• 1 La partie de ce texte portant sur les aspects historiques de la législation sur les brevets et de l (...)
• 2 Pour une vue d'ensemble sur l'utilisation des brevets, voir Les brevets, leur utilisation en histoi (...)

1Les archives de l’invention sont constituées, tout au moins une partie, par celles qui relèvent des dépôts faits en vue d'une protection de la propriété industrielle1. Ce domaine particulier recouvre, comme on le sait, la protection de l'invention par les brevets, la protection des dessins et des modèles industriels, ainsi que celle des marques de fabrique. Ces documents émanent directement des acteurs de la création technique (inventeurs, industriels, créateurs) au cours de l'histoire industrielle de notre pays. C'est ainsi une partie importante du patrimoine immatériel des industries qui se trouve présente dans ces archives. Leur intérêt est d'autant plus grand que bien souvent elles constituent les rares traces laissées par d'innombrables inventeurs à l'origine d'innovations remarquables, et par de nombreuses petites ou moyennes entreprises, dont la durée de vie a été souvent relativement courte mais dont l'apport technologique a pu être important. Des études menées par des historiens sur les fonds de brevets d'invention ont montré le grand intérêt présenté par ces archives pour reconstituer l'histoire de l'innovation2. Accéder à cette mémoire constituée par les archives de la propriété industrielle, c'est pouvoir comprendre la dynamique des innovations, retrouver les racines de la création et les moyens destinés à attirer l'attention des éventuels consommateurs.

• 3 Brevets et Révolution, 1791-1805, Catalogue d'exposition, Paris, Institut National de la Propriété (...)
• 4 Pierre FRESSONNET, « Le brevet d'invention en France », Eureka 83, Un siècle d'inventions française (...)

3L'histoire de la propriété industrielle commence véritablement en France durant la Révolution avec les premières lois sur les brevets d'invention (7 janvier - 25 mai 1791), qui crée le Directoire des brevets d'invention, service placé auprès du ministère de l'intérieur de l'époque3. Le 17 Vendémiaire an VII (8 octobre 1798), le Directoire exécutif charge le Conservatoire des Arts et Métiers de recevoir le dépôt des originaux des brevets expirés et, conformément à ses directives, le ministre de l'intérieur charge le Conservatoire de publier les brevets d'invention. Tout au long du XIX^e siècle, le service en charge de l'enregistrement des brevets d'invention, puis des marques de fabrique à partir de la loi du 27 juin 1857, dépend tour à tour du ministère de l'intérieur et de celui du commerce. En 1882, est créé le bureau de la propriété industrielle, rattaché à la Direction de l'industrie du ministère du Commerce et de l'industrie4.

• 5 Resté à cette adresse jusqu’en 2012, l’INPI vient de s’installer récemment à l’adresse suivante : I (...)
• 6 Valérie MARCHAL, Communication orale à l'École nationale du patrimoine, 1999.

4C'est en 1901 (loi et décret du 9 juillet) que l'« Office national des brevets d'invention et des marques de fabrique » est créé. Cet office, rebaptisé « Office national de la propriété industrielle » (ONPI) en 1902, s'installe en 1919 dans l'immeuble situé au 26 bis, rue de Petrograd, aujourd'hui rue de Saint-Pétersbourg. Depuis 2013, il se trouve à une nouvelle adresse5. L'« Institut national de la propriété industrielle » (INPI) est créé par la loi du 19 avril 1951. Il a pour mission de participer à l'élaboration du droit de la propriété industrielle, de recevoir les dépôts et délivrer les titres de propriété industrielle (brevets, marques, dessins et modèles), de mettre à disposition du public les informations officielles dans le domaine de la propriété industrielle, de tenir le registre national du commerce et des sociétés, ainsi que le répertoire central des métiers6.

• 7 L'INPI a créé à cet effet la Cellule Archives et Patrimoine (Département de la Documentation et de (...)

5C'est pourquoi, en tant qu'héritier des fonds des différentes institutions qui se sont succédé depuis 1791 et qui viennent d'être évoquées, l'INPI aujourd'hui conserve dans ses locaux un fonds d'archives unique, constitué par l'intégralité des brevets d'invention déposés depuis 1791, des marques depuis 1858 et des dessins et modèles depuis 1910, représentant plus de 150 km de documents originaux7.

• 8 Code de la Propriété intellectuelle, article L. 611-10.
• 9 Ibidem.

6« Sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle8 ». La nouveauté d’une invention s’apprécie au regard de l’état de la technique, qui « est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen9 ».

• 10 La loi française du 1er juillet 1992 institue le Code de la Propriété Intellectuelle qui regroupe l (...)

7Les lois de 1791 reconnaissent et garantissent la propriété des inventeurs ; le brevet d’invention est établi comme un contrat d’une durée limitée, qui permet au déposant de bénéficier d’un monopole pour exploiter son brevet ; à la fin de la durée de protection, l’invention fait partie du domaine public. Trois durées de protection sont proposées aux inventeurs, qui doivent faire leur choix au moment du dépôt : cinq, dix ou quinze ans. Bien que révisée en 1844, ces dispositions restèrent inchangées jusqu’en 1939, lorsque la durée de validité d’un brevet a été portée à vingt ans. Le maintien de la protection d’une année à l’autre dépend du paiement d’une taxe annuelle, principe encore en vigueur aujourd’hui. En 1968, une nouvelle loi est adoptée sur les brevets d’invention, pour introduire les mesures validées par les pays membres du Conseil de l’Europe. Depuis 1992, cette loi fait partie d’un ensemble législatif couvrant tous les domaines de la propriété industrielle10.

• 11 Arrêté du 5 Vendémiaire an IX (27 septembre 1800).
• 12 Ibidem. C’est à dire « sans garantie du gouvernement », signalé par le sigle SGDG bien connu.

8Dès l'origine et jusqu'en 1901, le déposant d’un brevet devait remettre un paquet cacheté contenant les pièces suivantes : une lettre adressée au ministre de l’Intérieur11, dans laquelle le déposant demande la délivrance d’un brevet ; un mémoire descriptif, dans lequel le déposant explique de façon détaillée les « principes, moyens et procédés » qui constituent son invention ; des dessins, remis en double exemplaire (plans, coupes et élévations) ou bien un modèle de l’invention. Jusqu'en 1844 les documents ont été soumis au Comité consultatif des Arts et Manufactures pour avis sur l’accomplissement et l’exactitude des formalités décrites ci-dessus. C’est ainsi que les brevets sont délivrés avec la mention suivante : « le gouvernement, en accordant un brevet d’invention, n’entend garantir en aucune manière, ni la priorité, ni le mérite, ni le succès d’une invention12 ».

• 13 Pour plus de détails, consulter l’ouvrage de Gérard EMPTOZ et Valérie MARCHAL, Aux sources de la pr (...)

9Un catalogue, recensant tous les brevets déposés, est édité chaque année par le ministère. Toute personne peut demander à les consulter avant de déposer un brevet, afin de vérifier si l’invention est véritablement nouvelle. A partir de 1883, sont publiées des listes hebdomadaires dans chaque numéro du Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI)13.

• 14 Certains dossiers de dépôt de brevets sont conservés dans les Archives départementales (dépôts prov (...)

10Lorsque la validité d’un brevet prend fin, ou bien lorsqu’il a été déchu de ses droits, il a donc été publié par le Conservatoire des arts et métiers, à moins que le déposant obtienne une prolongation ou le secret de son invention. Cette collection éditée par le Conservatoire, et intitulée Description des machines et procédés, est la seule publication des brevets pour le XIX^e siècle, mais elle n'est ni intégrale, ni systématique. Les textes des brevets sont en effet corrigés, résumés, en totalité ou en partie, regroupés (par exemple, le brevet initial avec les additions), abrégés, et parfois seules les données bibliographiques sont indiquées. Les planches des dessins sont renvoyées à la fin de chaque volume. Lorsque les brevets sont imprimés, c’est à dire à partir de 1902, l’accès à ces documents est naturellement simplifié. Actuellement, l’accès peut être fait par Internet (voir plus loin). Tous les brevets déposés en France sont conservés par l’INPI14.

• 15 Voir sur le site de l’INPI la rubrique « Brevets anciens 19^e siècle ».
• 16 http://www.inpi.fr/fr/l-inpi/nos-ressources-documentaires.html.
• 17 Lorsqu’elle sera terminée, la base couvrira la période de 1791 à 1901, soit 330.240 brevets.

12Pour la période allant de 1791 à 1902, tous les brevets sont des manuscrits manuscrit ou tapuscrits selon la période. Les dossiers originaux conservés comportent une série d’informations sur l’inventeur, la description de l’invention, ainsi que les planches de dessin d’accompagnement. Il est ainsi possible de faire des recherches par noms de déposants et par matières de plusieurs façons. La consultation des Catalogues des brevets d’invention, année après année, jusqu’en 1883, puis, à partir des années suivantes, dans la collection des volumes du Bulletin officiel de la propriété industrielle constitue la méthode classique. Ces recherches sont souvent longues, en particulier parce que les tables des catalogues sont construites à partir du langage technique de l’époque et font usage de mots ou de néologismes difficiles à saisir de nos jours. Actuellement l’INPI a mis en ligne l’intégralité des brevets déposés entre 1791 et 1855, ce qui rend la recherche très efficace et très rapide pour cette période historique15. L’accès sera progressivement étendu jusqu’à l’année 190116. La base des brevets du XIX^e siècle17 permet des recherches avec des possibilités étendues d’interrogations. Une série de mots-clés accompagne chaque brevet. La recherche par nom d’inventeur est aussi très facilitée par la structure des fiches descriptives de chaque document. Enfin, les reproductions issues de photographies des dessins contenus dans les brevets comportent une échelle qui permet de reconstituer les documents aux dimensions d’origine.

• 18 Pour plus de détails, consulter le site Internet de l’INPI : http://www.inpi.fr/fr/services-et-pres (...)
• 19 Suite à une étude conjointe de l’INPI avec la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, r (...)

13Pour les brevets du XX^e siècle, le fonds est à la fois accessible grâce à des tables par déposants et par matières publiés dans le Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI), mais aussi par Internet18. Toutefois les classements ayant varié au cours du temps, l’accès n’est pas très aisé dans certains cas. On peut signaler aussi qu’à partir de 1902, les textes originaux des brevets et les correspondances des inventeurs accompagnant les dépôts ont été légalement détruits au bout de trente ans. Il ne reste donc comme archives que la version imprimée des brevets. Cette disposition de destruction légale a été revue, et la conservation des correspondances a été reprise à partir de l’année 196819.

• 20 Gérard EMPTOZ et Valérie MARCHAL, Aux sources…, op.cit., 2002.
• 21 Dans cet ouvrage abondamment illustré, on trouve des informations sur les principaux aspects de la (...)

15Par ailleurs, dans le cadre des actions engagées pour rendre plus accessibles l’ensemble des archives des brevets d’invention, et plus généralement pour la mise en valeur de l’ensemble de son patrimoine, la cellule Archives et Patrimoine de l'INPI, créée en 1997, a réalisé un guide destiné à faciliter la consultation et l'accès aux documents. En 2002, l’Institut a publié l’ouvrage sous le titre Aux sources de la propriété industrielle, Guide des archives de la propriété industrielle, ouvrage destiné à tous les chercheurs intéressés par ces archives d’un intérêt historique exceptionnel20. Ce travail a nécessité la réunion d'une abondante documentation, non seulement sur les brevets, mais aussi sur le fonds des « Dessins et modèles », ainsi que celui des « Marques déposées ». Comportant des études historiques et abondamment illustré, l'ouvrage donne sur chacun de ces domaines des moyens d'accès aux informations recherchées et tous les détails nécessaires à faciliter les recherches21. Il est destiné à aider à retrouver tous documents relatifs à la propriété industrielle en France.

• 22 Cette partie correspond à une version remaniée et complétée de l’intervention de l’auteur au sémina (...)

16Les dessins sont fréquemment rencontrés dans les documents descriptifs des inventions22. Quelques exemples de dessin extraits de brevets déposés entre le début du XIX^e siècle et la période contemporaine viennent illustrer une facette peu étudiée de la représentation des objets inventés. Pour la replacer dans une perspective plus large, il sera nécessaire de l’inscrire dans une histoire générale du dessin technique. Etudiée par différents auteurs, dont on citera plus loin quelques travaux, cette histoire pourra éclairer des aspects évoqués dans le présent article. Au préalable il faut remarquer que les brevets ne comportent pas tous nécessairement un ou plusieurs dessins. Il n’y a d’ailleurs pas d’obligation en ce domaine. En effet de nombreuses inventions ne correspondent pas nécessairement à des machines, ou à des éléments de machine et d’autres dispositifs techniques particuliers. Les brevets peuvent en effet porter sur des procédés, ou proposer de nouvelles techniques, et, ainsi, ne pas décrire une réalisation concrète. Dans le cadre de cet article, le choix se limitera volontairement à montrer l’évolution du dessin technique au cours du temps.

• 23 Voir les travaux de Philippe JOBERT, en particulier « Jean-Baptiste Mollerat (1772-1855). Le prix d (...)
• 24 Yves DEFORGE, Le graphisme technique, son histoire et son enseignement, Paris, Champ Vallon, 1981.

20La figure 2 signale une première évolution. Le brevet a été déposé par un grand industriel bourguignon, J-B. Mollerat, personnage très au fait des techniques les plus avancées de son époque23. A partir de la lecture des dessins, il est possible de les relier à la culture technique des inventeurs. Lorsque le graphisme est bien de la main même de l’inventeur, cela peut être utile, par exemple, lorsque la profession de l’inventeur n’est pas mentionnée dans le dossier du brevet. Le brevet Mollerat est celui d’un chimiste, homme d’affaires, qui a initié la première chimie du bois et ses sous-produits obtenus par distillation, et qui connaissait bien le monde anglais et ses productions, notamment au sujet des combustibles. Le dessin de ce brevet déposé en 1825 signale une évolution du graphisme, tendant vers la simplicité, l’absence de volume, un à-plat très technique, sans détails superflus. A cette époque, le dessin technique suit de nouvelles règles, comme l’a souligné Yves Deforge24.

• 25 Voir l’étude de Philippe PEYRE, « Les Armengaud, la Petite École et le développement de l’innovatio (...)

22A ce sujet, on ne peut mettre de côté l’intervention des cabinets d’ingénieurs-conseils en brevets pour les dépôts. Ces cabinets, en tant que représentants des inventeurs, rédigent les textes et font les dessins d’accompagnement. Il convient donc de prendre en compte leur intervention dans la lecture des dessins de brevets, puisque la mention du cabinet est toujours indiquée. Leurs dessinateurs, chargés d’illustrer les descriptions, utilisent les normes de graphisme qu’ils ont apprises dans les écoles d’ingénieurs ou de techniciens. Les cabinets en brevets sont apparus au début du XIX^e siècle. L’un des plus anciens et des plus connus a été le cabinet fondé par Eugène Armengaud (dit l’Aîné). Issu de l’École des arts et métiers de Chalons, devenu ingénieur-conseil, cet ingénieur civil a été aussi professeur de dessin au Conservatoire des arts et métiers. Sous son influence, le dessin technique a été perfectionné et diffusé au moyen d’ouvrages et de périodiques spécialisés pour décrire des objets et des machines (fig. 4)25.

• 26 Yves DEFORGE, Le graphisme…, op.cit., 1981.
• 27 Madeleine PINAULT SØRENSEN, « Le dessin, témoin de l’innovation technique », in L. HILAIRE-PEREZ et (...)
• 28 Voir notamment Alain MERCIER, « Portefeuille industriel : Le Portefeuille de Vaucanson », La Revue, (...)

27Sur ce thème l’ouvrage de Yves Deforge reste une référence26. Cet auteur a donné plusieurs clés utiles sur l’histoire du graphisme technique au cours de son évolution progressive depuis le XVIII^e siècle jusqu’à nos jours. Plus généralement, le dessin technique a fait régulièrement l’objet d’études et d’expositions, comme Madeleine Pinault-Sorensen a pu le souligner avec d’autres observateurs27. En ce qui concerne la première moitié du XIX^e siècle, il convient aussi de souligner les travaux d’Alain Mercier menés sur le Portefeuille industriel du Conservatoire national des arts et métiers. Toute une série d’articles posent la question des relations entre inventeurs et leurs dessins, et de nombreuses machines reproduites dans ces travaux peuvent être comparées à celles des brevets à la même période historique28.

• 29 Voir en particulier Renaud d’ENFERT, L'enseignement du dessin en France. Figure humaine et dessin g (...)

28Par ailleurs, il convient de prendre en considération la question de la formation au dessin technique en France, comme l’a fait Renaud d’Enfert dans plusieurs études29. Enfin, une autre source intéressante ici est celle des dessins techniques parus dans les nombreux ouvrages scientifiques et techniques publiés au cours du XIX^e siècle. Elle est aussi une base extrêmement riche pour toute étude comparative entre images de l’invention et images de la transmission des connaissances. Enfin, le graphisme, sous l’influence de la représentation photographique, doit être signalé.