Sophie Chiari, L’Écocritique. Repenser l’environnement au prisme de la littérature
Sophie Chiari, L’Écocritique. Repenser l’environnement au prisme de la littérature. Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2024, 64 p. ISBN : 978-2-38377-251-4. 4,5 €
Texte intégral
1Avec cet ouvrage concis et rigoureux, Sophie Chiari propose une introduction claire et synthétique à l’écocritique, un champ d’études interdisciplinaires explorant les relations entre littérature, monde naturel et préoccupations environnementales. En 55 pages, accompagnées d’une sélection bibliographique, l’autrice retrace les origines, les grandes évolutions et les perspectives de l’écocritique, tout en offrant un éclairage spécifique sur son implantation en France.
2L’introduction, brève mais dense, pose un enjeu fondamental : la séparation historique entre l’homme et la nature, identifiée comme une cause majeure des crises écologiques actuelles. Chiari mobilise des penseurs tels que Hobbes, Rousseau, Timothy Morton et Philippe Descola pour inscrire son propos dans une tradition philosophique tout en soulignant l’urgence contemporaine de repenser ce dualisme.
3La première partie, intitulée « La naissance de l’écocritique », s’intéresse aux origines de ce champ. Chiari en retrace l’étymologie et souligne ses racines étatsuniennes qui s’expliquent par les liens historiques entre l’identité nationale et la wilderness. L’autrice rappelle que le terme « écocritique » est apparu pour la première fois dans l’article fondateur de William Rueckert, « Literature and Ecology: An Experiment in Ecocriticism » (1978). Près de deux décennies plus tard, la création de la revue ISLE (Interdisciplinary Studies in Literature and Environment) fondée par Patrick D. Murphy en 1993 a marqué l’émergence institutionnelle de l’écocritique. En s’appuyant sur l’ouvrage majeur de Lawrence Buell, The Environmental Imagination (1995), Chiari ensuite définit les objectifs de l’écocritique : reconsidérer les relations entre humains et non-humains et relire les textes littéraires sous cet angle novateur.
4Dans la deuxième partie, « Les grandes mouvances écocritiques : Du commencement à aujourd’hui », l’autrice expose les principales vagues qui ont structuré l’évolution de ce champ. La première vague, débutant dans les années 1990, se concentrait sur le nature writing américain, avec des auteurs comme Emerson et Thoreau. Ces approches, parfois critiquées pour leur idéalisation de la nature sauvage, ont été enrichies et nuancées par la deuxième vague au début des années 2000. Celle-ci, plus politisée, a élargi le champ de l’écocritique en considérant que l’homme modèle également la nature, y compris dans les espaces urbains, et en dépassant l’aire anglophone. La troisième vague, marquée par des approches intersectionnelles (féminisme, théories queer et postcoloniales), a donné naissance à des branches comme l’écoféminisme, l’écocritique postcoloniale et l’écocritique queer, que l’autrice présente successivement. Enfin, la quatrième vague, dominée par les studies anglo-saxonnes (animal studies, plant studies, soil studies), illustre la spécialisation croissante de ce champ.
5La troisième partie, « Et la France ? », examine les spécificités de l’écocritique française. Chiari identifie deux axes majeurs, décrits dans un article de Nathalie Blanc, Denis Chartier et Thomas Pughe (« Littérature & écologie : vers une écopoétique », 2008) : l’axe poétologique, attaché à l’étude du style et de la forme littéraire, et l’axe politique, influencé par l’écosophie de Félix Guattari et les travaux de Bruno Latour et Philippe Descola. Elle montre comment des penseurs français comme Michel Serres, Élisabeth de Fontenay ou Dominique Lestel ont cherché à se distinguer des approches anglo-saxonnes, tout en partageant un intérêt commun pour le rapport entre littérature et non-humain. Cependant, nous pouvons regretter que le format de l’ouvrage, qui fait partie de la collection « L’Opportune » des presses universitaires Blaise Pascal, ne permette pas de traiter certains aspects, comme l’écocritique dans le Canada francophone.
6Dans la quatrième partie, « Bilan et perspectives », Chiari répond aux critiques adressées à l’écocritique : sa vision jugée naïve et idéalisée de la nature ou son discours perçu comme culpabilisant. L’autrice défend ce champ en montrant sa pertinence et son adaptabilité. Elle met en lumière de nouvelles disciplines émergentes, comme les blue humanities et les green studies, et l’ouverture de l’écocritique à d’autres formes d’art (peinture, photographie, cinéma, spectacle vivant), soulignant ainsi son dynamisme.
7La conclusion, « Repenser le non-humain, de l’art à l’action », revient sur le double apport de l’écocritique : permettre une relecture des œuvres littéraires, qu’elles soient canoniques ou oubliées, et inscrire la réflexion écologique dans une praxis en constante évolution. L’écocritique apparaît ainsi moins comme une théorie figée que comme un mouvement en perpétuel renouvellement.
8Cet ouvrage, idéal pour une première approche de l’écocritique, séduira les lecteurs curieux des liens entre littérature et nature. Si son format restreint ne permet pas d’explorer toutes les ramifications de ce domaine, sa structure claire et sa bibliographie sélective en font un guide précieux, particulièrement adapté aux étudiants souhaitant se familiariser avec un champ qui continue de se développer dans le paysage académique français.
Pour citer cet article
Référence électronique
Claire CAZAJOUS-AUGÉ, « Sophie Chiari, L’Écocritique. Repenser l’environnement au prisme de la littérature », e-Rea [En ligne], 22.2 | 2025, mis en ligne le 15 juin 2025, consulté le 20 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/erea/19666 ; DOI : https://doi.org/10.4000/144qc
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