Appel en deux étapes

• Envoi des résumés aux 3 coordinatrices du numéro : d’ici le vendredi 20 décembre 2024 inclus

• Retour aux auteur·ices : lundi 6 janvier 2025

• Envoi des articles : vendredi 28 mars 2025 (inclus)

Coordination

• Sophie Hou, UMR8586 PRODIG, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Sophie.Hou@univ-paris1.fr

• Angélique Palle, UMR8586 PRODIG - angelique.palle@sciencespo.fr

• Audrey Sérandour, UMR8586 PRODIG - audrey.serandour@protonmail.com

Argumentaire

En quelques décennies, le vocable de la « transition énergétique » s'est imposé dans les discours et projets politiques, les milieux économiques et associatifs, les médias, ainsi que dans les travaux scientifiques. La géographie de l'énergie est en grande partie devenue une géographie de la transition énergétique, qui peut être entendue comme le passage d’un système reposant sur des énergies de stock très centralisées à un système reposant sur des énergies de flux décentralisées. Comment se transforme la géographie politique des énergies face à l'injonction, à la fois sociale, politique, économique et intellectuelle de transition énergétique ? Et, dans le même temps, qu'est-ce que la généralisation de l'usage du concept de transition énergétique fait à ce champ de recherche ?

La transition énergétique, une injonction forte qui reste polysémique

Actuellement, l'étiquette de « transition » est systématiquement apposée aux réflexions, projets et préconisations dans le domaine de l'énergie. Le cas du ministère de la Transition énergétique de la République française en est un exemple : si en 2012, le terme « énergie » apparaît dans le nom du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie ; en 2017, le terme de « transition » s'impose (ministère de la Transition écologique et solidaire) ; et il se maintient en 2022 lorsque le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires se décompose en un ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et un ministère de la Transition énergétique. 

Si cette expression de « transition énergétique » s'impose largement, son contenu, en revanche, apparaît très variable selon les acteurs et les contextes. Les mises en politique de la transition mettent en évidence de nombreuses contradictions, et l'« usage politique de la notion de transition apparaît donc comme profondément ambivalent, puisqu’il s’agit autant d’exprimer une volonté de changement que d’en assurer un contrôle » (Aykut, Evrard, 2017). En 2021, les débats au sein de l’Union européenne sur la taxonomie verte et les sources d’énergie auxquelles elle correspond ont illustré les divergences de points de vue pouvant exister sur cette transition, tournée vers les énergies renouvelables pour les uns et vers des énergies décarbonées pour d'autres. La polysémie de la notion permet à une diversité d'acteurs de s'en saisir, malgré des intérêts et des projets politiques parfois divergents.

Des transformations scalaires et territoriales, à l'origine de nouvelles dynamiques de pouvoir

Dans ce contexte d'injonction à la transition énergétique, de nouveaux objets, acteurs et représentations émergent. D'abord, au-delà des désormais classiques énergies photovoltaïques, éoliennes terrestres, hydroélectriques ou nucléaires, d'autres technologies se renforcent ou émergent, telles que la biomasse, l'éolien en mer, la géothermie, le biogaz, voire l'hydrogène natif. Chacune a sa forme de déploiement dans l'espace et constitue un dispositif socio-technique spécifique. En outre, la valorisation de ces sources d'énergie mobilise les acteurs traditionnels de l'énergie (État, collectivités territoriales, opérateurs privés...), tout en les impliquant dans de nouveaux systèmes d'acteurs plus vastes, dans lesquels on trouve des réseaux de collectivités, des syndicats professionnels, des gestionnaires de réseaux, ainsi que des associations d'usagers ou de bénéficiaires. Ce faisant, les flux et les circulations se recomposent également : la transition énergétique, telle qu'elle se dessine aujourd'hui, ne fait pas disparaître les flux mondialisés, mais en induit d'autres et fait émerger des flux à plus grande échelle.

La question des échelles est primordiale dans l’étude de l’énergie par les géographes du politique. Si la transition énergétique met, pour certains acteurs, l'échelle locale (voire micro-locale) sur le devant de la scène, il ne s'agit pas seulement de réfléchir à de nouvelles échelles, ou au retour de l’importance de certaines d'entre elles, mais il est nécessaire de penser ces échelles de façon concomitante et d'analyser leurs articulations.

Les réagencements dans les systèmes d'acteurs et échelles d'action ont des traductions spatiales. De nouvelles formes de distinctions entre territoires s'opèrent, de nouveaux critères définissent les rôles de certains territoires. En France, la loi « Accélération de la Production d’Énergies Renouvelables » publiée le 10 mars 2023 confère par exemple un rôle accru aux collectivités territoriales, qui doivent identifier des « Zones d'accélération des énergies renouvelables », définies comme des territoires où elles souhaitent voir des projets d’énergies renouvelables s’implanter en priorité. 

Transition et sécurité énergétiques

Les regards et les approches de la transition sont aujourd’hui affectés par le contexte de crise de l'énergie liée à la guerre en Ukraine, qui a engendré une réaffirmation des grands impératifs de la sécurité des approvisionnements énergiques, au détriment des préoccupations climatiques et environnementales classiquement associées à la volonté de transition énergétique. Si la question de la conciliation de ces aspects n'est pas nouvelle, elle prend une acuité particulière. La transition énergétique contribue-t-elle à renforcer la sécurité énergétique ; engendre-t-elle un déplacement les vulnérabilités énergétiques et en crée-t-elle de nouvelles, ou induit-elle une aggravation de l'insécurité énergétique ? Il s'agit aussi de tenir compte des temporalités. Comment répondre aux besoins à court terme tout en anticipant les enjeux de moyens et longs termes ? 

Les propositions d'articles pour ce numéro pourront s'inscrire dans l'un des trois axes identifiés pour orienter la réflexion, ou à l'articulation de ceux-ci.

1. Axe thématique - Pouvoir et rapports de pouvoir

Ce numéro vise à aborder les enjeux énergétiques au prisme de la géographie politique et accorde donc une importance particulière aux questions du pouvoir et de leur spatialisation. 

La transition énergétique réorganisatrice des rapports de force ?

Les politiques de transition énergétique induisent une réflexion sur la transformation des rapports entre acteurs. Comment les influences s’exercent-elles ? Quels sont les processus de prise de décision ? Voit-on émerger de nouvelles structures de gouvernance et de nouveaux acteurs ou s’agit-il de s’appuyer sur les structures institutionnelles et actorielles existantes ? Comment les États, tout comme les grandes entreprises énergétiques, font-ils émerger, accompagnent-ils, détournent-ils ou freinent-ils ces politiques de transition ? Il s’agit de réfléchir également à la place d’acteurs plus discrets (collectivités, associations, experts, petites entreprises, particuliers…), ainsi qu’aux modalités d’interaction entre les acteurs (coopération, conflit, négociation…). S’il existe des formes de militantisme ou d’activisme liées à l’énergie, elles restent relativement faibles par rapport à celles touchant aux enjeux environnementaux et climatiques, et constituent des objets de recherche peu étudiés.

Les changements dans le domaine énergétique s’inscrivent dans les champs technologique, économique, social et institutionnel. Certains travaux (Becker, Naumann, 2017) appellent ainsi à repenser les liens entre pouvoir et énergie et à réorganiser le système énergétique pour qu’il soit davantage transparent, équitable et participatif. Cela peut représenter un défi en raison de la confidentialité de certaines informations énergétiques et du caractère technique du sujet. Dans ce contexte, qui détient l’accès aux données et qui les régule ? Quelle géographie politique ces enjeux techniques et éthiques façonnent-ils ?

Imaginaires énergétiques et émotions au cœur de stratégies politiques

Si les énergies se manifestent matériellement dans l’espace, elles s’appuient sur, véhiculent et construisent également des imaginaires. Ceux-ci peuvent faire l’objet d’un discours et d’une idéologie nationale autour de l’énergie, ce qui a notamment été développé dans les travaux de Gabrielle Hecht (Hecht, 2014) sur le « nuclear state » et dans ceux de Timothy Mitchell (Mitchell, 2011) sur la « carbon democracy ». En Russie s’est par exemple construit un discours autour de l'idée de puissance énergétique et les hydrocarbures y sont décrits comme faisant partie de l’identité nationale. Le gaz naturel est présenté comme une source d’énergie tirée du sous-sol russe dans des conditions extrêmes et grâce à des prouesses technologiques, puis transportée jusqu’à la population pour assurer son bien-être quotidien (Tynkkynen, 2019). Un discours nationaliste fondé sur le pétrole, puis sur la transition énergétique a également émergé en Écosse (Roche, 2019). Ainsi, la transition énergétique ne se cantonne pas au registre des choix politiques et économiques, elle participe aussi à des imaginaires portés, repris ou contestés par les acteurs. Ces imaginaires et représentations donnent lieu à des récits et à des réactions qui peuvent être contradictoires, entre attachement au modèle énergétique existant et inquiétudes quant à la santé, l’environnement et l’avenir, suscitant des émotions complexes (Kangasluoma, 2021).

Précarité et justice énergétiques

D’un point de vue géographique, les différences d’accès aux énergies et les disparités et inégalités spatiales sont une autre dimension des recherches (Bouzarovski, Simcock, 2017). Ce numéro s’intéresse aux approches géographiques de la précarité énergétique ainsi qu’à celles de la justice énergétique, présente dans les travaux anglophones et de juristes, mais relativement peu dans les travaux francophones de géographes du politique. Or, les réflexions sur la justice énergétique ouvrent des perspectives pour comprendre l'articulation entre pauvreté énergétique individuelle, inégalités structurelles et fonctionnement des systèmes énergétiques globaux ; elles posent la question de l’articulation entre les acteurs, les territoires et les échelles, ainsi que celle du rôle des décisions et mesures politiques. Dans le contexte où les débats sur la reconnaissance et la définition d’un droit à l’énergie se déploient, il s’agit de penser la répartition des avantages et des inconvénients des services énergétiques.  Quels sont les populations et les territoires qui bénéficient des systèmes et des politiques énergétiques ? Quels sont ceux qui subissent les externalités négatives ? Quelles sont les zones de sacrifice ? Les politiques et logiques de transition énergétique atténuent-elles, renforcent-elles ou déplacent-elles les inégalités ? Il s’agit également de s’interroger sur le caractère représentatif et inclusif du processus de prise de décisions et de s’intéresser à la reconnaissance des situations de marginalité et d’inégalité.

2. Axe méthodologique - Aborder la géographie des énergies dans le contexte de la transition énergétique

Un concept devenu obsolète pour les chercheurs ?

Dans un contexte où elle apparaît très politisée, la notion de « transition énergétique » est remise en cause et considérée par certains auteurs (Beltran, Carré, 2016 ; Fressoz, 2024) comme un « mythe pacificateur », une façon moins anxiogène de parler de crise énergétique. Alors que la transition énergétique est devenue un lieu commun du langage politique et médiatique, serait-elle devenue obsolète (Nadaï, Wallenborn, 2019) en tant que notion scientifique ? Dès lors, quels autres concepts et outils conceptuels peuvent-ils nous permettre d'aborder les transformations en cours ? 

Maintenant que les termes de « transition énergétique » et de « territorialisation des politiques énergiques » ont aussi été adoptés et pris en charge par les acteurs politiques, quels outils avons-nous en tant que géographes pour étudier nos propres concepts qui ont été appropriés par les acteurs politiques ?

Défi méthodologique : l'accès aux données et la production de matériaux

A une époque où les données se diversifient et se massifient, les travaux de géographie politique ont la possibilité de s'appuyer sur ce nouveau matériau pour conduire des analyses fines, mêlant approches qualitatives et quantitatives. Dans le même temps, ces données peuvent toutefois faire l’objet d’un contrôle croissant et être difficiles à obtenir, en raison de leur caractère confidentiel et stratégique. Concrètement, cela peut par exemple induire une dépendance à des données produites par des compagnies énergétiques, ainsi qu'aux politiques d'ouverture des données de ces acteurs puissants. En outre, les enquêtes menées auprès d’autres types d’acteurs (comme les ménages) peuvent se heurter à des barrières déontologiques et éthiques pour l’obtention des données à caractère personnel. Le prisme de l'énergie peut alors être relégué au second plan, par rapport à celui du niveau de vie de façon plus large, du confort... Face à ces défis, quelles méthodologies les géographes du politique peuvent-ils mettre en place ?

3. Axe réflexif – Quelle place pour les chercheurs en géographie des énergies dans le paysage politique ?

Une recherche orientée par des objectifs politiques

Le terme « transition » s’impose aujourd'hui dans tous les domaines, y compris dans celui du financement de la recherche, où l’obtention de subventions dépend des orientations en la matière. Ce numéro appelle à une vision critique sur la posture des géographes du politique qui mènent des recherches sur le domaine de l’énergie. Quel rôle politique peuvent-ils jouer ? Quel est leur rôle dans cette géopolitique des énergies ?

Cette réflexion sur le rôle des géographes ouvre sur les spécificités des approches géographiques de l’énergie. Alors que de nombreux travaux se réclament de la géopolitique des énergies, il apparaît nécessaire d’opérer un recentrage disciplinaire pour cerner et discuter de l’apport de la géographie politique, d’autant que celle-ci se nourrit de plus en plus du lien avec d'autres disciplines (droit, sciences politiques, économie, sociologie, anthropologie...).

De la recherche à l'expertise, voire l'action : quelle place pour la géographie politique et les approches critiques ?

A l’heure où il est demandé aux chercheurs à la fois d'être neutres, objectifs et impartiaux, d'être des facilitateurs territoriaux de l’acceptabilité des projets énergétiques, d'être des vulgarisateurs engagés, d'être à la fois conseillers du prince et militants critiques (Opillard, Sardier, 2023), comment se positionner ?

De plus en plus de géographes du politique travaillant sur les énergies sont sollicités par des acteurs - aussi bien par des directions ministérielles que par des opérateurs privés, des think tanks ou des acteurs de la société civile - ou exercent des fonctions de recherche hors du monde académique, ce qui soulève la question de l'apport de notre discipline aux processus en cours, mais également les enjeux éthiques associés. Comment mener une recherche critique dans un cadre opérationnel ? Comment concilier le temps long de la recherche aux rythmes soutenus de l'action politique ? Les propositions d’articles provenant de chercheurs travaillant hors du monde académique sont les bienvenues pour nourrir cette réflexion.

Calendrier de l’appel

• D’ici le vendredi 20 décembre 2024 inclus : envoi des résumés aux 3 coordinatrices du numéro (sophie.Hou@univ-paris1.fr, angelique.palle@sciencespo.fr, audrey.serandour@protonmail.com)

• Lundi 6 janvier 2025 : retour aux auteur·ices

• Vendredi 28 mars 2025 (inclus) : envoi des articles