Vincent Farion, bonjour et merci de nous recevoir. Pouvez-vous définir le musée du Plâtre ?

C’est un musée associatif qui, sur le thème du plâtre, conjugue art et savoir-faire, sciences et techniques, histoire et patrimoine. Il est le seul musée en France dédié au matériau plâtre et, à cet effet, dispose d’un fonds unique dont les collections, la bibliothèque et la photothèque en font un centre de ressources et d’échange incontournable. Outre ses collections qui ont vocation à constituer une exposition permanente, l’association organise ou participe à des expositions temporaires et des actions pédagogiques. Elle effectue aussi des recherches historiques et publie des ouvrages.

Quelle est l’origine du musée et les motivations de sa création ?

L'association des Amis de l’Écomusée-Musée du Plâtre a été créée en 1982 par des habitants de Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise) et à l’initiative de Françoise Tribondeau (1936-2001), engagée dans la vie associative et culturelle locale. L’association fut « parrainée » par Georges Henri Rivière (1897-1985), initiateur des premiers écomusées en France, fondateur du musée des Arts et Traditions Populaires, venu en visite à Cormeilles le 20 février 1983. Comme son nom l’indique, l’association avait le double objectif de créer un « écomusée » ou musée de territoire en associant la population à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel de Cormeilles et du Parisis, mais aussi de créer un musée thématique sur le plâtre. Le point de rencontre était le site industriel Lambert avec sa carrière, son usine et ses cités ouvrières. Il y avait urgence à prendre en compte la mémoire de ce site, tant du point de vue technique et scientifique qu’historique et sociologique. De fait, une des tâches à laquelle s'est attelée l'association dès ses débuts a été la récupération de documents, d’archives et de témoignages sur cette histoire industrielle.

En quoi le site de Cormeilles-en-Parisis est-il un site de référence pour le gypse et le plâtre ?

Il faut ajouter à cela que les niveaux de gypse de première masse à Cormeilles appartiennent aux plus purs qu'on puisse trouver, dépassant souvent les 90 % de sulfate de calcium. C'est une particularité du gypse d'Ile-de-France dont découle la réputation de grande qualité du « Plâtre de Paris ».

Pourquoi la philosophie du musée a-t-elle évolué ?

Très vite, les fondateurs de l’association se sont aperçus que le plâtre allait les entraîner beaucoup plus loin que le seul territoire de Cormeilles-en-Parisis. L'association a d'abord compté de nombreux membres locaux, Cormeillais ou habitants des environs, qui y adhérèrent par intérêt pour l'histoire locale, et d'anciens membres du personnel de la carrière et de l'usine Lambert. Le musée s'est étoffé dans les années 1990 et plus encore dans les années 2000, avec le renfort de personnes issues d'autres horizons.

Du fait de cette diversification, le musée, tout en poursuivant ses travaux sur le site de Cormeilles, s’est ouvert à d'autres aspects liés au plâtre : l’art, l'archéologie, la géologie, les applications techniques, l'histoire des techniques et des ouvriers du plâtre à tous les niveaux, de l'extraction à la mise en œuvre. De plus, le musée participe au Groupe de Recherche sur le Plâtre dans l’Art (GRPA) créé en 1997. De cette constitution sociologique résulte aujourd’hui un groupe de travail dynamique aux orientations multiples, capable d'un rapport direct avec le grand public, comme avec l'industrie plâtrière et les domaines de la construction. La multiplicité des compétences ainsi réunies et la capacité d'approches spécifiques fines tant au point de vue de la géologie que de l'histoire locale, l'histoire technique et industrielle ou de la connaissance du patrimoine a permis à l'équipe du musée du Plâtre d'acquérir un statut de référent à l'échelle nationale et même européenne.

Quel est l’intérêt du matériau plâtre ?

Le plâtre constitue le matériau de référence de la construction courante d'Ile-de-France depuis la fin du Moyen Age, en fait depuis la pétrification de la construction vernaculaire à partir du XIIIe siècle. Ce matériau se retrouve ainsi dans toutes les constructions, de tous niveaux sociaux et tous usages. On le trouve par exemple constituant la structure de la Galerie des Glaces et d'une grande partie du château de Versailles jusqu'aux enduits des murs à palisser de Montreuil, incluant dans l'intervalle sociologique et fonctionnel tous les types de construction et toutes les déclinaisons techniques : maçonneries coffrées, moëllonnées, en grand appareil, en brique, à armature de bois, à colombage ; dans les murs, les sols, les couvertures (solins de toitures, rives, faîtages...), en fumisterie et en décoration. En outre, le plâtre, tout au long des périodes historiques, depuis l'époque gallo-romaine du moins, a servi à la production d'éléments mobiliers et de sculpture, tant mobilière que monumentale. Le plâtre enfin est un excellent matériau de moulage, probablement le meilleur qu'on ait connu avant l'apparition des matériaux à base de silicone. Il a donc servi depuis l'Antiquité à la reproduction et au tirage de sculptures, à la production d'objets moulés de tous types, en particulier de pièces mécaniques avec l'industrialisation et en médecine pour la production de prothèses.

Le plâtre est également reconnu comme un produit ignifuge depuis très longtemps. Après le grand incendie de Londres de 1666, l’ordonnance royale du 18 Août 1667 a introduit « l’obligation d'enduire les pans de bois des maisons de Paris. »

Quel a été le développement du musée du Plâtre ?

Ce n’est qu’en 1996 que le musée a pu disposer d’un lieu permanent. Auparavant, ses actions et animations furent itinérantes. Parmi les étapes marquantes, citons une première « exposition bilan » en 1984, l’exposition de préfiguration du musée en 1985, l’étude de faisabilité en 1991, qui malheureusement ne se concrétise pas, et l’exposition Gypsophilie à Montigny-lès-Cormeilles en 1992. Au fil des années, l’association a organisé ou participé à différentes manifestations : expositions, conférences, visites de la carrière de Cormeilles, invitations d’artistes, fête de la science, journées du Patrimoine.

Enfin, un premier espace d’exposition permanent a ouvert en 1996, dans des locaux prêtés par la Ville de Cormeilles-en-Parisis. Puis, en 2012, le musée du Plâtre s'est retrouvé associé au musée du Vieux Cormeilles disposant également d'une importante collection muséale dédiée à l’histoire locale, au sein d'un groupement associatif intitulé Aux Musées Réunis, hébergé par la Ville de Cormeilles dans un bâtiment réhabilité pour l’occasion.

Ce groupement est dissous au début 2022 après que la municipalité de Cormeilles-en-Parisis a décidé de reprendre les locaux et de créer un autre projet muséographique s'intéressant uniquement à l’histoire de la commune et excluant la thématique du plâtre. Les Musées Réunis ont donc fermé le 31 décembre 2021 et, avec lui, le musée du Plâtre. Dès lors, nous sommes à la recherche d’une localisation en Ile-de-France et travaillons à un nouveau projet muséographique.

Comment se sont constituées les collections du musée ?

Les collections, comme le fonds documentaire, relèvent d'une approche large. Ils ont été initialement constitués par l'histoire agricole et industrielle de Cormeilles-en-Parisis, puis étendus à d’autres territoires du plâtre. Il en va de même pour les collections géologiques touchant à la carrière de Cormeilles, mais aussi au Bassin parisien, voire à d’autres régions du monde pour les cristaux de gypse. Ou encore celles relevant de la maçonnerie traditionnelle, de l'artisanat ou de la mémoire technique. La présence d'œuvres d'art et de chefs-d’œuvre de Meilleurs Ouvriers de France au sein de la collection en complète la portée sociologique et artistique.

Nos collections et archives sont documentées ; la nécessité de cette documentation a été une préoccupation constante qui s'est accrue ces dernières années. Du point de vue muséal et des champs thématiques dont il relève, le musée du Plâtre s'avère être une collection de référence. Ses collections comprennent 400 cristaux de gypse du monde entier, 3 000 fossiles du Bassin parisien, 1 200 pièces qui illustrent les métiers et les arts du plâtre dont le fonds d’atelier du sculpteur Boulogne (1926-1992) avec ses plâtres originaux.

Le fonds initial consacré à la carrière Lambert permet une approche historique très précise de tous les aspects liés à la vie de l'industrie du plâtre à Cormeilles depuis les débuts de l'exploitation par la famille Lambert au XIX^e siècle jusqu’à aujourd’hui avec Placoplatre. L'élargissement intellectuel survenu à partir des années 1990 et la documentation acquise parallèlement permettent des approches comparables pour d’autres territoires ou industries plâtrières et des matériaux de construction. Quoiqu'il en soit, le fonds documentaire du musée, qui bénéficie d'un inventaire à jour, est important et illustre toute l'histoire de l'industrialisation de la production du plâtre, mais touche aussi à la géologie du Bassin parisien et aux métiers et arts du plâtre. La bibliothèque compte 6 000 références (ouvrages imprimés, périodiques, articles) et l’iconothèque 3 000 items (photographies anciennes ou reportages récents, cartes postales, gravures, etc.).

L'évolution croissante des collections du musée du Plâtre et la reconnaissance de cette association tant au niveau régional que national, voire international, impliquent un renforcement de notre structure comme institution muséale. Une démarche d'inventaire systématique a donc été mise en place dans le courant de l'année 2020, puis la rédaction d'un Projet Scientifique et Culturel a été engagée. Cette démarche vise à rendre les collections du musée inaliénables par l'acquisition souhaitée du statut de musée de France.

Le musée du Plâtre se définit-il comme un musée technique ?

Les thématiques traitées par le musée du Plâtre regroupent donc les rapports entre technique et culture, la mémoire des praticiens ainsi que le jeu des interrelations entre les aspects patrimoniaux et la créativité associée à ce matériau.

Donc le musée dépasse le simple cadre des techniques, mais quel lien existe-t-il entre histoire des techniques et art populaire ?

Existe-t-il d'autres musées équivalents et pensez-vous qu'on puisse constituer un réseau des musées du plâtre ou des musées des matériaux ?

Enfin, nous connaissons l’existence de deux musées consacrés au plâtre ou au gypse en Espagne, l’un, municipal, à Soneja (Castellón), l’autre, privé, à Vilobí del Penedès (Barcelone), ainsi que deux musées en Italie, à Cerano d’Intelvi (Como) consacré surtout à l’artisanat local et à Pontassieve (Florence) qui serait la collection d’un restaurateur de stucs. Pour autant, nous n'avons pas établi jusqu’à présent de rapports formels avec ces structures, mais l'idée de créer un réseau européen mérite réflexion.

Quelles sont les démarches mises en place pour collaborer avec les écoles, les lycées, les universités ? Que pourriez-vous apporter aux chantiers d’insertion, voire d’apprentissage ?

Le musée du Plâtre a toujours accueilli des publics scolaires, de niveau primaire, pour une initiation au moulage, mais aussi des collèges et des lycées s’intéressant à la géologie du Bassin parisien et à l’environnement des carrières. L'accès facilité à la carrière de Cormeilles et les collections de géologie ont aussi largement permis l'accueil d'étudiants, en particulier en géologie, en architecture ou dans les filières patrimoniales. Désormais, c’est à la carrière de Villeparisis-Le Pin (Seine-et-Marne) que nous pouvons proposer des visites ciblées en partenariat avec l’exploitant Placoplatre.

En outre, bien que ne participant pas à la formation aux métiers du plâtre, le musée a accueilli des lycées et des élèves de centres de formation professionnelle pour les épauler du point de vue culturel et pédagogique grâce à ses ressources documentaires et ses collections. Il a accueilli également de façon régulière des étudiants en stage sur des projets spécifiques. Concernant les chantiers d’insertion et d’apprentissage, le musée permet une expertise technique et patrimoniale autour de la thématique du plâtre.

Ces axes resteront des axes forts de la politique des publics du musée au sein du futur projet. En attendant, nous sommes en mesure d’intervenir en nous déplaçant vers les publics qui le demandent. La difficulté que l'on connaît déjà et qui risque de perdurer est celle de la limitation de nos moyens humains, n'ayant qu'un seul salarié au sein de notre structure et ne pouvant toujours compter sur les bénévoles de l’association. Il est difficile de répondre correctement à toutes les sollicitations, mais nous nous efforçons cependant de tenir cet engagement.

Quels sont les liens qui unissent le musée du plâtre à l'industrie plâtrière actuelle, à son territoire et à leur histoire respective ?

Depuis le début de notre activité, la société Placoplatre (groupe Saint-Gobain) est un partenaire essentiel. Avec la subvention attribuée, nous avons pu publier l’historique de l’entreprise, organiser des visites des carrières, monter l’exposition Les visiteurs de la carrière en 2019 ou diffuser La Lettre Blanche. Les études et recherches commandées sur l’histoire de l’industrie du plâtre ont comme effet d’augmenter notre propre patrimoine historique. Notre actuelle relocalisation nous permet d’espérer des partenariats avec d’autres industriels en fonction de ce que nous pourrons leur apporter et ceci d’autant plus que les principaux industriels du plâtre sont présents en Ile-de-France tels Siniat (groupe Etex), Knauf ou encore les Plâtres Vieujot. Nous sommes aussi en contact avec Eurogypsum, fédération des industriels européens du plâtre, afin de constituer un réseau culturel et éducatif sur le matériau.

Envisagez-vous des collaborations avec d'autres acteurs du territoire ? Et travaillez-vous avec les habitants ?

Oui, autant que faire se peut, la relocalisation dans le nord-parisien va nous obliger à investir un territoire qui constitue potentiellement un nouveau public et de nouveaux adhérents, rendant tous les projets possibles.

Dans quelle mesure le tourisme peut être important pour une association comme la vôtre ?

Jusqu’à ce jour, nous nous sommes adressés aussi bien au grand public, plutôt du voisinage proche, qu’à un public spécialisé de professionnels du bâtiment, artistes ou géologues, et bien sûr aux scolaires et étudiants. L’apport touristique est plus difficile à évaluer. Cela dépendra du territoire qui nous accueillera et des partenariats qui seront noués. Les carrières de gypse auprès desquelles nous nous implantons – hier celle de Cormeilles, aujourd’hui celle de Villeparisis-Le Pin – sont de bons produits d’appel. Nous pouvons en suivre l'évolution, de l’exploitation industrielle à la remise à l’état naturel, exemple de réappropriation du paysage.

Comment faites-vous votre communication ? 

Parlez-nous de ce grand projet de relocalisation et de redéploiement du musée sur lequel vous travaillez actuellement ? 

Du fait de notre déménagement contraint, nous avons dû chercher un nouveau point de chute. Nous avons donc démarché de nombreuses collectivités pour trouver des locaux qui puissent nous accueillir et qui puissent nous aider dans la mesure où nous n'avons que des moyens associatifs. Les développements possibles et les projets sont nombreux aujourd'hui, mais il faut d'abord réussir notre relocalisation.

Courant 2022, nous avons déménagé nos bureaux, bibliothèque, archives et photothèque à Deuil-la-Barre (Val-d’Oise) à l’invitation de la municipalité. Quant aux collections, elles ont été stockées à l’usine Placoplatre de Vaujours (Seine-St-Denis), sans pouvoir être exposées. Nous n’avons plus d’atelier permanent pour accueillir les scolaires ou des manifestations de sensibilisation au matériau plâtre. Néanmoins, nous sommes déjà sollicités pour des animations pédagogiques dans les écoles et centres de loisirs. À Montreuil, avec les associations des Murs à Pêches et des Pierres de Montreuil, nous menons un partenariat pour des actions autour du plâtre. En parallèle, nous sommes candidats pour un projet muséographique dans le cadre du Parc de la Poudrerie de Sevran, avec le soutien du Département de Seine-Saint-Denis et de la commune de Vaujours. Ainsi, dans le futur, le musée du Plâtre pourrait se déployer dans le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis, ce qui permettrait de garder la collaboration avec les différentes collectivités, industriels ou associations qui nous ont soutenus jusqu'à présent. Mais tout est à construire et on ne peut tout faire en même temps. Reste que nous sommes une petite équipe associative, avec moins d'une centaine d'adhérents aujourd'hui, une poignée de membres actifs et un seul salarié, autant dire que la marche est haute !