1En décembre 2018, 57 institutions et organisations de la société éducative québécoise se mettent d’accord sur une Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté1. Les défis, visions et pistes d’actions identifiés par cette stratégie concernent les milieux d’enseignement formel mais aussi l’éducation non formelle assumée par les parcs, les musées, les centres d’interprétation, les ONG, les associations, les éco-quartiers, les médias et autres. Les bibliothèques, qui font pourtant partie du secteur de l’éducation non formelle, ne sont pas mentionnées dans le document et les principales revues touchant l’éducation à l’environnement ne semblent pas non plus faire des bibliothèques un objet de recherche. Pourtant plus de 1 000 bibliothèques publiques couvrent le territoire du Québec2. Au Québec comme ailleurs, et bien avant les musées par exemple, elles sont les institutions culturelles les plus fréquentées, avec un nombre toujours croissant de visites mais aussi d’actions d’animations. Dans le milieu des bibliothèques, le thème de l’environnement est de plus en plus présent3 et plusieurs professionnel(le)s, au Québec comme ailleurs dans le monde, perçoivent que les bibliothèques, en tant qu’outil de transformation sociétale, pourraient être davantage engagées en ce sens. Ces cinq dernières années, des récits d’initiatives ou des témoignages de l’adoption de nouvelles directives au sein des associations professionnelles montrent une telle intention de prendre part aux efforts nécessaires. Mais que font réellement les bibliothèques en matière d’éducation à l’environnement en Amérique du Nord et dans le reste du monde ? Y retrouve-t-on une diversité d’approches ? Leurs actions présentent-t-elle des spécificités dans le champ des interventions possibles en éducation à l’environnement ? Leur impact pourrait-il être amélioré si elles s’appuyaient davantage sur la collaboration avec d’autres acteurs de ce champ d’intervention éducative ? Voilà tout un champ de recherche à développer.
2Dans une perspective exploratoire, nous présenterons en premier lieu quelques résultats d’une recherche bibliographique visant une première caractérisation de l’intervention des bibliothèques lorsque leurs missions et fonctions propres sont mises au service d’une éducation à l’environnement et à l’écocitoyenneté. En raison du caractère relativement récent du sujet, les textes sélectionnés serviront davantage de témoins représentatifs d’un état de situation encore mal perçu des bibliothécaires eux-mêmes et a fortiori de leurs partenaires, plutôt que de briques critiques pour l’analyse. Nous tenterons toutefois d’apporter ensuite un certain éclairage sur le potentiel des bibliothèques et les conditions de mise en œuvre d’un tel potentiel à la lumière de ce que l’on sait des évolutions des bibliothèques au 21e siècle et de certains fondements de l’éducation relative à l’environnement.
3Repérés dans la littérature en bibliothéconomie de plus en plus abondante sur le thème des bibliothèques vertes et de leur engagement en matière de viabilité ou de développement durable, voici donc d’abord un résumé de trois articles qui ont été choisis pour illustrer comment peuvent se positionner les bibliothèques publiques face à la question de l’éducation relative à l’environnement.
- 4 La ville adhère par exemple au mouvement des villes équitables.
- 5 Déclaration de l’IFLA, de ALA et Agenda 2030 pour le développement durable.
- 6 Schumann (2018), p. 125 : « Le mouvement des bibliothèques vertes est critiqué pour mettre trop d’e (...)
4Tim Schumann (2018) présente le cas d’une bibliothèque qui a investi ce domaine tout en faisant évoluer ses pratiques. Il s’agit de la bibliothèque de Bad Oldesloe, une ville allemande de 25 000 habitants, déjà très engagée en matière de protection de l’environnement et soucieuse d’équité sociale4. Sous la menace de coupures budgétaires et pour se donner une nouvelle légitimité auprès des tutelles, des partenaires financiers et des citoyen(e)s, cette bibliothèque a adhéré au mouvement vert tout en repensant ses rôles, ses espaces et ses services, en collaboration avec la population. L’objectif est de fonctionner davantage comme une « fabrique d’apprentissage urbain », une « agence de compétences », un « espace citoyen » et un « espace de rencontre informel ». Un makerspace est mis en place, qui permet à des individus ou des groupes de mettre en œuvre leurs propres projets. Les espaces de la bibliothèque, situés à proximité d’une école, sont offerts en soutien à des projets communautaires. On favorise les rencontres et la cohésion sociale autour de la résolution de problèmes écologiques ou sociaux. On fait de la sensibilisation à l'environnement par le biais de la programmation et des services, le tout en appui à la « Stratégie allemande pour la durabilité » et dans la mouvance des déclarations des associations professionnelles5. Mais on tâche aussi d’aller au-delà de la vitrine verte6.
- 7 « Harvest your city ». Les éditions 2015, 2016 et 2017 sont décrites dans l’article et leurs retomb (...)
5À titre d’exemple, au cours d’évènements appelés « Moissonne ta ville »7 (centrés sur l’agriculture urbaine), les citoyens ont été invités à redéfinir leur bibliothèque En organisant ces événements, la bibliothèque publique a souhaité donner à voir aux élus et à la population l’étendue des formes possibles d’interventions de la bibliothèque et illustrer par des exemples concrets, le lien entre les objectifs des bibliothèques publiques et les questions d'environnement et de viabilité. En outre, elle voulait sensibiliser les gens à de nouvelles formes d'apprentissage ainsi qu'à la nécessité de disposer de lieux de rencontre ouverts dans une société de l'information numérique. Différents moyens d’intervention ont été ainsi utilisés : ateliers, expositions de photos, échanges de semences, conférences, concours de la graine qui pousse le plus vite pour les plus jeunes, fabrication d’hôtels à insectes, utilisation des médias et tableau d’information, hébergement dans les locaux d’initiatives locales (par exemple un groupe de partage de nourriture), mise en place de réseaux de contacts, organisation de parcours guidés à la découverte de plantes, organisation de circuits en vélo pour identifier les arbres fruitiers urbains pouvant faire l’objet de récoltes, adhésion à la semaine nationale pour les changements sociaux et écologiques et autres initiatives citoyennes en faveur de l’environnement, appui aux autorités locales et autres organismes de la société civile pour leurs programmes de protection de la nature, soutien à l’apprentissage de techniques de pomiculture etc. À force de persévérance et de créativité, la bibliothèque a pu s’intégrer dans les débats politiques et sociaux, adopter un nouveau rôle auprès de la municipalité et la communauté, expérimenter de nouvelles formes de collaboration, donner une autre utilité aux espaces de la bibliothèque, présenter la bibliothèque comme un lieu d’apprentissage moderne et créatif, améliorer la visibilité de la bibliothèque comme partenaire potentiel, assumer la responsabilité de prendre soin de l'environnement local et soutenir de nouvelles initiatives.
6En 2008, un bibliothécaire français constatait que si plusieurs bibliothécaires étaient sensibles à la question écologique, les bibliothèques dans leur ensemble – comme institutions - ne s’étaient pas encore saisies de la question écologique (Caraco, 2008). Dix ans plus tard, Manon Le Guennec (2018) constate que les bibliothèques publiques françaises sont indéniablement des actrices de la sensibilisation et de l’information sur les questions environnementales. Elles intègrent ces questions à leur bâtiment et fonctionnement, mettent en place des collections dédiées au développement durable, ou plus précisément à l’écologie, et insèrent ces sujets d’actualité dans leurs programmations. Mais tout cela ne va pas sans difficultés et enjeux qui selon cette auteure, seraient de trois ordres : la capacité à travailler en partenariat, à se positionner et à communiquer.
- 8 La gestion de grainothèques, un commun proche de celui des livres, avec quelques fois échange de pl (...)
- 9 Manon Le Guennec signale que l’engagement des bibliothécaires dans des partis politiques ou des ass (...)
- 10 La question du devoir de neutralité, souvent débattue dans la profession, serait plutôt un devoir d (...)
7Tout d’abord, il y a le constat du manque de compétences du personnel des bibliothèques, par exemple lorsqu’il s’agit de mettre en place une grainothèque, un service largement répandu dans les bibliothèques françaises et ailleurs8, mais aussi lorsqu’il s’agit de faire adopter le tri sélectif à toute une équipe. Manon Le Guennec constate aussi que si les bibliothécaires interrogé(e)s se saisissent de ces questions, c’est en partie parce qu’ils ou elles y étaient sensibles à titre personnel9, la volonté des tutelles constituant soit un terreau favorable, soit un frein à cet engagement personnel. Elle suppose que la relative discrétion des bibliothécaires français(e)s sur leurs activités pourrait venir du fait que, perçue comme un sujet politique, la défense de l’environnement pourrait mettre mal à l’aise les professionnel(e)s des bibliothèques soumis(es) au devoir de neutralité10. On craindrait d’accroître des effets de distinction qui feraient que les personnes déjà intéressées par l’écologie viendraient à la bibliothèque et que les autres, non.
8La prise en compte des besoins des membres de la communauté et leur implication avant et pendant la mise en place d’actions est un enjeu important pour éviter l’écueil d’être perçu comme prescriptif, ce qui pourrait être le fait de l’école mais pas des bibliothèques, très attachées par exemple à la défense de la « lecture plaisir ». Avant d’engager leur bibliothèque dans des actions à caractère social, plusieurs s’assurent donc que ces actions répondent bien à des besoins identifiés de la communauté et s’engagent parfois dans une gestion réellement participative.
- 11 L’auteure cite la « Task force on environment » aux États-Unis et le « Sustainable Libraries Group (...)
9Enfin, Manon Le Guenec constate que les bibliothèques, même si elles mettent en place de nombreuses actions, communiquent peu sur le sujet. Cette observation viendrait en partie du fait que, contrairement aux associations professionnelles étrangères, les associations professionnelles françaises en bibliothéconomie n’auraient pas encore mis en place de groupe de travail sur le sujet11. Même si plusieurs journées d’études ont été organisées ces dernières années, les professionnel(e)s resteraient encore « avides d’expériences concrètes ». C’est ainsi qu’en 2019, la Commission advocacy de l’Association des bibliothécaires français (ABF) a mis en place une collecte nationale d’actions en lien avec les objectifs de l’Agenda 2030. Plusieurs centaines d’actions ont été répertoriées dans une base de données en ligne assortie de conseils. On y encourage les bibliothèques à mettre en évidence leur engagement en faveur de l’environnement dans leur stratégie de communication auprès de leurs usagers.
- 12 On comprend ici que les cocréateurs sont les membres du groupe de réflexion qui veulent voir arrive (...)
10Au regard de ces enjeux, voyons maintenant comment un petit groupe de bibliothécaires américains se sont organisés pour réfléchir ensemble à une stratégie de mobilisation, ont impliqué leur association locale, la New York Library Association (NYLA) puis l’American Library Association (ALA) et, en l’espace de 5 ans, ont réussi créer un début de mouvement pour que les bibliothèques publiques, scolaires et universitaires américaines s’engagent davantage en matière de développement durable (Aldrich et Bollerman, 2019). C’est sur la base d’outils conceptuels et stratégiques tirés de la gestion entrepreneuriale que ce groupe de bibliothécaires s’est engagé en 2015, dans une démarche de réflexion à ce sujet. Ils ont d’abord adopté une vision commune : « des bibliothèques vivantes, visibles et viables qui travaillent à mettre en place une organisation structurée permettant de clarifier l’état souhaité de la bibliothèque mais aussi celui de la communauté en matière de viabilité, de résilience et de capacité à se régénérer ». Ils ont aussi adopté une représentation en étoile de la dynamique de leur projet, mettant en évidence les 5 parties prenantes de celui-ci : la Terre est l'une de ces parties prenantes au même titre que la communauté, les clients, les investisseurs et les « cocréateurs »12. Ils ont reconnu l’importance d’équilibrer les besoins de ces différentes parties prenantes et d’aligner les valeurs et les ressources d’une bibliothèque sur le « droit des communautés locales et mondiales à subsister, rebondir après une perturbation et prospérer en se régénérant ». Dans une deuxième phase, plusieurs outils ont été mis en place par un groupe de travail de la NYLA, dont un programme de certification des bibliothèques durables et un programme de formation d’agents de changement. Les responsables de bibliothèques bénéficient ainsi d’un d’accompagnement professionnel d'un an visant à les aider à travailler avec les leaders de la communauté afin de résoudre un problème social ou écologique du milieu. Dans une dernière phase atteinte en 2019, l'American Library Association a été mobilisée. Celle-ci a formulé une « résolution pour l'adoption de la viabilité comme valeur fondamentale de la bibliothéconomie » et le développement de « normes d'accréditation pour garantir que le thème de la viabilité soit un élément inhérent au programme scolaire en bibliothéconomie ». Il s’agit d’aider les bibliothèques à devenir des modèles d’organisations gérées de façon durable, mais aussi de les inciter à jouer un rôle dans le développement de la pensée critique nécessaire à l’exercice de la profession de bibliothécaire comme au développement des communautés.
11Si le sujet de l’environnement et de la viabilité fait l’objet de discussions depuis des décennies dans les rencontres professionnelles, on perçoit maintenant dans le milieu des bibliothèques, comme dans les autres milieux, une plus grande urgence à agir : mondialement, les bibliothèques défendent de plus en plus auprès de leurs tutelles, leurs partenaires financiers et leurs publics, un « rôle d’exemples, d’éducateurs et de facilitateurs » en matière de viabilité (IFLA, 2018).
- 13 Voir par exemple, Derbas Thibodeau, F. et Poirier, C. (2019) qui font ce constat à propos de la bib (...)
- 14 Les Réseaux BIBLIOS du Québec, des structures de soutien gérées comme des OBNL, ont notamment réuss (...)
- 15 Dix projets de bibliothèques mixtes d’un nouveau genre (à la fois centre culturel, communautaire et (...)
- 16 Près de 14 000 personnes travaillent dans les bibliothèques au Québec dont environ 500 bibliothécai (...)
- 17 Des changements concernant la formation initiale sont toutefois en cours. Par exemple au Québec : h (...)
- 18 Notamment en ce qui concerne les plateformes d’échange de connaissances entre citoyens et autres es (...)
- 19 Ce livre a été traduit en français en 2018 par un groupe de bibliothécaires québécois sous le titre (...)
- 20 La mission d’une bibliothèque est d’améliorer la société en facilitant la création de connaissance (...)
12Les trois articles choisis montrent une diversité de positionnements. Cette diversité est le reflet de la situation de transition des bibliothèques aujourd’hui. Avec l’Internet et son accès immédiat à ses masses de documents et d’informations, les bibliothèques ont dû en effet se repositionner, notamment autour du concept de bibliothèque « tiers lieu ». Elles deviennent « espaces citoyens » avec des salles de réunion, des installations artistiques, des salles de classe, des scènes de spectacles, des ateliers de fabrication, des aires de jeux, etc. Toutefois, plusieurs auteurs font mention des difficultés des bibliothèques publiques à communiquer cette évolution en dehors de cercles d’initiés et ceci d’autant plus que la traduction dans les faits de cette nouvelle « bibliothèque citoyenne » reste parfois encore embryonnaire13. Dans la première décennie des années 2000, et au moment même où le Québec, parfois très brillamment14, tentait de rattraper son retard historique en matière de lecture publique, de brutales réductions des dépenses publiques jointes bien souvent à des efforts simultanés de ré-informatisation et d’automatisation importants ont plombé le développement de ce milieu professionnel comme de bien d’autres. Actuellement, en dépit de ces coupures budgétaires, de gros projets d’équipements d’un nouveau genre se multiplient à Montréal et dans d’autres régions de la province, avec un risque réel de découplage entre vision et réalité de mise en œuvre15. En effet, en dépit de l’évolution des discours depuis une dizaine d’années, la multiplication des consultations citoyennes et les injonctions de plus en plus pressantes des tutelles à sortir des silos, innover et collaborer davantage, on peine encore aujourd’hui à changer de posture à l’intérieur même des équipes16. Comme dans le milieu scolaire, une formation continue adéquate fait souvent défaut pour accompagner les équipes vers d’autres types de fonctionnement et de compréhension de leur rôle17. Face à ce constat d’immobilisme relatif des institutions, de plus en plus d’organisations concurrentes dans le secteur de l’innovation sociale prennent le relais au Québec18. Ce contexte n’est pas, bien sûr, propre au Québec. Ce n’est pas un hasard si David Lankes, un bibliothécaire américain connu internationalement pour ses efforts de renouvellement de la profession, s’adresse avant tout aux citoyens et partenaires potentiellement bénéficiaires des bibliothèques et non pas aux bibliothécaires eux-mêmes lorsqu’il écrit Expect More : Demanding Better Libraries For Today’s Complex World » en 201419. Il y rappelle que, comme tout au long des quatre millénaires d'histoire des bibliothèques, le cœur de la bibliothéconomie reste la création de connaissances transformatrice des sociétés et non la simple gestion de collections d’artefacts et de services pour des usagers20. Il revoit les facettes fonctionnelles des bibliothèques publiques et insiste sur l’importance de mettre la communauté, ses rêves et ses particularités propres au centre des préoccupations et des actions des bibliothèques, invitant les professionnel(le)s des bibliothèques à « écrire l’histoire de la communauté ». Lankes ne le dit pas explicitement, mais on peut penser bien sûr que cette notion de communauté soit étendue à la communauté biotique chère à l’écologiste Aldo Léopold, c’est-à-dire non pas seulement la communauté humaine d’un lieu particulier mais l’ensemble des êtres vivants qui y habitent. Ce sont ces facettes fonctionnelles des bibliothèques utilisées par Lankes que nous allons maintenant utiliser pour préciser rapidement ce que font aujourd’hui les bibliothèques, de même que leur potentiel d’interventions.
13À travers leurs différentes facettes d’interventions, les bibliothèques peuvent sans doute rejoindre différents objectifs d’éducation à l’environnement :
14Collections de documents y compris des documents créés avec ou par la communauté mais aussi, de plus en plus fréquemment, prêts d’objets tels que des instruments de mesure, équipements de plein air, microscopes, lunettes astronomique, kits à expérimenter chez soi, etc. ainsi que grainothèques, toutes choses servant ultimement à la connaissance y compris par les conversations et actions qu’elles suscitent. Il s’agit surtout, pour les citoyen-e-s, de réaliser des économies dans le cadre du système marchand par l’achat collectif et le prêt, mais il est intéressant de constater que par extension, les bibliothèques peuvent aussi organiser des échanges d’objets directement entre citoyens et donc encourager l’économie de partage. Le soutien à la mise en place de micro-bibliothèques dans l’espace public en est un exemple.
- 21 Les ateliers de réparation sont par exemple en forte augmentation dans les bibliothèques.
15Mise en valeur de modèles alternatifs d’échanges de biens et de services en montrant qu’on peut partager, économiser ou réutiliser21 des ressources locales, en signalant et mettant en valeur les ressources naturelles (par exemple circuit de récoltes, circuit touristique...) et patrimoniales du territoire (y compris les données ouvertes et le domaine public), en soutenant de diverses façons l’économie sociale et écoresponsable et l’implication citoyenne.
- 22 Le réseau des bibliothèques publiques de Toronto a récemment hébergé une environnementaliste en rés (...)
- 23 Par exemple une rencontre avec un membre des communautés autochtones.
16Animations, conférences, séances de cinéma, formations (y compris en ligne et hors les murs) ; Scientifiques, environnementalistes22 et artistes en résidence ; Visites guidées ; « Bibliothèques vivantes »23, échanges de compétences entre pairs, repérage et contact avec des experts locaux en fonction des intérêts ; Mise à disposition d’outils high tech (makerspace, medialab) ou low tech (ruche, jardins partagés, foodlab...) pour l’apprentissage par le faire ; mise en contact avec des animaux ; Soutien à des projets citoyens complexes, etc.
17Soutien aux populations vulnérables, y compris les itinérants, les nouveaux-arrivants, les anciens combattants, les jeunes enfants et les apprenants en alphabétisation : activités telles que les heures du conte mais aussi ressources gratuites comme des connexions à internet, des postes informatiques, des laissez-passer dans les musées... Contribution à la santé psychique des jeunes et moins jeunes, en offrant des lieux de calme et de sécurité, par la qualité des espaces, par exemple des bâtiments avec des éléments naturels, des vues sur le territoire…, par des enseignements, comme le yoga, la méditation, par l’offre de nouvelles occasions de bouger et d’exercer sa créativité ... Mais aussi soutien à la résilience des communautés en cas de crise (inondations, feux, ouragans, crise sociale...).
- 24 Une bibliothécaire de la bibliothèque départementale du Bas-Rhin en France suggérait lors d’une dis (...)
18Il s’agit bien sûr d’une des grandes forces des bibliothèques, souvent dépositaires mais aussi parfois créatrices de documents et données de tous types, y compris des cartes et données sur le territoire, qui permettent de conserver et de mettre en valeur la mémoire de l’histoire de la communauté. Cette communauté peut aussi être la communauté biotique, une avenue à développer24. Ces dernières années, à l’instar des galeries, musées et archives, les bibliothèques encouragent de plus en plus souvent la contribution aux communs de la connaissance Wikipédia, Wikidata, Wikisource, etc.
19Un espace public qui permet le développement des liens sociaux, la confiance et la cohésion sociale. Ce lieu peut notamment donner à voir des réalisations artistiques sur le thème y compris par les citoyens et citoyennes, par exemple une exposition de photos. Il peut abriter aussi des célébrations des avancées citoyennes et des personnalités phares de la communauté.
- 25 Le rôle démocratique des bibliothèques est actuellement débattu dans la littérature. Voir par exemp (...)
20Dispositifs pour faciliter l’expression, la prise de parole (comme le médialab), le débat et la contribution citoyenne : club de lecture, université autrement, café philo, collection coup de poing invitant à la réflexion critique. Formations juridiques, éducation aux médias et à la recherche d’information, promotion de ressources permettant de combattre les fausses nouvelles, mais aussi et surtout, fourniture d’une information fiable sur les questions environnementales. Quelques bibliothèques ont aussi mis en place des sites ou des pages Facebook spécialisées sur le thème de l’environnement.
- 26 Voir par exemple Townsend, A.K., 2014, pour des exemples au Canada.
21Le bâtiment peut être exemplaire du point de vue de la durabilité et être lui-même source d’apprentissage et d’inspiration26. Il peut aussi offrir des équipements comme un point de recyclage de piles, de lunettes ou autres objets, des supports à vélo, des places de stationnement pour le covoiturage et des stations de recharge pour les véhicules électriques. Idéalement, ce lieu reflète aussi la culture et les particularités du territoire. Quelques bibliothèques (par exemple en Suède ou au Brésil) mettent également en place des vitrines et autres « coins verts » permanents de démonstration interactive pour attirer l’attention sur les éco-gestes et les innovations en ce domaine, mais aussi pour témoigner des efforts des habitants en matière de durabilité
- 27 « Le développement durable est un cadre de référence, un moule à penser, beaucoup trop étroit (voir (...)
- 28 Le travail sur les communs d’Elinor Ostrom, qui a pourtant collaboré avec une bibliothécaire, Charl (...)
22À travers les trois articles sélectionnés, on voit que le pôle américain représenté par l’association ALA de même que la sphère internationale de bibliothéconomie représentée par l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA) et depuis 2008, par son groupe ENSULIB s’engagent sans surprise dans la mouvance rassembleuse du développement durable de l’Agenda 2030 des Nations Unies, avec les enjeux importants de détournement ou d’extinction des possibles que cela pose (tel qu’explicités par Sauvé, 201127). Un seul article repéré dans notre recension d’écrits, celui de Civallero (2017), aborde directement la question de la décroissance et de son impact sur les bibliothèques. Lorsqu’on parle des inéluctables bouleversements climatiques, on parle donc surtout ouvertement de s’y préparer (comme dans Aldrich et Bollerman, 2019), mais plus rarement d’accompagner les transformations socio-culturelles profondes qui seraient nécessaires pour en prévenir ou en atténuer les effets et impacts. Pourtant, dans les faits, et comme en témoigne la popularité de l’implantation de grainothèques dans les bibliothèques, c’est bien une toute autre forme d’économie et de relations entre citoyens qui est soutenue de plus en plus par les bibliothèques, sans avoir toujours bien conscience, semble-t-il, de ses possibles soubassements théoriques28.
- 29 Smith Aldrich, R. (2018) par exemple.
- 30 The great give back. Cet événement, qui existe depuis 2017, a rassemblé le public de 160 bibliothèq (...)
23Ainsi, une certaine ambiguïté de positionnement peut se lire dans l’exemple américain rapporté par Aldrich et Bollerman (2019). L’utilisation d’un cadre de référence issu du milieu de l’entreprise comme fondement de la stratégie de durabilité mise en place pour les bibliothèques est pour le moins surprenante : entre autres, la Terre y est considérée comme une « partie prenante ». Ce choix est sans doute surtout révélateur du souci de continuer à parler le langage des investisseurs privés dont dépend largement le sort des bibliothèques américaines. Certes, dans plusieurs de ses écrits29, Smith Aldrich semble endosser la vision de Lankes (2018) pour lequel il importe de considérer le public des bibliothèques comme des membres de la communauté ou des voisins et, aussi et surtout, comme des apprenants en recherche de sens et de pouvoir plutôt que comme des usagers et des consommateurs de services. Toutefois il semble que les actions concrètes mises en place aux États-Unis dans la foulée du programme décrit par Aldrich et Bollerman pour l’État de New-York n’aient pas l’envergure pour soutenir une telle vision : un club de lecture à l’échelle de l’état sur l’ouvrage « Drawdown : the most comprehensive plan ever proposed to reverse global warming » (Hawken, 2017), un événement annuel visant à encourager les gens à donner des biens, nettoyer l'environnement, faire des gestes de gentillesse au hasard, etc.30, et des programmes pour faire en sorte que les bibliothèques soient des refuges de première ligne en cas de sinistre. En dépit de la volonté affichée au niveau national de collaborer avec des organismes de terrain (Tanner et coll, 2019), il semble qu’on organise tout ce qui peut l’être sans trop se préoccuper de prendre en compte les projets endogènes et contextualisés des habitants de chacun des territoires concernés, qui apparaissent ainsi indifférenciés et sans histoire.
- 31 La situation des bibliothèques publiques québécoises resterait à analyser. Au niveau mondial, il y (...)
24L’exemple allemand de Bad Oldesloe rapporté par Tim Schumann (2018) semble se construire sur des bases sensiblement différentes, avec une réflexion sur les nouvelles façons d’apprendre et la tentative d’inviter la population à les expérimenter. Dans ce cas, l’évolution progressive de l’offre de services se fait main dans la main avec la population et à partir d’elle, ce qui n’est pas aussi clair dans l’exemple américain. Quant à la synthèse de Manon Le Guennec concernant ce qui se passe en France, elle montre aussi les difficultés des professionnels à se positionner sur les questions de l’éducation à l’environnement31. L’auteure mentionne la crainte qu’une plus forte implication sur le thème de l’écologie soit perçue par la population comme trop prescriptive, politiquement trop engagée, voire même socialement clivante.
- 32 La tentative des bibliothécaires américains de penser les « croyances, philosophies et principes » (...)
25Si le rôle éducationnel des bibliothèques semble revendiqué par les auteurs consultés, il ne semble donc pas y avoir d’attention particulière portée à deux points de vigilance pointés par la recherche en éducation relative à l’environnement : 1) la nécessaire conscience du paradigme éducationnel dans lequel s’exerce ce rôle32 et 2) l’importance d’inscrire ses intentions éducatives dans les particularités du territoire et de la communauté qui y habite.
26Du point de vue des paradigmes éducationnels (tels qu’explicités par Bertrand et Valois, 1999), plusieurs semblent cohabiter dans le milieu des bibliothèques. Comme organisations, et sans même parler de la façon dont s’y organise le travail d’équipe, elles sont très majoritairement imprégnées du paradigme rationnel et technologique. Par exemple, on parle de formation tout au long de la vie pour s’adapter au marché du travail et encore très souvent, de clients ou d’usagers à qui on offre des services. Lorsqu’on fait valoir que l’on tient à l’autonomie des lecteurs et à la lecture plaisir (par rapport à la lecture obligatoire du système éducatif), c’est le paradigme humaniste et ses valeurs de liberté et de projet personnel qui semble invoqué. Lorsqu’on parle du rôle social des bibliothèques et qu’on les considère comme berceau de la démocratie, ça serait plutôt le paradigme socio-interactionnel qui le serait. Enfin, lorsqu’on met en place un makerspace et des communautés d’apprentissage, comme à Bad Oldesloe, une bibliothèque primée deux fois par ENSULIB pour son engagement en matière d’environnement, on retrouve certaines des caractéristiques du paradigme inventif comme la promotion de l’engagement dans les milieux de vie et le développement de la capacité d’invention sociale et de création de nouvelles organisations chez les personnes et les communautés.
- 33 Voir par exemple Martel, M. D., Gauthier, P., et Félizat-Chartier, P., (2019)
- 34 Campbell B. et coll. (2009). On pense notamment aux outils « entrée dans la communauté » et « carto (...)
27Du point de vue du nécessaire ancrage dans la réalité du territoire et de la communauté elle-même, on observe aussi une diversité de pratiques. Si l’importance du partenariat avec des acteurs locaux est défendue mondialement, sa mise en œuvre se fait à des degrés bien divers dans la réalité. Dans le monde des bibliothèques, on parle de « hors les murs » (outreach), « d’agents de liaison », de consultation et, de plus en plus, de démarches de conception collaboratives pour les bâtiments et services33. Cependant l’utilisation d’outils d’appropriation du territoire en tant que tel, comme ceux préconisés il y a plus de 10 ans par la Trousse d’outils pour des bibliothèques à l’écoute de la communauté, un programme de recherche-action canadien reconnu internationalement34, reste limitée.
- 35 Aldrich et ses collaborateurs mentionnent que la notion d’« Impact collectif » sera utilisée dans l (...)
- 36 On pense notamment au programme de littératie familiale « Every Child ready to read » ou encore au (...)
- 37 Même s’il existe quelques cas de bibliothèques mixtes (municipales et scolaires) et que la très gra (...)
28Il est par ailleurs intéressant de constater, qu’en dépit de sa volonté affichée de faire appel à la notion « d’impact collectif » surtout comprise semble-t-il comme une injonction à collaborer davantage en contexte de financement raréfié35, et en dépit aussi de son habituel réflexe d’appuyer ses programmes nationaux sur de la recherche36, l’association des bibliothécaires américains ne semble pas avoir recherché dans ce cas une concertation avec des organismes nationaux spécialisés en éducation relative à l’environnement. Les bibliothèques relevant, au Québec comme en France, du Ministère de la Culture et non de l’éducation37, il n’est par ailleurs pas étonnant de constater leur difficulté à exister au sein d’une stratégie globale telle que la stratégie lancée par Centr’ERE en 2018 (voir la note 1).
29Au-delà de l’enjeu très concret d’arriver à sortir des moules de fonctionnement habituel, il est bien possible que la situation constatée dénote également la difficulté à s’approprier jusqu’au bout les notions de problèmes systémiques et de complexité bien présentes dans la mouvance socio-écologique actuelle et indispensables à la planification d’actions portant ultimement sur des transformations profondes.
30Il est clair que les bibliothèques publiques peuvent jouer un rôle important auprès de la population en matière d’environnement. Ce sont les personnes au sein des bibliothèques qui peuvent faire bouger les choses et plusieurs sont déjà à l’œuvre sur le terrain, montrant ainsi que les bibliothèques peuvent faire une différence auprès de leur communauté. Toutefois, en l’absence d’une réflexion plus approfondie sur leur mission et fonctions, mais aussi en l’absence de considération de leurs angles morts (ambiguïté des paradigmes éducationnels sous-jacents, difficulté à se relier au territoire notamment), ces professionnel(le)s risquent fort, comme le craint Aldrich (2018), de s’en tenir à des initiatives vertes isolées et superficielles qui n’auront pas d’impact (ou trop peu) sur leur communauté. Il faudrait certes creuser davantage le sujet pour mieux saisir la réalité en question, mais il semble que les bibliothécaires publics soient plutôt mal équipés aujourd’hui pour mener des actions d’éducation relative à l’environnement efficaces. Plutôt que de s’employer à maîtriser d’entrée de jeu une telle compétence, une voie plus accessible en ces temps d’urgence est peut-être celle de mieux expliquer le potentiel et les forces des bibliothèques aux experts du domaine de l’éducation relative à l’environnement, aux citoyens et aux organismes déjà engagés sur le terrain, afin que ceux-ci expriment en retour leurs besoins particuliers, territoire par territoire. Aider ces acteurs à rayonner, en mettant à leur disposition l’infrastructure des bibliothèques, accompagner les échanges et l’engagement au cœur des projets citoyens, faciliter la recherche d’une information utile parfois difficilement accessible, fournir un lieu sécuritaire et bienveillant, et offrir des ressources utiles à l’apprentissage en contexte et à l’action collective seraient quelques-unes des pistes prioritaires à explorer.