1La recherche dont témoigne cet article examine les liens et les interactions entre les espaces d’enseignement/apprentissage, les pratiques enseignantes et les activités des élèves, encore peu explorés (Lermigeaux, 2018 ; Perret et Hardouin, 2020 ; Gagneux, 2023 ; Robbes, 2023). Plus précisément, elle met en lumière, lors d’une matinée en plein air, la contribution de l’environnement dans lequel évoluent enseignants et élèves à l'enrichissement du milieu didactique.
- 1 L’expression « classe dehors » englobe des modalités de pratiques variées (Hardouin, 2023). Ici, el (...)
2Alors que l'éducation en plein air, recommandée par l’UNESCO (2021), est solidement établie depuis des décennies dans certains pays européens, faire “classe dehors”1 se développe également en France, notamment depuis la levée des mesures de confinement liées à la pandémie de la Covid-19 (Besse-Patin et coll., 2021). Cette approche éducative est associée à de multiples avantages, réels (Kaplan, 1995 ; Dabaja, 2022) ou supposés et peut être appréhendée de manière extensive, englobant une éducation en plein air tout comme une éducation au sein de la nature et par la nature (Boelen, 2022).
3Partant du postulat qu'une approche interdisciplinaire intégrant la géographie, l’aménagement du territoire et les sciences de l'éducation et de la formation permet d'appréhender de manière holistique la classe en extérieur, la recherche dont témoigne cet article montre que l’analyse du milieu didactique s'enrichit avec la prise en compte des dimensions spatiales dans lesquelles se déroule la matinée “dehors”.
4Dans un premier temps, nous présentons le cadre théorique de la recherche. Nous verrons que les concepts de lieu, d’espace et de milieu soutiennent une analyse en trois parties distinctes : la première s'attachera à la caractérisation des lieux et au découpage du temps ; la deuxième mettra en évidence une succession d’expériences spatiales ; la troisième se concentrera sur l'investigation du rôle des "hauts lieux", également appelés géosymboles, qui caractérise ici le milieu didactique. Enfin, une discussion permettra de souligner l'intérêt de prendre en compte les dimensions spatiales dans l'analyse du milieu didactique.
5Clarifions d’abord les principaux éléments du cadre théorique et de la méthodologie de cette recherche.
6Examiner le système didactique de la classe “dehors” suppose de considérer ce système comme une institution au sens de Chevallard (1999). Dès lors, les concepts de chronogenèse, de topogenèse et de mésogenèse sont mobilisés pour modéliser et analyser les activités humaines.
7Selon Reuter et coll. (2013, p. 23), la chronogenèse rend compte à la fois « de l’ensemble des opérations qui organisent le déroulement chronologique (le "défilé") des objets de savoir et du résultat de ces opérations, c’est-à-dire l’organisation chronologique de ces objets de savoir ». La chronogenèse questionne donc la temporalité de la relation didactique, aussi bien au travers des décisions prises par l’enseignant sur l’organisation temporelle de son projet d’enseignement, qu’au travers de certaines opérations des élèves. La topogenèse désigne l’organisation des différents espaces, c'est-à-dire « à la fois l’ensemble des opérations qui organisent les différents « lieux » occupés par les acteurs de la relation didactique et le résultat de ces opérations ». Le terme de "lieux" désigne dans cette acception non seulement l’espace physique dans lequel les élèves et le professeur prennent position, mais également et principalement l’espace symbolique dans lequel chacun occupe une place spécifique relativement au savoir en jeu. L’enseignant peut donc agir sur la position que doit occuper l’élève. S’il se place en position haute, aussi qualifiée de surplomb topogénétique (Brousseau, 1998), l’enseignant prend en charge la validation des actions des élèves, les plaçant en position d'assujettissement au sens où ils sont sujets de l’institution. Au contraire, s’il se place en position basse et interroge le savoir sans le valider lui-même, l’enseignant permet alors aux élèves d’occuper la position haute. Quant au concept de mésogenèse, il permet de questionner les processus par lesquels un professeur aménage et réaménage constamment le milieu didactique. Le milieu didactique correspond à tout ce qui agit sur l’élève et/ou ce sur quoi l’élève agit pour apprendre (Ibid.).
8Dans une approche géographique, un lieu se définit comme une portion d'espace sujette à des appropriations singulières et à des discours spécifiques (Bouron, 2018). L'espace géographique émerge en tant que création propre des géographes, représentant un espace social forgé par les groupes humains qui l'organisent et lui donnent une valeur (Ibid, 2022) tandis que le territoire se présente comme une portion d'espace appropriée. Selon Di Méo (2010), le territoire est un champ symbolique aménagé par les sociétés qui l'ont successivement investi ; certains de ses éléments, érigés en valeurs patrimoniales, contribuent à fonder ou à renforcer le sentiment d'identité collective des individus qui l'occupent (Ibid.).
9Le concept d'espace vécu (Frémont, 1976) a catalysé l'émergence d'une nouvelle approche phénoménologique de la géographie. Selon cette optique, l'appréhension de l'espace vécu s'accomplit notamment par la sensibilité du corps et de l'esprit, l'activation des cinq sens, l'influence de l'affect, la réminiscence mémorielle, le discernement esthétique, l'expérience émotionnelle, etc. La notion de territoire inclut nécessairement une dimension "vécue" (Tabarly, s.d.).
10Le terme "milieu" revêt une polysémie, étymologiquement marqué par la notion du centre de l'espace, le mi-lieu. Son évolution l'a conduit à englober l'idée contraire, à savoir ce qui entoure le centre, tel que l'environnement (Le Lay et coll., 2023), ce dernier terme émergeant dans les discours des géographes à partir des années 1970, avec une signification très similaire à celle du milieu géographique. L'environnement, défini à travers le prisme des sociétés humaines, englobe ce qui entoure les sociétés, avec ses composantes physiques, chimiques, biologiques et humaines (Ibid.).
11Dans son approche mésologique, qui s'apparente à la phénoménologie, Berque (2017) établit une distinction cruciale entre "milieu" et "environnement" : « Le milieu suppose que l’être vivant est un sujet qui interprète activement ce qui l’entoure, et par là même en fait son milieu spécifique, tandis que l’environnement est un système objectif et universel, où l’être vivant est mécaniquement déterminé par ce qui l’entoure. […]. C’est à partir de l’environnement que le milieu s’élabore » (Ibid, p. 70-71). Ainsi, si l'environnement est universel et identique pour tous les êtres, le milieu, en revanche, est spécifique à chaque espèce vivante, à chaque culture humaine.
12En se fondant sur l'approche mésologique de Berque, notre recherche se penche sur l'analyse du milieu didactique d'une classe en extérieur pour examiner comment l'environnement pratiqué par l'enseignante et les élèves, lorsque vécu et habité, devient pour ces mêmes acteurs un milieu spécifique d'enseignement/apprentissage. Deux interrogations émergent ici : Quelle démarche de recherche serait à même de permettre l’analyse d’un tel milieu didactique et quels enseignements pourrait-on en tirer ? Comment l’enseignant peut-il parvenir, dans le cadre d'une expérience de classe en extérieur, à transformer un simple environnement en un véritable milieu didactique ?
13Selon notre hypothèse, l'adoption d'une approche interdisciplinaire, incluant des repères de l’ordre de la géographie, de l'aménagement du territoire ainsi que des sciences de l'éducation, est de nature à mettre en évidence la transformation de l’"environnement" en un "milieu spécifique" d’enseignement et d’apprentissage.
14Notre approche méthodologique est celle de l'observation et de l’analyse d’une matinée d’une classe maternelle, de milieu rural, filmée en extérieur, corrélée à l’analyse de deux entretiens, transcrits en intégralité, réalisés avec l'enseignante.
- 2 L'âge de l'enfant détermine la « section » dans laquelle il sera admis : Petite Section (PS) pour l (...)
15L'école maternelle, située dans une commune brétilienne de 400 habitants, est constituée d’une classe unique de 18 élèves : 4 élèves de Petite Section (PS), 5 de Moyenne Section (MS) et 9 de Grande Section (GS)2 sont encadrés par l’enseignante et l’agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (ATSEM).
16La classe “dehors” se déroule tous les mardis matin sur un vaste espace (Illustration 1) jouxtant l’école qui comprend à la fois un terrain communal et un champ mis à disposition par un agriculteur. Il s’agit donc d’un espace anthropisé. Le sous-bois est nommé "forêt" par les enfants.
Illustration 1 : Un terrain vaste et proche de l’école (Source : à partir de Géoportail)
17Une matinée de classe “dehors” a été filmée en mars 2023 ; deux vidéos d'une durée de deux heures chacune ont été réalisées. Filmer une classe en extérieur s'est avéré extrêmement complexe en raison du mouvement constant de toutes les personnes, dans un espace étendu. De plus, il a été particulièrement difficile de capter un son de qualité en raison des conditions venteuses, ce qui, lors du visionnage, a rendu la compréhension de certains passages difficile.
18Afin de saisir les intentions pédagogiques de ladite matinée, un premier entretien, semi-directif, a été conduit avec l’enseignante en juin 2023 et un second, 5 mois plus tard ; préalablement à celui-ci, l’enseignante avait visionné les vidéos. Avant ce deuxième entretien, des captures d’écran des deux vidéos avaient été réalisées, identifiant des lieux emblématiques de situations d’enseignement/apprentissage observées en mars. Ces captures ont été successivement présentées à l’enseignante qui devait les commenter. Il lui a aussi été demandé de réaliser une carte mentale (Staszak, 2003) des lieux emblématiques de la classe “dehors” (Illustration 2).
Illustration 2 : Carte mentale réalisée par l’enseignante
19Dans cette section de l'article, nous explorons la dynamique des lieux variés et leur impact sur l'apprentissage. Nous présenterons d'abord une chronologie composée de neuf épisodes se déployant dans différents contextes géographiques, suivie d'une analyse de la succession d'expériences spatiales. Nous examinerons également les rôles des hauts lieux ou géosymboles dans le milieu didactique, en mettant en lumière des exemples spécifiques tels que les arbres, considérés comme des sources d'activités multiples, ainsi que le foyer, un géosymbole agissant comme un support d'apprentissage.
20L'analyse exhaustive de cette matinée mobilise le concept de chronogenèse à un niveau macroscopique, se concentrant exclusivement sur l'organisation chronologique des objets de savoir. Neuf épisodes sont identifiés, se déroulant dans plusieurs lieux, mettant en évidence trois catégories distinctes de moments.
21Épisode 1 : Départ de l’école en rang par deux jusqu’au tronc qui sert de banc de regroupement (5 min.). Quelques élèves tirent deux chariots contenant du matériel divers (outils de jardinage, terreau, loupes, papier journal). Si ce temps ne fait apparaître aucune consigne stricte, le déplacement se réalise toutefois de manière organisée puisque les élèves se mettent en rang, s’attendent et s’entraident. Des règles de fonctionnement ont été établies préalablement et permettent à l’enseignante d’accompagner la classe sans avoir à prendre en charge la régulation des actions des élèves (position topogénétique basse).
22Épisode 2 : Rituel de démarrage de la séance : le feu (1,30 min.). Tous les élèves s’assoient sur le banc autour du foyer, à l’exception d’une fillette qui demande "aux lutins" l’autorisation d’entrer dans la “forêt”. Le feu est un cercle de regroupement autour d’un foyer de pierre qui a été instauré progressivement un an auparavant au moment où, lors d’une classe “dehors” automnale, l’enseignante a constaté que, même avec des gants et des moufles, certains élèves avaient les mains frigorifiées. Elle a demandé et obtenu l'autorisation à la municipalité de faire un feu avec un protocole de sécurisation stricte. Les GS sont responsables de son allumage. Alors que l’enseignante et l’ATSEM aperçoivent régulièrement deux à trois PS qui viennent près du feu, retirent leurs moufles, se chauffent les mains et repartent (“C’est un moment de bien-être pour eux”), elles constatent que la plupart des GS ne s'y rendent plus du tout.
23Épisode 3 : Délimitation du territoire (4 min.). L’enseignante établit oralement une nouvelle frontière à ne pas dépasser pour des raisons de sécurité, car un arbre est tombé en limite de terrain sur un fil barbelé. Elle n’a jamais eu à circonscrire le périmètre autorisé via la rubalise, car les élèves ont toujours parfaitement respecté les consignes. Une autre frontière à ne pas dépasser, bien intégrée par les élèves, est le tilleul (Illustration 3), le plus grand arbre de la "forêt" selon les élèves ; il est utilisé comme point de référence, car c’est le plus éloigné du lieu de rassemblement.
Illustration 3 : Le tilleul (Source : Magali Hardouin)
24Pendant ce temps dédié à la délimitation du territoire, aucune consigne stricte n’est formulée. Les élèves suivent volontiers l’enseignante, à leur rythme (deux sont à la traîne sans que cela ne soit vécu comme un problème), pour prendre connaissance des dangers potentiels. L’enseignante leur donne des informations afin de les avertir des risques et de les responsabiliser. Toutefois, elle laisse les élèves éprouver ces nouvelles frontières à leur guise : certains restent un peu éloignés, repartent vite ; d’autres examinent attentivement le barbelé. La position topogénétique de l’enseignante est basse ; elle demeure dans la zone dangereuse jusqu'à ce que chacun ait pleinement appréhendé la nature du risque.
25Épisode 4 : Installation (6 min.) Des petits groupes aléatoires se forment. Les élèves, accoutumés à la classe “dehors”, s’installent ; ce temps ne répond à aucune consigne stricte. Les quatre GS allument le feu en compagnie de l’enseignante. Ils creusent le foyer et récupèrent la terre dans des seaux pour recouvrir les braises en fin de matinée. L’enseignante se place à proximité des élèves afin de garantir leur sécurité tout en limitant son intervention directe sur leurs actions (position topogénétique basse). Pendant ce temps, les autres élèves sortent le matériel des chariots (loupes, seaux, outils de jardinage) sous la surveillance de l’ATSEM. Certains s’en emparent pendant que d’autres courent et grimpent sur le “cheval”.
Illustration 4 : Le “cheval” (Source : Magali Hardouin)
26L’un des deux arbres à terre (celui de gauche sur l’Illustration 4) a en effet été baptisé par les élèves “cheval”. Ils y réalisent des jeux libres (Brougère, 1995) qui permettent à leur créativité de s’exprimer et à leurs sens de s’éveiller, sans la nécessité de répondre aux exigences d’une activité structurée : ils y grimpent, grattent l’écorce, observent les insectes, etc. Ces deux arbres ont été placés dans le champ par l'agent municipal suite à une tempête qui les avait fait tomber, obstruant le chemin utilisé par les agriculteurs. De l'autre côté de ce chemin se trouve un champ avec deux chevaux ; le terme “cheval” a été adopté par les élèves en raison de leur proximité. À des fins de sécurité, des vérifications ont été préalablement entreprises pour assurer la sûreté inhérente à l'utilisation du “cheval”. L’enseignante constate que les GS délaissent ce lieu pour en explorer d’autres : “Ils en ont fait le tour, donc ils vont ailleurs”, ce qui suggère que le milieu spécifique des GS devient distinct de celui des PS.
27Épisode 5 : Trois ateliers simultanés (40 min.) en petits groupes par niveau de classe ou libres :
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Un atelier dirigé par l’ATSEM a pour but la plantation de graines dans des godets avec des MS. L'adulte se situe dans une position topogénétique haute : elle se place au centre de l’atelier, dirige et valide les actions des élèves. Cet atelier se déroule près du feu permettant à l’adulte de garder un œil sur tous les élèves.
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Un atelier dirigé par l’enseignante vise des apprentissages structurés en phonologie. Une première phase, dédiée aux PS, se concentre sur l'enseignement du vocabulaire topographique en contexte (dessus, sur, à côté de, derrière...) : quatre élèves dissimulent des boites à des emplacements déterminés (près du “cheval”, du tilleul, du châtaignier et dans les “montagnes)”, puis dirigent le reste du groupe en fournissant des indications topographiques précises pour les retrouver.
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Un second temps consacré aux MS concerne l'identification du nombre de syllabes d’un mot : l’enseignante tire au sort des mots parmi des cartes qu’elle a pris soin d’apporter et les élèves doivent sauter à pieds joints, d’un nombre égal au nombre de syllabes de ce mot. Au cours de ce temps d’atelier, l’enseignante se déplace, de la cabane aux “montagnes”, en passant par le tilleul et le châtaignier. Sa position topogénétique par rapport aux savoirs est haute auprès des PS avec qui elle assume le rôle de modèle langagier en rectifiant et en faisant répéter le vocabulaire à acquérir, et basse auprès des MS, veillant à interroger les connaissances et permettant aux élèves de valider et de corriger leurs réponses par eux-mêmes.
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Parallèlement, les autres élèves sont en atelier libre : aucune consigne spécifique ne leur est donnée. Les élèves en profitent pour exploiter les potentialités de l’environnement et s’adonner à de multiples activités à leur rythme : grimper, courir, se cacher, observer les oiseaux et les insectes…
28Épisode 6 : Regroupement/goûter (4 min.). Les élèves se regroupent sur le "banc” près du feu pour goûter.
Illustration 5 : Le “banc” (Source : Magali Hardouin)
29Ce lieu est le moins verdoyant, car autrefois piétiné par les vaches (Illustration 5). À l’origine, c’était un sapin, avec de très nombreuses branches, tombé au sol. Progressivement, l'idée a émergé qu’il pourrait servir de banc pour s’asseoir tous ensemble d’autant que pendant le confinement, le rituel du regroupement au sein de la classe « dedans » se faisait sur trois bancs disposés en U afin que les enfants se voient tout en respectant les consignes sanitaires : pour les enfants, le moment du regroupement était celui où ils s’assoyaient sur un banc. Pendant près d'un an et demi, lors de chaque matinée dehors, deux à trois enfants ont coupé les branches avec une petite scie égoïne, toujours disponible dans le chariot. Ce tronc est ainsi devenu le banc sur lequel les élèves s’assoient en début de matinée, au moment du goûter et en fin de matinée. Pour l’enseignante, c’est un support qui permet aux élèves de « se regrouper comme dans la classe », pour que les petits gardent « des repères » et que tous puissent « vivre des choses en commun ». Toutefois, ce banc de regroupement « dehors » est différent de celui de la classe « dedans » (aujourd’hui les bancs ont disparu, remplacés par une ellipse au sol) dans la mesure où les élèves ne se voient pas puisqu’ils sont les uns à côté des autres. Néanmoins, il permet de partager des moments de convivialité comme celui d’un bon chocolat chaud préparé par l’ATSEM.
30Épisode 7 : Lecture d’histoire (12 min.). Les élèves se regroupent dans la cabane où l’enseignante leur lit une histoire.
Illustration 6 : La cabane (Source : Magali Hardouin)
31Cette cabane (Illustration 6), située au bout du banc, fait suite à une autre, construite entre les châtaigniers par les élèves eux-mêmes avec trois palettes. Petite (elle ne pouvait abriter que cinq à six enfants), elle était très appréciée, car éloignée du feu et du banc, leur permettant de s'isoler. Un chantier pour un nouveau lotissement en a privé les élèves. Puis, l'agent municipal en a construit une nouvelle avec plusieurs palettes. Les élèves ont uniquement participé à la mise en place du toit et à l'organisation intérieure. Cette cabane, beaucoup plus grande que la précédente, dispose d'accroches pour suspendre des loupes ainsi que d’un endroit pour entreposer le petit bois et des vieux magazines afin d’allumer le feu. Elle a également été pensée par l’enseignante comme un espace bibliothèque, répondant à un besoin persistant des enfants qui cherchaient un endroit pour lire et consulter des documents pendant les activités en extérieur. Cependant, force est de constater que cette cabane est beaucoup moins investie que la précédente et ce, pour trois raisons corrélées selon l’enseignante : premièrement, elle est trop grande pour générer un sentiment d’intimité ; deuxièmement, les enfants ne l’ont pas construite eux-mêmes ; troisièmement, la proximité des adultes empêche les enfants de se cacher et d’avoir leur intimité (l’enseignante et l’ATSEM ont une vue d’ensemble de l’intérieur). Les enfants ne se sont donc pas approprié cette nouvelle cabane et ne l’habitent pas au sens géographique du terme. L’enseignante fait le parallèle avec le coin tranquille dans sa classe “dedans”, un petit tipi, qui répond aux besoins d’enfants aspirant à s’isoler quelques instants. Toutefois, elle poursuit ses efforts pour intégrer la cabane dans les rituels et c’est pourquoi, lors de chaque matinée dehors, élèves et enseignante s’y regroupent pour la lecture d’une histoire. Les interactions de l’enseignante avec les élèves portent donc sur l’histoire dans le but de s’assurer que chacun reste attentif, et aussi sur l’attitude des élèves qui sont tenus de rester assis à leur place pour le bon déroulement de ce moment. L’enseignante occupe alors une place centrale : c’est elle qui distribue, reprend la parole et valide les réponses et les actions des élèves.
32Épisode 8 : Rangement puis rituel de clôture (3 min.). Tous les élèves vont voir le trou creusé par quelques camarades dans les “montagnes” et rangent le matériel.
Illustration 7 : Les “montagnes” (Source : Magali Hardouin)
33L’enseignante souligne l'importance des « montagnes », un tas de terre utilisé par l’agent municipal (Illustration 7). Les élèves y jouent spontanément à cache-cache, creusent des trous ... Pour l’enseignante, ce lieu a progressivement représenté un intérêt pour des activités éducatives enrichissantes : « Au départ, je ne voyais pas l'intérêt d'utiliser cet espace sauf comme un espace moteur puisque ça monte, ça descend ». Petit à petit, elle l'intègre d'abord dans des séances de motricité puis dans d'autres domaines d'apprentissage. Par exemple, les passages répétés des élèves et des vaches ont eu pour conséquences de créer des sentiers, ce qu’elle a exploité pour des activités de course d'orientation, avec des repères éducatifs tels que le positionnement au croisement. Des considérations topologiques ont été aussi approfondies au fil du temps. Autre exemple, pour donner suite à des activités avec de la pâte à sel et de l'argile en classe « dedans », elle a proposé aux élèves des activités impliquant le travail de la terre ; c’est ainsi qu'elle a pu constater l’appréhension de certains enfants face à la manipulation de cette substance, révélant des préférences tactiles spécifiques.
34Pour terminer la matinée, tous se regroupent autour du foyer (Illustration 8) : « C'est le rituel de fin et de bilan de l’activité ».
Illustration 8 : Le “feu” (Source : Magali Hardouin)
35Une fois le feu éteint, les lutins sont remerciés par le biais d’une chanson. L’enseignante donne la parole aux élèves qui le souhaitent pour qu’ils racontent leur meilleur moment de la matinée. Elle initie les échanges et distribue la parole, prenant en charge la validation des actions des élèves (position topogénétique haute).
36Épisode 9 : Retour à l’école et nettoyage des bottes (10 min.) : Les élèves en rang par deux reviennent à l’école avec les chariots. Une fois dans la cour de récréation, ils frappent énergiquement leurs bottes afin d'éliminer autant de terre que possible avant de procéder au déchaussement et au retrait de leur combinaison.
37Ce découpage chronologique de la matinée de classe montre tout d’abord que chaque épisode prend corps dans un lieu dédié qui offre de multiples perspectives et de nombreuses opportunités de déplacement dans les trois dimensions de l’espace. Chaque épisode nourrit l'expérience géographique et forge le « capital spatial » que chaque individu construit au fil de ses expériences spatiales, formant ainsi son répertoire d'expériences géographiques (Lussault, 2007).
38Ce découpage chronologique montre ensuite que les savoirs en jeu sont abordés selon trois types de moments : des moments de regroupement (épisodes 2, 6, 7 et 8) qui visent la cohésion du groupe dans son ensemble, des moments d'ateliers qui se positionnent au cœur de la matinée (épisode 5) visant la structuration de savoirs identifiés, et des moments moins cadrés (épisodes 1, 3, 4 et 9) qui ne répondent à aucune consigne stricte et à aucun retour formel sur l’activité réalisée. Cette dernière catégorie de moments correspond aux déplacements, à l'installation ou au rangement de l'espace extérieur (début et fin de matinée) et également aux ateliers libres (épisode 5). Du point de vue de l’organisation chronologique des savoirs, l'enseignante affirme que « quoi que [les élèves] fassent, il y aura toujours de l’apprentissage ». Les ateliers libres semblent donc viser ce que Brougère (2002) qualifie d'apprentissages informels. En effet, lors de ces ateliers libres, s’appuyant sur l’environnement offert, les élèves s'engagent dans des jeux symboliques ou créatifs (à la châtaigneraie ou aux “montagnes”), des jeux de manipulation (dans le lieu de leur choix, avec utilisation du matériel disponible : loupes, griffes, transplantoirs, téléphones portables...), des jeux moteurs (cheval, tilleul), voire décident de ne rien entreprendre. Cette option ne suscite aucune inquiétude chez l'enseignante qui souligne que « tous les travaux en neurosciences […] nous disent bien que ça ne sert à rien de contraindre [les élèves] parce que de toute façon, s’ils ne veulent pas […] ça ne va pas rentrer […], mais généralement […] ils participent tous ». Selon elle, cette alternative est bien plus facile en classe “dehors”, car l’espace en classe régulière est « tellement contraint que l’activité, même si [les élèves] n’ont pas envie de la faire, ils restent quand même avec le groupe dans lequel ils sont. Alors que quand on est dans la classe dehors, l’espace est tellement vaste, s’ils ne veulent pas [participer à l’activité], là, ils peuvent s’en échapper ».
39L’analyse de la matinée montre également que, lorsque deux élèves s’éloignent pour grimper sur le “cheval” pendant l’atelier dirigé de phonologie, l’enseignante dit « Ah, ça y est, j’ai perdu T. et V. ». Elle les interpelle alors simplement : « On n’a pas fini hein, on va d’abord chercher les quatre boites ». Ces élèves, qui ont pu bénéficier de quelques minutes pour courir et grimper sur le cheval, rejoignent alors le groupe sans rechigner pour poursuivre l’activité. L’enseignante souligne que la classe en plein air offre un "épanouissement supérieur" pour certains élèves, en particulier ceux à besoins éducatifs spécifiques : « Pour mon élève à besoin éducatif particulier, je pense que l'espace matérialisé par les murs, les portes, même si pour nous, les portes sont toujours ouvertes... Et le fait qu'on soit après dehors, où il n'y a pas cette matérialisation de murs, il n'y a pas de plafond, il n'y a pas de... Il est beaucoup plus épanoui et on arrive à communiquer beaucoup plus avec lui dans cet espace de la classe dehors que dans la salle de la classe ». De plus, elle mentionne que les élèves semblent plus sereins et concentrés tandis que les périodes d'apprentissage s'étendent davantage les après-midis lorsqu'ils ont cours en extérieur le matin.
40Ainsi, du point de vue spatial, les élèves vivent cet espace, comme l'a souligné Frémont (1976), et l'habitent, conformément à la perspective de Lazzarotti (2006). Dans la continuité de l’appréhension mésologique inspirée par Berque, l'environnement se transforme en un milieu spécifique. Les élèves, agissant en quelque sorte en tant que pionniers, procèdent à la délimitation d'un territoire, à l'inventaire des ressources, à la nomination des lieux, à l'établissement d'une centralité et à la mise en place d'un abri. De manière peut-être involontaire, l'enseignant réactive le mythe fondateur du "pionnier", tel qu'il a été évoqué dans la littérature (Maria Chapdelaine, Robinson Crusoe, Sa majesté les mouches et autres). Ce qui ressort de cette dynamique est la prépondérance du symbole dans l'acte même d'habiter : que ce soit le tronc servant de siège, le feu procurant chaleur, crainte ou réconfort, la limite dénotant le danger ou la cabane assurant la protection. À travers cette expérience de "colonisation" d'un territoire, selon les termes de Cerdà (1867), se réalise symboliquement la construction d'un monde. La question fondamentale qui se pose est de savoir s'il s'agit, à l'instar de la perspective énoncée par Descartes dans Le Discours de la méthode, de « se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » ou, bien au contraire, de l'appréhender avec une humilité, au sens étymologique du terme, qui dérive du latin humus (la terre), d'où provient également le mot humain.
41Selon l’enseignante, l’école dans laquelle elle exerce dispose de trois salles distinctes : “On a la salle de classe, on a la salle de motricité-bibliothèque-jeux-sieste et on a notre annexe dehors […] c’est une autre pièce, c’est ça, un autre espace”. Cette "annexe" renferme divers lieux, parmi lesquels certains revêtent une charge symbolique particulière, pouvant être assimilés en géographie à des "hauts lieux" ou "géosymboles", c'est-à-dire des espaces imprégnés de significations symboliques pour une communauté spécifique (Bouron, 2018).
42Le “cheval”, le tilleul et le banc représentent trois lieux que les élèves peuvent investir de manière autonome. L’enseignante les utilise aussi comme supports d'activités pédagogiques dirigées comme ce fut le cas avec le "cheval" pour aborder le saut en motricité :
Dans la classe [« dedans »], certains enfants étaient vraiment réticents pour sauter sur un tapis. Normalement, il faut une impulsion et là, ils descendaient. J'ai proposé aux enfants d'utiliser le tronc. Je leur ai dit « Vous vous mettez sur le tronc et puis on va essayer de sauter le plus haut possible. On va toucher les nuages ». Ils se sont rendu compte que pour toucher les nuages, il fallait utiliser cette impulsion. Et ça a été magique pour trois petits qui, en classe, descendaient sans sauter […]. Ils ont compris comment il fallait faire. On a fait le transfert en classe et là, ils sont montés sur la table, ils m'ont regardée et ils m'ont dit « on fait comme sur le cheval ». J'ai dit oui. Et là, ils ont sauté, ça a vraiment été magique !
43Le tilleul, quant à lui, a pu se révéler crucial pour aider les élèves à mémoriser la chronologie de l'album Le jour où loup gris est devenu bleu. En effet, trois enfants avaient du mal à comprendre la chronologie de l'histoire. L’enseignante a alors décidé de transférer l’histoire dehors : le tilleul est devenu le lieu où l'ours, à la fin de l'histoire, demande au loup de partir. Elle a constaté que ce transfert en classe “dehors” avait permis aux trois élèves de se rappeler la chronologie de l'histoire en bougeant autour de cet arbre. Ils ont ainsi développé des repères temporels et spatiaux par une appréhension physique préalable, avant de procéder à une abstraction mentale. Enfin, le banc de regroupement, qui n’est pas un arbre plat, mais arrondi, a permis aux élèves de découvrir que s’ils s’asseyaient un peu trop en arrière, ils tombaient. Cette expérimentation de la chute arrière, de manière ludique, a permis aux élèves qui craignaient cet exercice lors des séances de motricité, de n’avoir “plus du tout peur”.
44Un châtaigner (Illustration 9) occupe également une place importante dans cet espace vécu. Il abritait autrefois une cabane construite par des enfants résidant dans une maison proche. Si cette cabane n’existe plus aujourd’hui, il reste une corde qui servait à grimper dans la cabane. Les élèves peuvent s’y suspendre (jeux moteurs libres) ou l’utiliser pour se repérer lors de courses d’orientation. Au cours de la matinée d’observation, les élèves de petite section investissent ce lieu lors de l’atelier phonologie (épisode 5).
Illustration 9 : Le châtaignier (Source : Magali Hardouin)
45Un lieu d'importance signalé par l'enseignante, qui cependant n'avait pas fait l'objet d'activités spécifiques lors de la matinée en extérieur observée, est celui de la châtaigneraie (Illustration 10), principalement réservé au jeu libre. Les élèves aiment y jouer aux gendarmes et aux voleurs, utilisant les troncs comme prisons. L’enseignante utilise parfois la châtaigneraie pour des séances de mathématiques « car il y a beaucoup de châtaignes et de petits morceaux de bois à proximité ». Sur des fiches plastifiées indiquant des quantités, les GS doivent positionner la quantité demandée dans les petites cases : « C'est à cet endroit-là, car tout le matériel est à portée de main ».
Illustration 10 : La châtaigneraie (Source : Magali Hardouin)
46Les propos et les actes de l’enseignante suggèrent que ses intentions pédagogiques sont fondées sur la libre exploration de l’environnement : les arbres se présentent comme des supports d’activités variées pour les élèves et comme une ressource de matériel pour l’enseignante. Toutefois, ils ne semblent pas être appréhendés comme des objets d’apprentissage ce qu’une analyse plus approfondie du lieu “foyer” tend à confirmer.
47La prééminence du "foyer" et du "feu", même sans que l'enseignante en ait pleinement conscience, réside dans leur nature profondément symbolique (Bachelard, 1938) : le feu instaure une centralité dans l'espace, tout en incarnant simultanément l'interdit (ne pas le toucher), la protection, ainsi que la source de lumière.
48L’allumage du feu apparaît comme un rituel bien réglé. S’il répond à des besoins humains (se chauffer), l’enseignante y voit également l’occasion de donner du sens à des activités scolaires de motricité fine (froisser le papier qu’ils mettent dans le foyer, creuser et transvaser la terre dans des seaux, casser les brindilles et les disposer dans le foyer). Cette activité revêt un caractère classique, voire incontournable dans les courants de pédagogie par la nature ou Forest School (Jacq et coll., 2022). Cependant, bien que l’enseignante se déclare particulièrement vigilante en matière de sécurité (elle apporte un bidon d’eau pour éteindre le feu rapidement en cas de besoin ; elle a demandé l’autorisation à la mairie), le rôle du foyer dans cet espace didactique doit être questionné. Si l’enseignante juge pertinent d’apprendre aux élèves à allumer un feu, il est légitime de se demander si cette activité ne constitue pas un obstacle aux enseignements plus formels que les élèves recevront ultérieurement sur la protection de l'environnement. En effet, d’après Wauquiez (2014), les expériences vécues marquent les élèves et s’ancrent dans leur mémoire. Or, la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 met en évidence les effets néfastes de la combustion du bois sur l’humain et l'environnement, interdisant aux particuliers d’allumer un feu. Cet exemple met en lumière la distinction entre un support d'apprentissage (tel que l'allumage d'un feu, favorisant le développement de compétences motrices fines dans un contexte réel) et un objet d'apprentissage (comme faire un feu qui, bien qu'apportant chaleur, peut également entraîner des conséquences préjudiciables pour la santé ou l'environnement).
49Cette recherche exploratoire visait à croiser différentes approches pour analyser une séance filmée de classe “dehors” en maternelle. Le découpage chronologique de la matinée en épisodes, correspondant à des activités distinctes s’appuyant sur des lieux variés, ouvre plusieurs pistes de discussion.
50Tout d’abord, ce découpage chronologique permet d’identifier trois types de moments qui organisent cette matinée. Ceux-ci correspondent aux trois principaux dispositifs pédagogiques répertoriés par Leroy (2017) dans une classe maternelle contemporaine “dans les murs” : temps de regroupement, temps d’atelier qui se situent en milieu de matinée et temps “moins cadrés”. Ces derniers, qui correspondent aux moments d'accueil et aux "coins-jeux" lorsque la classe se déroule en intérieur (Ibid.), désignent, dans ce contexte de classe dehors, les périodes de déplacement des élèves (trajets vers et depuis la "forêt"), ainsi que les ateliers libres qui ne sont assujettis à aucune directive contraignante.
51De manière analogue aux "coins-jeux" situés en périphérie de la classe “dedans”, les espaces appropriés par les élèves lors des ateliers autonomes se placent aux confins du territoire de la classe “dehors”, ce qui s'assimile au concept géographique de la marge ; celle-ci se manifeste comme un espace positionné en bordure externe d'un territoire, en situation de lisière, à l'écart d’une dynamique en cours, en l'occurrence celle des ateliers supervisés par les deux adultes.
52De plus, ce découpage chronologique ne peut s’affranchir d’une description des lieux associés à chaque moment. En effet, chaque lieu investi par les élèves présente des spécificités topographiques et symboliques. L’approche spatiale mobilisée dans cette recherche apporte des outils conceptuels pertinents pour préciser et affiner l’analyse topogénétique habituellement réalisée dans les analyses didactiques. Alors que Leroy (Ibid.) constate que, lors des temps de regroupements et d’ateliers en classe, les corps sont contraints (qu’ils soient assis ou debout), cette matinée de classe dehors met en évidence une grande liberté de mouvement laissée aux élèves. Pourtant, les contraintes de ces moments sont semblables à celles décrites par Leroy (Ibid.) dans une classe “dedans” : les regroupements sont obligatoires ; les élèves sont debout (autour du foyer) ou assis (sur le banc ou dans la cabane) ; ils sont fortement incités par l’enseignante à participer aux ateliers dirigés. La divergence principale semble donc résider dans le fait que les élèves sont libres de courir, sauter et grimper, même lors des ateliers dirigés, et que l'enseignante exploite les mouvements corporels des élèves afin de concrétiser l’acquisition des savoirs.
53L’espace didactique transféré hors des murs offre donc des possibilités de mouvement que n’offre pas la classe « dedans », constat validé par Dabaja (2022). En outre, le ressenti de l’enseignante sur l’amélioration des compétences sociales et collaboratives de ses élèves en situation de classe “dehors” semble corroboré par diverses recherches (Becker et coll. 2017 ; Richmond et coll., 2018 ; Besse-Patin et coll., 2021). À l’heure où le ministère de l’Éducation nationale instaure 30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école, il apparaît, incontestablement, que la classe “dehors” offre un cadre privilégié pour lutter contre la sédentarité précoce et l’obésité, et développer des compétences motrices dans les trois dimensions de l’espace.
54Enfin, l’analyse se voulant holistique, le rôle de chaque lieu dans le milieu didactique a été analysé, ce qui a permis de constater que l’approche de l’enseignante vis-à-vis de l’environnement semble rejoindre les objectifs portés par les activités d’éveil, instaurées en 1969, dans l’intention de faire connaître l’environnement et de l’utiliser comme facteur de motivation et instrument de formation (Giolitto, 1982). Toutefois les résultats soulignent, à l’instar de Boelen (2022), l’intérêt de développer une approche écoformatrice (Girault et Galvani, 2021) favorisant l’interaction de l’élève avec la nature et mobilisant celle-ci non seulement comme support d’apprentissage, mais aussi comme objet et agent d’apprentissage. La classe “dehors” apparaît aussi en parfaite adéquation avec les programmes de géographie du primaire de 2015 reposant sur la logique des expériences spatiales des élèves et de leur géographicité (Bunnik, 2023) ; ce concept majeur dans le domaine de la géographie universitaire est défini comme un vécu intime doublé d'un moment réflexif qui façonne les individus et guide leurs choix en tant qu'acteurs, représentant la relation existentielle établie entre l'homme et son habitat (Robic, 2004). Ces programmes de géographie s'appuient simultanément sur les cinq sens des élèves et sur leurs ressentis/sensations/sentiments. Il est requis de partir de l'expérience vécue des élèves pour élaborer une méthode et des connaissances associées à une réflexion sur leur existence dans le monde. Ceci vise à les préparer à devenir les agents de choix futurs par le biais d'une pensée, d'un raisonnement et d'une prise de distance concernant leur environnement. Cette approche peut également comporter une dimension éthique et militante, encourageant la responsabilisation des élèves dans la transformation du monde qui les entoure (Bunnik, 2023). Il est aussi loisible de penser que la classe “dehors” favorise le développement de géocapabilités, soit la capacité de penser et d’agir le monde avec un regard géographique.
55Cette recherche, ancrée dans une approche spatiale, a exploré le milieu didactique d'une classe en extérieur en adoptant une perspective interdisciplinaire. La démarche adoptée s’est appuyée sur une méthodologie qualitative basée sur l'observation d'une matinée de classe filmée et des entretiens avec l'enseignante.
56L'analyse détaillée a permis d’identifier neuf épisodes distincts, se déployant dans divers lieux, soulignant trois catégories de moments au sein de cette matinée. La chronogenèse, étudiée à un niveau macroscopique, a permis une compréhension approfondie de l'organisation chronologique des objets de savoir dans cet environnement particulier. De plus, la caractérisation des lieux a montré que chaque épisode était ancré dans un lieu dédié, offrant diverses perspectives et opportunités de déplacement, contribuant ainsi à l'expérience géographique individuelle.
57En se penchant sur les hauts lieux ou géosymboles dans le milieu didactique, notre étude a mis en évidence l'importance symbolique des arbres et du foyer dans l'espace éducatif. Ces éléments, bien que parfois inconsciemment perçus par l'enseignante, ont joué un rôle significatif dans la création d'un environnement propice à l'apprentissage et au développement des élèves.
58En discussion, nous avons souligné les implications pédagogiques de cette approche en extérieur, mettant en lumière la liberté de mouvement offerte aux élèves, les bienfaits potentiels sur les compétences sociales et collaboratives, ainsi que son alignement avec les objectifs éducatifs actuels. De plus, la classe "dehors" semble en parfaite adéquation avec les programmes de géographie primaire, promouvant l'expérience spatiale des élèves et leur géographicité, contribuant ainsi à la formation d'individus réfléchis et responsables vis-à-vis de leur environnement.
59Dans une perspective de développement professionnel des enseignants, l'approche écoformatrice est préconisée : le sujet (dans ce cas, les élèves) se forme directement dans le milieu naturel, par l'expérience vécue dans cet environnement, et avec ce milieu en tant qu'élément interactif et participatif dans le processus d'apprentissage.
60Ainsi, cette recherche offre des perspectives stimulantes pour repenser les pratiques pédagogiques et souligne l'importance d'intégrer l'espace extérieur dans le processus éducatif.