1Il y a un an, nous publiions dans cette revue un dossier sur les sources de l’histoire des techniques. L’objectif était de rendre compte de la diversité non seulement des sources existantes dans cette discipline (écrits, images, sources immatérielles), mais aussi des méthodologies à mettre en place pour les étudier. Étant donné l’ampleur du sujet traité, et pour éviter de se limiter à un seul angle d’approche, nous avions pris le parti « de multiplier les points de vue et les domaines traités, préférant, à l’illusion d’exhaustivité qu’aurait pu procurer un ouvrage cohérent et systématique, la proposition de différentes pistes de réflexions transversales ». L’exhaustivité en effet, était impossible, et cela demeure vrai. Cependant, nous avions déjà conscience que l’importance et l’amplitude du sujet méritait de lui consacrer un nouveau numéro, que nous sommes heureux de publier aujourd’hui. Les articles suivants complètent donc les pistes de réflexion dessinées précédemment sur l’apport des sources numériques, iconographiques, immatérielles et archéologiques.

2Anne-Françoise Garçon qui ouvre ce nouveau numéro s’inscrit pleinement dans cet esprit, en visant à rappeler l’ambiguïté du statut de l’écrit pour l’historien des techniques. Son article apparaît comme une réponse à ce que Bertrand Gille écrivait dans ses prolégomènes, qui présentait les traités techniques comme une source globalement « neutre ». Elle montre le danger de cette approche, et justifie du même coup la pluridisciplinarité par la nécessité, non de bannir ces sources du travail de l’historien des techniques, mais d’être capable de les inscrire dans un référentiel technique adéquat. Une nouvelle approche des sources qui sonne comme un programme pour toute la discipline.

3Cyril Lachèze, qui présente ici ses travaux de master, nous propose justement une réflexion sur les sources possibles de l’histoire d’un geste technique très peu documenté dans les traités de la période moderne : la tenue du violon. L’étude de l’iconographie « hors-traités » lui permet de montrer la diversité possible des tenues du violon et de l’archet à la période moderne, avant sa réduction à la tenue sur l’épaule à la fin du XVIII^e siècle. Dans un second temps, l’usage de l’expérimentation et l’utilisation de sources ethnologiques lui permettent à la fois de vérifier la possibilité et l’efficacité des différentes positions en fonction de la musique jouée à cette époque. Ainsi, tout en comblant une lacune documentaire, il recontextualise les traités en montrant des pratiques passées sous silence ou laissées pour résiduelles.

4L’article de Fabian Kroeger vient clore ce dossier en exhortant les historiens des techniques à se saisir des sources cinématographiques de fiction pour réaliser une histoire des représentations techniques au XX^e siècle. Il rappelle ainsi que tout film, en ce qu’il met en scène des objets techniques, souvent quotidiens, mérite d’être traité selon une approche d’histoire culturelle des techniques, et qu’il ne faut pas se replier sur la seule science-fiction, comme les historiens du cinéma le font trop souvent, ou sur les seules représentations de l’ouvrier, comme le font les historiens du travail. Son étude de cas de la représentation des accidents automobiles dans l’œuvre de Jacques Tati, démontre ici la pertinence de son approche. Il montre combien, chez le cinéaste français, les objets techniques quotidiens sont perçus de façons ambiguë, ni de façon entièrement méliorative, ni de façon entièrement péjorative.