Musée, membre de la SAIN et rédacteur en chef de l’Auxiliador, a étudié à l’École Polytechnique de Paris pendant les années 1820 (Figueirôa 2017). Il a été lié aux principales institutions axées sur l’amélioration de l’agriculture au Brésil, telles que le Jardin Botanique de Rio de Janeiro et l’Institut Agricole Fluminense (Lopes 2014).
- 26 A domesticação de animais indígenas e estrangeiros que pudessem ser úteis ao país, colaborando dess (...)
29Au cours des années 1850 et 1860, les liens entre le Musée et la SAIN se sont élargis avec l’action de Burlamaque. Mais la SAIN a fait face à des difficultés financières. Ses ressources étaient insuffisantes par rapport à ses activités, notamment pour la constitution d’un musée de machines contenant la collection de modèles des outils agricoles modernes, ainsi que pour l’acquisition d’un siège propre, dont le principe avait déjà été approuvé par la Chambre des Députés. Seule manquait encore l’autorisation du Sénat. Les fonds étaient même insuffisants pour initier « la domestication d’animaux indigènes et étrangers qui pourraient être utiles au pays, en collaborant ainsi pour la création d’un Jardin Zoologique, qui n’existait pas encore dans le pays »26. Pendant cette période, les principales initiatives de Burlamaque ont consisté à diffuser plus largement des maquettes et des machines, toujours dans le but de moderniser l’agriculture et consolider le développement de l’industrie naissante. Il assurait aussi la présentation de manuels d’appareils et de machines agricoles. Enfin, il se signalait par la rédaction de plusieurs textes : sur l’Acclimatation du dromadaire dans les arrière-pays du nord du Brésil, sur la culture du palmier dattier, tout en traduisant un rapport de Dareste présenté à la Société Zoologique d’Acclimatation de Paris en 1857.
30Enfin, l’un des objectifs précédents de la SAIN trouvait une forme de concrétisation, avec l’organisation de la première exposition nationale. La SAIN a accompli cette mission avec le soutien de l’Institut Impérial Fluminense d’Agriculture, dont Burlamaque était également membre. Présenté comme un « premier essai », l’Exposition nationale du Brésil fut inaugurée le 2 décembre 1861 et fermée le 16 janvier 1862 (fig.4). Elle se tenait au sein du bâtiment de l’École Centrale d’Ingénieurs.
Fig.4. Catalogue de la Première Exposition Nationale de l’Industrie
Page de titre de l'une des œuvres de la 1ʳᵉ Exposition Nationale de l'Industrie, en 1861, organisée à Rio de Janeiro, alors capitale de l'Empire, par la Sociedade Auxiliadora da Indústria Nacional avec la participation de Frederico Burlamaque. L'exposition visait à rassembler et exposer des produits manufacturés de toutes les provinces brésiliennes. La présentation du catalogue mentionne l'inspiration des expositions nationales européennes commencées en 1844, citant explicitement Paris, Berlin, Vienne et Madrid.
Recordaçôrs da Exposiçao Nacional de 1861, Rio de Janeiro 1862 http://objdigital.bn.br/objdigital2/acervo_digital/div_iconografia/icon493895/icon493895.pdf
31Elle avait été précédée d’expositions locales ou régionales. Le Brésil n’avait pas fait partie des expositions et foires mondiales antérieures mais, grâce aux efforts de la SAIN et de l’Institut Fluminense, ainsi qu’à la protection de l’Empereur, le pays fut présent, en 1862, à l’Exposition universelle de Londres.
32Pour en revenir à la première manifestation brésilienne, elle occupait 24 salles remplies de 9 962 objets provenant de 1 136 agriculteurs et industriels de toutes les provinces brésiliennes, parmi lesquels figuraient 1 495 objets exposés à Londres. La SAIN était représentée par deux maquettes de machines à cuire la farine de manioc, qui lui ont permis de recevoir une mention honorable.
Fig.5. Machine à vapeur pour broyer la canne à sucre
Visant la modernisation du pays par la mécanisation de l'agriculture, le Conservatoire de SAIN et la 1re Exposition Nationale de l'industrie, de 1861, présentaient des modèles et des machines pour l'amélioration des travaux impliqués dans le processus de production et extraction de la canne à sucre. Cette machine à broyer la canne à sucre à vapeur a été construite en fer par la célèbre fonderie de Ponta de Areia, à Rio de Janeiro. La lithographie a été réalisée par l'Institut artistique de Rio de Janeiro.
Recordaçôrs da Exposiçao Nacional de 1861, Rio de Janeiro 1862 :33 (http://objdigital.bn.br/objdigital2/acervo_digital/div_iconografia/icon493895/icon493895.pdf)
- 27 Viande séchée et salée répandue dans une grande partie de l’Amérique du Sud.
33Le rapport écrit par Burlamaque à propos de l’exposition, très peu mentionné dans la littérature, mérite une étude spécifique qui dépasse le cadre de cet article par la profondeur de son analyse à propos de l’évaluation des contributions du Brésil. Sans rejeter les efforts des exposants de chaque province, Burlamaque et les jurys ne laissent aucun doute vis-à-vis des caractéristiques de l’exposition, qu’ils définissent comme « étriquée », « chiche ». Ils n’épargnent pas non plus leurs critiques à l’encontre de l’état de l’économie nationale, dominée par une production agricole axée sur le sucre, le café, le coton, le cacao, les cuirs et le charque27 – malgré plus de trois décennies d’existence de la SAIN. Parmi les aspects positifs relevés figurent la présence de minerais, d’échantillons de fer, de charbon et de pétrole, certains produits de l’industrie de la céramique, des biens manufacturés. Les membres du jury avaient aussi mis l’accent sur les 519 échantillons de produits chimiques et pharmaceutiques. Le rapport mentionne la situation difficile de la construction navale brésilienne, dans laquelle se distingue une machine à vapeur d’un navire.
34Les plus grandes machines exposées – moulin pour la canne (fig.5), une machine centrifuge, cylindres et colonnes de fer (fig.6) – appartenaient aux chantiers navals de Ponta d’Areia, propriété d’Irineu Evangelista de Souza, baron de Mauá, industriel brésilien connu. Parmi les usines, une seule entreprise de Bahia, qui produisait des tissus de toile pour la navigation et l’agriculture, a reçu une médaille d’or. Dans le groupe 4 de l’Exposition nationale (arts mécaniques et libéraux), étant donné le petit nombre de productions et le lent développement des arts industriels, aucun exposant n’a mérité une médaille d’or.
Fig.6. Machine à vapeur pour alimenter les chaudières et un arroseur à volant
La machine à vapeur de l'image du haut était destinée à alimenter les chaudières de diverses industries et a été construite à la fonderie de Ponta da Areia, à Rio de Janeiro. La deuxième image montre un arroseur à volant, construit par l’Entreprise Éclairage au Gaz, dont la capacité de déplacement était essentielle pour augmenter l'efficacité de l'irrigation des cultures. Les deux ont été présentés dans la 1re Exposition Nationale de l'Industrie en 1861.
Recordaçôrs da Exposiçao Nacional de 1861, Rio de Janeiro 1862 :37 ; http://objdigital.bn.br/objdigital2/acervo_digital/div_iconografia/icon493895/icon493895.pdf.
35L’Exposition a également été marquée par l’absence presque totale d’inventions, à l’exception d’une application du système de transmission de signaux électriques à sténographie. L’Exposition semblait confirmer les préoccupations déjà évoquées les années précédentes par la SAIN et que le pays savait déjà : le café, la canne à sucre, le coton et le tabac étaient mal cultivés. Quant aux instruments présentés à l’exposition, les auteurs du rapport les considéraient comme des symboles du retard brésilien : une houe, des chariots à essieu fixe et, comme moteur, les bras de l’esclave28. Le rapport concluait que le retard des arts libéraux et mécaniques était la conséquence de la persistance de l’esclavage. Les importations étaient considérées comme un autre mal. Seul le travail libre, basé sur l’étude, la formation, pourrait établir une industrie avec un caractère « très brésilien », spécifique, sans caractéristiques importées29.
36Le besoin de la SAIN d’obtenir des maquettes et des machines, ainsi que des collections de produits de l’industrie nationale, a été mis en évidence dans tous les statuts (1830, 1840, 1850 et 1860) et répété tout au long de son existence. Un musée industriel, déjà proposé en 1825 par João da Silveira Caldeira, directeur du Musée National, réapparut dans les statuts de 1857. Il devait être réalisé dès que possible. Le musée devait rassembler tous les objets de l’industrie du pays dans des collections correctement classées, pour étudier les progrès de chaque branche. Il compterait des armoires et un entrepôt de machines et de modèles, ainsi qu’une bibliothèque spéciale regroupant des œuvres portant sur des questions industrielles, accessibles au public pendant certains jours de la semaine.
37Dans les années 1860, la SAIN se battait toujours afin de disposer de son propre siège social pour son musée des machines et sa bibliothèque. Les intellectuels rassemblés dans la SAIN, éclairés et en phase avec leur temps, ont lutté pour surmonter le décalage (de la Société et du pays), puisqu’ils connaissaient les expériences et les succès d’autres sociétés techniciennes étrangères. Comme le mentionne Florence Ott (2010 : 88) à propos du musée de Mulhouse :
« “Préserver la mémoire pour favoriser l’innovation”. Cela pourrait être la devise de la Société Industrielle de Mulhouse [SIM] qui, depuis 1826, a joué un rôle de premier plan dans le développement de l’industrie du Rhin supérieur. Avec le Musée de l’Impression Textile, dont les collections ont été assemblées dès 1832, la SIM a non seulement érigé un lieu de culture, mais aussi une base de données exceptionnelle ouverte aux créateurs et aux industriels du monde entier. »
38Malheureusement, la SAIN n’a pas pu suivre cet exemple et créer son propre musée de l’industrie, et ceci malgré plusieurs tentatives. Au début des années 1870, contrairement à ses prédécesseurs, Ladislau Netto (1838-1894), alors directeur du Musée National, a insisté sur le retrait de la SAIN des salles qu’elle occupait au Musée. En même temps, la SAIN continuait à déclarer qu’il serait très difficile de développer ses deux grands projets – une bibliothèque et un musée – dans le nouveau lieu, trop petit pour de telles entreprises30. Un projet de loi d’Invention pour l’Empire du Brésil prévoyait le fonctionnement de la Société dans un bâtiment séparé, partagé par la SAIN et un musée de Brevets qui y serait également installé, où les modèles devaient être déposés31.
39En 1878, les objets de l’ancien Conservatoire furent finalement transférés de la salle du Musée National vers un autre bâtiment que la SAIN occupait Place de l’Acclamation. La même année, l’Auxiliador a republié la Liste Abrégée des Machines et Modèles trouvés dans le Conservatoire de la Société d’Encouragement de l’Industrie Nationale dès les années 1830, recensant une collection de 89 machines et modèles et mentionnant que, comme les autres objets qu’elle avait acquis, ils étaient complètement perdus par manque de place et de soin dans leur conservation32. Il est triste de constater que cela n’est pas une spécificité brésilienne : Bonnard et Hilaire-Pérez (2010 : 20) le constatent quand elles parlent de la situation à Lyon : « l’histoire des collections de modèles est marquée par le manque d’intérêt des acteurs locaux ».
- 33 Publié comme livre posthume en 1870, à partir d’une compilation de fascicules publiés depuis 1838 d (...)
40En l’absence physique de ces collections, c’est le Manuel des machines et outils agricoles de Frederico Leopoldo Burlamaque, publié en 1859, et son Catéchisme d’Agriculture33, qui permettent d’aborder le rôle des collections techniques pendant une période de l’histoire du Brésil, marquée par l’esclavage et par l’initiative de certaines personnalités publiques visant à surmonter cette situation, en encourageant la mécanisation de l’agriculture et la création d’industries nationales, bien qu’elles n’aient pas toujours reçu le plein appui dont elles avaient besoin. En accord avec Silva (1979), il faut souligner ici la dimension modernisatrice de la SAIN, même pendant une période de fort conservatisme dans la politique de l’État. Au fur et à mesure que la monarchie s’approchait de sa fin et en raison des dissensions internes à l’institution, la SAIN a perdu de son importance pour finir par fermer ses portes en 1904.
41Nous espérons que cet article contribuera à l’histoire des techniques et de la technologie, en général et surtout au Brésil, où elle est encore un parent pauvre du champ académique. Il n’y a pratiquement pas d’études qui se concentrent sur les collections du Musée national et de la SAIN par le prisme de la technique, ou la participation du Brésil à l’Exposition universelle par une approche autre que celle de l’affichage de l’Exotisme tropical. Comme nous avons essayé de le démontrer, il s’agissait, précisément, de la question technique quand on compare les institutions brésiliennes à la scène internationale de l’époque. Les Expositions universelles, au-delà d’irremplaçables Vitrines du Progrès et sites pour l’enseignement public, sont elles-mêmes des centres d’échange de toutes sortes de produits. Elles ont alimenté les musées techniques en objets industriels. Ceux-ci permettent de reconstruire les flux de produits, les réseaux de sociabilités, à partir d’une documentation écrite et iconographique, mêlant l’histoire politique, diplomatique, coloniale, institutionnelle et personnelle aux changements techniques matérialisés dans les objets.
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