- 1 Le second auteur de cet article, sans aucun lien avec le cas à l’étude, a contribué activement à l’ (...)
1À travers le Québec, les groupes environnementaux se font nombreux et plusieurs d’entre eux sont parvenus à acquérir une certaine crédibilité de la part du grand public au fil des années. Cependant, un nombre important de groupes écologistes de plus petite envergure s’organisent et agissent aussi un peu partout sur le territoire, généralement sans qu’une grande attention ne leur soit accordée ou qu’une reconnaissance de leurs expertises ne leur soit allouée. Dans un contexte où l’éducation écocitoyenne peine encore à s’implanter dans le milieu scolaire, avec tous les enjeux que cela soulève, une attention supplémentaire pourrait être dirigée vers ces lieux d’éducation méconnus qui sortent du cadre scolaire. Mon parcours actif au sein du Mouvement d’action régional en environnement (MARE), me permettant une compréhension approfondie de son fonctionnement et de la nature de ses actions, m’a incité à me pencher spécifiquement sur l’étude de ce cas1.
2Tout d’abord, il sera question du contexte dans lequel s’opère actuellement l’éducation écocitoyenne au Québec, dans le milieu scolaire comme au sein des groupes écologistes, mais aussi des problématiques et des potentialités qu’on peut y observer. Le groupe écologiste sur lequel s’est penchée cette recherche sera ensuite présenté sous l’angle de son processus de création, des missions qu’il entend porter ainsi que de son mode de fonctionnement. C’est sur ces bases qu’une question de recherche sera formulée, concernant l’éducation écocitoyenne à travers les activités du groupe écologiste du MARE
3L’éducation écocitoyenne implique de favoriser le développement d’un pouvoir-agir écocitoyen (Sauvé et coll., 2018). Alors que le développement des compétences citoyennes se poursuit tout au long de la vie, plusieurs personnes autrices soulèvent justement l’importance de reconnaître les enfants et les adolescents comme étant d’ores et déjà des citoyens, et non de futurs citoyens (Smith, 2010 ; Kerry et coll., 2013 ; Blanchet-Cohen et Torres, 2015). L’éducation et l’action écocitoyennes permettent aux enfants et aux adolescents de développer leur désir d’agir et leur pouvoir-agir vis-à-vis des problématiques environnementales (Blanchet-Cohen et Di Mambro, 2016).
4À ce jour, les formations initiales et continues offertes aux personnes enseignantes et aux autres professionnels de l’éducation demeurent cependant trop lacunaires pour offrir aux élèves une réponse appropriée à leurs besoins éducatifs en matière d’écocitoyenneté (Sauvé et coll., 2018). Par ailleurs, puisque l’éducation écocitoyenne implique une approche critique, certains enseignants et enseignantes ressentent un malaise à l’idée de sortir de leur rôle de neutralité supposée (Jeziorski et coll., 2015). Par ailleurs, Martinez (2010) observe que si l’école a un rôle à jouer dans l’éducation écocitoyenne, elle ne peut l’assumer seule. Elle se doit ainsi d’être en dialogue avec d’autres acteurs, afin de favoriser la co-construction de savoirs écocitoyens.
5À cet effet, on reconnaît aux organisations non gouvernementales (ONG) environnementales une expertise qui mérite d’être valorisée dans le cadre de collaborations éducatives avec les écoles (Sauvé et coll., 2018). Il semble que l’action citoyenne et la collaboration avec des ONG environnementales puissent contribuer à accroître le pouvoir-agir des élèves sur leur milieu (Kerry et coll., 2013). Cependant, le sous-financement des ONG et le peu de ressources du milieu scolaire mettent en péril la mise en œuvre de telles coopérations (Sauvé et coll., 2018).
6Il faut toutefois noter que les professionnels du milieu scolaire et des ONG ne représentent pas à eux seuls l’ensemble du monde éducatif. Sauvé et Asselin (2017) sont d’avis que l’école devrait prendre exemple sur les processus d’apprentissages qui ont cours au sein des groupes écologistes et qu’il faudrait favoriser une plus grande synergie entre les acteurs des différents contextes éducatifs. Sauvé (2014) reconnaît d’ailleurs qu’en éducation écocitoyenne, « il ne s’agit pas tant d’enseigner que d’animer, d’accompagner des situations d’apprentissage ancrées dans les réalités et dans une dynamique de co-construction du savoir » (p. 13). Ce constat devrait encourager le milieu scolaire à stimuler l’éducation écocitoyenne par des collaborations avec le milieu communautaire, en incluant notamment les groupes écologistes. Cette coopération pourrait ainsi permettre d’exprimer les « extraordinaires possibilités de l’apprentissage dans l’action » (p. 13) collective, particulièrement présente au sein des groupes écologistes (Sauvé et Asselin, 2017).
- 2 Dans cet article, on entend par groupes environnementaux l’ensemble des groupes agissant en faveur (...)
7Dans cette optique, l’inclusion au sein du milieu scolaire de groupes écologistes n’étant pas forcément constitués en tant qu’organismes à but non lucratif (OBNL), apparait comme une perspective éducative à explorer. Tous types d’organisations confondus (ONG, OBNL, groupes écologistes, etc.), le Québec compte au bas mot 300 groupes environnementaux2 (Massé, 2020). Des bénévoles offrent annuellement plus de 200 000 heures à ces groupes. Il s’agit de centaines de milliers d’heures lors desquelles une forme ou une autre d’éducation écocitoyenne peut théoriquement être déployée.
8De plus, si l’éducation écocitoyenne dans les groupes écologistes a fait l’objet de quelques études assez récentes au Québec (Sauvé, 2016 ; Brière et coll., 2022 ; Orellana et coll., 2022), elle demeure largement moins connue que celle en milieu scolaire (Trott et coll., 2023). Il semble alors nécessaire de poursuivre l’étude du potentiel d’éducation écocitoyenne de groupes écologistes.
9Le MARE - Mouvement d’action régional en environnement - est un groupe écologiste citoyen, ou groupe écocitoyen, puisqu’il n’est pas constitué en OBNL. Il est implanté principalement dans la grande région de la Montérégie, plus spécifiquement dans les municipalités régionales de comtés (MRC) de Vaudreuil-Soulanges et de Beauharnois-Salaberry, mais agissant également ailleurs au Québec. Il est actif depuis mai 2019, sans toutefois être enregistré à titre d’organisme officiel. Le mouvement émerge de l’initiative de cinq individus résidant en Montérégie.
10Depuis lors, le MARE s’octroie la mission de soutenir les citoyennes et citoyens ainsi que les groupes dans leurs projets environnementaux et à travers leurs diverses luttes écologistes. Par ce mandat, il s’emploie notamment à prodiguer des conseils aux regroupements et aux individus. À ce titre, il peut s’agir d’informer les citoyennes et citoyens sur le fonctionnement des instances municipales, de les diriger vers des groupes spécialisés dans la défense des droits comme le Centre québécois du droit de l'environnement, de les informer sur de potentielles sources de subventions pour des projets, ou même de les accompagner dans la mobilisation citoyenne et la coordination de leurs membres.
11Le MARE tente également de développer des liens entre les individus, les groupes écologistes, les OBNL et les ONG environnementales à travers l’organisation, la coordination ou l’appui de divers projets et activités. Les projets auxquels le mouvement participe ne sont pas forcément amorcés en amont par des personnes citoyennes ou par d’autres groupes, car le MARE met aussi lui-même en œuvre des projets de nature écocitoyenne. On peut citer en exemples l’organisation d’un rassemblement pour le jour de la Terre ou l’élaboration d’une demande de consultation publique ciblée, suivie du dépôt d’un mémoire au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) pour le projet de stabilisation des berges de la baie Saint-François à Salaberry-de-Valleyfield.
12Par l’entremise d’une infolettre quotidienne, le MARE partage avec ses membres des informations sur ses activités et sur celles d’autres groupes avec lesquels il est en lien. Une infolettre publiée le 15 septembre 2023 fait état d’environ 500 personnes considérées comme membres du MARE puisqu’inscrites à cette publication. En juillet 2024, la page Facebook du groupe compte plus de 2200 abonnements. Le MARE est aussi présent, dans une moindre mesure, sur les plateformes X (anciennement Twitter) et Instagram.
13En plus de participer à des entrevues dans des médias locaux, le MARE a également offert son appui à plusieurs pétitions, groupes, lettres, mémoires, luttes, activités et projets écologistes pour augmenter leur visibilité et leur crédibilité. Toujours dans une approche d’éducation écocitoyenne, il faut souligner le fréquent partage de l’expertise acquise par le MARE avec des groupes et organisations, de même que les rencontres bimensuelles qu’il tient, lesquelles permettent l’échange d’informations entre les individus et les groupes qui y participent.
14Afin de déterminer l’éventuelle contribution d’un groupe écologiste comme le MARE à l’éducation écocitoyenne d’enfants ou adolescents d’âge scolaire, la question de recherche suivante s’impose : quel est le potentiel d’éducation écocitoyenne des actions du MARE pour les élèves des MRC où le groupe est actif ?
15Dans cette section, les typologies relatives aux trois concepts clés de cette recherche, l’écocitoyenneté, l’éducation et les actions menées par les groupes écologistes seront présentées.
16L’éducation écocitoyenne s’intéresse à la dimension politique constitutive de l’éducation relative à l’environnement (ERE). L’éducation à l’écocitoyenneté s’impose, aux côtés de l’éducation au développement durable et de l’éducation au rapport à l’environnement, comme l’un des trois principaux courants du large spectre de l’ERE (Girault, 2018). Elle vise l’exercice d’une démocratie écologique, au sein de laquelle le vivant est perçu de manière inclusive et qui fait appel à l’acquisition d’un pouvoir-agir collectif, éthique et critique (Sauvé, 2017). L’éducation écocitoyenne peut prendre des formes diverses, mais doit forcément soutenir une forme d’émancipation qui favorise l’agir citoyen. Dans un contexte plus scolaire, il peut s’agir, par exemple, d’animer un débat sur un enjeu écologique ou de rédiger un texte demandant à des personnes élues d’agir sur une problématique écosociale locale (Pouliot, 2020). Dans le cas d’un groupe écologiste, il pourrait aussi être question d’organiser une manifestation ou d’offrir une conférence sur le climat.
17Westheimer et Kahne (2004) distinguent essentiellement trois types de citoyenneté, que Naoufal (2016) applique d’ailleurs au concept d’écocitoyenneté :
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la citoyenneté personnellement responsable, qui implique de se comporter d’une manière considérée comme étant responsable dans la société ;
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la citoyenneté participative, qui appelle à s’impliquer de façon active dans la société ;
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la citoyenneté orientée vers la justice, qui s’intéresse, de manière critique, aux structures sociopolitiques et économiques dans l’optique de percevoir et d’influencer les causes profondes des enjeux sociaux.
18Il est possible de se trouver simultanément dans plusieurs de ces catégories d’écocitoyenneté. Cette typologie servira de cadre d’analyse pour déterminer où se situent globalement les actions menées par le mouvement écologiste à l’étude.
19Trois types d’éducation sont à distinguer (Bordes, 2012). D’abord, l’éducation formelle est liée à une institution éducative comme l’école. Elle est planifiée et permet d’obtenir une forme de certification des apprentissages. Ensuite, l’éducation non formelle comporte aussi une planification des apprentissages, mais se déroule hors des cadres institutionnels et ne mène pas à une certification. C’est généralement le cas de l’éducation réalisée par des ONG. Finalement, l’éducation informelle se distingue par une absence de planification de la séquence éducative. Les apprentissages sont généralement réalisés de façon moins consciente et peuvent survenir lors d’échanges au sein de divers groupes sociaux. Si ces trois types d’éducation pourraient être envisagés sous la forme d’un continuum moins hiérarchisant, elles ont l’avantage de permettre de distinguer les actions éducatives sur la base de deux principaux critères :
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la présence d’une planification pédagogique ;
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la présence d’une institution pouvant fournir une attestation d’apprentissages.
20Pour distinguer les actions posées par les groupes écologistes, on peut faire référence ici à des actions de création (Sauvé, 2014 ; Naoufal, 2016), de résistance (Sauvé, 2014 ; Orellana et Marleau, 2015) ou de sensibilisation (Komassi et Nadon, 2017 ; Samson et coll., 2022). Cette typologie (figure 1) permettra de caractériser les actions éducatives posées par les groupes écologistes. L’appartenance à l’une ou l’autre de ces catégories peut être déterminée en fonction des principales retombées prévues ou souhaitées par le groupe à la suite de l’action mise en œuvre.
Figure 1 : Typologie des actions posées par un groupe écologiste
21Lorsqu’une action a comme finalité l’émergence d’une mesure, d’une politique, d’une œuvre, d’un document ou d’un aménagement physique, cela correspond à une action de création. À contrario, si une action s’y oppose, elle doit être considérée comme une action de résistance.
22Il est important de souligner que les actions axées principalement sur la résistance ou la création de nature écosociale peuvent évidemment comporter une visée de sensibilisation, qu’elle soit implicite ou explicite, réfléchie ou inconsciente. En dépit de cette réalité, ce sont uniquement les actions qui n’impliquent directement aucune des deux précédentes catégories (résistance ou création) qui sont décrites ici comme ayant la sensibilisation comme principale visée : par exemple, une collecte de déchets ou une conférence. Il en est ainsi puisqu’on considère que toute action à potentiel éducatif organisée par un groupe écologiste comprend des retombées potentielles. Dans cette optique, l’absence simultanée d’une visée créative et d’une opposition explicite à un projet implique que les retombées prévues ou souhaitées au terme de l’action se situeront essentiellement au niveau d’une influence sur les opinions ou les connaissances de groupes ou d’individus ciblés. Les objectifs liés à l’influence sur l’opinion ou sur les connaissances sont ainsi considérés comme faisant partie de la large catégorie de la sensibilisation.
23Il est finalement à mettre en relief que, bien qu’il soit généralement possible de déterminer si une action se tourne davantage vers la résistance ou vers la création, ces catégories ne se veulent pas mutuellement exclusives. Une action peut alors théoriquement se trouver à l’intersection des trois catégories présentées par la figure 1.
24Aux vues des besoins et des défis d’une éducation écocitoyenne dans les écoles du Québec, l’objectif de cette recherche a été de déterminer le potentiel éducatif du groupe citoyen qu’est le MARE pour contribuer à l’éducation écocitoyenne au sein de la société et les perspectives de transférabilité d’une telle expertise au milieu scolaire.
25L’objectif général de l’étude se décline en six objectifs spécifiques :
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Identifier le champ d’action géographique du MARE :
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Identifier les principaux types d’actions éducatives menées par le MARE :
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Identifier les principaux types d’éducation déployés lors des actions éducatives menées par le MARE ;
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Décrire les collaborations entre le MARE et d’autres groupes autour des actions éducatives menées ;
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Identifier les principaux groupes sociaux visés par les actions éducatives menées par le MARE ;
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Décrire les types de citoyenneté engagés lors des actions éducatives menées par le MARE.
26Tout d’abord, avant de présenter le processus de collecte et d’analyse des données, il faut mettre en lumière que le chercheur principal de cette recherche, ayant réalisé la collecte et l’analyse initiale des données, est activement engagé dans le groupe écologiste étudié et que certains de ses proches y contribuent aussi. D’une part, ce contexte de recherche favorise une compréhension plus approfondie de plusieurs aspects liés au fonctionnement interne du MARE et au développement des actions éducatives menées par le mouvement. D’autre part, l’enjeu d’ordre éthique que cela soulève par rapport à l’assurance d’une prise de distance vis-à-vis du traitement et de l’interprétation des données a été traité avec le plus grand sérieux. C’est pourquoi les catégorisations utilisées, l’analyse des données réalisée et les interprétations présentées ont été entièrement révisées, avec attention et à plusieurs reprises, par le second chercheur ayant participé à l’étude.
27L’étude de cas (Borg et Gall, 1989) s’inscrit dans une approche descriptive des données (Van der Maren, 2003). L’important volume d’actions réalisées par le mouvement écologiste (supérieur à 100) a ouvert la porte à une approche quantitative. Ainsi, à la suite de la codification d’informations qualitatives, une approche analytique de type quantitatif a été mise en œuvre de manière complémentaire. Par la quantification, il est notamment possible d’évacuer certaines particularités exceptionnelles des cas à l’étude et de n’en conserver que les données informationnelles souhaitées, en l’occurrence celles relatives aux caractéristiques des actions éducatives (Van der Maren, 1985).
28Une recension exhaustive des actions menées par le MARE, depuis la naissance du mouvement en mai 2019 jusqu’au premier jour du mois de juin 2022, a d’abord été réalisée. Pour parvenir à compiler l’ensemble des données nécessaires, plusieurs sources documentaires ont été analysées.
29En premier lieu, le site web du groupe écologiste3 a été examiné, en accordant une attention particulière à la section portant sur les « campagnes d’action », qui regroupe un grand nombre d’actions déjà complétées ou en cours de réalisation. Certains articles publiés dans la section blogue du site de MARE ont également été pertinents pour la recherche, puisqu’ils regroupaient des actions réalisées lors de périodes déterminées. Des informations relatives aux principes, au fonctionnement et à la mission du MARE étaient aussi accessibles sur cette même plateforme.
30En second lieu a été réalisée la lecture de la totalité des courriels envoyés aux membres du MARE, sous forme d’infolettre hebdomadaire ou d’infolettre spéciale, et toujours entre mai 2019 et juin 2022.
31En troisième lieu, le contenu publié jusqu’au 1er juin 2022 sur les réseaux sociaux du regroupement a été passé en revue. Cela inclut la page Facebook4, en fonction depuis le mois de mai 2019, la page X (anciennement Twitter)5, créée en décembre 2019, ainsi que la page Instagram6, dont les activités remontent au mois de juin 2021.
32Ce vaste tour d’horizon a permis de compiler l’ensemble des actions éducatives posées par le MARE entre le mois de mai 2019 et le 1er juin 2022. Par la lecture du nom et du descriptif de chaque action, cela a aussi permis la collecte de données permettant d’identifier le nombre de groupes collaborateurs impliqués, les lieux et les dates de réalisation, l’objectif principal (création, résistance ou sensibilisation) et le contexte éducatif impliqué (formel, non formel ou informel). La sous-section suivante offre davantage de détails sur le processus d’analyse.
33Dans un premier temps, le chercheur principal a procédé à l’analyse des données qualitative, à savoir des extraits issus des documents présentés dans la sous-section précédente. Il s’agit d’un processus d’analyse de contenu (Dionne, 2018) des données documentaires collectées. Réalisé à l’aide de catégories d’analyse, ce travail a été facilité par la gestion des données que permet le logiciel Microsoft Excel.
34Les catégories d’analyse qualitative ont été, pour certaines, déterminées en amont, puisque dérivées de termes clés retrouvés dans la littérature et selon une approche d’analyse de contenu dirigée. Pour d’autres catégories, une stratégie inductive (Gallagher et Marceau, 2020) a été préférée afin de s’ajuster aux particularités du cas à l’étude (Dionne, 2018), une approche considérée comme favorable à une analyse descriptive (Hsieh et Shannon, 2005).
35La création des catégories analytiques a ainsi été effectuée selon les principes de l’analyse de contenu dite sommative, qui se situe à mi-chemin entre la méthode dirigée (déductive), qui requiert de concevoir les catégories de codification en amont, et la méthode conventionnelle (inductive), qui implique l’évolution des catégories durant la phase d’analyse (Hsieh et Shannon, 2005). Pour chacune des actions éducatives répertoriées, cinq types d’information ont été repérés et analysés.
36Premièrement, il y a le lieu où l’action a été menée (in situ ou à distance), principalement situé en fonction de la MRC concernée, dont la MRC de Vaudreuil-Soulanges et la MRC de Beauharnois-Salaberry.
37Deuxièmement a été explicité le type d’action qui semblait correspondre le plus directement à l’objectif de l’action : création, résistance ou sensibilisation. Il est à noter que ces dernières catégories ne sont pas mutuellement exclusives. Comme présenté dans le cadre de référence, une action n’a été classée comme appartenant à la sensibilisation que si elle n’impliquait directement aucune des deux précédentes catégories.
38Troisièmement, le type de contexte éducatif, soit formel, non formel ou informel, a été inscrit. La catégorisation de la nature éducative repose, comme l’indique le cadre de référence, sur l’apparente planification éducative, de même que sur la présence ou l’absence d’une évaluation ou d’une attestation des acquis par une institution.
39Quatrièmement, une liste de l’ensemble des partenaires ayant collaboré de manière significative à la mise en œuvre de chaque action a été dressée, sans égard à la nature ou à l’importance de la collaboration. La catégorisation réalisée a pour but d’identifier le nombre de partenaires collaboratifs impliqués dans chacune des actions : aucun ; un seul partenaire ; plusieurs partenaires.
40Puis, cinquièmement, le groupe social principalement visé par la dimension éducative de l’action a été identifié : grand public, enfants ou adolescents (personnes âgées de moins de 18 ans), élèves (enfants ou adolescents fréquentant la maternelle, l’école primaire ou l’école secondaire), personnes étudiantes (personnes fréquentant un établissement postsecondaire), adultes, groupe politique. La catégorie des groupes politiques concerne un ou des individus visés dans le cadre de leurs responsabilités politiques au niveau municipal, provincial ou fédéral. Les catégories correspondant au groupe social ne sont pas mutuellement exclusives, puisque leur conception vise à distinguer les actions dédiées spécifiquement à un seul groupe social de celles destinées à plusieurs.
41Dans un second temps, l’analyse quantitative, à savoir le calcul d’une mesure d’association entre deux types de données, a été accomplie à l’aide du logiciel SPSS. Cette deuxième phase d’analyse des données se veut un modeste complément d’analyse au travail déployé lors de la première et principale phase. Elle permet néanmoins de jeter un éclairage sur le lien entre le type d’action posé et le type de contexte éducatif impliqué. Les processus de collecte et d’analyse des données ayant été décrits, la section suivante présente l’ensemble des résultats obtenus.
42Dans cette section, les résultats obtenus quant au lieu de déroulement des actions, au type d’action, au type de contexte éducatif en jeu, aux partenaires impliqués et aux groupes sociaux ciblés par les actions éducatives sont présentés. Elle se conclut par l’identification des types de citoyenneté mobilisés lors des actions du MARE.
43Cette sous-section identifie les MRC dans lesquelles se sont déroulées les actions auxquelles le MARE a participé depuis trois ans, de mai 2019 jusqu’au 1er juin 2022.
- 7 Puisque les résultats sont arrondis, il est possible que l’addition de pourcentages ne mène pas à u (...)
44Les deux tiers (68 %)7 des 102 actions entreprises par le MARE se sont déroulés dans les MRC montérégiennes de Vaudreuil-Soulanges (35 %), de Beauharnois-Salaberry (25 %) ou de ces deux MRC à la fois (8 %). La distribution géographique des actions éducatives se complète par 14 % d’actions menées dans une autre MRC du Québec, 6 % d’actions menées dans une combinaison de MRC autre que Vaudreuil-Soulanges et Beauharnois-Salaberry, 8 % d’actions en virtuel et 5 % d’actions ne pouvant être associées à un lieu précis.
45À travers la province, ce sont près de trois actions réalisées (moyenne arithmétique de 2,68) chaque mois depuis la création du mouvement, un nombre qui augmente au fil des ans, en dépit du contexte sanitaire particulier des dernières années. La documentation analysée permet d’établir l’expansion du mouvement qui, à l’origine, n’était actif presque exclusivement que dans une portion restreinte de Vaudreuil-Soulanges et qui s’est étendu par la suite davantage dans Beauharnois-Salaberry : puis, depuis les débuts de la pandémie de COVID-19, les activités se sont déployées également en ligne et ailleurs dans la province. Cet élargissement au-delà des deux premières MRC coïncide avec le transfert de la plupart des rencontres d’un format présentiel à un format virtuel.
46Cette seconde sous-section identifie les types d’actions éducatives menées par le MARE au cours de son existence. Celles-ci se déclinent en trois grandes catégories : résistance, création et sensibilisation.
47On constate que la plupart des actions menées par le groupe sont dirigées vers la résistance à des projets, des mesures, des politiques ou des aménagements physiques pouvant être à l’initiative du secteur privé, public ou gouvernemental (62 %). Les autres actions proposées par le mouvement, environ une par mois, sont réparties en parts presque égales entre les processus de création (20 %) et de sensibilisation (19 %). Soulignons également que la sensibilisation, ou toute autre forme d’éducation écocitoyenne, peuvent tout à fait constituer l’un des principaux objectifs poursuivis par une action de résistance. Il est à noter que 83 % des actions, soit celles de résistance et de création ont une visée qui dépasse (sans logique hiérarchique) la sensibilisation, et ont pour objectif de générer des apports ou des changements concernant des enjeux écocitoyens généralement locaux.
48Dans cette troisième sous-section est présentée la répartition des actions du MARE selon les trois types de contextes éducatifs présentés plus tôt : l’éducation formelle, l’éducation non formelle et l’éducation informelle.
49On constate que près des deux tiers des actions présentées par le mouvement écologiste relèvent d’un type d’éducation non formel (61 %) comme l’organisation de débats lors de la tenue des élections municipales. Rappelons que l’éducation non formelle implique que le potentiel et le processus éducatifs de l’action soient réfléchis en amont de sa réalisation (Bordes, 2012). Outre l’absence d’une forme d’évaluation et d’une méthode permettant l’attestation des acquis dans un contexte institutionnel, une telle initiative d’éducation s’avère en ce sens similaire à l’éducation formelle, d’ordinaire prescrite et reconnue dans le réseau scolaire. On ne dénombre qu’une seule action d’éducation formelle parmi la totalité de celles menées par le groupe, bien qu’elle ait été menée dans plusieurs milieux. Il s’agit d’une activité pédagogique planifiée qui vise à semer, en classe, des glands de chênes qui seront ensuite plantés à l’extérieur par les familles ou par le MARE. Pour un peu plus du tiers des actions (38 %), l’aspect éducatif relève de l’informel, et n’est donc pas planifié, comme c’est généralement le cas des actions de collecte de déchets.
50Diverses approches pédagogiques sont employées au cours des multiples actions éducatives mises en œuvre par le MARE sans pour autant que celles-ci ne soient identifiées par la terminologie associée à ces concepts dans le domaine de l’éducation. Plusieurs d’entre elles ont été repérées : l’approche par projet est présente lors de l’organisation de débats entre candidats électoraux ou lors de l’écriture de guides à l’intention des personnes citoyennes ou des municipalités ; l’approche expérientielle s’illustre par des actions telles que la recension d’espèces animales et végétales ou le nettoyage de berges ; l’approche par résolution de problèmes est visible dans des actions comme la rencontre d’élus pour tenter d’éviter la destruction de milieux naturels ou comme le dépôt de communiqués visant la résolution de situations écosociales conflictuelles.
51Cette sous-section se complète par les résultats, illustrés dans le Tableau 1, d’une analyse quantitative des données, plus précisément par la réalisation d’une mesure d’association. Ne comptant qu’une occurrence, la catégorie « formelle » de la variable « type d’éducation » a été retirée de la mesure d’association, afin d’éviter que la donnée marginale n’influence de manière non représentative le portrait statistique présenté.
Tableau 1 : Association entre les variables Types de contexte éducatif et Type d’action
52L’hypothèse nulle (une absence d’association) doit être rejetée (p < 0,05) (Fisher, 1950), puisqu’il existe une association très significative et positive entre le type de contexte éducatif (non formelle ; informelle) et le type d’action posée (résistance ; création ; sensibilisation). Selon les bornes d’interprétation d’un coefficient d’association (Akoglu, 2018), la force de cette association peut être décrite comme très forte (V de Cramer = 0,445, p < 0,001). Les résidus ajustés (supérieurs à 2 ou inférieurs à -2) témoignent d’une surreprésentation des actions d’éducation informelle dans les actions de création et, inversement, d’une sous-représentation des actions d’éducation non formelle. En ce qui concerne les actions de résistance, une sous-représentation des contextes éducatifs informels et une surreprésentation des contextes éducatifs non formels sont plutôt observées. Pour dire plus simplement, les actions de résistance (davantage non formelles) s’avèrent plus souvent conçues dans une logique éducative que ne le sont les actions de création (davantage informelles).
53Cette section permet de percevoir la tendance collaborative du mouvement écologiste à travers la comptabilisation du nombre de groupes ayant collaboré, aux côtés du MARE, à chacune de ses actions à caractère éducatif.
54On remarque que la réalisation de la plupart des actions du MARE (71 %) met en scène une collaboration avec un (21 %) ou plusieurs groupes (50 %). Parmi ceux-ci, se trouvent des ONG environnementales et des groupes environnementaux constitués en OBNL : Centre québécois du droit de l’environnement, Nature Québec, Conservation de la Nature Canada, Fondation David Susuki, Ambioterra, Fondation Rivières, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec. Il y a aussi des groupes écologistes (par exemple, Sauvons Sandy Beach), des municipalités (comme Salaberry-de-Valleyfield), des établissements scolaires (dont l’école alternative La Traversée), des groupes communautaires (comme le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec - MÉPACQ) et des groupes syndicaux (par exemple, la Confédération des syndicats nationaux - CSN - Montérégie).
55L’importance pour le MARE de créer des liens entre les personnes citoyennes et les groupes écologistes est omniprésente dans le discours présenté sur l’ensemble de ses plateformes. Le mouvement écologiste a justement amorcé officiellement en avril 2021, la création du réseau de protection des milieux naturels du MARE. Plus restreint à ses débuts, ce réseau regroupe dorénavant plus d’une vingtaine de groupes écologistes, souvent d’ampleur modeste et ne disposant pas d’un statut d’OBNL, mais aussi dispersés sur le territoire d’au moins six MRC : Vaudreuil-Soulanges, Beauharnois-Salaberry, Roussillon, Deux-Montagnes, du Haut-Saint-Laurent et Laval. L’organisation d’une rencontre mensuelle dédiée spécifiquement à la mise en œuvre de ce réseau d’entraide permet de favoriser le transfert de connaissances variées entre les membres des différents groupes et ce, en fonction des besoins exprimés par chacun d’eux.
56Puis, cette cinquième sous-section présente des informations concernant le public cible (grand public, enfants ou adolescents, élèves, personnes étudiantes, adultes ou groupes politiques) des actions menées par le MARE.
57On observe que le public cible des actions du MARE est dans la majorité des cas (54 %), classé comme grand public, et que seulement 3 % des actions proposées sont destinées spécifiquement à des élèves (1 %) - en l’occurrence des élèves d’écoles primaires - ou à des enfants ou des adolescents (2 %). Les actions dédiées à des membres de groupes politiques (30 %) ou à d’autres adultes (13 %) représentent ainsi 43 % des actions éducatives répertoriées. Il faut aussi souligner que les actions de résistance sont destinées à des individus de tous âges pour la moitié (49 %) d’entre elles. La plupart (60 %) des actions de création s’adressent quant à elles à des élèves, à des enfants ou des adolescents ou au grand public. Pour ce qui est des actions de sensibilisation, elles sont, dans une grande majorité (79 %), destinées à un public jeunesse ou de tous âges.
- 8 Le MARE mène ou appuie aussi des campagnes d’action qui visent la protection de milieux naturels (...)
58D’après la typologie élaborée par Westheimer et Kahne (2004), de nombreuses actions du MARE doivent vraisemblablement être considérées comme appartenant à une citoyenneté orientée vers la justice. C’est le cas notamment de manifestations en faveur de la défense des droits territoriaux de la Nation autochtone Wet’suwet’en, dans le cadre de la construction du gazoduc Coastal GasLink, en Colombie-Britannique, dont le trajet traverse le territoire traditionnel de la Nation8. Outre ce cas, par l’entremise de brochures informationnelles et de fréquentes prises de position sur leurs différents canaux de communication, le MARE a multiplié les remises en question relatives aux iniquités socioéconomiques et politiques au sein de la société. À différents endroits sur ses plateformes, le mouvement s’est d’ailleurs inscrit explicitement en opposition à ce qu’il décrit comme une quête de croissance infinie imposée par le capitalisme. On retrouve justement ce positionnement parmi une liste de huit constats qui définissent les engagements et les actions du MARE. Cet engagement citoyen orienté vers la justice s’observe aussi en matière d’actions posées. On note en ce sens l’exemple concret d’une manifestation en faveur de la justice climatique et sociale, organisée conjointement avec des groupes communautaires et syndicaux.
59Le concept de citoyenneté participative se retrouve aussi dans plusieurs actions éducatives telles qu’une tournée des conseils municipaux, le dépôt d’un mémoire au BAPE ou encore la création de capsules vidéo permettant aux personnes citoyennes de découvrir les opinions et les positions environnementales des candidats aux élections fédérales.
60On observe finalement certaines actions qui relèvent davantage d’une citoyenneté personnellement responsable. C’est le cas, par exemple, des nombreuses actions de collecte de déchets organisées par le groupe.
61Plusieurs actions éducatives du MARE présentent sans doute simultanément des caractéristiques propres à au moins deux des trois types de citoyenneté reconnus par Westheimer et Kahne (2004). Toutefois, à la lumière des données recueillies, on peut affirmer que les trois citoyennetés définies par ces auteurs se trouvent exprimées dans le cadre de nombreuses actions posées par le MARE.
62Les résultats de cette recherche montrent que des acteurs d’âges variés sont invités à participer à la réalisation d’actions écocitoyennes orientées vers la justice, la participation ou la responsabilité (Westheimer et Kahne, 2004), ce qui a le potentiel de répondre à la volonté des élèves de travailler sur les problématiques environnementales de manière intergénérationnelle (Blanchet-Cohen et Di Mambro, 2016) tout en engageant leur rôle de personnes citoyennes. Les actions éducatives du MARE, étant pour la plupart d’entre elles non formelles et adaptées à un public d’âge scolaire, s’avèrent d’ores et déjà planifiées dans une visée pédagogique. La présentation de l’aspect éducatif des actions s’inspire d’ailleurs de plusieurs approches pédagogiques (expérientielle ; par projet ; par résolution de problèmes). De plus, la variété et la fréquence des collaborations avec d’autres groupes pour la mise en œuvre des actions du MARE répondent à un enjeu d’expertise qui pourrait légitimement être avancé par les membres des écoles. Le MARE se trouve ainsi en relation fréquente avec des organisations spécialisées en biologie, en droit, en politique, en enjeux socioéconomiques, en écologie et en plusieurs autres domaines connexes à l’éducation écocitoyenne. Sur la base de ces constats encourageants, et en prenant en compte le fait que les mouvements sociaux sont naturellement des milieux propices à la diffusion de connaissances (Hall, 2006), il semble que des collaborations avec le milieu scolaire pourraient être réalistement envisagées : création d’un espace végétalisé en partenariat avec la municipalité, la MRC ou des organismes locaux ; rédaction d’une lettre adressée à des élus politiques sur un enjeu écosocial identifié par les élèves ; organisation d’une activité d’identification de plantes dans un milieu naturel menacé ou écologiquement exceptionnel, suivi d’un retour réflexif et critique sur les apports de la conservation de l’écosystème visité ; etc.
63Force est cependant de constater la quasi-absence d’actions du MARE dédiées spécifiquement à des élèves ou à des personnes étudiantes. Cette observation survient en dépit du fait que la majorité des actions éducatives du mouvement se veulent adaptées à des enfants, a fortiori en ce qui concerne les actions de sensibilisation. Par ailleurs, du point de vue du milieu scolaire, des ancrages tels que les domaines généraux de formation Environnement et consommation ou encore Vivre-ensemble et citoyenneté permettent dès aujourd’hui aux personnes enseignantes d’intégrer l’éducation écocitoyenne à leurs enseignements à l’école primaire comme secondaire. De plus, le passage du cours Éthique et culture religieuse au nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise, fera officiellement entrer l’éducation écocitoyenne dans les classes, en abordant des thèmes comme le rapport à l’environnement, mais aussi les mouvements environnementaux et l’écologie politique.
64Dans la mesure où l’on considère les enfants comme des personnes citoyennes (Koebel, 2000) et que l’on reconnaît leur intérêt à s’impliquer à titre écocitoyen (Blanchet-Cohen et Di Mambro, 2016), le peu de relations entre le milieu scolaire et le MARE s’inscrit en opposition avec la volonté du MARE de rejoindre et réseauter l’ensemble des acteurs écocitoyens. Il faut alors se demander ce qui peut expliquer une telle distance entre le MARE et le milieu scolaire. Notre hypothèse est que cela relève potentiellement, tout au moins en partie, d’une opacité du milieu scolaire vis-à-vis des groupes écologistes. Cela pourrait s’expliquer par le peu de reconnaissance accordée au rôle des acteurs éducatifs non scolaires que sont les groupes écologistes, mais aussi par une méconnaissance générale de ces groupes, de leurs missions ou de leurs compétences éducatives, spécialement dans le cas des groupes écologistes.
65Il existe cependant un cas dans lequel une collaboration a été réalisée avec des milieux scolaires, le seul considéré comme relavant d’une éducation formelle et le seul destiné spécifiquement à des élèves. Celui-ci concerne une action éducative, conçue en collaboration avec l’organisme environnemental Crivert9. Cette action, bien qu’isolée, aura permis la plantation de plus d’un millier de glands de chênes par des élèves d’une dizaine d’écoles primaires en l’espace de quelques mois. Il s’agit d’une réussite qui laisse croire à un potentiel de collaboration plus récurent ou à plus large échelle entre le milieu scolaire et un groupe écologiste comme le MARE.
66Il faut aussi souligner que les actions de résistance, menées autour de dissensus, relèvent plus souvent d’une éducation non formelle (planifiée comme éducative) que des actions plus consensuelles de création. Ce constat remet certainement en question la représentation populaire liée aux types d’actions qui seraient plus porteurs d’un point de vue éducatif.
67Dans l’ensemble, par l’étude de toutes les actions menées par le MARE, on constate que les actions du mouvement s’avèrent souvent concrètes et accessibles, des conditions qui sont de nature à favoriser le sentiment de pouvoir-agir des élèves (Kerry et coll., 2013). Le public cible, la plupart du temps considéré comme grand public, suggère aussi que les actions éducatives sont adaptées à une participation intergénérationnelle. Cette ouverture intergénérationnelle du processus d’apprentissage écocitoyen est en concordance avec le désir des élèves de pouvoir compter sur le soutien des adultes, lorsqu’ils s’engagent dans des actions écocitoyennes (Blanchet-Cohen et Di Mambro, 2016). Avec 30 % d’actions éducatives destinées à des groupes politiques et une majorité d’actions posées en résistance aux volontés des secteurs privé ou public, les actions éducatives du mouvement intègrent spécifiquement et de façon régulière la dimension sociopolitique nécessaire au développement d’une écocitoyenneté (Sauvé, 2014).
68À l’aune de l’analyse des résultats présentés, il convient de mettre en lumière que plusieurs indicateurs tendent à montrer qu’il réside au MARE un potentiel éducatif manifeste.
69Tout d’abord, les actions à potentiel pédagogique sont nombreuses pour un groupe écologiste pourtant récemment formé et dépourvu du financement gouvernemental récurrent auquel peuvent avoir accès les ONG. L’éventail d’actions présentées par le MARE adopte aussi une variété d’approches pédagogiques. De plus, le processus éducatif des actions entreprises est généralement planifié en amont de la réalisation de celles-ci, comme il est prescrit dans le milieu scolaire. On peut réalistement affirmer que les expertises multiples des groupes avec lesquels le MARE collabore sur une base régulière contribuent à lui fournir les connaissances nécessaires pour réaliser une éducation écocitoyenne. Par ses nombreuses collaborations, le MARE semble ainsi disposer, tout au moins indirectement, de connaissances éducatives et environnementales lui permettant de contribuer à l’éducation écocitoyenne auprès d’enfants d’âge scolaire. Les expertises de ces groupes s’inscrivent dans de nombreux champs de connaissances liés à l’écocitoyenneté comme l’économie, la politique, le droit, la biologie et l’écologie. Finalement, les actions du MARE présentent globalement des situations d’apprentissage variées, concrètes, intergénérationnelles et axées sur des enjeux se rapportant à la citoyenneté. Il semble alors raisonnable de présumer que l’apport d’une perspective éducative informée et axée sur l’engagement citoyen pourrait potentiellement permettre d’apporter une expertise complémentaire à celle des personnes enseignantes dans le domaine de l’éducation écocitoyenne, en plus de bonifier l’offre d’enseignement actuellement limitée. Le groupe écologiste pourrait ainsi accompagner des personnes enseignantes et impliquer des élèves dans la mise en œuvre d’actions pour lesquelles il a développé une compétence spécifique. On peut penser à des activités telles que la plantation d’arbres en partenariat avec une municipalité, la rédaction d’une lettre adressée à un gouvernement sur un enjeu identifié par les élèves ou à l’organisation d’une activité d’identification de plantes dans un milieu naturel menacé.
70Notre étude de cas ne souhaite aucunement prétendre à la généralisation du portrait présenté pour l’ensemble des groupes écologistes ou même écocitoyens, mais elle offre des éléments de réflexion sur la capacité de ces groupes à occuper une place, plus ou moins importante et reconnue, dans l’univers éducatif québécois. Plusieurs perspectives de recherche concernant la thématique de l’éducation écocitoyenne transmise par des groupes écologistes ou écocitoyens se profilent au terme de ce travail de recherche. Tout d’abord, dans un contexte où l’expérience de collaboration entre le MARE et des écoles primaires suggère l’existence d’un potentiel éducatif significatif, s’intéresser davantage à l’analyse de situations concrètes dans lesquelles des groupes écologistes sont amenés à dispenser des apprentissages en contexte scolaire pourrait contribuer à déterminer plus clairement les retombées éducatives de ces collaborations. Observer le regard que portent les élèves sur les actions présentées par des groupes écologistes ou écocitoyens permettrait aussi de mieux cerner la capacité de tels groupes à stimuler le désir des élèves d’en apprendre davantage sur les questions relatives à l’écocitoyenneté.
71Dans un contexte qui semble pourtant s’avérer propice à la coopération, le peu de collaborations effectuées entre le MARE et le milieu scolaire nous mène aussi à envisager la possibilité d’une méfiance du milieu scolaire vis-à-vis des groupes écologistes. Il nous paraitrait ainsi pertinent que des personnes chercheuses s’emploient à déterminer quels sont les éléments qui peuvent freiner la collaboration entre le milieu scolaire et les groupes écologistes, notamment par la réalisation d’entrevues menées auprès de personnes enseignantes.
72L’observation des approches pédagogiques mobilisées lors des actions des groupes écologistes et l’analyse du discours des parties prenantes sur leurs intentions éducatives pourraient aussi enrichir notre compréhension du potentiel éducatif des groupes écologistes. Nous pensons que de telles avenues de recherche permettraient d’offrir un riche éclairage sur les défis, les possibilités et les retombées de collaborations envisagées entre le milieu scolaire et les groupes écologistes.
