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Acteurs et populations des petites villes en mouvement : facteurs de peuplement, mutations institutionnelles et effets socio-spatiaux

Dominique Royoux et Laurent Rieutort

En matière d’aménagement des territoires et d’organisation de l’espace français, le rôle des petites villes (2-20 000 habitants), est aujourd’hui à la une de l’actualité politique et des médias, en terme d’appui institutionnel, de l’Etat notamment, mais aussi en constatant leur réelle attractivité territoriale du moment. La catégorie des petites villes est globalement en croissance démographique depuis plus d’une décennie à l’échelle du territoire national, mais le mouvement est inégal selon les régions : cela dépend de leur plus ou moins grande proximité d’une ville plus importante ou d’une métropole, de leur trajectoire économique, de leur offre de services et si celle-ci est complémentaire avec d’autres villes de taille équivalente à l’intérieur d’un même bassin de vie ; et enfin si elles sont desservies par un réseau de fibre optique performant et si elles sont connectées ou non à un maillage de liaisons rapides, ferroviaires ou autoroutières.

Des premières analyses empiriques menées actuellement suite à la crise sanitaire récente et en cours, confirment cette tendance vers plus d’attractivité du peuplement des petites villes (et des villes moyennes) sans la rendre uniforme : elles se basent, par exemple, sur l’observation des dynamiques des marchés immobiliers, sur le rythme de résorption des logements vacants, sur l’occupation plus régulière des résidences secondaires par les populations concernées, sur la hausse des inscriptions scolaires.

Le constat d’un certain regain démographique global de la strate des petites villes de 2 à 20 000 habitants en France est maintenant bien documenté, tant sur la question scientifique des seuils à retenir pour la délimiter [Edouard, 2012, 2014], que sur l’observation fine des dynamiques démographiques diversifiées [Rieutort, 2017], ou sur les facteurs structurants de ce renouveau [Talandier, Jousseaume, 2013, Royoux, 2018]. Certains auteurs assimilent cette évolution à un « regain des campagnes » [Thiery, 2020], ou à la « revanche des villages » [Charmes, 2019].

Pour autant, ces formes différenciées d’un certain dynamisme des petites villes, qu’il faut continuer d’analyser et d’approfondir, n’effacent pas « l’envers du décor » [Renahy, 2018]. Au niveau communal, la même petite ville peut être le théâtre d’un développement continu de lotissements neufs excentrés par rapport au cœur du centre-bourg, peuplés de familles avec enfants, issues de la commune ou de communes avoisinantes et cohabitant avec des néo-ruraux en provenance de villes plus grandes. Ces implantations périphériques peuvent abriter un petit centre commercial, une offre de bureaux accueillant des professions libérales, une nouvelle école communale, un city-stade…Et dans le même temps, le cœur de ville peut subir une forte désertification commerciale, une vacance en hausse de logements considérés comme trop exigus et dénués de tout confort, sur fond de paupérisation croissante d’une grande partie des habitants qui ne sont pas partis ou qui ne peuvent pas déménager. Par ailleurs, des espaces publics, autrefois lieux d’une sociabilité « villageoise » peuvent être de plus en plus délaissés, notamment par les jeunes [Royoux, 2018, Thiery, 2020]. Les tendances d’un renforcement des fragmentations sociales ne sont pas absentes des petites villes sous la forme de « clubs résidentiels » notamment [Charmes, 2019].

Les acteurs décisionnels, les acteurs publics, se sentent souvent démunis face à ces situations de déclin continu des centres-bourgs et peuvent éprouver un sentiment d’impuissance face à l’ampleur des défis à relever pour leur redonner de l’attrait. « L’histoire du capitalisme défile sous nos yeux comme un film dont nous n’avons pas la bande-son » décrit Eric Chauvier, à ce propos, dans son ouvrage « La petite ville » [Chauvier, 2017]. Néanmoins, dans le sillage des actions impulsées par l’Etat, notamment par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), - « Action Cœur de Villes » et « Petites Villes de Demain » -, de nombreuses initiatives collectives sont prises en réaction à cet état de fait, en liaison avec le champ institutionnel, ou parfois de manière plus autonome.

Ce numéro thématique d’Espace, Populations, Sociétés, souhaite permettre l’analyse scientifique de ces dynamiques démographiques à l’œuvre, en privilégiant la part active que prennent les acteurs, les habitants, les collectifs sociaux et les citoyens dans ces formes renouvelées de peuplement. Les autrices et auteurs des contributions attendues sont ainsi invités à intégrer leurs analyses au sein de trois thématiques (détaillées ci-après) –l’impact des mutations démographiques sur la fabrique des territoires des petites villes, l’incidence des formes renouvelées de population sur leurs modes de gouvernance, la construction singulière des politiques publiques dans les petites villes qui résultent de ces processus de croissance ou de décroissance démographique - ; et ce, de manière distincte ou simultanée, en mettant l’accent sur les effets socio-spatiaux de ces transformations.

La première dimension s’intéresse au positionnement sociodémographique et territorial des petites villes. Entre une centralité qui peine à se renouveler au sein d’une commune qui peut néanmoins croître, et une multipolarité au sein de bassins de vie à dominante rurale encore mal organisée, parce que dispersée entre de multiples points d’habitat (et qui limite donc la mise en œuvre d’une véritable complémentarité des petites villes entre elles), comment les décideurs publics et privés des petites villes construisent-ils leurs stratégies locales de développement ? Comment s’opèrent la distribution du peuplement et des migrations résidentielles ? Dans un contexte de polarisation des activités par les villes plus grandes d’un côté et de dispersion de l’habitat de l’autre, quelles sont les dimensions qualitatives des dynamiques démographiques actuelles des petites villes ? Comment les populations influent sur les formes de valorisation de la proximité et sur les nouveaux modes d’habiter ? Du côté du positionnement territorial, quelles formes de centralités et de solidarités se tissent avec leurs milieux environnants ? Quels types de collaboration émergent avec d’autres communes pour bâtir une offre de services attractive, essentiel en faveur d’un renouvellement du peuplement ? A quelle échelle se structurent ces volontés éventuelles ? La construction récente d’une typologie des petites villes en Nouvelle-Aquitaine [Delmas-Royoux, 2020], basée sur le croisement de 26 indicateurs démographiques, sociaux, économiques et incluant le recensement des équipements publics, fait apparaitre, concernant celles situées en dehors des aires urbaines, quatre catégories aux rôles et fonctions bien distincts : 1. Les villes touristiques (les villes-centres avec des équipements dédiés et leurs périphéries habitantes) ; 2. Les villes « polarisantes », structurant un bassin de vie ou d’emploi, mais affaiblies par les caractéristiques de centre-bourg évoquées ci-dessus, et qui pourraient jouer un rôle nouveau d’interface entre milieux ruraux et milieux plus denses (rôle que jouent moins aujourd’hui les villes moyennes historiquement positionnées sur cette orientation depuis 50 ans) ; 3. Une autre catégorie structurante de l’organisation du milieu rural mais composée d’entités plus petites démographiquement (les petits pôles ruraux) ; 4. Les villes situées en lisière des aires urbaines, concurrencées en matière d’équipements de scolarité et de santé par les pôles centraux plus peuplés. D’autres contextes territoriaux de peuplement sont sans doute à la base d’organisation différenciée entre les petites villes et leur environnement territorial et au sein desquelles les populations s’impliquent de manière singulière.

La deuxième dimension s’intéresse aux modes de gouvernance des petites villes suite à l’inclusion en leur sein de populations de plus en plus diversifiées. Dans un contexte de regain de citoyenneté, ou tout du moins d’intérêt pour la vie publique, même irrégulier dans le temps, de la part d’un certain nombre d’habitants engagés ou de certaines catégories sociales, l’effet-taille a-t-il un impact sur les modalités de mobilisation des citoyens ? Permet-il de nouer des échanges de nature différente entre les élus, les habitants et les associations ? Et ces processus d’engagement favorisent-ils une certaine mixité sociale ou au contraire renforcent-ils l’entre-soi ? Comment les néo-ruraux, avant et après la crise sanitaire, s’intègrent-ils dans des contextes nourris d’un récit territorial qui peut être socialement sélectif de la part d’habitants déjà installés ? Comment les décideurs des petites villes répondent aux besoins des néo-ruraux habitués à un haut niveau de services dans leur lieu de résidence qu’ils ont quitté ? Comment les nouveaux résidents adeptes d’un habitat non-ordinaire (yourtes, cabanes…) ou initiateurs d’écolieux s’intègrent-ils dans la vie communale ? Génèrent-ils de nouvelles pratiques sociales ou spatiales ? Même si les effets de la crise sanitaire sont trop récents pour être appréciés dans leur totalité, des tendances se dessinent-elles plus fermement quant aux comportements de bi-résidentialité ? Qui accompagne la création importante des tiers-lieux dans les petites villes ? Où se localisent-ils ? Qui les fréquentent ? Génèrent-ils des migrations domicile-tiers-lieux ou les usagers de ces espaces sont-ils d’origine très locale ? Quelles influences singulières induisent la création de tiers-lieux en matière culturelle, d’échanges, d’accueil associatif en milieux peu denses ? Du côté du positionnement territorial, quelles formes de centralités et de solidarités se tissent avec les milieux environnants ? Quels types de collaboration émergent avec d’autres communes pour bâtir une offre de services attractive, essentiel en faveur d’un renouvellement du peuplement ? A quelle échelle se structurent ces volontés éventuelles ?

La troisième dimension cherche à mieux qualifier la spécificité des publiques conduites au sein des petites villes suite aux processus récents de peuplement. Ce thème peut conduire à montrer comment l’héritage économique et social des structures de production des petites villes décrites dans les années 1990 [Lugan, 1993], peut influer sur l’éventail des représentations actuelles, qui à leur tour, peut avoir de l’influence sur les marges de manœuvre des acteurs locaux, leurs capacités d’innovation collective, la création d’un support propice à de nouveaux modes de faire, tant dans le domaine industriel, en terme de relocalisation des activités par exemple, qu’en matière de production alimentaire. Dans la même veine, comment les producteurs de nouvelles ressources (alimentaire, agriculture biologique, biodynamie, entretien des paysages…) collaborent-ils avec les décideurs publics, les collectifs citoyens, les habitants ? Comment les habitants et les populations prennent part à la fabrication des politiques publiques locales, dans un contexte où la proximité des acteurs et des décideurs est sans doute plus étroite au sein des petites villes ? Quelle place, par exemple, est donnée à la population jeune dans la conception des politiques d’animation et dans la construction de l’attractivité de ces espaces ? Comment se renouvellent, à la faveur des nouveaux processus de peuplement, des périphéries anciennes dans lesquelles sont insérées des petites villes ? Dans les petites villes concernées par les programmes de l’ANCT, comment s’articulent les objectifs des représentants locaux de l’Etat avec la dynamique politique, habitante et technique locale ? Spatialement, quels sont les objets territoriaux qui sont finalement valorisés dans ces programmes ? Les symboles patrimoniaux ? Le commerce de proximité ? Le logement social et le parc locatif ? La gestion de l’extension de l’habitat pavillonnaire ? L’organisation des mobilités ? La mise à disposition de logements et services (crèches, etc.) accessibles aux ménages jeunes, de condition « moyenne » ou modeste ?

Calendrier

Les auteurs intéressés devront faire parvenir un résumé de leur contribution (environ 350 mots) aux responsables du numéro, au plus tard fin avril 2022.

Si la proposition est retenue, les auteurs en seront informés fin mai 2022 et les articles finalisés seront attendus avant le 30 septembre 2022. Les articles reçus seront évalués selon les normes habituelles de la revue.

La mise en ligne est prévue pour le début de l’année 2023.

Contacts

Titres, résumés et articles sont à envoyer à :

Dominique Royoux, dominique.royoux@univ-poitiers.fr

Laurent Rieutort, laurent.rieutort@uca.fr

Bibliographie

Charmes E., 2019, La revanche des villages. Essai sur la France périurbaine. La République des idées, Seuil.

Chauvier E., 2017, La petite ville. Ed. Amsterdam.

Delmas A., Royoux D., 2020, Les petites villes, un rôle clé dans la structuration urbaine de la Nouvelle-Aquitaine, in Chauchefoin P., (dir.), Nouvelles régions et métropoles, la grande transformation. Presses Universitaires de Rennes, pp. 107-121.

Edouard J.-C., 2012, La place de la petite ville dans la recherche géographique en France : de la simple monographie au territoire témoin, Annales de géographie, n° 683, janvier, pp. 25-42.

Edouard J.C., 2014, Des stratégies exemplaires pour les villes petites et moyennes ? Enjeux de développement et d’aménagement, [wikiterritorial.cnfpt.fr]

Lugan J.C., 1993, Les petites villes face à la métropolisation. Espaces et Sociétés, L’Harmattan, pp. 193-206.

Renahy N., 2018, « Le rural est toujours perçu comme l’envers du décor ». Interview dans l’hebdomadaire le « 1 », 9 mai, pp. 5-6.

Rieutort L., 2017, La ruralité en France : des potentiels oubliés ? Population et Avenir n° 731, pp. 4-7.

Royoux D., 2018, Au cœur de la trame urbaine, en marge des politiques publiques. Une géographie diversifiée des bourgs-centres et des petites villes en France, in Jean Y., Rieutort L., (dir.), Les espaces ruraux en France. Armand Colin, pp. 72-91.

Talandier M., Jousseaume V., 2013, Les équipements du quotidien en France : un facteur d’attractivité résidentielle et de développement des territoires ? Norois n° 226.

Thiery S.-P., 2020, Le regain des campagnes. Les ruraux et leurs collectivités territoriales. L’Harmattan.

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