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Recensions

Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle-Néerlande à New York, La naissance d’une société esclavagiste (1624-1712)

Paris : les Indes Savantes, 2021. 482 p. ISBN : 9782846545693. 36 €
Élodie PEYROL-KLEIBER
Référence(s) :

Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle-Néerlande à New York, La naissance d’une société esclavagiste (1624-1712). Paris : les Indes Savantes, 2021. 482 p. ISBN : 9782846545693. 36 €

Texte intégral

1L’historiographie française souffrait d’un manque qui à présent est comblé par la publication de l’ouvrage d’Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle-Néerlande à New York. Il est en effet le bienvenu car il met à mal l’idée commune selon laquelle il n’y avait pas ou peu d’esclaves à New York. Beaucoup pensent en effet qu’étant donné que l’état de New York faisait partie des états libres et fermement opposés à l’esclavage lors de la Guerre civile, l’esclavage y était banni. Anne-Claire Faucquez prouve que non seulement il y avait des esclaves dès la création de la colonie en 1624 par les Néerlandais, mais que la société et l’économie coloniales de New York, et avant cela de la Nouvelle-Néerlande, étaient largement basées sur l’institution de l’esclavage. Par ailleurs, et ce même de la part des collègues anglophones, la période néerlandaise de la colonie est souvent balayée du revers de la main, ou son étude se cantonne à quelques phrases explicatives mais vagues. L’ouvrage d’Anne-Claire Faucquez explore les relations sociales entre les diverses communautés présentes dès la fondation de la colonie et démontre dans quelle mesure il y eut une continuité sociale là où le contexte politique changea drastiquement.

2Le dépouillement et l’étude d’un nombre impressionnant de sources archivistiques, dont la diversité reflète celle des communautés peuplant la Nouvelle-Néerlande puis New York, ont donné naissance à une base de données qui se veut exhaustive, et qui regroupe tous les esclaves et leurs propriétaires identifiés durant la période étudiée. Il s’agit du cœur de cette étude, qui en assure l’originalité. Faucquez est la première à fournir une analyse poussée des recensements coloniaux de New York (1698, 1703 et 1712) à partir desquels cette base de données a été produite. Ainsi, son analyse, associée aux quatre parties de cet ouvrage dresse un tableau complet de l’esclavage dans cette colonie qui n’est pas uniquement constituée du comté de New York, comme l’historiographie pourrait le faire penser, mais également de cinq autres comtés que sont Richmond, Westchester, Queens, Kings et Suffolk. La première partie contextualise le besoin d’esclaves dans l’économie de la Nouvelle-Néerlande et comment la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (West-Indische Compagnie ou WIC) transporta les premiers esclaves africains dans la colonie. New York se positionne rapidement comme compétiteur de l’empire espagnol en matière de traite triangulaire et s’attèle à en entraver les velléités en la matière. Sous l’égide des Néerlandais, la grande majorité des esclaves provenait du « rebus » des Antilles, notamment la Barbade et la Jamaïque (73). Lorsque les Anglais prirent la colonie en 1664, l’importation de main-d’œuvre servile diminua tout d’abord pour fleurir à nouveau, toujours en provenance des Antilles. Ce n’est qu’à la suite de la guerre de succession d’Espagne, au début du XVIIIe siècle, que les marchands anglais puisèrent dans les ressources africaines, comme en attestent les rôles d’équipage et listes de passagers des navires recensés par Faucquez (84).

3À l’arrivée dans la colonie de New York (partie 2), les esclaves sont intégrés à la vie des communautés qui constituent la population des six comtés. Faucquez en dresse la répartition et présente au lecteur la dimension au final très rurale de la vie à New York aux XVIIe et XVIIIe siècles. Après avoir appris que les esclaves étaient, surtout sous l’autorité de la WIC, employés à œuvrer dans les fortifications de l’espace que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Manhattan, Faucquez explique que leur statut était finalement assez proche de celui des esclaves de l’Antiquité (151). Celui des esclaves amérindiens, en revanche, se situait « à la croisée de l’esclave et de l’engagé » car même si leur asservissement était interdit par la loi de 1672 (An Order for the Manumission of Native Indian Slaves and Ending the Importation of Foreign Ones) (185), certains Amérindiens apparaissent dans les archives comme ayant signé un contrat avec un planteur new-yorkais, à la manière des engagés, alors que d’autres étaient vendus et légués comme des esclaves dépourvus de droits sur leur propre personne (187).

4Dans la troisième partie, est également considéré le rôle de la religion dans l’institutionnalisation de l’esclavage. Comment faire en sorte que l’asservissement de milliers d’individus apparaisse comme légitime ? La religion apporte la clé, grâce au mythe de Cham, Sem et Japhet (196-7) repris par l’Eglise Réformée néerlandaise. Bien entendu, les directives strictes en matière de pratiques religieuses émanant des Provinces Unies furent difficiles à respecter dans un contexte colonial incertain, où les calvinistes rencontraient de sérieux compétiteurs en la personne des catholiques français déjà occupés à convertir les Amérindiens au nord (203). Lorsque les Anglais succédèrent aux Néerlandais, l’Église anglicane dut faire face à une diversité religieuse rarement rencontrée ailleurs car la communauté anglaise « était extrêmement variée en termes de nationalités et d’appartenances religieuses et manquait d’unité ethno-religieuse à l’inverse des Néerlandais ou des Français » (211). Il fallut attendre la création de la Society for the Propagation of the Gospel (SPG) en 1697 pour qu’une « ré-anglicisation » des colonies, et de la colonie de New York en particulier, s’opère. Ceci impacta les esclaves en cela qu’ils étaient considérés comme impurs ; la SPG concentra donc ses efforts sur leur éducation religieuse, participant ainsi au processus de transformation de la société new yorkaise de pluriethnique à biraciale, avec l’appui puissant de l’outil législatif.

5La dernière partie plonge le lecteur dans les foyers des propriétaires d’esclaves, faisant saisir pleinement, à travers des vignettes prosopographiques, les expériences de vie de ces individus asservis, que ce fut dans le mariage, la naissance d’enfants, le leg suite au décès du propriétaire ou dans les stratégies adoptées pour résister à l’oppresseur de manière passive ou active : à travers des rites funéraires, en fuyant, en fomentant des insurrections ou en commettant des crimes.

6À travers ce livre, Faucquez montre comment les communautés noire et amérindienne asservies ont participé de manière centrale à la construction de la colonie de la Nouvelle-Néerlande et de New York, mais aussi à son économie et à sa société culturellement très diverse. Même privés de tout droit, les esclaves réussirent tout de même à s’exprimer et à résister. Ainsi, même si la colonie de New York était bel et bien une société esclavagiste, et non une société avec esclaves, elle symbolise également un espace de résistance du peuple que les empires néerlandais et anglais ont asservi, mais dont la mémoire survit grâce à des études historiques telles que celle proposée par cet ouvrage.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Élodie PEYROL-KLEIBER, « Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle-Néerlande à New York, La naissance d’une société esclavagiste (1624-1712) »E-rea [En ligne], 20.2 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 01 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/erea/15891 ; DOI : https://doi.org/10.4000/erea.15891

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Auteur

Élodie PEYROL-KLEIBER

Université de Poitiers, MIMMOC

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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