Avant-propos

1Cet article ouvre des pistes de réflexion sur la conservation et la mise en valeur du patrimoine scientifique, technique et industriel avec, pour cadre de référence, le Code du patrimoine. Rédigé en 2017, l’article permet d’évoquer un outil essentiel de la gestion des musées : le Projet Scientifique et Culturel dont chaque « musée de France » se dote afin de tracer - pour plusieurs années - sa feuille de route. Cet article traite pour partie du PSC du musée de l’Histoire du fer préparé entre 2017 et 2019. En 2021, ce PSC est toujours en discussion. En 2019, le Pôle Muséal de la métropole du Grand Nancy est constitué sous la direction de Pierre-Antoine Gérard, conservateur en chef du patrimoine, à partir du Muséum-Aquarium de Nancy, du musée de l’Histoire du fer et du château de Montaigu. La définition du programme de rénovation du musée de l’Histoire du fer, adossé au PSC, est actuellement réinterrogée par la métropole du Grand Nancy pour l’adapter à l’ambition de développer un projet culturel à l’échelle du territoire métropolitain. Ces éléments de contexte conjugués à cette ambition de politique culturelle métropolitaine expliquent l’évolution de la situation du musée de l’Histoire du fer entre 2017 et 2021. Son Projet scientifique et culturel nécessite aujourd’hui des adaptations et les réflexions se poursuivent quant à la valorisation de ce patrimoine industriel et technique dans le respect du Code du Patrimoine. Cet article livre donc un état de la réflexion à un moment où l’avenir du musée n’est pas stabilisé.

Réflexion sur la conservation et la valorisation du patrimoine scientifique et technique

3Établissement de culture scientifique et technique de la métropole du Grand Nancy et de l’Université de Lorraine, le musée de l’Histoire du fer (fig.1) est un « musée de France » dont les collections et l’histoire muséales sont uniques en leurs genres. Il a pour vocation de montrer et de promouvoir l’histoire universelle de la sidérurgie et l’histoire des techniques de l’industrie. L’établissement se caractérise en outre par ses liens avec la restauration des métaux et avec la recherche : il abrite le Laboratoire d’archéologie des métaux, atelier de restauration des métaux, créé en 1950, partie intégrante et originale du projet initial en tant que service à part entière du musée (Folzan 2011).

L’objet scientifique et technique « patrimonialisé »

Contexte général en France

6Un musée conserve et valorise une collection d’œuvres d’art et d’objets. Sur les 1220 « musées de France », on peut en compter au moins 300 possédant des collections plus ou moins importantes dans le domaine de la « Culture Scientifique, Technique et Industrielle » (Mariani-Ducray 2004), partie intégrante de la culture au sens large défini par l’Association des musées et centres de science pour le développement de la CSTI (AMCSTI) ; « en permettant au citoyen de comprendre le monde dans lequel il vit et de se préparer à vivre dans celui de demain, en développant l’information et la réflexion sur la science et ses enjeux, en favorisant les échanges avec la communauté scientifique, en partageant les savoirs, en éduquant à une citoyenneté active, la CSTI inscrit la science dans la société » (Gillot 2017 : 6).

7Les collections peuvent être très diverses : certains musées conservent des collections homogènes, se référant à un secteur scientifique, technique ou industriel bien précis : par exemple, l’industrie du sel à Salins-les-Bains, la dentelle à Calais, la lunetterie à Morez. D’autres conservent des collections techniques généralistes : le musée des arts et métiers couvre ainsi sept domaines : ceux de l’instrumentation scientifique, des matériaux, de la construction, de la communication, de l’énergie, de la mécanique et des transports. Enfin certains musées traitent de l’histoire des techniques, de l’histoire industrielle, tout en relevant, en parallèle, de l’histoire sociale, de l’histoire environnementale, de l’histoire de l’art… Certains musées d’histoire ou de Beaux-arts s’ouvrent également à l’histoire des techniques.

Les missions des « musées de France » et la matérialité de l’objet de musée

8Les « musées de France », régis par la loi de 2002, aujourd’hui codifiée au livre IV du Code du Patrimoine, ont pour mission de conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections. La loi renvoie à l’objet de collection proprement dit. Ce sont bien des objets que l’on collecte et que l’on valorise en lien avec une thématique ou un secteur pour sauvegarder et valoriser une mémoire matérielle. Les musées ont également pour mission de rendre les collections accessibles au public le plus large, de concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture.

La démarche de patrimonialisation : les questions à se poser avant de présenter un dossier devant une commission scientifique d’acquisition

10Pour déterminer l’intérêt public, le Code du Patrimoine prévoit l’examen des projets d’acquisitions par des commissions scientifiques ad hoc. Ainsi l’article R.451-2 énonce que « Toute décision d’acquisition, à titre gratuit ou à titre onéreux, est précédée de l’avis de la Commission scientifique régionale des collections des musées de France. Cette commission examine les projets d’acquisition. » Le conservateur défend, devant la commission scientifique, ses projets d’acquisitions sous la forme d’une note d’opportunité argumentée, mettant en perspective le choix de l’objet destiné à intégrer la collection. Plusieurs critères entrent en jeu :

• le nécessaire lien entre l’objet ou l’ensemble à acquérir et la vocation du musée qui souhaite faire entrer cet objet dans ses collections. Ces orientations sont décrites dans le PSC ;

• l’authenticité de l’objet ou de l’ensemble ;

• son intérêt patrimonial : est-ce que cet objet est unique ? Est-ce qu’il est représentatif d’un type ou modèle ? D’une époque ? D’une industrie ? D’une innovation technique ? ;

• une appréciation du prix de cet objet ou de l’ensemble ;

• l’état matériel de l’objet ou de l’ensemble.

11Lorsqu’on s’interroge sur des objets de sciences et sociétés, on doit aussi réfléchir au périmètre de l’objet que l’on collecte : Où commence et où finit l’objet ? Peut-on conserver la mémoire des traces matérielles (les objets et les documents) mais aussi préserver les traces immatérielles (les savoir-faire liés à cet objet technique ?). Les débats au sein des commissions sont souvent vifs et enrichissants. Les commissions d’acquisitions restent encore fortement dominées par des représentants de musées des Beaux-arts assez éloignés des objets de sciences et techniques. Pour les convaincre, les arguments avancés doivent faire mouche et aborder plusieurs aspects de l’objet, de son histoire matérielle, de ses commanditaires, de ses fabricants... !

Collection patrimoniale et matériel d’étude

Quelques exemples récents d’acquisition au musée de l’Histoire du fer

13Des objets entrent régulièrement dans les collections du musée de l’Histoire du fer.

14En 2014, le musée a intégré, dans ses collections patrimoniales, deux instruments scientifiques mis au point par Pierre Chevenard (1888-1960), ingénieur et scientifique français, fondateur de la métallurgie de précision prônant une culture de l’union intime entre la recherche et la réalisation industrielle (Duffaut 2012, 2016) : un dilatomètre différentiel à enregistrement mécanique (1926) et un thermo-magnétomètre enregistreur (1932), deux instruments permettant de caractériser les alliages (fig.2 et 3). La collecte ne s’est pas contentée des seuls objets, elle a également permis de recueillir la mémoire orale de deux anciens enseignants de l’Université de Lorraine, mémoire complétée par une documentation détaillée sur les instruments scientifiques et par les ouvrages de Pierre Chevenard.

15Quel est l’intérêt de ces objets ? Ils permettent de raconter une histoire au public : les recherches scientifiques et les résultats appliqués à l’industrie donnent vie aux objets. Ces instruments scientifiques sont importants pour expliquer les qualités des différents métaux, le parcours de Pierre Chevenard et la métallographie adaptée à l’industrie. C’est notamment grâce à des études métallographiques poussées que les ingénieurs de l’entreprise Eiffel ont pu sélectionner la qualité de fer puddlé nécessaire à la construction de la Tour Eiffel. Lors de la fabrication des fers de la tour Eiffel aux fonderies de Pompey au Nord de Nancy, plus de 4 200 barrettes de différentes nuances de fers ont été essayées avant réception des livraisons (France-Lanord 1980).

16En 2015, le musée a reçu un don d’objets en fer forgé réalisés par un ouvrier forgeron autodidacte, Gabriel Voirin (1899-1963). Passionné par le fer forgé, celui-ci produisait des meubles, des objets décoratifs et utilitaires en fer forgé. Toutes les pièces reçues en don au musée n’ont pas été inscrites à l’inventaire. Le modèle réduit de l’atelier de forgeron est devenu une pièce de collection « musée de France » après avoir reçu l’avis favorable de la commission scientifique régionale de la DRAC. Reproduisant dans le détail et en modèle réduit un atelier complet de forgeron, l’atelier miniature montre les machines et les outils servant au travail du fer : forge, étau, poste de travail à l’enclume, tour à métaux, plusieurs machines à percer, cisaille à métaux, bordeuse, etc. (fig.4).

17À travers ces deux objets de collections, ce sont bien des parcours de vie, des anecdotes et expériences que le musée peut présenter au public.

L’objet scientifique et technique « polysémique »

Raconter des histoires qui parlent au public

Attention un train peut en cacher un autre ou : des différentes façons de regarder le patrimoine

20La façon dont on regarde un objet de science et de technique peut en modifier le sens. L’exemple des tronçons de l’escalier de la tour Eiffel est à ce titre éloquent. En 1985, outre celui reçu au musée de l’Histoire du fer, deux autres tronçons ont été offerts à des structures culturelles parisiennes : l’un a été offert à Universcience - Cité des Sciences et de l’Industrie et l’autre au musée d’Orsay, musée spécialisé dans les Beaux-arts, l’architecture, les Arts décoratifs du 19^e siècle. Cette entrée d’un même objet dans trois collections différentes est porteuse de sens. Au musée de l’Histoire du fer, le sens de ce versement est l’origine lorraine du fer de la tour Eiffel et la prouesse technique de la construction d’une tour de 300 mètres en fer à la fin du 19^e siècle. Au musée d’Orsay, il s’agit davantage de valoriser l’architecture du 19^e siècle et à Universcience La Villette de valoriser la figure de l’ingénieur ; Universcience n'ayant d’ailleurs pas de vocation patrimoniale. Un même objet permet donc trois points de vue différents selon les pratiques professionnelles. Le vrai sujet est ici le regard et le point de vue qui détermine le sens de l’objet technique !

Des regards différenciés pour enrichir les discours sur un objet

21Ce qui peut être porteur de sens pour un objet des techniques, c’est d’être présenté selon plusieurs points de vue : objet technique, mais aussi objet de société, objet d’anthropologie, d’industrie, d’art contemporain…

22Une exposition permet d'illustrer ce propos : le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) a présenté une exposition sur « Le clou » de novembre 2015 à juin 2016 dans le Centre de Conservation et de Ressources à Marseille. À la question « Pourquoi faire une exposition sur les clous ? » (Airault 2016), Damien Airault, le commissaire de l’exposition répond : « Le clou regroupe des visions d’artistes, d’archéologues, d’ethnologues et d’anthropologues, mais aussi de psychanalystes ou d’historiens des techniques dans un propos qui font se rejoindre science, art contemporain et artisanat ». Damien Airault interroge plusieurs spécialistes : à un historien de l’art, il demande « Comment envisager la présence du clou dans le champ des Beaux-arts ? À des archéologues : « Quelle est l’importance du clou et plus généralement des objets métalliques en archéologie ? », « Que sait-on de l’apparition des métaux ? », À un anthropologue, il demande de parler d’une forge… Autant de regards qui donnent du sens à un objet a priori très banal.

23Au musée de l’Histoire du fer aussi, la variété des regards et des points de vue enrichit les objets des sciences et techniques. Comment cela est-il fait ? À quoi cela sert-il ? Comment fait-on fonctionner cette machine ? Qui l’a utilisée ? Quelle innovation est apportée par cet objet ? Autant de questions qui peuvent être abordées dans la scénographie. Lier les collections à des questions de société ou d’actualité, raconter une histoire significative, éclairer les objets d’un regard artistique est essentiel pour présenter de façon attractive ce patrimoine technique et industriel.

24En juin 2015 ont eu lieu à Nancy les journées « Science and You » de la culture scientifique et technique. À cette occasion, les trois établissements de culture scientifique et technique de la Métropole du Grand Nancy ont organisé un événement original : le Muséum-Aquarium de Nancy, le Jardin botanique Jean-Marie Pelt et le musée de l’Histoire du fer ont tous trois exposé un objet de leurs collections caché à la vue du public. Ce dernier devait découvrir les objets cachés grâce aux seuls commentaires transmis par des experts. En agrégeant les points de vue et discours différents sur un même objet, le public disposait d’indices pour découvrir l’objet caché. Pour le musée de l’Histoire du fer, nous avions choisi comme objet polysémique, le poste de soudure à arc du designer Jean Prouvé (1901-1984), datant de 1926 et commandé auprès de la Société Autogène Française (fig.7). Un premier commentaire émanait du restaurateur de l’objet qui l’avait restauré très récemment. Un deuxième commentaire présentait l’illustre designer à qui a appartenu cette machine d’équipement moderne, enfin le troisième commentaire exposait l’innovation technologique de la soudure : les tôles peuvent être assemblées l’une à l’autre permettant un allègement, une économie pour la production en série et l’apparition d’une architecture métallique innovante. Grâce à cette technique, Jean Prouvé a développé les possibilités infinies d’assemblages entre plusieurs métaux.

25Ce jeu sous forme d’enquête a rencontré un franc succès. Dévoiler progressivement plusieurs aspects d’un objet permet d’accroître les connaissances et de proposer une démarche itérative au public : l’association des différents discours sous la forme d’un puzzle donne un sens précis à l’objet.

Des regards différenciés à l’international : Élargissons le propos au patrimoine monumental

26Concernant le patrimoine monumental des sciences et des techniques, les regards et les modes de conservation sont différents selon les pays. Prenons l’exemple des hauts-fourneaux : plusieurs pays européens, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Espagne, la France, se sont posés les mêmes questions quant à ces témoignages représentatifs d’une histoire industrielle et d’une culture commune. Tous ont fait le choix de la conservation d’un ou de plusieurs hauts-fourneaux plutôt que de la démolition.

27En France, le parti-pris a été de conserver U4, le dernier des haut-fourneaux du site industriel d’Uckange en Moselle, dans la vallée de la Fensch (fig.8). Uckange est un site industriel créé en 1890, pendant la période de l’Annexion allemande, par des industriels sarrois, les frères Stumm. Le haut-fourneau U4, à l’origine allemand puis devenu français après le Traité de Versailles, a bénéficié d’une rénovation entre 1930 et 1932. La production d’acier y est stoppée en 1991. Classé monument historique depuis 2001, il est le seul haut-fourneau fonctionnant au 20^e siècle destiné à être conservé en France. En 2005, après quinze ans d’abandon, la Communauté d’Agglomération du Val de Fensch devient propriétaire du site et entame immédiatement d’imposants travaux de mise en sécurité et de désamiantage, préalable indispensable à l’ouverture du site au public en 2007. Une œuvre artistique « Tous les soleils » de l’artiste Claude Lévêque consiste en une mise en lumière et un cheminement visuel du haut-fourneau U4. L’état de conservation d’U4 est au plus près de son état au moment de l’arrêt de la production. C’est cet état de « 1991 » que les conservateurs des Monuments historiques, les spécialistes de la corrosion des métaux et la Communauté d’Agglomération du Val de Fensch cherchent à conserver durablement, non sans difficulté car l’édifice se dégrade inexorablement (Tornatore 2010).

28En Allemagne, le site de Völklingen dans la Sarre a produit de l’acier de 1873 à 1986. Il est classé « Patrimoine mondial de l’UNESCO » depuis 1994. Il constitue le seul site sidérurgique au monde destiné à être conservé dans son intégralité (fig.10). Il s’agit ici de maintenir l’aspect authentique du site avec le minimum de modifications nécessaires pour assurer la sécurité des visiteurs. Les différentes parties de l’usine sont régulièrement entretenues et repeintes de couleur rouille et la visserie est renouvelée autant que nécessaire.

29En Espagne, le haut-fourneau de Sagonte, dans la province de Valence, a produit de l’acier jusqu’en 1984. Ce haut-fourneau a, depuis, fait l’objet d’une rénovation complète et se présente aujourd’hui sous un nouvel aspect lui assurant une protection optimale (Bernabé, Salom, Albertos Puebla et Castello 1997). Les surfaces métalliques du haut-fourneau ont été entièrement sablées avant une mise en peinture avec des résines à base de polyuréthane. L’aspect n’est donc plus celui d’origine ; le haut-fourneau se présente aujourd’hui sous le visage d’un site industriel idéalisé et entièrement repeint.

30Enfin, deux hauts-fourneaux du site de Belval, à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg sont conservés, entièrement repeints. Ce site de Belval, producteur d’acier de 1872 à 1985, est aujourd’hui pleinement intégré dans une nouvelle zone urbaine comprenant université, forum, entreprises, zone commerciale.

31Ces exemples illustrent les différences de stratégie en matière de conservation en Europe. Sauvegardés durant les mêmes périodes, entre 1995 et 2005, ces hauts-fourneaux ont subi des choix de conservation, de rénovation, de réutilisation et de mise en valeur différents selon les traditions, les règlementations et les principes déontologiques de conservation du patrimoine de chacun des pays. Une des difficultés majeures de la conservation de ce type de patrimoine technique et industriel est dans sa monumentalité : le gigantisme est un sérieux handicap pour la conservation. En effet, si le musée scientifique et technique a facilement vocation à collecter les machines, il n’en a malheureusement pas les moyens quand il s’agit de machines ou d’objets de très grandes dimensions, faute d’espace adapté. C’est pourquoi trente ans après leur sauvegarde, ni le musée d’Orsay ni la Villette ne présentent leurs propres tronçons de l’escalier de la tour Eiffel, d'où l'extrême intérêt de poursuivre cette présentation au musée de l’Histoire du fer !

Comment valoriser l’objet scientifique et technique ?

33Voici quelques pistes de réflexion transcrite dans le Projet Scientifique et Culturel du musée de l’Histoire du fer.

Rattacher l’objet patrimonial à son territoire

35Aussi un des axes retenus consiste à valoriser le patrimoine scientifique et technique dans son lien avec le territoire et l’histoire locale. Le « Parcours d’En Fer », scénographie de douze objets, réalisée en 2016 au musée de l’Histoire du fer, a mis en valeur un coq en tôles d’acier rivées et soudées (fig.10). Ce coq, réalisé par des ouvriers sidérurgistes de Longwy en grève en 1979, a été acheté par le musée en 2005.

36Longwy a été en effet le théâtre de mouvements sociaux de grande ampleur au moment des difficultés de la sidérurgie lorraine. Deux plans de restructuration successifs, en 1978 et en 1984, mis en œuvre à Longwy, ont supprimé des milliers d’emplois. La mobilisation, portée notamment par la CGT, a été d’autant plus vive que Longwy est une cité vivant de la sidérurgie depuis la fin du 20^e siècle. Dans les années 1970, la sidérurgie française, endettée, tarde à moderniser ses installations. De nouveaux procédés, notamment l’aciérie à l’oxygène, rendent le haut fourneau moins indispensable. À partir des années 1970, la sidérurgie française se relocalise à Fos-sur-Mer et à Dunkerque. Aujourd’hui, la part de la Lorraine dans la production mondiale d’acier est marginale. La sidérurgie lorraine emploie désormais un peu plus de 4000 personnes (toutes catégories salariales confondues) alors qu’elle faisait travailler environ 80 000 ouvriers dans les années 1960 (Raggi 2019).

37Les grandes grèves de Longwy ont symbolisé le repli de cette industrie régionale sur certains sites, certes performants mais très circonscrits. Le coq élaboré par les sidérurgistes de Longwy symbolise la lutte menée par les « hommes du fer » de la région Lorraine pour sauvegarder leurs emplois. Mis en valeur avec des extraits de reportages montrant les cortèges des grévistes, le coq du musée présenté dans son contexte territorial et historique est à lui seul, une leçon d’histoire. Toujours en cours de réflexion et de modification, le parcours permanent du musée de l’Histoire du fer est revu dans une scénographie adaptée et modernisée. Ce nouveau parcours permanent intitulé « La fabrique des m(atéri)étaux » permettra de faire le lien entre les métaux et les matériaux en ouvrant sur la recherche-développement de matériaux performants pour les nouveaux usages. Ce nouveau parcours permanent s’ouvrira pour le public en 2022 par ce « coq des sidérurgistes de Longwy », symbolisant à la fois l’épopée industrielle et le travail du métal.

Faire participer le public

39Pour le musée de l’Histoire du fer, imaginons comment proposer une autre expérience de visite, plus interactive, et des outils numériques facilitant la découverte des collections.

Intégrer le patrimoine scientifique et technique contemporain

40Que signifie intégrer le contemporain pour un musée des sciences et techniques ? D’où vient cette préoccupation ? Est-ce acquérir un patrimoine récent ou porter un regard d'aujourd'hui sur le passé ? Quel rôle doit avoir le musée ? Comment la collecte peut-elle être mise en forme pour le contemporain ?

41L’idée est d’établir des liens entre le musée et la société d’aujourd’hui selon trois grands axes :

42En premier lieu, le souci du contemporain pour un musée envisagé comme un lieu vivant, un foyer de création et un outil de développement. Il s’agit moins ici d’une collecte d’objets et de collections que de renouveler les thèmes abordés, les modes de présentation, les activités ou les pratiques : le musée devient un lieu de vie et de création. Le musée de l’Histoire du fer a ainsi servi, à plusieurs reprises, de lieu vivant de connaissance sur les métaux et les matériaux et a permis des rencontres : les étudiants de la section design de l’École Nationale Supérieure d’Art et de Design de Nancy ont rencontré les élèves du BTS conception de produits et du BTS fonderie du Lycée Henri Loritz de Nancy. Ensemble, ils ont créé des objets de design en fonderie. Le musée permet d’exposer la méthode de production, la technique de la fonderie au sable et le résultat de ces créations.

43En deuxième lieu, le musée doit se transformer pour refléter le monde actuel. Depuis quelques années, le musée développe une programmation culturelle de qualité offrant une tribune à la recherche en cours. Chaque année, à l’occasion de la journée des droits de la femme, le 8 mars, ou encore à l’occasion de la fête du travail, le 1^er mai, des chercheurs, des passionnés ou des membres d’associations viennent rencontrer le public pour présenter des sujets offrant débats : par exemple, nous avons pu aborder au musée la place de la femme dans l’industrie, les mathématiques et les femmes à travers le portrait de Sophie Germain, mathématicienne du début du 19^e siècle, la bataille de Florange et les récits sur les grands mouvements de grève dans la sidérurgie à la fin du 20^e siècle et au début du 21^e siècle.

45Cette collecte du contemporain incite à se poser des questions sur les savoirs à conserver, les domaines scientifiques actuels qui peuvent être considérés comme majeurs, les instruments à préserver, pour refléter le dynamisme de la recherche contemporaine des 20^e et 21^e siècles.

47La démarche est néanmoins très intéressante : comment relier cette mission PATSTEC à l’histoire des sciences et techniques ? Quel est l’avenir de la mission ? « La fabrique du patrimoine », au sens de distinction d’objets patrimoniaux, n’est-elle pas réservée exclusivement aux institutions culturelles ? En résumé, que vont devenir les objets identifiés et collectés ? La Métropole du Grand Nancy avec l’Université de Lorraine s’est emparée de cette mission en 2020. Une chargée de mission inventorie le patrimoine scientifique, technique et industriel contemporain des laboratoires publics et des centres de recherche et développement privés notamment dans le domaine des matériaux

48Sur l’aspect scientifique et technique, mettre en perspective l’action patrimoniale du musée de l’Histoire du fer avec la mission PATSTEC est une proposition pour valoriser l’innovation. Lier en effet ensemble une collection patrimoniale, une collection « matériel d’étude », mais aussi le patrimoine contemporain, les laboratoires de recherche, les industriels, a du sens. Sur l’aspect social, le musée peut être l’initiateur d’une enquête-collecte sur l’histoire sociale et les liens que nous entretenons avec les matériaux et les territoires de l’industrie en Lorraine.

Conclusion

49À l’ère du tout numérique, le musée de l’Histoire du fer doit continuer à privilégier la rencontre avec l’objet sous ses différents aspects. Penser l’établissement comme un musée de Société décloisonné, qui aide à comprendre le monde, est également une priorité. Le PSC du musée est aujourd’hui encore à préciser dans le respect du Code du Patrimoine et du projet culturel métropolitain.

50Mon point de vue est le suivant : les collections sont le fondement du musée qui doit être un lieu vivant, jouant de la complémentarité des collections entre elles, mettant en valeur œuvres et objets qui racontent des histoires : objets du contemporain, objets relatifs aux pratiques sociales, liens entre culture et sciences… Décloisonner les collections pour privilégier des thématiques, telle pourrait être la ligne directrice d’une refonte complète du musée en plusieurs parcours complémentaires : un parcours historique sur l’histoire de l’industrie de la région Grand Est (Lassère 2016), un parcours sur l’histoire des techniques et des matériaux sous le double aspect de la fabrication, mais aussi des usages et des fonctions des objets, un parcours spécifiquement dédié aux enfants avec des expériences et des manipulations et, cerise sur le gâteau, aspect très original pour un musée des sciences et techniques : un parcours Beaux-arts qui donnerait à voir et à comprendre les gestes du travail et les paysages de l’industrie.

51Ce cheminement Beaux-arts atypique couvrirait une longue période, depuis les gravures du 17^e et 18^e siècle jusqu’aux œuvres d’art ou au design contemporains. L’exemple lyonnais du musée des Confluences peut ici aider à la réflexion. Ses collections sont issues de quatre institutions : le muséum d’histoire naturelle de Lyon (1772-2007), le musée Guimet de Lyon (1879-1889, 1913-1978), le musée colonial (1927-1968) et les collections de l’œuvre de la Propagation de la foi. Il a pour objectif de rendre compte des rapports entre les sciences et les sociétés en insistant sur la pluralité des uns et la diversité des autres. En organisant la collection en quatre parcours permanents : « Origines, les récits du monde », « Espèces, la maille du vivant », « Sociétés, le théâtre des hommes », « Éternités, visions de l’au-delà », le musée a choisi de décloisonner les collections et de privilégier des thématiques. Dans l’attente d’une rénovation complète, la programmation d’expositions temporaires au musée de l’Histoire du fer peut permettre d’explorer ces différentes pistes.

52Intégrer le musée dans un réseau international avec la Sarre et le Luxembourg est un autre axe du PSC. Le musée doit développer, avec ses voisins, une culture commune autour de formations, d’événements coproduits, de confrontations de collections. Renforcer les liens avec l’Université de Lorraine constitue également un axe à encourager car le musée, lieu de délectation pour le public, est aussi un lieu d’apprentissage, de confrontation, d’ouverture à l’esprit critique et de participation autour de collections et d’idées… autant de propositions pour renouveler le point de vue sur la conservation et la valorisation des objets scientifiques et techniques.