Navigation – Plan du site

Accueilnumeros2024/2-3I - Les dynamiques démographiques...Les îles du Ponant, des terres « ...

I - Les dynamiques démographiques et de peuplement des îles

Les îles du Ponant, des terres « d’exîles » ? Transformations sociales et nouvelles attractivités résidentielles 

The Ponant Islands, lands of exile? Social transformations and new residential attractions
Brieuc Bisson, Olivier David, Solène Gaudin, Julien Torchin et Colin Kerouanton

Résumés

La recherche présentée ici mobilise des travaux réalisés dans les années 1990 et de nouvelles données actualisées par les derniers recensements pour tenter d’analyser la diversité des trajectoires socio-démographiques des îles du Ponant croisées avec l’évolution des marchés immobiliers. L’objectif est de comprendre les ressorts des bouleversements que connaissent ces territoires, étudiés par Françoise Péron [1993, 2005] et Louis Brigand [1983, 2002], au prisme des transformations socio-démographiques et des modes d’habiter qui s’y sont inscrits depuis. Les espaces littoraux et les îles en particulier ont en effet vu leur population changer de manière spectaculaire ces dernières décennies : forte attractivité, nouvelles saisonnalités, habiter intermittent, concurrence spatiale des activités, nouveaux (dés)équilibres démographiques, mais aussi enjeux liés à l’accès logement, à la mixité sociale et intergénérationnelle, etc. Autant d’éléments qui bouleversent les équilibres territoriaux et qui recomposent les sociétés insulaires, ce que traduit notamment l’émergence de collectifs d’habitants et de mobilisations engagées pour le maintien des populations insulaires dans ces territoires sous pression.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

  • 1 Cette association rassemble des élus locaux (maires mais aussi conseillers départementaux, régionau (...)

1Les îles du Ponant constituent un ensemble d’îles, réunies dans une association éponyme créée en 19711, regroupant quinze îles de la Manche (Archipel des Chausey, île de Bréhat, île de Batz), de l’Atlantique breton (Ouessant, Molène, Sein, Glénan, Groix, Belle-Île, Houat, Hœdic), du Golfe du Morbihan (Île aux Moines et île d’Arz) et de la façade atlantique (Île d’Yeu et île d’Aix). Comptabilisant 16 396 habitants à l’année pour une fréquentation touristique intense dépassant les 3 millions de touristes par an, ces îles sont souvent de petite taille, et en situation de périphérie par rapport aux grandes villes du continent. Elles ne sont d’ailleurs accessibles que par bateau, à la différence de leurs voisines atlantiques de Noirmoutier, Ré et Oléron, reliées au continent par un pont. Depuis les années 1980 et 1990, ces îles ont connu de profonds bouleversements : baisse démographique, crise de la pêche, développement important du tourisme, crise du logement. Autant de phénomènes qu’on retrouve ailleurs sur le littoral breton [Keltz, 2023] mais qui s’expriment avec acuité dans des territoires souvent peu peuplés et économiquement fragiles. L’objectif de cet article est double. D’une part, il s'agit de comprendre les ressorts de ces bouleversements en lien avec les changements socio-démographiques qui affectent ces territoires. D’autre part, il s’agit d’analyser et de croiser les données démographiques avec l’analyse de la tension immobilière. À partir de critères de taille et d’éloignement au continent, Louis Brigand [1983] proposait une typologie entre les « petites îles éloignées » (Houat, Hœdic, Sein, Molène), les « grandes îles éloignées » (Belle-Île, Ouessant, Groix, Yeu) et les « petites îles proches » (Aix, Arz, Ile aux Moines, Batz et Bréhat) qu’il nous est possible d’interroger à l'aune des évolutions contemporaines de ces territoires. Après une période de déclin démographique, les îles du Ponant connaissant en effet des trajectoires socio-démographiques différenciées, certaines d’entre elles retrouvant désormais une forme d’attractivité. Quels sont les facteurs de ces recompositions ? Qui habite ces îles aujourd’hui ? Qu’est-ce qui explique cette diversité de situations ? De quelle manière l’essor des résidences secondaires transforme ces territoires, notamment quant aux possibilités de logement des néo-arrivants et des jeunes ménages ? 

2La recherche conduite repose : d’une part, sur une approche méthodologique mobilisant des données démographiques quantitatives tirées des données locales, des demandes des valeurs foncières (DVF) et des derniers recensements ; d’autre part, sur une campagne d’entretiens compréhensifs menés auprès d’habitants, d’élus et de collectifs de citoyens mobilisés pour l’accès au logement. La première partie de cet article expose les principales caractéristiques socio-démographiques de cet ensemble d’îles en proposant une analyse des critères d’attractivité territoriale et de mobilités résidentielles des ménages sur ces vingt dernières années. La deuxième partie porte plus spécifiquement sur les îles de Houat et de Hœdic, situées dans le Morbihan au large de la presqu’île de Quiberon, afin de comprendre les implications territoriales des évolutions socio-démographiques récentes. La dernière partie dresse le portrait en creux d’îles soumises à des tensions en lien avec les nouvelles pratiques résidentielles et le retour d’une attractivité territoriale susceptible de générer une pression foncière, des difficultés d’accès au logement notamment entre les générations. Autant d’éléments qui bouleversent les équilibres territoriaux à l’origine d’une multitude de collectifs et de mobilisations citoyennes invoquant la reconnaissance d’un « droit à habiter en bord de mer » qui recouvre un droit d’usage, de fréquentation et d’installation pour les habitants permanents [Norois, 2024]. 

I- Des dynamiques démographiques et des trajectoires insulaires fortement différenciées

3Nous analysons ici les caractéristiques démographiques des îles du Ponant sur la période 1968-2020 en mobilisant les données produites par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). S’il existe assez peu d’études à ce niveau, les travaux conduits par Françoise Péron dans son ouvrage Des îles et des hommes [Péron, 1993] proposaient toutefois une typologie des trajectoires démographiques insulaires à partir de l’évolution de la population sur les XIXe et XXe siècles, articulées aux dynamiques économiques. Ces travaux révélaient déjà des trajectoires très différenciées d’une île à l’autre, pouvant servir de repère à une analyse complémentaire, menée ici à partir des données démographiques fournies par les recensements de population les plus récents (nombre d’habitants, structures par âges, solde naturel et solde migratoire) afin de mettre en évidence les tendances contemporaines du peuplement de ces îles. 

Fig. 1 : Carte de localisation des îles du Ponant

Fig. 1 : Carte de localisation des îles du Ponant

Réalisation C. Kerouanton

I-A- Un processus global de diminution de la population

4Comme pour l’ensemble des îles métropolitaines, l’évolution démographique des cinquante dernières années dans les îles du Ponant est marquée par une diminution globale de la population, le nombre d’habitants passant de 19 134 en 1968 à 16 147 en 2020, soit une baisse de 15,6 %. La courbe évolutive (cf. Fig. 2) permet toutefois de distinguer plusieurs périodes distinctes. La chute est assez prononcée entre 1968 et 1982. Elle se poursuit à un rythme moins soutenu entre 1982 et 1999. Depuis cette date, la tendance est à la reprise, même si l’augmentation reste mesurée. En variation absolue, de 1968 à 1999, les îles du Ponant ont ainsi perdu 3 423 habitants et n’en ont regagné que 436 depuis le début du XXIe siècle. Le bilan est très clairement déficitaire sur le long terme, et la reprise des deux dernières décennies reste beaucoup trop modeste pour être considérée comme une inversion réelle de tendances. Mais le déclin démographique semble globalement avoir été stabilisé.

Fig. 2 : Évolution de la population des îles du Ponant de 1968 à 2020

Fig. 2 : Évolution de la population des îles du Ponant de 1968 à 2020

Source : Insee – RGP de 1968 à 2020.

5La dynamique globale s’explique par le jeu des composantes naturelle et migratoire. En s’extrayant des variations liées au nombre d’années séparant chaque recensement, le bilan naturel est globalement déficitaire de 1968 à 2020 (Tableau 1), la situation se dégradant même très nettement d’une période intercensitaire à l’autre. Chronologiquement, cela s’explique en premier lieu par une diminution de la natalité entre 1968 et 2020 tandis que la mortalité progresse simultanément. L’évolution inverse des deux variables conduit à un accroissement naturel négatif. En faisant un zoom sur l’évolution des naissances et des décès entre 2014 et 2022 (Figure 3), l’écart entre la natalité et la mortalité est net, avec une évolution croissance du nombre de décès, de 223 en 2014 à 276 en 2021, précédant une diminution en 2022. Parallèlement, il convient de constater une relative stabilité du nombre de naissances, autour de la centaine, avec toutefois quelques écarts interannuels. Le résultat conduit à un solde naturel déficitaire, qui s’est globalement dégradé de 2014 à 2020, pour s’améliorer légèrement sur les deux dernières années. Ces données traduisent un mouvement naturel assez peu dynamique sur la période la plus récente, directement lié à la fois au vieillissement de la population sur place mais aussi à la faible part des jeunes ménages dans ces îles (moins de 14 %).

Tableau 1 : Statistiques démographiques par période intercensitaire – Îles du Ponant

Période intercensitaire

1968-1975

1975-1982

1982-1990

1990-1999

1999-2009

2009-2014

2014-2020

Cumul 1968-2020

Solde naturel

-16

-501

-523

-687

-788

-541

-931

-3 987

Solde migratoire apparent

-1 779

-296

379

0

918

562

+1 216

+1 000

Source : Insee – RGP de 1968 à 2020.

Fig. 3 : Évolution des naissances, des décès et du solde naturel entre 2014 et 2022

Fig. 3 : Évolution des naissances, des décès et du solde naturel entre 2014 et 2022

Source : Insee – Statistiques de l'état civil 01/01/2023.

6Le solde migratoire apparent présente une évolution beaucoup plus contrastée. Déficitaire entre 1968 et 1982, il augmente considérablement depuis les années 1990. La période la plus récente affichant même les valeurs les plus élevées. L’essentiel de la dynamique de population est ainsi porté dorénavant par le solde migratoire, dont l’excédent est devenu le principal moteur de l’accroissement démographique des îles du Ponant. L’analyse croisée des composantes naturelle et migratoire permet d’expliquer l’évolution globale de la population insulaire. Entre 1968 et 1982, la dégradation soutenue du solde naturel est accentuée par un solde migratoire encore déficitaire, ce qui concourt à une forte diminution de la population. Le ralentissement de la décroissance constaté entre 1982 et 1999 s’explique principalement par un solde migratoire légèrement excédentaire alors que le solde naturel continue de se détériorer. La légère reprise constatée depuis 1999 coïncide avec un excédent migratoire en hausse, tandis que le solde naturel reste négatif, soit une stabilité démographique qui débute bien avant la crise sanitaire, parfois exagérément considérée comme à l’origine d’un reflux démographique [Popsu, 2023]. Sur le temps long, le bilan démographique global reste néanmoins négatif.

7En travaillant sur les taux de croissance moyen annuels, le lien entre le solde migratoire et l’accroissement démographique est encore plus visible. La comparaison des différentes périodes intercensitaires (Figure 4) révèle très clairement la proximité des courbes entre l’intensité de l’accroissement démographique et les taux de croissance moyens annuels liés au solde migratoire. Déficitaire en début de période, le solde migratoire devient positif entre 1982 et 1990, pour poursuivre sa croissance jusqu’en 2020, avec un léger tassement entre 1990 et 1999. Les taux liés au mouvement naturel sont négatifs sur l’ensemble des périodes intercensitaires et le déficit s’accentue de recensement en recensement. La reprise d’une croissance positive à partir de 1999 est donc uniquement liée à l’excédent migratoire, tendance qui s’accentue jusqu’en 2020.

I-B- Des trajectoires contrastées : l’éloignement comme élément de résistance au déclin démographique

8Les données d’ensemble masquent des trajectoires insulaires très contrastées. En comparant l’évolution relative de la population de chacune des îles à partir de la valeur du recensement de 1968 (Figure 5), des divergences concrètes apparaissent. La valeur moyenne de l’ensemble des îles du Ponant, permet de distinguer les îles dont l’évolution démographique est supérieure à la moyenne. Cette première catégorie concerne Belle-Île, l’île d’Yeu, l’île d’Aix et l’île aux Moines, des îles de tailles diverses mais toutes marquées par une situation globalement périphérique à plus de 35 minutes de liaisons maritimes du continent. Les trois premières îles se distinguent notamment par une croissance positive de la population. Belle-Île est de loin la plus dynamique, affichant un taux de croissance de 25,3 % sur l’ensemble de la période. L’Île d’Yeu et l’Île d’Aix affichent aussi des taux de croissance positifs, de 1,8 % et 1 % respectivement, beaucoup plus faibles. En revanche, les trajectoires de ces deux îles sont très différentes. L’Île d’Aix a connu une croissance très soutenue entre 1982 et 2014, rejoignant quasiment les niveaux de progression de Belle-Île, avant une diminution importante de la population sur la dernière période intercensitaire. L’Île d’Yeu a une évolution beaucoup plus stable de sa population entre 1968 et 2020. En ce qui concerne l’Île aux Moines, la population a globalement reculé de 11,8 % depuis 1968, se plaçant légèrement au-dessus de la moyenne des îles du Ponant. À ce stade, il est donc difficile d’identifier des caractéristiques spécifiques qui expliqueraient le regain démographique de ces îles aux configurations et profils assez diversifiés.

Figure 4 : Évolution de la population de 1968 à 2020 île par île

Figure 4 : Évolution de la population de 1968 à 2020 île par île

Source : Insee – RGP de 1968 à 2020.

9Toutes les autres îles sont affectées par une nette diminution de leur population totale et se situent en dessous de la valeur moyenne de l’ensemble des îles du Ponant. Le mouvement de recul est quasi continu sur l’ensemble de la période, même si certaines îles semblent inverser légèrement la tendance depuis le recensement de 2009 (Île de Sein, Île Molène, Île d’Arz). Le recul démographique est parfois très prononcé : -69,3 % pour l’Île Molène, -68,1 % pour l’Île de Sein, -54,1 % pour Ouessant, -52,9 % pour l’Île de Batz. Seule Groix affiche une valeur plus modérée avec -28,6 %. En reprenant les cinq types démographiques proposés par Françoise Péron [Péron, 1993], construits sur la période 1801-1982, Belle-Île rompt très clairement avec une trajectoire qui lui était plutôt défavorable, puisqu’elle avait perdu 61 % de sa population entre 1911 et 1982. L’Île d’Yeu s’est en revanche stabilisée depuis 1962, alors qu’elle avait enregistré une très forte croissance depuis la fin du XIXe siècle. L’Île aux Moines, en diminution constante depuis 1841 a poursuivi sa chute, en se stabilisant depuis les années 1990. Pour toutes les îles en forte décroissance depuis 1968, la dynamique poursuit un processus enclenché depuis de nombreuses décennies, excepté Houat qui était en croissance continue jusqu’en 1982.

10La comparaison des trajectoires insulaires souligne une forte hétérogénéité des contextes démographiques locaux. Si, globalement, les îles du Ponant ont connu une diminution de leur population, depuis le début des années 2000, la légère reprise est essentiellement alimentée par le solde migratoire. Elle ne concerne toutefois pas l’ensemble des îles, puisque seules Belle-Île, l’Île d’Yeu et l’Île d’Aix affichent une croissance démographique positive. Cette analyse s’appuie sur les données statistiques de référence produites par l’Insee à l’échelle communale, mais il convient de garder à l’esprit qu’elles ne qualifient que les populations recensées au lieu de résidence. Dans une publication de 2021, à l’occasion de son cinquantenaire, l’association « Les îles du Ponant » rappelle, à juste titre, la distinction entre résidents permanents et résidents occasionnels. « Les modes de vie évoluent grandement, notamment avec le développement du télé-travail. Nombreux sont les habitants à être partagés entre leur île et le continent » [Les îles du Ponant, 2021]. Cette réalité invite à prendre du recul sur le visible et l’invisible des dynamiques démographiques récentes, les effets de la saisonnalité croissante des dynamiques de population ainsi que l’évolution des formes de résidentialité associées se lisent en effet à travers d’autres indicateurs permettant d’affiner ces trajectoires démographiques alimentées par des migrations résidentielles souvent d’agrément et de retraités. De ce fait, une distinction assez nette apparaît entre des îles éloignées, mais qui se maintiennent sur le plan démographique, et des îles plus proches et/ou mieux connectées au continent qui ont davantage perdu d’habitants, bien que comme nous le verrons ultérieurement cette baisse démographique corresponde en réalité à un essor des résidences secondaires.

I-C- Dans l’ensemble des îles du Ponant, un vieillissement à la fois endogène et exogène

11Il apparaît ensuite que les dynamiques démographiques îliennes sont directement liées à la structure par âge des populations concernées. À défaut de pouvoir obtenir des données homogènes sur l’ensemble de la période 1968-2020, les statistiques mobilisées couvrent la période la plus récente de 2009 à 2020. L’évolution des effectifs par grande classe d’âges (Tableau 2) est très révélatrice des changements de structure par âge sur la période récente, témoin d’un processus de vieillissement prononcé. La légère reprise démographique de ce début du XXIe siècle cache en réalité l’accentuation d’un déséquilibre entre les classes d’âges. Les plus jeunes affichent une diminution importante, notamment celles des moins de 15 ans et des 30-44 ans. La baisse est plus mesurée chez les 15-29 ans. Concernant les classes enfantines et juvéniles, c’est la traduction concrète d’une baisse de la vitalité naturelle, à laquelle s’ajoute probablement le départ des familles jeunes avec enfants, dont les parents ont majoritairement entre 30 et 44 ans, qui s’installent plus facilement sur le continent au moment de la mise en couple et/ou au début de la vie active. La baisse est moins prononcée chez les 15-29 ans et les 45-49 ans. Les classes les plus âgées affichent des taux de progression spectaculaires en 11 ans, la palme revenant aux habitants de 90 ans ou plus, avec une valeur relative accentuée par la faiblesse globale des effectifs concernés. Pour les 60-89 ans, le taux de progression est également très élevé, révélateur des mobilités résidentielles en fin de période d’activité ou en début de retraite professionnelle. Cette comparaison de la croissance relative des grandes classes d’âges invite à pondérer la notion de reprise démographique, l’arrivée de populations nouvelles coïncidant avec une forte géronto-croissance soutenue et un vieillissement marqué.

Tab. 2 : Évolution de la population par grande classe d’âge – Îles du Ponant

 

2009 (nombre d’habitants)

2020 (nombre d’habitants)

Taux de croissance relatif 2009-2020 (%)

Population totale

15 841

16 147

1,93

Moins de 15 ans

2 272

1 855

- 18,35

15 – 29 ans

1 747

1 692

-  3,14

30 – 44 ans

2 711

2 250

- 17,00

45 – 59 ans

3 460

3 380

- 2,31

60 – 74 ans

3 568

4 419

+ 23,85

75 – 89 ans

1 926

2 251

16,87

90 ans ou plus

157

299

+ 90,45

Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.

12La comparaison des pyramides des âges pour l’ensemble des îles du Ponant est très révélatrice des effets engendrés par l’évolution des effectifs par classe d’âges. Le gonflement sommital de la pyramide montre l’impact de l’accroissement des effectifs des 60 ans ou plus, la classe modale étant celle regroupant les 60-74 ans en 2020. La part des effectifs des 75 ou plus contribue également au renforcement de la partie haute de la pyramide. À l’inverse, le poids démographique des jeunes de moins de 30 ans se réduit de façon très visible et tendancielle. La classe creuse des 15-29 ans est beaucoup plus importante en 2009 qu’en 2020, ce qui est aussi la traduction d’une érosion de la vitalité naturelle, décrite plus haut en appui sur l’évolution récente des naissances et des décès. Elle lisse sur le temps long les disparités entre classes d’âges, la proportion de jeunes diminuant assez fortement.

Figure 5 : Pyramides des âges des îles du Ponant en 2009 et 2020

Figure 5 : Pyramides des âges des îles du Ponant en 2009 et 2020

Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.

13Il est intéressant de poursuivre l’analyse en comparant les pyramides des âges des différentes îles. La faiblesse des effectifs de certaines d’entre elles rend l’exercice délicat. Cependant afin de les comparer, deux indicateurs ont été retenus : le taux de croissance de la population âgée de 60 ans ou plus entre 2009 et 2020 et leur part dans la population totale en 2020. Ils permettent en effet de mesurer l’intensité de la géronto-croissance et le degré de vieillissement des populations insulaires (cf. Fig. 6). Pour compléter la lecture, le graphique suivant permet de visualiser la part respective des 60-74 ans et des 75 ans ou plus dans la population totale (Figure 7).

Figure 6 : Géronto-croissance et vieillissement dans les îles du Ponant

Figure 6 : Géronto-croissance et vieillissement dans les îles du Ponant

Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.

14Le taux de croissance de la population âgée de 60 ans ou plus entre 2009 et 2020 révèle que les îles affectées par un vieillissement prononcé depuis plusieurs décennies affichent désormais des valeurs basses, voire négatives, comme sur l’île Molène. Celles qui connaissent des taux de progression supérieurs à la moyenne de l’ensemble des îles du Ponant sont l’île d’Yeu, Houat, Belle-Île et l’île de Sein. Pour Belle-Île et l’île d’Yeu, l’accroissement démographique capte bien, par le jeu du solde migratoire, des populations globalement plus âgées qui alimentent une géronto-croissance élevée. Pour Houat et pour l’île de Sein, le recul démographique constaté depuis le début des années 1990 accentue le vieillissement, à la fois en raison d’une dégradation du solde naturel, ne renouvelant plus les classes d’âges les plus jeunes, mais aussi d’un apport migratoire à l’avantage des seniors. Dans les îles les moins dynamiques, la part des personnes âgées de 75 ans ou plus est globalement plus élevée qu’ailleurs, la palme revenant à l’île d’Aix, l’île d’Arz, l’île aux Moines et Groix, enregistrant toutes des valeurs supérieures à 20 %.

15La comparaison avec la valeur moyenne de l’ensemble des îles du Ponant apporte des nuances intéressantes. Trois îles se distinguent par une structure par âge plus jeune (ou moins âgée) : Belle-Île, l’île d’Yeu et Hœdic. La part des 60-74 ans y est également plus importante que celle des 75 ans ou plus. Pour Belle-Île et l’île d’Yeu, cette distinction coïncide avec un accroissement démographique positif sur les deux dernières périodes intercensitaires. C’est essentiellement le solde migratoire qui en est responsable et les deux îles captent des mobilités de seniors en quête de changement résidentiel au moment de la cessation de l’activité professionnelle. Pour la petite île d’Hœdic (208 hectares), la dynamique est toute autre. Située à plus d’une heure en bateau du continent, l’île est affectée par une décroissance importante de sa population qui s’accentue entre 2014 et 2020. La dégradation des indicateurs démographiques laisse augurer l’accentuation du vieillissement à court et moyen termes. Avec moins de 200 habitants, elle n’a pas d’école ni de collège, qui sont localisés dans l’île d’à côté, à Houat. Les autres îles ont en revanche une proportion de personnes de 60 ans ou plus supérieure à la moyenne, excepté l’île de Bréhat. L’île Molène affiche la valeur record avec 59,4 % de personnes âgées de 60 ans ou plus. D’autres îles la rejoignent avec des valeurs supérieures à 50 %, comme l’île d’Aix, l’île de Batz, l’île de Sein, Ouessant, Groix, Houat, l’île aux Moines et l’île d’Arz. Elles connaissent toutes un déclin démographique prononcé sur le temps long, même si trois d’entre elles ont vu les taux de décroissance ralentir depuis 2009 (Sein, Molène, Arz). Le lien entre vieillissement et déclin démographique est très fort. Il complète le processus de géronto-croissance constaté sur les îles qui ont une dynamique démographique positive, essentiellement portée par un solde migratoire excédentaire. 

Figure 7 : Part des 60-74 ans et des 75 ans et plus dans la population totale en 2020

Figure 7 : Part des 60-74 ans et des 75 ans et plus dans la population totale en 2020

Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.

16L’analyse croisée des indicateurs migratoires et de la géronto-croissance révèle un vieillissement accéléré de ces territoires, y compris et même particulièrement pour ceux marqués par une reprise démographique, soutenue donc par l’arrivée de séniors. 

I-D- Proposition de typologie des îles du Ponant selon les évolutions démographiques (2009-2020)

17La typologie suivante a été construite à partir de trois variables différentes :

  • le taux de croissance annuel moyen de la population entre 2009 et 2020 (dynamisme démographique),

  • le taux de croissance annuel moyen de la population âgée de 60 ans ou plus entre 2009 et 2020 (géronto-croissance),

  • la part des personnes âgées de 60 ans ou plus en 2020 (degré de vieillissement).

18En ce qui concerne le taux de croissance annuel moyen de la population, le classement distingue les îles en croissance (valeur supérieure à 0) des îles en décroissance (valeur inférieure à 0). Pour la deuxième variable, les îles ont été séparées en deux en fonction de la valeur moyenne, séparant les îles où la population âgée de 60 ans ou plus a évolué plus vite que la moyenne des îles, de celle affichant une croissance inférieure à la moyenne. Pour la dernière variable, les îles ont également été classées en fonction de la valeur moyenne.

Tableau 3 : Proposition de typologie pour les îles du Ponant

Nom

Type

Description

Hœdic

1

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement -

Île-d'Aix

2

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement +

Île-de-Bréhat

2

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement +

Île-de-Batz

2

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement +

Île-Molène

2

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement +

Ouessant

2

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement +

Groix

2

Décroissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Veillissement +

Île-d'Houat

3

Décroissance / Géronto-croissance sup. moyenne / Vieillissement +

Île-aux-Moines

4

Croissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Vieillissement +

Île-d'Arz

4

Croissance / Géronto-croissance inf. moyenne / Vieillissement +

Belle-Île

5

Croissance / Géronto-croissance sup. moy / Vieillissement -

L'Île-d'Yeu

5

Croissance / Géronto-croissance sup. moy / Vieillissement -

Île-de-Sein

6

Croissance / Géronto-croissance sup. moy / Vieillissement +

19Cette classification aboutit à six types distincts :

  • Type 1 : Les îles enregistrant une diminution de leur population entre 2009 et 2020 et une croissance de la population âgée de 60 ans ou plus inférieure à la moyenne, avec une part de personnes âgées inférieure à la moyenne. Cette catégorie ne concerne qu’une seule île : Hœdic (Petite Ile Éloignée). On y retrouve un prix du foncier élevé mais peu de biens à vendre (voir figure 11 et figure 12).

  • Type 2 : Les îles enregistrant une diminution de leur population entre 2009 et 2020 et une croissance de la population âgée de 60 ans ou plus inférieure à la moyenne, avec une part de personnes âgées supérieure à la moyenne. Cette catégorie regroupe six îles : île d’Aix (Petite Ile Proche), île de Bréhat (PIP), île de Batz (PIP), Molène (PIE), Ouessant (Grande Ile Éloignée) et Groix (GIE). Le Prix du foncier est plus faible pour Batz et Ouessant (moins accessible – il n’existe pas de données pour Sein mais la situation est comparable au vu des ventes récentes) – Le prix du foncier pour Aix et Bréhat est élevé (2ème groupe), un peu plus faible pour Groix (3ème groupe) (figures 11 et 12).

  • Type 3 : Les îles enregistrant une diminution de leur population entre 2009 et 2020, mais avec une géronto-croissance et une part des 60 ans ou plus supérieures à la moyenne. Cela ne concerne que l’île d’Houat (PIE). Le prix du foncier pour Houat est très variable (figure 11) – mais la moyenne est élevée – l’attractivité de Houat la fait comparer par un habitant d’Hœdic à une « nouvelle île de Ré ».

  • Type 4 : Les îles enregistrant une croissance de leur population entre 2009 et 2020 avec une géronto-croissance inférieure à la moyenne, mais une part des 60 ans ou plus supérieure à la moyenne. Cette catégorie regroupe l’île aux Moines et l’île d’Arz (PIP). Le Prix du foncier y est plutôt élevé et l’accès maritime est plutôt facile (figure 11).

  • Type 5 : Les îles enregistrant une croissance de leur population entre 2009 et 2020 avec une géronto-croissance supérieure à la moyenne, mais une part des 60 ans ou plus inférieure à la moyenne. Cette catégorie concerne Belle-Île et l’île d’Yeu (GIE). Le Prix du foncier à Belle-Ile est comparable à Groix constituant un groupe moyen (figure 11) – A Yeu le prix du foncier est plus élevé – il s’agit aussi de la seule île de la façade atlantique.

  • Type 6 : Les îles cumulant une croissance de la population, une géronto-croissance supérieure à la moyenne et une part des personnes âgées de 60 ans ou plus supérieure à la moyenne. C’est le cas de l’île de Sein (PIE). Il n’existe cependant pas de données de prix du foncier pour Sein.

20Cette analyse révèle que la grande majorité des îles du Ponant sont en situation de décroissance démographique (8 sur 13) et leur degré de vieillissement est déjà prononcé, ce qui explique une géronto-croissance globalement moins forte. Houat et Hœdic se distinguent, la première enregistrant une augmentation soutenue du nombre de personnes âgées de 60 ans et plus, tandis que la seconde est caractérisée par un degré de vieillissement parmi les plus bas. Toutes les autres îles affichent en revanche une croissance démographique entre 2009 et 2020. Les deux îles du golfe du Morbihan (îles aux Moines et Arz) ont déjà un vieillissement important de leur population et, de ce fait, affichent une géronto-croissance inférieure à la moyenne. L’Île d’Yeu et Belle-Île se distinguent par un vieillissement moins prononcé, même si l’augmentation des 60 ans ou plus est supérieure à la moyenne. L’Île de Sein est caractérisée par un vieillissement prononcé et une croissance soutenue des personnes âgées de 60 ans ou plus. Son niveau de croissance démographique depuis 2009 ne doit pas masquer un déclin démographique prononcé entre 1968 et 2009.

II- Houat et Hœdic, des îles périphériques vieillissantes mais attractives

21Dans le cadre de la première partie portant sur l’ensemble des îles du Ponant, Hœdic et Houat ressortent en raison de la brutalité des bouleversements qu’elles ont pu connaître depuis le début des années 1990. Malgré un vieillissement plus marqué à Houat couplé à une légère reprise démographique, entre crise et nouvelles attractivités démographiques, la situation de ces deux îles incarne les enjeux démographiques auxquels sont confrontés les îles du Ponant. Ces deux îles sont aussi moins abordées dans les travaux portant sur les îles du Ponant, y compris les travaux plus récents [Buhot, 2006, Guingot, 2019]. Afin d’approfondir la situation et de mesurer l’attractivité de ces deux îles, très proches l’une de l’autre mais au contexte différent, nous avons réalisé une enquête de terrain auprès des habitants. L’organisation de réunions publiques nous a permis de rencontrer une diversité de profils d’habitants avec lesquels nous avons conduit des entretiens compréhensifs ; des entretiens semi-directifs ont également été menés auprès des maires des deux îles, des responsables du service urbanisme de l’intercommunalité, ainsi qu’avec plusieurs membres d’un collectif houatais mobilisé sur l’enjeu de l’accès au logement.

II-A- Des petites îles ayant dépassé la crise ?

22Houat et Hœdic incarnent toutes les deux des formes de bouts du monde par les contraintes fortes en termes d’accessibilité qui pèsent sur elles, notamment hors saison. Peuplées respectivement de 216 et de 97 habitants, elles connaissent depuis une quarantaine d’années, et avec un léger décalage dans le temps, une importante baisse démographique couplée à une augmentation spectaculaire du nombre de résidences secondaires. Cette évolution brutale, couplée à une crise aiguë de la pêche a engendré un profond bouleversement démographique, économique et social, provoquant notamment des tensions sur la question de l’accès au logement. Elles ne sont reliées que deux fois par jour au continent hors saison estivale, période pendant lesquelles elles ne sont accessibles que depuis Port-Maria à Quiberon. Par rapport à d’autres îles comme Groix (avec Lorient), Ouessant et Molène (avec Brest) ou Batz (avec Roscoff), elles ne sont pas connectées à une ville accueillant un niveau de services et un accès aux mobilités important. Quiberon, station balnéaire à la saisonnalité très marquée en bout de presqu’île, est elle-même contrainte dans son accès et est éloignée de la première gare ou de la quatre-voies (40 minutes hors saison pour rejoindre la gare d’Auray et la RN 165). Si Houat n’est pas stricto sensu une « île d’une île » en situation de « surinsularité » [Pelletier, 1997] à l’instar de Marie-Galante aux Antilles [Bisson, Turkovics, 2021], elle peut en revanche être considérée comme une « île d’une presqu’île », ce qui est déjà une forme de contrainte très marquée. Cette surinsularité est en revanche très marquée pour Hœdic, plus éloignée encore de Quiberon et joignable en bateau uniquement en passant par Houat. Ces distinctions entre Houat et Hœdic quant à leur accessibilité pourraient expliquer des distinctions en termes de dynamiques démographiques.

Figure 8 : Évolution démographique entre 1801 et 1982

Figure 8 : Évolution démographique entre 1801 et 1982

Houat une île encore dynamique au début des années 1990 dans les travaux de Françoise Péron

Source : Péron, 1993, p. 50.

23Les dynamiques démographiques de ces deux îles sont relativement comparables, quoique décalées dans le temps. L’importante chute démographique commence dès les années 1960 à Hœdic (et même avant), tandis qu’à Houat elle date seulement des années 1990. Alors qu’Hœdic est considérée comme une île en crise d’un point de vue démographique dans les travaux de Françoise Péron en 1993, Houat y est au contraire considérée comme dynamique, alors même qu’elle figure, comme nous l’avons vu, parmi les îles les plus vieillissantes. Louis Brigand soulignait pourtant à partir des données de 1999, que l’île d’Houat faisait alors exception parmi les îles du Ponant avec un solde naturel positif et le maintien d’une population jeune et active en lien avec l’activité de pêche [Brigand, 2002]. Il semble, au regard des statistiques plus récentes, que cette conjoncture se soit renversée et que la part des personnes âgées ait fortement progressé.

Figure 9 : Dynamiques démographiques à Houat et Hœdic depuis 1950, des trajectoires comparables décalées dans le temps

Figure 9 : Dynamiques démographiques à Houat et Hœdic depuis 1950, des trajectoires comparables décalées dans le temps

Source : Insee.

24Cette évolution se retrouve dans la structure par âge de chacune des deux îles, là où en 1990 les 20-35 ans étaient majoritaires à Houat, ce sont aujourd’hui les 45 ans ou plus qui représentent 74,3 % de la population, dont 55,9 % pour les plus de 60 ans (ils représentent 41,7% de la population à Hœdic). 

Tableau 4 : Grandes classes d’âges à Houat et Hœdic en 1990 et 2020 (%)

 

0-14 ans

15-29 ans

30-44 ans

45-59 ans

60-74 ans

75-89 ans

90 ans ou +

1990

2020

1990

2020

1990

2020

1990

2020

1990

2020

1990

2020

1990

2020

Houat

21,4

6,3

21,4

9,2

22,4

10,1

10,2

18,4

21,4

37,2

3,1

16,8

0

1,9

Hœdic

19,4

12,6

19,4

10,7

19,4

11,6

19,4

23,3

16,7

33

5,6

7,8

0

1

Source : INSEE – RGP de 1990 et 2020.

25Une des explications de ce basculement démographique repose sur les effets différés de la crise des années 1990, qui est aussi une crise de la pêche, les deux îles ayant longtemps eu la particularité d’être très liées à cette activité. En 1989, 93 % des parents d’élèves du collège de Houat sont des pêcheurs, les 7 % restant étant inactifs ou retraités [Péron, 1993]. En 1999, l’île de Houat compte encore 25 bateaux de pêche pour 50 inscrits maritimes, sur une population totale de 335 habitants [Brigand, 2002]. Louis Brigand notait alors que Houat et Hœdic (avec l’île d’Yeu) formaient des exceptions remarquables au regard des autres îles du Ponant, en raison du maintien de l’activité de pêche, alors en position dominante vis-à-vis des autres activités économiques. Depuis 1999, ces îles ont cependant été touchées aussi par la crise de la pêche rejoignant, certes plus tardivement, le groupe formé par les autres îles. La correspondance entre le déclin de la pêche et le déclin démographique est ici un fait marquant. Ce décalage entre les deux îles se retrouve également dans la question de la mise en tourisme et de la pression foncière. Houat et Hœdic ont en effet été parmi les dernières des îles du Ponant à être touchées par la mise en tourisme et la montée des tensions liées au logement [Péron, 1993]. De ce fait, elles l’ont été plus brutalement que d’autres, les changements s’opérant sur une durée plus courte qu’à Belle-Île, Bréhat ou Groix, précocement concernées par l’émergence d’une économie touristique et l’apparition de modes d’habiter en partie induits par le développement de cette activité.

II-B- Une touristification et une gentrification insulaire spécifique ?

26La très forte attractivité des territoires littoraux, poussée à la fois par la crise sanitaire et par la rentabilité des meublés touristiques, conduit à une transformation des dynamiques économiques de ces territoires fortement touristifiés. Ce qui est rendu directement visible par les difficultés d’accès au logement pour les populations locales qui ont parfois du mal à se maintenir dans les lieux, ainsi que pour les jeunes ménages qui souhaitent s’y implanter : « Si la gentrification des métropoles exclut pour remplacer, la mise en tourisme des villes du littoral exclut pour laisser un vide qui ne sera comblé que par un multipropriétaire quelques jours par an » [Collectif Droit à la Ville Douarnenez, 2023, p.17]. Alors que dans le cas de la plupart des espaces littoraux, l’effet de la gentrification est relativisé à l’échelle des bassins de vie en raison de l’installation d’actifs dans des communes rétro-littorales [Bisson, Gaudin, 2024], dans le cas des îles de Houat et Hœdic, ce « vide » ne peut pas être comblé en raison de la discontinuité engendrée par les contraintes d’accès (horaires et nombre de rotations des bateaux) et des difficultés d’accès au logement à Quiberon et ses alentours. De ce fait, l’installation d’actifs sur ces îles dont le domicile se situerait dans l’arrière-pays continental apparaît peu évidente. Si on se réfère aux chiffres du Figaro Immobilier, le prix médian du mètre carré s’élève à 6 057 € pour Hœdic et 7 045 € à Houat en 2024, en hausse respective de 22 % et 46 % depuis 5 ans. Si les prix de l’immobilier sont par nature fluctuants et à relativiser eu égard au faible nombre de transaction enregistrées, ils n’en demeurent pas moins révélateurs de la tension inhérente à la question du logement dans ces îles, d’autant que le marché locatif est presque inexistant. L’augmentation du nombre de résidences secondaires sur les deux îles est un autre élément qui témoigne d’une gentrification insulaire importante et rapide. Le taux de résidence secondaire est aujourd’hui de 62,6 % à Houat et de 78,9 % à Hœdic, ce qui constitue un record à l’échelle de la Bretagne. 

Figures 10 et 10 bis : L’évolution du logement à Houat et Hœdic depuis 1968

Figures 10 et 10 bis : L’évolution du logement à Houat et Hœdic depuis 1968

27Régulièrement dénoncé par les collectifs des habitants permanents, l’accroissement des résidences secondaires est bien réel dans ces deux îles. À ce sujet, la figure 10 met en avant des trajectoires autant comparables que différentes. Dans les deux cas, la courbe des résidences secondaires croise la courbe du nombre de résidences principales, avant d’augmenter fortement par la suite. Cependant, le croisement des courbes n’intervient pas au même moment. Alors que pour Hœdic, les courbes se croisent dès la fin des années 1960, à la suite d’un déclin démographique amorcé plus tôt, pour Houat elles se croisent au début des années 2000. Hœdic semble donc concernée depuis plus longtemps que Houat par l’essor des résidences secondaires, mais Houat y est confrontée plus brutalement. Ce décalage dans le temps va de pair avec un profil différent des résidents secondaires sur Houat et sur Hœdic, relevé lors d’entretiens avec des acteurs des deux îles. À Hœdic, le profil des propriétaires d’une résidence secondaire est plutôt familial, avec un attachement à l’île d’autant plus fort que les logements sont souvent depuis plusieurs décennies dans la famille, alors qu’à Houat elles le sont souvent depuis moins longtemps. Un habitant d’Hœdic qualifie ainsi la fréquentation des résidents secondaire de Houat comme « comparable à l’île de Ré », avec un profil d’occupants plus urbains et aisés que les résidents secondaires d’Hœdic. En 1993, François Péron notait déjà que « les résidents secondaires houatais se distinguent de ceux des autres petites îles bretonnes par leur origine géographique (ils habitent à 50 % la région parisienne et à 15 % la région nantaise) et par leur statut social, ce sont des cadres hautement supérieurs, diplomates, directeurs d’usine, ingénieurs, architectes, journalistes, artistes qui viennent à Houat un mois chaque année mais qui n’épuisent pas là tout leur temps de vacances » [Péron, 1993, p.108].

28Les résidents secondaires des espaces littoraux peuvent être de plus en plus présents sur de longues périodes : ils deviennent alors des « populations présentes » [Blondy, Vacher et Vye, 2013]. Certains travaux menés depuis le confinement [Popsu, 2023] montrent que s’il n’y a pas eu d’exode urbain massif suite au Covid, mais de nouvelles manières d’habiter, les résidences secondaires se sont développées, telles qu’une occupation prolongée via le télé-travail ou la mise en location partielle du logement. Cette transformation de « l’habiter secondaire » en « habiter présent » s’avère fortement contraint par l’accessibilité du lieu. Si ces pratiques peuvent se développer ailleurs sur les côtes Morbihannaises à proximité de gares TGV ou TER (vers Auray ou Vannes), elles sont plus difficiles à observer pour des îles périphériques comme Houat et Hœdic. Sur un week-end, même depuis Rennes ou Vannes le niveau de contrainte d’accès hors saison reste fort, avec une rotation par jour du bateau avec le continent (plus rarement deux) et des horaires calqués sur l’emploi du temps des collégiens.

29Cette augmentation rapide de la part des résidences secondaires s’accompagne de perceptions négatives, voire d’un ressentiment, de la part de certains habitants à l’année et implantés sur l’île depuis longtemps. Autant que leur nombre, c’est aussi l’évolution du profil sociologique de ces résidents qui pose problème, à Houat en particulier, avec le passage d’une génération de résidents secondaires se démarquant peu économiquement de la population à l’année et disposant d’attaches sur l’île à des profils différents, jugés plus consommateurs des lieux, voire soupçonnés d’être des investisseurs.

« Les résidences secondaires ça gâche tout. Parce qu’ils commencent à bien nous envahir quand même. Et ils sont plus que nous. […] Ils se reçoivent souvent entre eux, on les voit sur les terrasses, mais on ne leur parle pas et on ne les connaît pas, sauf quelques-uns qui viennent depuis qu’ils sont enfants. Mais aujourd’hui c’est en train de changer ».
Habitant Houat, entretien février 2024

« Y a aussi une nouvelle génération de résidences secondaires. Il y a eu une époque où les gens ont acheté des maisons, ils avaient des petits moyens et ils n’ont pas tout massacré. Ils étaient respectueux du lieu, on les connaissait. Là maintenant il y a des gens qui investissent tout bêtement, qui construisent pour louer […] sans compter que leurs maisons sont moches ».
Habitant Houat, entretient février 2024.

30Le développement de l’excursionnisme estival au départ de Quiberon, Vannes ou La Turballe, sur ces îles est un autre aspect de la mise en tourisme de Houat et Hœdic. Or, le développement de cette pratique crée des tensions liées à un sentiment de sur-fréquentation mal vécu par certains habitants. L’excursionnisme représente ainsi, aux yeux de certains, une bonne part des inconvénients du tourisme sans ses avantages. D’une part, la petite taille des îles rapportée au nombre de visiteurs peut rapidement provoquer une impression de saturation des espaces remarquables, notamment certaines plages habituellement prisées par les habitants à l’année. D’autre part, les retombées sur l’économie de l’île sont parfois jugées limitées, les visiteurs pouvant aisément ne rien consommer de la journée sur l’île au-delà de leur billet de bateau. On note toutefois que les acteurs institutionnels des îles (qui ont à disposition les chiffres de fréquentation) refusent le terme de « sur-fréquentation » alors que les habitants l’utilisent assez facilement. Associée à un sentiment de dépossession, cette « sur-fréquentation » concerne souvent les mêmes lieux – le bourg, le port et la grande plage. 

III- Une crise du logement sans habitant ?

31Dans leurs discours, les collectifs mobilisés pour l’accès logement dénoncent ce qu'ils considèrent comme une dérive du tourisme et la gentrification en cours en montrant l’accaparement des biens immobiliers par des investisseurs ou des ménages aisés, imputant ainsi la responsabilité de la crise du logement que connaissent ces territoires aux résidents secondaires et aux plateformes de réservation de locations saisonnières. Nous avons donc décidé dans un dernier temps d’investiguer l’évolution du marché immobilier et de le croiser avec les évolutions démographiques précédemment observées.

III-A- Une pression sur le logement qui s’accentue malgré une construction continue

32À partir des données DVF (Demande Valeur Foncière), nous avons pu extraire les mutations de parcelles de 2014 à 2023 pour l’ensemble des communes de Bretagne. En suivant la méthodologie décrite et partagée par Boris Mericksay et Florent Demoraes [2022], les données ont été nettoyées et filtrées afin de ne considérer que les ventes de maisons individuelles. Nous avons ensuite isolé les communes îliennes (sur figures 11 et 12, trajectoires en couleur) et nous avons comparé les évolutions de leur prix au mètre carré de 2014 à 2023 avec une classification (distance de Fréchet puis classification par k-means) en quatre groupes. Les îles de Molène et de Sein, bien qu’ayant des annonces immobilières proposées à la vente, sont absentes du DVF, il n’a donc pas été possible de reconstruire leur trajectoire.

Figure 11 : Évolution des prix de vente au m2 des maisons (dans l’ancien) dans les îles du Ponant

Figure 11 : Évolution des prix de vente au m2 des maisons (dans l’ancien) dans les îles du Ponant

Source : Base DVF 2014-2023. Réalisation : Colin Kerouanton

Fig. 12 : Évolution du nombre de ventes et des prix au m2 des maisons (dans l’ancien) dans les îles du Ponant

Fig. 12 : Évolution du nombre de ventes et des prix au m2 des maisons (dans l’ancien) dans les îles du Ponant

Lecture : Les lignes de couleurs représentent la trajectoire moyenne d'évolution du prix au m² des types de communes îliennes (nombre de ventes supérieur à 2 ventes par an) de 2014 à 2023. Nous avons représenté la marge d'erreur en pointillés de couleur autour de chaque trajectoire, et le nombre total de ventes depuis 2014 à droite du graphique. Les lignes en pointillés noirs montrent l'évolution des communes littorales non-îliennes, classées par départements bretons.

Source : Base DVF 2014-2023. Réalisation : Colin Kerouanton

33L’île de Bréhat, l’île aux Moines, l’île d’Aix, Hœdic et l’île d’Yeu ont des évolutions similaires (en bleu sur les figures 11 et 12) en ayant gardé de 2014 à 2023 des prix au mètre carré très élevés (au-delà de 3395€/m²), et en ayant connu une augmentation forte depuis 2021 pour dépasser un prix au mètre carré minimum de 5242€ (figure 11). La trajectoire moyenne de ces cinq communes est toujours supérieure en absolu à la trajectoire des communes littorales d’Ille-et-Vilaine par exemple en maintenant un écart d’au moins 600 €/m² (figure 12) et dans une plus grande mesure du Morbihan littoral avec un écart minimum de 1426€/m². La commune de Houat (en rouge sur la figure 11) possède très peu de mutations immobilières (32 ventes seulement pour 10 années) et son évolution est donc très sensible aux données particulières (sa trajectoire a été enlevée de la figure 12). En effet, le marché immobilier des îles est marqué par une forte inertie du fait de la part très majoritaire des propriétaires qui représentent près de 90% des logements des îles du Ponant. Avec un très faible parc locatif, il y a très peu de turn-over et la tension est structurellement forte. En outre, cette commune possède un prix au mètre carré se situant approximativement dans la trajectoire des cinq îles citées ci-dessus (trajectoire en bleu sur la figure 12). Les communes de Groix, de Belle-Île (Bangor, Palais, Sauzon et Locmaria sont agrégées en une seule entité) et de l’Île d’Arz ont des évolutions (en vert sur les figures 11 et 12) très comparables à l’évolution des communes littorales de l’Ille-et-Vilaine, même si tous leurs prix au mètre carré étaient plus importants en 2014. Le prix foncier de ces communes est nettement inférieur à celui des communes précédemment citées mais il bénéficie tout de même de la même tendance évolutive. Enfin, les communes de Ouessant et de l’Île de Batz possèdent une trajectoire plus singulière (en violet, 220 ventes depuis 2014 seulement) avec un prix au mètre carré qui a augmenté en 9 ans de seulement 529€/m² là où les autres communes ont connu des augmentations plus importantes (+3077€/m² pour les communes repérées en bleu et +2237€/m² pour les communes repérées en vert). À noter également que le prix foncier de Ouessant est inférieur à celui des communes littorales d’Ille-et-Vilaine ainsi que du Morbihan, la contrainte liée à son accessibilité pouvant ici expliquer en partie cette réalité. Au final, la tendance de la proportion des 65 ans ou plus sur les îles et l’évolution des prix de l’immobilier est similaire, les îles ayant les prix de transaction au mètre carré le plus important étant également celles ayant une géronto-croissance récente marquée (Île aux Moines, Houat).

  • 2 Plan Local d’Urbanisme – Projet d’Aménagement et de Développement Durable.

34De plus, la figure 12 montre assez clairement que l'évolution des prix de vente au m² sont structurellement et depuis plus de dix ans très nettement supérieurs aux prix moyens (+31 %) de la région (sans les communes littorales) dans toutes les îles du Ponant. Si on observe une baisse des valeurs entre 2019 et 2021, essentiellement liée à la situation sanitaire, les prix de l’immobilier reprennent à la hausse et de manière très forte depuis 2022, ce bien au-delà de l’évolution tendancielle moyenne de la région. Nous pouvons donc ici faire le lien d’une part entre la faiblesse quantitative du nombre de biens disponible à la vente, elle-même décroissante et d’autre part observer que l’évolution haussière des prix n’est pas directement liée à la situation post-covid. La hausse des prix correspond bien davantage à l’évolution croissante du nombre de résidences secondaires (figure 11), elle-même entraînée à partir du début des années 2010 par le développement des plateformes de location de meublés touristiques, permettant notamment à une partie de la classe moyenne de pouvoir rentabiliser un investissement récréatif [Gaudin, 2022] jusque-là réservé aux plus aisés. Par ailleurs, l’évolution des prix semble en partie déconnectée de la production de logements puisque celle-ci s’est réalisée de manière continue ces dernières années dans les îles du Ponant et cela sans lien direct avec les projections démographiques. À l’échelle de la Bretagne, ces quinze dernières années, 13 % des nouvelles constructions l’ont ainsi été à moins de 600 mètres du littoral, alors même que ces secteurs n’ont accueilli que 3 % des nouveaux habitants. De même l’île d’Houat a lancé un programme de construction d’un lotissement décidé dans les années 2010 alors même que l’évolution démographique était atone. Ce programme immobilier du Vallon a essentiellement accueilli des résidences secondaires et n’a pas contribué à accroître l’offre en logement pour les habitants à l’année. Dans son PLU-PADD2, Houat souligne bien les tensions et risques attachés au surtourisme mais en envisageant une régulation des pratiques (excursionnisme, mouillage non réglementaire) et une préservation des espaces naturels, mais pas en matière de logement ni de priorité accordée aux projets d’installation d’habitants permanents.

III-B- Des résidents non habitants aux habitants sans résidence

35Derrière les statiques des résidences secondaires ou des meublés touristiques, on retrouve une grande diversité de configurations d’accueil et de pratiques. Il est difficile d’évaluer aujourd’hui les nouvelles pratiques résidentielles attachées notamment à la bi-résidentialité, l’allongement des saisonnalités, le télé-travail ou encore les nomades du numérique. Ces usages temporaires de logements dans des territoires souvent à forte composante touristique viennent perturber les approches traditionnelles de gestion des flux, y compris saisonniers. Dans les îles investiguées, ces pratiques prennent la forme d’un habiter temporaire du territoire et sont encore émergentes. Elles font néanmoins incontestablement peser une pression supplémentaire quant à l’accès au logement des résidents permanents, où qui souhaiteraient l’être, notamment pour de jeunes actifs qui feraient délibérément le choix de venir s’installer dans les îles. Les jeunes actifs, soit la tranche d’âge 20-35 ans, constituent, comme nous l’avons vu, une part minoritaire des populations îliennes. Les études, les premières expériences professionnelles, la cherté du foncier/immobilier et le coût de la vie expliquent largement la désertion des jeunes, avant que s’opère une légère progression pour la classe d’âges 40-45 ans. Dans notre enquête à Houat et Hœdic, nous avons pu rencontrer et reconstituer les trajectoires de ces jeunes ménages ou solo qui (re)viennent s’installer dans les îles. On distingue plusieurs profils de néo-arrivants : des jeunes ayant des attaches familiales plus ou moins directes sur l’île, parfois y ayant grandi, qui après une première expérience professionnelle, souhaitent revenir sur place ; mais aussi de jeunes actifs dont le choix d’implantation n’est pas directement lié à une mobilité professionnelle mais à un choix de vie au plus près d’un cadre naturel et d’un lieu pour lequel ils développent un fort attachement. Pour ces jeunes ménages l’implantation dans les îles est rendue particulièrement compliquée, non pas par le manque d’emplois ni de services mais par l’accès au logement qui suscite de vives inquiétudes. Le retour ou l’arrivée sur l’île sont souvent présentés comme « une lutte », un « parcours du combattant » dans lequel « l’île se mérite ». L’évolution démographique récente, montre cependant que la part des jeunes ménages s’est stabilisée, voire progresse dans certaines îles (Houat, Belle île, Groix). Ce phénomène s’observe notamment avec l’évolution des effectifs des écoles et des collèges. Si ceux-ci restent particulièrement modestes (autour d’une dizaine de collégiens à Houat/Hœdic et une cinquantaine à Groix dans les deux collèges), le travail d’enquête que nous avons conduit auprès des deux établissements scolaires publics des deux îles apporte des éclairages quant aux profils socio-démographiques et aux choix d’implantation des parents. Dans les deux établissements, la répartition est assez équilibrée entre les enfants qui sont nés sur l’île (que les parents en soient ou non originaires) et ceux nouvellement arrivés. Pour les enfants nés sur l’île, 90 % d’entre eux ont des parents qui ont fait le choix de revenir sur un territoire au sein duquel ils avaient des attaches familiales. Seulement deux élèves sur les 18 que nous avons pu rencontrer ont des parents qui ont toujours habité l’île. On retrouve donc ici un levier important des trajectoires résidentielles des jeunes ménages avec enfants dans le choix de rapprochement d’un lieu de vie familial. Plus de la moitié des collégiens ont en revanche des trajectoires plus morcelées. Les parents néo-arrivants sur le territoire ont des profils hétérogènes, la majorité d’entre eux avaient déjà fréquenté les îles pour des vacances mais 2 ménages sont arrivées par opportunité professionnelle et choix d’agrément. Dans les entretiens réalisés avec les parents, on retrouve des motivations diverses à l’implantation résidentielle : aménités, préservation et sécurité, quiétude, rapport à la nature, choix de vie alternatif. Ces ménages ont tous en commun d’avoir eu des trajectoires résidentielles originales avec de nombreux déménagements, certains viennent ainsi du Canada, de Guyane ou de Californie. Le choix de venir s’installer sur l’île provient souvent d’une rupture biographique ou d’un souhait de changements de mode vie familial, comme l’explique une mère d’élève de 6ème : « Nous connaissions un peu l’île, on était venu en vacances il y a quelques années. On était installés au Canada pour des raisons professionnelles. Mais la France nous manquait. On ne se voyait pas revenir en ville, j’ai travaillé dans la police, je n’avais pas envie de ça pour mes enfants. Quand on a vu l’offre d’un poste à la mairie, on s’est dit que c’était une opportunité de changement de vie et de reconversion professionnelle pour moi. Mais nous ne nous serions pas vu revenir ailleurs. ».

36Pour les néo-arrivants plus jeunes et sans enfant, la situation est un peu différente. Ils constituent une catégorie difficile à appréhender sur le territoire, leur activité peut être saisonnière et leur ancrage résidentiel précaire ne permet pas de mettre en place une enquête-ménage permettant d’élargir l’enquête. Les jeunes de 20 à 35 ans représentent en effet une catégorie minoritaire mais aussi invisibilisée dans les îles du Ponant. Ces jeunes sont directement concernés par la crise du logement et souvent contraints de trouver des arrangements pour concrétiser leur choix d’implantation et d’accepter des conditions de vie difficile : « J’ai déménagé 11 fois ou plus [en 4 ans] depuis que je suis arrivée à Houat. C’est très difficile de trouver un logement surtout quand on n’a pas de famille ici. On arrive à trouver des logements qui dépannent quelques semaines ou quelques mois, mais on est virés l’été, c’est vraiment épuisant de ne pas pouvoir s’installer ni poser des valises quelque part. On a fini par habiter à l’année au camping dans une yourte mais ce n’est pas confortable. […] Il faut être motivé pour rester ici à l’année ». De nombreux récits de jeunes néo-arrivants font état de ces difficultés et de leur intégration difficile faute de logement. Dans plusieurs îles du Ponant, les néo-arrivants se sont ainsi constitués en collectifs, « Ressac » sur l’île de Groix, « Les enfants de tempête » sur l’île d’Yeu, « L’ardoise salée » à Houat ou « On parle de toit » sur l’île de Batz qui se sont montés à partir de 2018, en souhaitant faire valoir une priorité à accorder aux résidents permanents dans l’accès au logement et dénoncent une « Bretagne secondaire » [Keltz, 2023], accaparée par des investisseurs ou ménages aisés. Si pour l’heure la crise du logement dans les îles concerne tout particulièrement les jeunes et néo-arrivants, peu de dispositifs de régulation sont mis en place. Les programmes de construction sont rares et amenés à être limités avec la mise en place du ZAN (Zéro artificialisation nette). Pour des territoires non soumis à la loi SRU les possibilités d’accueil des ménages modestes et jeunes risquent donc de rester limitées. Le vieillissement accéléré que connaissent ces territoires devrait donc se poursuivre, du fait notamment de l’impossibilité d’installation des jeunes ménages. 

Conclusion

37Plusieurs résultats se dégagent de cette recherche. Nous avons pu démontrer tout d’abord que dans les îles du Ponant les dynamiques démographiques, lorsqu’elles existent, étaient essentiellement portées par l’arrivée de seniors, avec une géronto-croissance soutenue et de facto une part des jeunes en déclin depuis vingt ans dans l’ensemble de ces îles. Nous avons aussi montré les éléments expliquant l’inertie et les situations de blocage des marchés immobiliers, notamment du fait de transactions peu nombreuses, de la très forte proportion de propriétaires, des prix qui ont fortement augmenté avant la crise sanitaire et que l’on peut imputer notamment à l’essor des résidences secondaires, la rentabilité locative saisonnière notamment avec le développement des plateformes d’intermédiation locative. Dans ce contexte, les jeunes et les néo-arrivants sont les plus touchés par la crise du logement d’autant que les constructions des dernières années ont été essentiellement orientées à la fois par une évolution démographique très modérée voire décroissante mais également par la construction de résidences d’investissement et/ou de villégiature sans que des dispositifs de régulation ne soit mis en place (peu de logements communaux, pas de locatif intermédiaire, etc.). Enfin la gentrification dans ces territoires îliens, comme pour une partie des littoraux français fortement investis par le tourisme, se traduit, non seulement par une difficulté d’accès au logement pour les populations les plus modestes, mais également par un remplacement générationnel qui vient accélérer le vieillissement de ces territoires, même lorsque le solde naturel demeure positif. Les îles du Ponant constituent ainsi à notre sens l’archétype des bouleversements que connaissent une partie des littoraux touristifiés aujourd’hui [Bernardie-Tahir, 2011]. À la différence, pour reprendre les mots du maire de Hœdic, que « tous les problèmes de littoraux touristiques sont amplifiés sur les îles ». Et, de fait, là où les espaces littoraux peuvent compter sur le rétro-littoral pour offrir une solution de logement ou d’accueil pour des jeunes actifs, les îles sont obligées de faire face avec des moyens limités et des contraintes spécifiques d’aménagement nécessitant de réfléchir à la mise en place de nouvelles législations et outils d’aménagements spécifiques. Ces évolutions démographiques viennent éclairer les transformations sociales récentes des communautés îliennes, souvent ressenties très fortement par une partie de la population : entre enjeux d’intégration des nouveaux arrivants et maintien difficile d’une vie à l’année sur les lieux. De ce point de vue, la question de l’accès au logement sur les territoires insulaires permet de venir éclairer de manière croisée les dynamiques démographiques et les recompositions sociales et politiques en cours.

38Cet article, tout en révélant les spécificités des espaces insulaires, montre ainsi combien les îles du Ponant constituent un terrain d'investigation particulièrement riche pour appréhender finement les dynamiques démographiques, sociales et résidentielles à l'œuvre sur les façades littorales.

Tableau synthétique

Tableau synthétique
Haut de page

Bibliographie

BERNARDIE-TAHIR, Nathalie, 2011, L’usage de l’île, Paris, Ed. Pétra, 510 p.

BISSON, Brieuc et TURKOVICS, Pierre, 2021, « Marie-Galante : une société du rhum ». Les Cahiers d’Outre-Mer, n°283, Vol.74, Janvier-Juin 2021, pp. 123-158.

BISSON, Brieuc et GAUDIN, Solène, 2024, « Résider à proximité du littoral : Nouvelles configurations territoriales et stratégies résidentielles, l’exemple de Quiberon ». Géoproximités (à paraître)

BLONDY, Caroline, VACHER, Luc et VYE, Didier, 2013, « L’apport de la notion de population présente dans l’analyse du peuplement littoral ». Espace Populations Sociétés, 2013, 1-2, pp. 95-110.

BRIGAND, Louis, 1983, Les îles bretonnes. Aspects géographiques de l’insularité. Thèse de 3e cycle en Géographie, Université de Bretagne occidentale, 2 vol., 267 p. hors annexes.

BRIGAND, Louis, 2002, Les îles du Ponant, Histoires et Géographie des îles et îlots de la Manche et de l’Atlantique, Plomelin, Edition Palantines, 480 p.

BUHOT, Clotilde, 2006, Marché du logement et division sociale de l’espace dans les îles du Ponant, Thèse de doctorant soutenue en décembre 2006 à l’Université de Bretagne Occidentale, 445 p.

Collectif Droit à la Ville Douarnenez, 2023, Habiter une ville touristique Une vue sur mer pour les précaires, Rennes, Editions du Commun, 243 p.

GAUDIN S., 2022, « Les limites du choc de l’offre ». Droit à la ville à Douarnenez, URL: https://www.droitalaville-dz.org/taxonomy/term/8

GUINGOT, Marie, 2019, L’ile, l’entreprise et le navire : étude de la déserte insulaire et des adaptations des entreprises du Ponant, Thèse de doctorat soutenue en octobre 2019 à l’Université de Bretagne Occidentale, 575 p.

KELTZ, Benjamin, 2023, Bretagne secondaire, Les éditions du Coin de la rue, 262 p.

Les îles du Ponant, 2021, L’essentiel 2021, Publication de l’association des îles du Ponant, 35 p.

MERICSKAY, Boris, et DEMORAES, Florent, 2022, « Préparer et analyser les données de "Demandes de valeurs foncières" en open data : proposition d’une méthodologie reproductible ». Cybergeo: European Journal of Geography, Cartographie, Imagerie, SIG, document 1031, mis en ligne le 28 septembre 2022, URL: http://journals.openedition.org/cybergeo/39583 

PELLETIER, Philippe, 1997, La Japonésie. Géopolitique et géographie historique de la surinsularité au Japon, Paris, Edition CNRS, 391 p.

PERON, Françoise, 1993, « L’île, espace culturel ». Géographie et cultures, 2 | 1992, pp. 3-33.

PERON, Françoise, 1993, Des îles et des hommes, l’insularité aujourd’hui, Rennes, Editions de la Cité et Editions Ouest-France, 288 p. 

PERON, Françoise, 2005, « Fonctions sociales et dimensions subjectives des espaces insulaires (à partir de l’exemple des îles du Ponant) ». Annales de Géographie, 2005/4, n°644, pp. 422-436

POPSU, 2023, « Exode urbain, petits flux, grands effets : Les mobilités résidentielles à l’ère post-covid » URL: https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/l-exode-urbain-petits-flux-grands-effets-les-a2388.html

Haut de page

Notes

1 Cette association rassemble des élus locaux (maires mais aussi conseillers départementaux, régionaux, députés et sénateurs) ainsi que des acteurs économiques de la vie insulaire (compagnies de transport maritime, Comité des Pêches, Office de tourisme, collectivités territoriales etc.) avec pour objectif principal de maintenir une population active et dynamique sur l’ensemble de ces îles. Elle est aujourd’hui un interlocuteur reconnu par les pouvoirs publics sur les questions insulaires, qui tente de faire valoir les spécificités de l’aménagement de ces territoires insulaires.

2 Plan Local d’Urbanisme – Projet d’Aménagement et de Développement Durable.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Carte de localisation des îles du Ponant
Crédits Réalisation C. Kerouanton
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 308k
Titre Fig. 2 : Évolution de la population des îles du Ponant de 1968 à 2020
Crédits Source : Insee – RGP de 1968 à 2020.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 124k
Titre Fig. 3 : Évolution des naissances, des décès et du solde naturel entre 2014 et 2022
Crédits Source : Insee – Statistiques de l'état civil 01/01/2023.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
Titre Figure 4 : Évolution de la population de 1968 à 2020 île par île
Crédits Source : Insee – RGP de 1968 à 2020.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 168k
Titre Figure 5 : Pyramides des âges des îles du Ponant en 2009 et 2020
Crédits Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 208k
Titre Figure 6 : Géronto-croissance et vieillissement dans les îles du Ponant
Crédits Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 108k
Titre Figure 7 : Part des 60-74 ans et des 75 ans et plus dans la population totale en 2020
Crédits Source : Insee – RGP de 2009 et 2020.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 136k
Titre Figure 8 : Évolution démographique entre 1801 et 1982
Légende Houat une île encore dynamique au début des années 1990 dans les travaux de Françoise Péron
Crédits Source : Péron, 1993, p. 50.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre Figure 9 : Dynamiques démographiques à Houat et Hœdic depuis 1950, des trajectoires comparables décalées dans le temps
Crédits Source : Insee.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-9.png
Fichier image/png, 25k
Titre Figures 10 et 10 bis : L’évolution du logement à Houat et Hœdic depuis 1968
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 116k
Crédits Source : Insee.
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 104k
Titre Figure 11 : Évolution des prix de vente au m2 des maisons (dans l’ancien) dans les îles du Ponant
Crédits Source : Base DVF 2014-2023. Réalisation : Colin Kerouanton
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 236k
Titre Fig. 12 : Évolution du nombre de ventes et des prix au m2 des maisons (dans l’ancien) dans les îles du Ponant
Légende Lecture : Les lignes de couleurs représentent la trajectoire moyenne d'évolution du prix au m² des types de communes îliennes (nombre de ventes supérieur à 2 ventes par an) de 2014 à 2023. Nous avons représenté la marge d'erreur en pointillés de couleur autour de chaque trajectoire, et le nombre total de ventes depuis 2014 à droite du graphique. Les lignes en pointillés noirs montrent l'évolution des communes littorales non-îliennes, classées par départements bretons.
Crédits Source : Base DVF 2014-2023. Réalisation : Colin Kerouanton
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 208k
Titre Tableau synthétique
URL http://journals.openedition.org/eps/docannexe/image/15137/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 203k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Brieuc Bisson, Olivier David, Solène Gaudin, Julien Torchin et Colin Kerouanton, « Les îles du Ponant, des terres « d’exîles » ? Transformations sociales et nouvelles attractivités résidentielles  »Espace populations sociétés [En ligne], 2024/2-3 | 2024, mis en ligne le 13 février 2025, consulté le 26 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/eps/15137 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13eko

Haut de page

Auteurs

Brieuc Bisson

MCF Géographie et Aménagement de l’espace – UMR ESO 6590 – Département Géographie Aménagement et urbanisme – brieuc.bisson[at]univ-rennes2.fr

Olivier David

PU Géographie et Aménagement de l’espace – UMR ESO 6590 – Département Géographie Aménagement et urbanisme – olivier.david[at]univ-rennes2.fr

Articles du même auteur

Solène Gaudin

MCF Géographie et Aménagement de l’espace – UMR ESO 6590 – Département Géographie Aménagement et urbanisme – solene.gaudin[at]univ-rennes2.fr

Julien Torchin

PRAG Géographie – UMR ESO 6590 – Département Géographie Aménagement et urbanisme – julien.torchin[at]univ-rennes2.fr

Colin Kerouanton

Ingénieur de recherche CNRS – UMR ESO 6590 – Département Géographie Aménagement et urbanisme – colin.kerouanton[at]univ-rennes2.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search