- 1 La Stratégie de Lisbonne 2000 s’est enrichie d’un volet environnemental en 2001 (Stratégie de Göteb (...)
- 2 Ces priorités se réfèrent aux cinq objectifs stratégiques définis par la Commission européenne pour (...)
1Depuis sa création, en 1989, la politique de cohésion a été un vecteur du rapprochement entre l’Union européenne (UE) et les espaces infranationaux. Cette politique vise à combler les écarts de richesses et de développement entre régions. Elle a notamment contribué aux financements d’infrastructures de transport et d’équipements publics. Au début des années 2000, la nécessité de répondre aux objectifs de la stratégie de Lisbonne1 qui est de faire de l’UE : « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » conduit la Commission européenne à resserrer les moyens d’intervention de la politique de cohésion autour de quelques priorités. Pour la période de programmation actuelle (2021-2027), il s’agit des priorités suivantes : l’innovation, la transition écologique, la mobilité2, l’inclusion sociale et la citoyenneté.
- 3 Une politique procédurale ou constitutive est une politique qui édicte des règles et des procédures (...)
2La politique de cohésion, comme toutes les politiques procédurales3 (Hassenteufel, 2011), dispose d’un cadre institutionnel qui est revu à l’occasion de débats budgétaires et de procédures qui lui sont propres, et que l’Union européenne se charge de faire appliquer par les États membres.
Cette politique s’intègre aux caractéristiques des systèmes politico-administratifs des États membres dont elle épouse les mécanismes et les évolutions. Le passage d’une production étatique, verticale, à une construction collective impliquant plusieurs catégories d’acteurs qui interroge les notions d’échelle, de gouvernance pluri-scalaire ou d’échanges négociés (Nay et Smith, 2002) a renforcé cette dynamique. Elle place l’ensemble des parties impliquées dans un système d’interdépendance et d’obligations conjointes dont elles ne peuvent se départir pour assurer le succès de l’action publique (Gaudin, 1999 ; Poupeau, 2017).
3Du reste, l’UE n’intervient pas dans un environnement neutre, et c’est bien souvent le contexte territorial qui va déterminer la façon dont les règles, procédures et politiques vont être incorporées par les État membres (Crescenzi, Di Cataldo, & Rodríguez-Pose,2016 ; Mendez et al. 2021 ; Fratesi et Perucca, 2022).
- 4 Claudio Radaelli (2004) définit l’Européanisation comme suit : « Les processus de construction, de (...)
Cette intégration dans les espaces nationaux, qualifiée d’européanisation (Radaelli, 2006)4 peut engendrer des résistances ou des formes d’adaptation allant de la simple réception à une reformulation des enjeux conduisant à une appropriation de l’instrumentation déployée par l’Union européenne (Green-Cowles, Caporaso, Risse, 2000 ; Marshall, 2004).
4Selon certains observateurs, le tournant impulsé par celle-ci doit permettre d’adapter les politiques de développement traditionnelles aux mutations spatiales induites par la mondialisation mais aussi aux caractéristiques des lieux (Place-based) dans lesquelles elles interviennent (Barca, Mac Cann, Rodriguez Pose, 2012 ; Evrard, 2017 ; Bourdin et Barrot ; 2023).
5Dans ses priorités d’intervention, la politique de cohésion, va donc privilégier les facteurs qui participeront à la croissance et au développement de l’ensemble des régions (CE, 2009). Dès lors, ces nouvelles priorités seraient de nature à remettre en question le caractère redistributif de cette politique destinée à atténuer les écarts de richesses, vers une orientation plus favorable à la compétitivité et à la concurrence territoriale, (Brenner, 2004, Mancha-Navarro, Garrido-Yserte, 2008 ; Avdikos, Chardas, 2016, Pinson, 2020).
6Face à ce tournant paradigmatique de l’intervention de l’Union européenne, comment les organisations chargées de la mise en œuvre de la politique européenne de cohésion vont-elles s’adapter et se mobiliser face à ces contraintes ? Notre article souhaite contribuer à l’analyse des effets de cette politique dans la gouvernance territoriale et plus directement sur la recomposition des rapports entre collectivités qu’elle entraîne entre les différentes échelles de l’organisation territoriale. Nous posons l’hypothèse que cette intervention de l’UE génère non seulement des ressources financières, mais aussi un capital valorisable dans les dynamiques concurrentielles et territoriales à l’œuvre dans la conduite de l’action publique.
- 5 Nous retiendrons ce terme afin de réunir sous un seul vocable la diversité des qualificatifs employ (...)
7Pour illustrer les modalités de réception et d’appropriation de la politique européenne de cohésion, nous nous sommes appuyés sur un aspect de la programmation consacré au déploiement de stratégies portées par des autorités urbaines5, plus couramment appelé « volet urbain » ou « dimension urbaine de la politique de cohésion ». Le volet urbain s’appuie sur une instrumentation propre. Celle-ci est déterminée par les autorités chargées de la gestion des fonds et peut être déléguée aux autorités urbaines. En France, le volet urbain a été transféré de l’État aux conseil régionaux à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014. Ces derniers peuvent en déléguer la gestion et le suivi à des intercommunalités qui ont été désignées ou sélectionnées à cet effet. Ces modalités d’intervention se réfèrent à ce que Renaud Epstein décrit comme le gouvernement à distance qui, sans remettre en cause le choix de l’action publique, semble jouer sur les paramètres d’utilisation des fonds pour mieux influencer leur action (Epstein, 2005).
- 6 Il est ici question de la loi no 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique t (...)
8L’exemple de l’Île-de-France permet de saisir l’intervention d’une politique d’aménagement dans contexte d’importantes réformes6 de l’organisation du territoire régional. Celles-ci ont notamment statué sur la création de la Métropole du Grand Paris et participé à redessiner les contours des intercommunalités au sein d’une région ou le rôle de l’État est déterminant pour appréhender l’organisation territoriale et les relations teintées de conflictualités entre les différentes strates (Estèbe et le Galès, 2003, Subra, 2009 ; Prat, 2012).
9La mise en perspective proposée est celle de l’analyse des jeux d’échelles dans la gouvernance territoriale. Selon Bon Jessop (1997), la gouvernance rend compte d’un système d’interdépendance fondé à la fois sur le respect des règles mais aussi de la capacité des parties engagées à s’accorder sur les modalités d’intervention. La coopération est dès lors rendue nécessaire pour répondre à la satisfaction des intérêts et participer à la réussite du programme.
10La temporalité étudiée est celle du lancement de la programmation 2014-2020. Notre méthodologie repose sur une série d’observations et plusieurs entretiens conduits avec les acteurs de l’intervention des fonds européens au niveau local et régional. En parallèle, nous avons complété notre démarche en puisant dans différentes sources officielles auxquelles nous avons eu accès en participant à ces réunions (voir encadré).
- 7 Actuellement, l’agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Cadrage méthodologique
Cet article est tiré des résultats d’une thèse de doctorat soutenue en 2019. Cette étude a été réalisée, en partie, dans le cadre d’une expérience professionnelle au sein d’une collectivité territoriale (2013-2015) en tant que chargé de mission Europe.
Au titre des fonctions que nous avons occupées, nous avons contribué directement à l’élaboration d’une candidature au volet urbain de la politique de cohésion. Cette expérience nous a permis, dans le cadre d’un terrain exploratoire, de confronter les effets du processus d’européanisation sur les structures avec les pratiques d’acteur.
À cette occasion, nous avons bénéficié d’un accès à certaines arènes du processus décisionnel lié à la politique de cohésion en Île-de-France en début de programmation. Nous avons profité de cette opportunité pour réaliser des observations directes.
Nous avons observé une vingtaine de réunions auxquelles nous avons été conviés (ateliers de présentation du programme opérationnel régional, séminaires de lancement, comités de suivi…) ou que nous avions parfois, nous-même, organisées (Juillet 2013 à Mai 2015). Cette situation se double de la tenue de discussions informelles que nous avons pu tenir avec des participants en amont ou à l’issue des rencontres.
Afin de compléter les observations, nous avons réalisé 34 entretiens semi-directifs en Île-de-France répartis de la façon suivante : 11 auprès des personnels dédiés à la gestion des fonds européens dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et collectivités territoriales, 10 auprès de l’autorité de gestion régionale, 7 auprès des bénéficiaires, 6 auprès d’autres acteurs impliqués au niveau national sur la conception du volet urbain.
Ces entretiens ont été menés dans une perspective informative a défaut d’avoir pu accéder à certaines sources. Nous en avons également fait usage afin de faire parler les acteurs de leurs activités quotidiennes et leurs relations avec l’ensemble des institutions impliquées dans la mise en œuvre de la dimension urbaine de la politique de cohésion et des enjeux de leur territoire.
Les grilles d’entretien ont été réalisées et adaptées en tenant compte de la position occupée par chaque acteur dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre du volet urbain de la politique de cohésion. Du côté des autorités de gestion, par exemple, nous nous sommes intéressés aux conditions de sélection des territoires et aux effets du transfert de la gestion des fonds sur la mise en œuvre du programme opérationnel régional. Du côté des autorités locales, les thèmes abordés concernaient la stratégie de développement local, les représentations liées à la métropole, les recours aux fonds européens, la mise en place d’une coordination locale, le choix des projets Du côté des porteurs de projet, nous nous sommes penchés sur la nécessité du recours aux fonds européens et leur avis concernant la plus-value européenne de leur projet. Nous avons également questionné ces acteurs sur leur vision de la métropole et le recours aux financements européens.
La durée de ces entretiens avoisinait une heure. Nous avons écouté, pris des notes et isolé certains propos. Nous avons élaboré un tableau qui reprend tous les domaines de l’entretien. Nous avons ensuite inséré les données par thématiques, par types d’acteurs et enfin nous avons réalisé une analyse globale en croisant les éléments récoltés afin de rendre compte du système d’acteurs et la façon dont leurs actions participent ou non à européaniser le territoire. La mise en œuvre de la dimension urbaine de la politique de cohésion est le produit d’un petit groupe d’acteurs. Nous nous sommes référés aux configurations d’acteurs telles que nous les avons observées lors des réunions pour en extraire des catégories.
Nous avons également mobilisé des sources spécifiques, tels que les appels à projets conçus par les autorités de gestion à destination des collectivités territoriales dans le cadre de l’axe urbain (2007-2013) et des investissements territoriaux intégrés (2014-2020). Pour 2014-2020, nous avons également eu accès aux tableaux produits par l’autorité de gestion ainsi qu’aux résultats commentés et aux motivations qui ont appuyé la décision de sélection de certains territoires. Nous avons également eu accès à quelques candidatures issues de collectivités territoriales franciliennes. Celles-ci incluent une stratégie de territoire en lien avec les objectifs de la politique de cohésion et les opérations susceptibles d’être financées.
Les dernières sources relatives à la politique de cohésion sont les rapports d’évaluation, ex ante, ex post mais aussi les rapports d’études menées spécifiquement sur l’axe urbain par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région Île-de-France.
Des études plus générales portant sur les ITI ou la politique de cohésion, menées par l’European Policies Research Centre de l’Université Strathclyde à Glasgow, et commanditées par la Commission européenne, viennent compléter ce corpus de littérature grise.
Enfin, il convient d’y ajouter la documentation produite par l’autorité nationale du programme, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET7) et de l’ex-Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). Ces documents se présentent sous forme de rapports ou de fiches techniques et que nous avons abondamment utilisés tant ils permettent de contextualiser les cas étudiés.
La plupart des documents que nous avons consultés sont disponibles en ligne. Certains nous ont été transmis par les enquêtés eux-mêmes. Nous avons également pu les obtenir directement au cours de réunions auxquelles nous avons participé dans la facette professionnelle de notre activité. De même, en tant que membre de différents groupes de travail, nous avons bénéficié de diverses ressources déposées sur des plateformes dématérialisées. Ces outils regroupent, en outre, différentes versions des documents de travail au cours de leur élaboration.
11Dans une perspective historique, nous reviendrons d’abord sur la façon dont la question urbaine est progressivement devenue un espace d’intervention négocié entre l’UE et les États membres en réponse aux objectifs de la politique de cohésion.
Puis, à l’aune du cas francilien, il s’agira de montrer comment l’intervention de l’Union européenne croise les enjeux territoriaux.
Enfin, dans une dernière partie, nous poserons la question des conditions de l’intervention de l’Union européenne en montrant ses effets en termes de mobilisation et de recomposition des relations entre les échelles de gouvernance impliquées.
12La mise à l’agenda des questions urbaines par l’Union européenne résulte d’une volonté de rapprochement mutuel entre les institutions européennes, Commission européenne et Parlement européen, en tête, et les autorités infranationales. La politique de cohésion n’étant que le moyen par lequel ce rapprochement est rendue possible. Sa déclinaison au sein des espaces nationaux dépend à la fois de l’existence préalable de politiques urbaines au niveau national et d’une organisation territoriale en capacité de pouvoir porter et conduire une stratégie répondant aux attentes de l’Union européenne (Pasquier, Pinson, 2004).
13C’est d’abord dans un souci d’accroître leur légitimité auprès des autorités infranationales, et profitant d’un mouvement général de décentralisation et d’internationalisation du mouvement urbain, que la Commission européenne et le Parlement européen se sont engagées, dès les années 1970, en faveur de la reconnaissance des autorités urbaines. Malgré l’absence de compétence, les institutions européennes développent un intérêt croissant vis-à-vis des questions urbaines jusqu’à tendre vers un rapprochement direct avec les autorités locales.
- 8 Ces rencontres débouchent, entre autres, sur l’organisation de plusieurs conférences comme celle su (...)
14Au cours des années 1970 et jusqu’au début des années 1980, les relations entre la Commission et les villes se sont progressivement accrues. Au milieu des années 1970, la Commission s’est d’abord dotée d’un comité consultatif des institutions locales et régionales. Elle a également multiplié les rencontres directes et les conférences avec les autorités locales8. Pour la Commission, ces événements ont facilité les rencontres avec les principaux acteurs concernés. Ils ont également participé au renforcement d’une expertise communautaire sur les questions urbaines en l’absence de moyens dédiés (Grazi, 2006a).
15De son côté, le Parlement européen s’est également investi en faveur de la reconnaissance des autorités urbaines. Ces rapports se formalisent dans le cadre de l’intergroupe des élus locaux et régionaux. Cet intergroupe consulte directement les villes sur les problèmes urbains en organisant parfois des sessions ouvertes et des audits publics auxquels participent les maires. À l’issue de ces sessions, le Parlement est invité à approuver des recommandations émises par l’intergroupe, qui sont ensuite transmises à la Commission et au Conseil sur des sujets divers, relatifs aux préoccupations des villes, tels que le chômage ou la qualité de vie (Grazi, 2006b et 2013).
16Ainsi, à défaut de détenir une compétence sur les questions urbaines, les institutions européennes se sont dotées de pouvoirs consultatifs qui leur ont permis de nouer des relations directes avec les autorités locales et d’ancrer le traitement de ces questions au niveau communautaire dans une perspective partenariale. La création, en 1994, du Comité des régions, à la suite de la ratification du traité de Maastricht en 1992, institutionnalise ce dialogue.
17L’adoption de l’Acte Unique en 1986 amorce un tournant dans la prise en compte des territoires et de leurs disparités dans les politiques de la future Union européenne. La cohésion économique, sociale et territoriale est inscrite dans les traités. La politique régionale est créée en 1989 dans l’optique de réduire les disparités infrarégionales. Elle cible les villes localisées dans les régions en retard de développement ou confrontées à la désindustrialisation.
18Le traitement des questions urbaines ne se pose pas uniquement du point de vue de la légitimité des institutions européennes. Il s’agit également de faciliter la reconnaissance des autorités urbaines en tant qu’acteur de la construction européenne. Les mouvements de décentralisation en cours dans certains pays, dont la France, participent à l’affirmation des villes et à la constitution de nouvelles formes de pouvoir urbain qui garantissent l’acquisition de leur autonomie (Tilly, Blockmans, 1994 ; Brenner, 2004 ; Le Galès, 2003). Ce mouvement d’autonomisation favorise surtout les plus grandes villes qui se mobiliseront plus aisément au niveau européen (Jensen-Butler, 1999) à côté des régions disposant de représentations.
- 9 Les rapports Cheshire (1989) et Parkinson (1992) sont, à ce titre, les documents les plus significa (...)
19Des réseaux se sont également constitués autour de villes partageant les mêmes problématiques, telles les inégalités économiques et sociales, notamment révélées par les émeutes urbaines au milieu des années 1980 (Mboumoua, 2007). De tels mouvements ont rapidement trouvé un écho auprès des institutions européennes qui s’en sont saisis pour produire un discours sur l’importance des villes9 au titre de la réalisation des objectifs fixés par les traités.
20Entre 1989 et 1993, le budget de la politique régionale a presque doublé. Davantage autonome sur les orientations données à cette politique et profitant du doublement du budget de la politique régionale, la Commission européenne s’autorise à intervenir sur les questions urbaines. Les États ne sont pas frontalement opposés à des mesures spécifiques visant les villes. En revanche, les pays bénéficiaires nets de la politique régionale contestent la légitimité de l’UE à intervenir sur le développement urbain, car ils craignent une réallocation des fonds structurels au bénéfice d’une concentration territoriale sur les espaces urbains en difficultés des États membres économiquement les plus riches. En proposant une telle initiative, la Commission s’emploie à jeter les bases des modalités d’intervention qui serviront plus tard à qualifier l’action européenne dans les villes, même si à cet instant, les États membres « répugnent encore à faire converger leurs politiques » (Drevet, 2008, p.54).
- 10 Le principe de subsidiarité est défini dans l’article 5, paragraphe 3, du traité sur l’Union europé (...)
21L’absence de compétence formelle en matière de développement urbain permet néanmoins à la commission de mettre en place une politique, dès l’instant que celle-ci ne contrevient pas au principe de subsidiarité10 (Aucordier, 2002). C’est d’ailleurs de cette façon qu’elle justifie son intervention sur les territoires urbains, en faisant valoir que tous les états membres ne disposent pas de politiques spécifiques.
22L’action de la Commission européenne tient en premier lieu du registre matériel. Dès le début des années 90, l’institution alloue des aides directes aux autorités urbaines pour financer des opérations classiques de développement urbain. Pour justifier le bien-fondé de son intervention, la Commission européenne promeut la mise en œuvre de stratégies urbaines intégrées. Autrement dit, il s’agit pour l’Union européenne d’accompagner le déploiement d’interventions portant sur le développement économique, l’amélioration du cadre de vie, l’accès à l’emploi et la lutte contre la pauvreté à l’échelle de la ville ou d’un quartier, autour d’une diversité d’acteurs locaux et de manière à faciliter la participation des habitants.
23La démarche initiée par la Commission européenne avec les programmes pilotes urbains, puis le programme URBAN, s’inscrit dans le prolongement des opérations urbaines intégrées menées à Belfast et Naples au milieu des années 1980 (Manceau, 2014). Ces programmes déployés au début des années 90 s’inspirent des politiques urbaines françaises et britanniques. Leur temporalité d’exécution rencontre le cadre pluriannuel de la politique régionale. Ils ne s’adressent qu’à quelques territoires sélectionnés au sein de chacun des États membres (Mboumoua, 2007).
24Parfois accusée d’imposer un modèle politique et gouvernemental uniforme à toutes les villes européennes, voire d’amplifier le contraste centre-périphérie (Hadjimichalis 1994 ; Chorianopoulos 2002), l’initiative URBAN a été unanimement considérée par les autorités urbaines comme un moyen de se départir de la verticalité des approches traditionnelles de l’action publique locale. Elle aurait permis de décloisonner l’action publique par l’instauration d’une gouvernance partenariale au niveau local impliquant non seulement les autorités politiques, mais aussi une diversité d’acteurs issus du monde associatif autour d’un projet de territoire (Pasquier et Pinson, 2004).
25Les expérimentations ne survivent pas aux évolutions de la politique de cohésion et au passage du paradigme aménagiste (Santamaria, 2020) à celui d’une intervention sectorielle, vouée à soutenir la stratégie de Lisbonne. En 2007, ces programmes sont dilués dans le cadre général d’intervention. Un volet urbain est intégré dans le règlement d’intervention des fonds, mais laissé à la liberté des États quant aux choix des conditions de mise en œuvre. La fixation d’un seuil plancher d’intervention de 5 % en 2014, puis de 8 % en 2021, pour chaque État membre, rend impératif l’insertion du volet urbain dans les documents de cadrage de chacune des programmations régionales. À cet effet, la Commission développe une nouvelle instrumentation inspirée des programmes antérieurs et reposant toujours sur le principe du développement urbain intégré. Ces instruments sont nommés Investissement territorial intégré (ITI) ou Développement local par les acteurs (DLAL) (Tab.1). Au sein des États, les autorités de gestion du programme peuvent décider de ne pas y recourir. Dans le cas contraire, le choix de l’instrument s’effectue en fonction du degré d’autonomie qui a été consenti aux autorités urbaines dans la déclinaison de leur programme de projets.
Tableau 1 : Caractéristiques des instruments du développement urbain intégré
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Différences
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Investissement territorial intégré (ITI)
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Développement local mené par les acteurs locaux (DLAL)
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Logique territoriale Un plan d’action Une série de projets Dimension partenariale Nouveauté Approche mono/pluri-fonds Complexité des outils Réticence d’utilisation de la part des autorités de gestion Parfois davantage abondés financièrement que les programmes sectoriels
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Autonome Démarche descendante (top-down) Dimension intégrée Menée par les autorités publiques Peut mobiliser plusieurs objectifs thématiques Résultats portant sur l’ensemble des thèmes et des priorités choisies dans le programme Instrument bien doté financièrement avec des différences régionales L’ITI doit normalement couvrir une ville L’ITI concernent davantage les villes, voire les échelons supérieurs
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Peut-être intégré à un ITI Démarche ascendante (bottom-up) Pas exclusive Se construit en mode « partenariat intersectoriel » Élaboré autour d’un objectif thématique - Résultats liés à une thématique du programme - Instrument moins bien doté car focalisé sur un groupement d’action local Dans une agglomération, il peut exister plusieurs DLAL En ville, le DLAL peut s’adresser à des quartiers
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Réalisation Brice Lamenie d’après Peter Ramsden (URBACT)
26En second lieu, la Commission européenne a mis en place des programmes interurbains de coopération (URBACT) destinés à faciliter l’établissement de partenariats entre collectivités confrontées à des problématiques communes. Leurs financements sont mobilisés pour l’organisation de rencontres, le recours à des experts, ainsi qu’en faveur de l’élaboration d’une stratégie et d’un plan d’actions (Mboumoua, 2016).
- 11 Lors de la seconde phase d’URBAN, la Commission avait prévu initialement de retenir 55 villes. C’es (...)
27Face à l’augmentation du nombre de ville participantes à ces expérimentations11, les États membres se sont accordés sur un format de coopération et d’échange. Les rencontres qui se sont succédées depuis le forum de Vienne en 1998 ont contribué à porter un discours sur le rôle et l’importance des villes en faveur de la réalisation des objectifs fixés par les traités en matière de cohésion économique, sociale et territoriale, puis dans la perspective de la réussite des stratégies élaborées à partir des années 2000. En 2016, un agenda urbain pour l’Union européenne est adopté portant nouvel élan en faveur de la reconnaissance des villes en tant qu’acteur de la construction européenne, introduisant par ailleurs un programme de travail sur douze thèmes (mobilité, transition écologique, lutte contre la pauvreté, logement…) destinés à associer l’ensemble des acteurs concernés, y compris les autorités locales. Ce pacte formalise la dimension urbaine en tant que compétence implicite partagée entre les États membres et l’UE au titre de la réalisation de l’objectif de cohésion territoriale (Gonzales-Medina & Fedeli, 2015).
28Interrogeons-nous sur la façon dont les États membres se sont saisis de ces dispositifs conçus par l’UE et les ont décliné à l’échelle des autorités urbaines. En effet, Le volet urbain est fortement dépendant de l’organisation et du régime d’autonomie conféré aux autorités infra étatiques. Mis à part le cas des États constitués en fédération, la gestion des fonds est contrôlée par l’État central, par l’intermédiaire de services déconcentrés selon une logique qualifiée de gate keeping (Bache, 1998, Tofaridès, 2003). En France, la perspective de perdre une partie des fonds communautaires a conduit l’État à redéfinir l’échelle d’intervention pertinente de la mise en œuvre de la politique de cohésion et à transférer, en 2014, à la suite de l’expérimentation menée en Alsace, la gestion d’une grande partie des fonds européens aux conseils régionaux (Lebrou, 2015).
- 12 En 2014, seule l’Eurométropole de Strasbourg détenait une délégation de gestion destinée à la mise (...)
29En parallèle, la création de l’échelon métropolitain a également été de nature à rendre compte d’un positionnement offensif face aux conseils régionaux qui venaient de recevoir de nouveaux moyens pour l’exercice de leurs compétences. Certaines métropoles ont d’ailleurs revendiqué de pouvoir obtenir une gestion déléguée des fonds européens au titre du volet urbain12.
- 13 Règlement (CE) n°1083/2006 du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fond (...)
30En 2006, l’introduction d’un volet urbain dans l’article 3 du règlement général d’intervention de la politique de cohésion13 a d’abord fait l’objet d’un intérêt nuancé. En l’absence d’obligation, les États membres se sont diversement saisis de cette possibilité.
- 14 Règlement (UE) n° 1301/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au Fond (...)
C’est à la suite de la fixation d’un seuil d’intervention de 5 %, dans le règlement Feder de 201314, que les États ont intégré un volet urbain dans leur programmation. L’application du règlement a montré une forte hétérogénéité des pratiques, qui est à relier aux différents contextes territoriaux.
- 15 La territorialisation du volet urbain peut également s’affranchir des limites administratives invit (...)
- 16 Par exemple, lors de la programmation 2014-2020, en Auvergne-Rhône-Alpes, la nouvelle Région n’a pa (...)
31Le choix des territoires éligibles est garanti par des modalités de sélection variables, de la simple désignation jusqu’à la procédure d’appel à projets. Cette procédure peut donner lieu à des arbitrages de manière à respecter les sensibilités politiques. Elle tâche aussi de s’accorder à l’organisation spatiale des États membres15. Par exemple, l’État français a décidé d’associer la mise en œuvre du volet urbain avec la politique de la ville, de manière à concentrer l’intervention sur les quartiers dits en difficultés, même si cette option ne présente pas un caractère exclusif, car elle dépend également des spécificités du tissu urbain dans chacune des régions16. Ainsi, la politique de cohésion européenne participe du jeu complexe de la décentralisation et par conséquent d’une approche circonstanciée au regard des caractéristiques propres au territoire d’intervention.
32Les dernières programmations sont caractérisées par un resserrement des thématiques autour d’une politique de l’offre et moins sur une intervention directement destinée à réduire les inégalités. Elles sont également associées à une procédure de sélection plus exigeante qui contraignent les porteurs à adopter des « mécanismes d’autodiscipline » (Breton, 2014) pour se conformer aux règles et ainsi maximiser leurs chances d’obtenir les financements européens.
- 17 Par exemple, en Allemagne, deux Länder appliquent l’ITI. Dans le cas du Bade-Wurtemberg (Stuttgart) (...)
En dépit des différences relatives à la nature des investissements, aucun scénario de recours aux instruments du volet urbain ne prévaut en fonction du niveau de richesse supposée du pays, ni même de son niveau d’urbanisation ou de la présence de grandes métropoles17.
- 18 Selon Nozek : « les pays d’Europe de l’Ouest tendent à se focaliser sur la lutte contre la pauvreté (...)
33Les États membres ont par ailleurs fait le choix de sélectionner des priorités d’intervention similaires pour la réalisation des stratégies urbaines (2014-2020). Selon l’étude réalisée par l’European Policy Research Center de l’Université de Strathclyde en 2017, c’est d’abord la réponse aux besoins locaux qui est privilégiée en lien avec l’amélioration du cadre de vie et de l’environnement urbain (Van der Zwet et al., 2017). Les mesures de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale arrivent ensuite, en particulier dans les pays de la partie occidentale de l’Union européenne18. En dépit de la dépendance manifeste de la politique de cohésion aux impératifs de la compétitivité, le volet urbain parvient à articuler ces deux objectifs en intervenant sur les aspect économiques et sociaux, mais aussi de façon plus significative actuellement en matière de transition écologique.
34L’intervention de la politique régionale, puis du volet urbain en Île-de-France est caractérisée par une intervention à la fois récente et centrée sur les quartiers en difficulté.
35L’intervention de la politique de cohésion en Île-de-France et sa généralisation à l’ensemble du territoire francilien est encore relativement récente. Comme les régions économiques les plus riches de l’UE, l’Île-de-France est d’abord restée en dehors du cadre général des politiques d’aménagement de l’UE ; l’État s’étant systématiquement opposé à l’intervention de la politique régionale dans ce territoire.
36Ce refus motivé par le poids de l’Île-de-France dans l’économie française n’a été que le point d’orgue d’une politique d’aménagement du territoire national qui a longtemps fait valoir la nécessité de redéployer les activités industrielles en province afin d’assurer un rééquilibrage vis-à-vis de la région parisienne (Alvergne, Taulelle, 2001 ; Baudelle, Jean, 2009).
37Derrière l’opposition exprimée par l’État, c’est la question de la répartition des fonds au sein de l’espace national qui est soulevée. En effet, l’État détient la responsabilité du choix des zones dites « Objectif 2 ». Celles-ci sont établies en fonction de trois critères cumulatifs déterminés par la Commission : taux de chômage élevé, fort taux d’emploi industriel, déclin de l’emploi industriel, y compris le seuil maximal de population éligible.
38Les élargissements de 1995 et la perspective d’adhésion des nouveaux pays en 2004 amènent la Commission à revoir ces seuils d’intervention, à l’origine fixés pour une durée de trois ans, au sein d’une période de programmation qui en compte sept. Face à cette diminution, les États membres doivent « maximiser les zonages parfois en contournant les zones plus peuplées » (Drevet, 2008, p.211), quitte à inclure préférentiellement des espaces non peuplés ou non urbanisés de façon permanente tels que les ports ou les cités universitaires.
39Le sujet de l’éligibilité de l’Ile-de-France réapparaît avec le classement de Londres en Objectif 2 lors de la programmation 1994-1999, conduisant les élus franciliens et, en particulier, ceux de Seine-Saint-Denis et du Conseil régional à revendiquer auprès de l’Etat un zonage objectif 2 alors que, jusqu’ici, les collectivités franciliennes en avaient été exclues. l’Etat, au départ réticent à l’idée d’ouvrir un nouveau périmètre d’intervention des fonds, avait d’abord accordé une possibilité d’une extension d’URBAN à d’autres communes, pour finalement se raviser en concédant aux élus franciliens la création d’un périmètre d’éligibilité aux portes de la capitale pour la période 2000-2006 (Rivière, 2011).
40La zone couverte par l’Objectif 2 comprenait alors 27 communes du nord de la zone dense de la métropole parisienne incluses dans un territoire contigu couvrant des zones de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et du Val-d’Oise, soit 4 % de la population régionale.
L’intervention de la politique régionale dans la zone dense de la métropole parisienne est revenue à supprimer le régime d’exception pesant sur l’Île-de-France. Au niveau européen, cette éligibilité s’intègre dans un mouvement plus général, qui à la suite de Londres, a permis à des métropoles d’ordinaire exclues du zonage de bénéficier des fonds structurels.
41Ce n’est finalement qu’en 2007, avec la suppression des zonages par objectif et la généralisation de la politique de cohésion à l’ensemble des régions européennes, que l’Île-de-France a obtenu une couverture totale de son territoire par les fonds structurels.
- 19 (+26 % entre 2000 et 2014), alors que la totalité des régions de France métropolitaine à l’exceptio (...)
Dans le même temps, cette région a bénéficié d’une augmentation progressive de sa dotation. À tel point qu’elle est devenue la région française qui, au cours des trois dernières programmations, a connu la hausse plus significative19. Ici, la répartition de l’enveloppe est plus favorable à la cohésion sociale qu’au renforcement des facteurs de la compétitivité. La part dédiée au Fonds social européen (FSE) y est supérieure à celle du Fonds européen pour le développement régional (FEDER), car l’effet de levier attendu de la politique de cohésion est moindre dans des régions qui sont déjà compétitives.
42Cette augmentation des crédits à l’échelle régionale a pareillement bénéficié au volet urbain dont la part dans la programmation régionale s’est accrue depuis la fin des zonages par objectif. En 2007, le volet urbain correspond à un axe entier du programme opérationnel. Il concentre près de 43 % des fonds FEDER attribué au niveau régional, soit 63,8 millions d’€. En 2014, la part réservée au volet urbain s’élève à environ 71 millions €.
- 20 Les territoires bénéficiaires ont été retenus sur la base d’un appel à projets ciblant les intercom (...)
43Au niveau national, l’Île-de-France est la région qui attribue le plus de moyens au volet urbain. En 2007, elle concentre près de 16,5 % et, en 2014, 12,05 % de la part nationale consacrée à la dimension urbaine, alors que la région ne bénéficie que de 7 % de la programmation totale des fonds en France (Régions d’Outre-mer comprises). Dans cette région, le volet urbain a permis d’atténuer l’orientation compétitivité des dernières programmations en facilitant la prise en compte des disparités régionales économiques et sociales au niveau infrarégional. En 2007, ce sont 10 territoires, localisés pour la majorité en petite couronne, qui ont été rendus éligibles20. En 2014, 15 bénéficient des fonds européens au titre du volet urbain. Tous les départements sont concernés en dépit de situations locales plus contrastées du point de vue des inégalités économiques et sociales (Fig.1).
Figure 1 : Évolution des périmètres de volet urbain de la politique de cohésion en Ile-de-France (2020-2023)
Sources : Conseil général de la Seine-Saint-Denis et Journal officiel (2001), Préfecture de Région Île-de-France (2009) et Conseil régional d’Île-de-France (2016). Réalisation Ludovic Chalonge et Brice Lamenie
44Au fil des dernières programmations, le critère correspondant à la présence de quartiers dits en difficultés s’est atténué. Une telle géographie connaissant des variations importantes d’un territoire à l’autre, le critère restrictif de localisation des projets dans des zones urbaines sensibles et zones franches urbaines a évolué en 2014 de manière à prendre en compte les bénéficiaires directs des aides européennes, c’est-à-dire les habitants (Rivière, Lamenie, 2020). Actuellement, la stratégie, plus orientée en faveur de la recherche de compétitivité à l’échelle régionale ne se focalise plus de manière aussi explicite sur ces quartiers. Les rédacteurs du programme opérationnel régional, document cadre de l’intervention des fonds, ont préféré élargir la couverture territoriale afin d’éviter le saupoudrage des fonds et ainsi en accroître l’efficience.
- 21 Une proposition a été portée par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis de constituer un pro (...)
45Un deuxième critère relatif à la qualification du territoire porteur de la stratégie urbaine intégrée a lui-même subi des variations au cours des précédentes programmations. En 2009, la Préfecture de région concédait la possibilité de regroupements en opportunité sur le fondement de groupements d’intérêt public (GIP), à l’instar du GIP des Territoires de l’Ourcq constitué à cette occasion. En 2015, le Conseil régional resserre ce critère en fléchant son appel à projets sur les seuls établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et la mairie de Paris. Les autres candidatures qui ne répondaient pas à ces conditions ont été systématiquement rejetées21. Dans un contexte de renouvellement de l’exécutif régional, ce sont d’abord 12, puis 15 territoires qui ont été sélectionnés Cet élargissement n’a pas pour autant entraîné une augmentation du budget dédié au volet urbain. En 2023, le nombre de territoires bénéficiaires est redescendu à 12. Il s’agit uniquement de territoires reconduits ou dont le périmètre a été élargi par suite de la refonte de la carte de la coopération intercommunale en 2016.
- 22 Celle-ci s’est étalée sur une période d’environ deux mois. Durant cette temporalité, les EPCI se so (...)
- 23 Il peut s’agir d’opérateurs déjà familiarisés avec l’utilisation des financements publics et identi (...)
46Pour la période 2014-2020, la phase de sélection s’est déroulé au cours du premier semestre de l’année 201522 Les territoires retenus au titre de l’appel à projets In’Europe ont obtenu un cofinancement compris entre cinq et douze millions d’euros couvrant toute la période de programmation. 60 % des projets financés au titre du volet urbain sont portés directement par les collectivités et de leurs groupements. À Saint-Quentin-en-Yvelines, l’EPCI et les différentes communes qui le composent concentrent près de 90 % des projets. Les associations23 constituent, par ailleurs, la seconde catégorie de partenaires engagés au sein d’un ITI, essentiellement sur des projets FSE (à hauteur de 20 %). À Paris, par exemple, les associations ont déposé davantage de projets que la ville elle-même. Les bailleurs sociaux sont également bien représentés. À Plaine Commune et Est Ensemble, ils sont les seconds dépositaires derrière les collectivités. Enfin, les entreprises sont très minoritaires, voire presque inexistantes dans les ITI, mise-à-part celui de Paris. Par ailleurs, peu de territoires incluent réellement une diversité de partenaires dans leur programme. À l’exception, encore une fois de la ville de de Paris, seuls les ITI de Sénart et de Melun Val-de-Seine en grande couronne ont mis en avant un partenariat aussi complet. Cette diversité des partenariats se retrouve dans les territoires traditionnels de la cohésion comme Plaine Commune, Est Ensemble ou Grand Paris Seine et Oise.
47Au fond, le volet urbain de la politique de cohésion s’adresse aux acteurs habituels de l’action publique. « L’ouverture vers l’extérieur », promue par la Commission européenne, se négocie avec parcimonie en Île-de-France. Elle se limite aux catégories reconnues comme légitimes dans le système néo-corporatiste de la gouvernance locale francilienne (Lefèvre, 2017).
48En outre, c’est bien dans les territoires de Seine-Saint-Denis et du sud du Val-d’Oise, territoires d’arrivée de la politique de cohésion en Île-de-France, et qui concentrent le plus d’habitants en quartiers politique de la ville, que le nombre de projets déposés est le plus important. Sans établir un lien de corrélation entre pauvreté et besoins en équipements liés au cadre de vie, cette tendance insiste sur une perception de la politique de cohésion ici bien ancrée dans la réponse aux enjeux dits de proximité.
49Autour du Conseil régional, la programmation du volet urbain met en scène plusieurs catégories d’acteurs bénéficiaires, dont, en premier ressort, les EPCI. L’État, jusqu’ici garant de la cohésion des territoires en matière de répartition des fonds, est désormais en retrait bien qu’influençant le format du volet urbain afin de composer avec les objectifs fixés par la Commission européenne en matière de concentration des fonds.
50Le Conseil régional d’Ile-de-France a décidé d’inscrire son intervention dans la continuité de celle de la Préfecture de région. Il s’est prononcé pour le maintien d’un axe spécifique au sein du nouveau programme opérationnel régional pour rassurer les autorités urbaines, inquiètes à l’idée que celui-ci puisse conserver les fonds :
- 24 Entretien, Région Île-de-France, 29/06/2016.
Pour nous c’était aussi important de montrer que ce n’est pas parce qu’on était devenu autorité de gestion qu’on allait garder l’argent, et que nous n’allions pas non plus le partager un minimum avec les autres niveaux de collectivités territoriales, à commencer par le bloc local et intercommunal… notamment par rapport à cette dimension urbaine. Là, il y a eu un geste politique fort qui a été de dire effectivement, grosso modo, on a une obligation de 5 % sur l’urbain. Ici, le choix politique fait par le Président c’était de considérer que l’urbain était évidemment important et que par rapport à ça il fallait faire un geste et montrer que l’on mettait plus que 5 %24.
51Dans le même temps, la Préfecture de région s’est assurée que la collectivité opterait pour une mise en concurrence des collectivités territoriales afin de sélectionner les autorités urbaines bénéficiaires, craignant que celle-ci refuse de s’engager sur ce principe :
- 25 Entretien, Préfecture de région Île-de-France, 08/06/2016.
Il y a une très forte réticence de la Région qui ne voulait pas au début s’inscrire dans les ITI et qui ne voulait pas continuer sur le même chemin qu’en 2007-2013, car cela voulait dire sélectionner les territoires. Or la Région ne voulait pas sélectionner les territoires. Ils ne veulent pas assumer des choix vis-à-vis des autres collectivités25.
- 26 Entretien, Préfecture de région Île-de-France, 08/06/2016.
52Une autre question essentielle dans la mise en œuvre du volet urbain est celle du choix de l’outil, qui a fait intervenir plusieurs catégories d’acteurs. Pour choisir entre l’axe urbain et l’ITI, le Conseil régional d’Île-de-France a dû tenir compte d’avis divergents. Alors que l’Association des Régions de France était plutôt réservée à l’idée que les conseils régionaux soient dépossédés des prérogatives et moyens nouvellement acquis en allouant une partie de leur programmation aux autorités urbaines, les services de l’État, Commissariat à l’égalité des territoires et la Préfecture de région, en tête, étaient plus favorables au recours à l’ITI afin de « défendre la continuité de la programmation en Île-de-France26 ».
53Finalement, le Conseil régional a décidé de recourir à l’ITI après avoir obtenu, de la part de la Commission européenne, la garantie de pouvoir redéployer les fonds sur d’autres axes du programme opérationnel en cas de non-consommation de la totalité de l’enveloppe dédiée aux ITI. La marge de manœuvre de la Région Île-de-France s’avère donc limitée en ce qui concerne le choix de l’instrument, ce qui illustre par ailleurs assez bien une résistance à la « pression adaptative » provoquée par l’européanisation (Caporaso, Cowles, Risse, 2000).
- 27 Pour 2014-2020, le POR contient douze axes : 1. aménagement, 2. biodiversité, 3. création et repris (...)
54Le contenu de l’ITI a, quant à lui, été laissé à l’appréciation de l’autorité de la gestion. En 2014, le Conseil régional d’Île-de-France a choisi d’y inclure la plupart des axes du programme opérationnel francilien27, contrairement à toutes les autres régions françaises. La volonté alors exprimée par l’institution était celle d’une programmation la plus ouverte possible aux investissements portés par les collectivités, dans le contexte d’une intervention plus resserrée autour des thématiques portées par la stratégie Europe 2020 et pouvant se heurter aux conceptions traditionnelles de l’action publique locale.
- 28 Entretien, Région Île-de-France, 29/06/2016.
55De ce fait, l’ITI contenait un axe spécifique réservé aux projets d’aménagement dits « structurants » des collectivités destinées à répondre à l’amélioration du cadre de vie, tels que : la réalisation d’écoles, de centres de santé, d’aménagements paysager ou en finançant la couverture thermique de logements sociaux. « L’axe 1 est la principale demande des territoires… C’est le pot-pourri qui va permettre de financer un peu tout et en même temps ce dont ont besoin les intercos 28».
- 29 Entretien, EPT Grand Paris Grand Est, 02/02/2016.
56Comme l’indique cet extrait, l’axe 1 est le principal levier pour financer les projets dont la maîtrise d’ouvrage est directement assurée par les communes et leurs groupements, dans un contexte où la recherche de financements reste l’enjeu principal. Par exemple, dans l’ex-Communauté d’agglomération de Clichy-Montfermeil, les fonds européens doivent permettre de boucler les budgets « On est dans une approche très pragmatique ici, clairement ce sont les financements qui sont intéressants. La politique européenne… ce n’est pas une conviction. Ce n’est pas une stratégie. L’idée c’est d’avoir le plus de financements possibles 29».
57C’est donc sur cet axe que se sont cristallisés les enjeux de l’accès aux fonds européens, c’est également celui sur lequel a été déposé le plus de projets lors de la phase de lancement (66) bien qu’il ne s’agisse pas de celui concentrant le plus de financements (15,16 millions €). Il a été fortement privilégié par les territoires inclus dans l’actuelle Métropole du Grand Paris, y compris Paris, et le territoire de Val de France (actuel Roissy-Pays-de-France), même si finalement peu de projets ont été déclarés éligibles (un en moyenne pour chaque territoire).
- 30 Il s’agit d’une photographie prise au moment du lancement de la programmation. Pour compléter cette (...)
58Deux autres axes inscrits dans la programmation du volet urbain ont également été plébiscités : l’axe 3 (création et reprise d’activités) et l’axe 4 (Inclusion). Ces trois axes concentrent à eux seuls près de 48,8 % des projets déposés. Si tous les axes n’ont pas été choisis parmi les candidatures sélectionnées, aucun territoire n’émargeà l’ensemble des axes du POR. De même, il existe un décalage entre les choix initiaux portées sur l’aménagement et l’inclusion et la répartition des financements alloués (Figure 2). En dehors de la simple distinction entre le FEDER-FSE et à l’exception de Paris et de Plaine Commune, dont les stratégies sont davantage orientées en faveur de l’éducation et de l’inclusion, la répartition des financements par territoire semble indiquer que ce sont autour des thématiques du développement économique et de la compétitivité que les financements attribués sont les plus importants. Ils s’élèvent à environ 10 % de la programmation ITI et 25 % si l’on ajoute la partie concernant la création et reprise d’activité30.
Figure 2 : Répartition des fonds par axe et par ITI lors de la phase de sélection
Source : Conseil régional d’Île-de-France (2016). Réalisation Ludovic Chalonge et Brice Lamenie
- 31 Entretien Mairie de Clichy-sous-Bois, 2810/2016.
59Le référentiel de croissance et d’innovation portée par la stratégie de Lisbonne peut se révéler en décalage par rapport aux attentes et aux représentations des acteurs locaux : « L’innovation ce n’est pas le problème à Clichy. Ce qui est innovant c’est d’avoir une école, propre, correcte. On a fait des travaux alors que ça faisait trente ans qu’on n’en avait pas fait dans cette école31 ».
60Le principe d’intervention de l’Union européenne semble dès lors peser sur les collectivités territoriales jusqu’à remettre en cause les principes d’une action publique qui plaçait, jusqu’ici, le territoire comme référentiel autour duquel allait se construire une politique de développement local. Avec le volet urbain, les injonctions à innover rendent les territoires tributaires des objectifs mais aussi des moyens mis en œuvre à cet effet. C’est la logique de guichet, expression souvent employée pour caractériser les modalités d’accès aux fonds européens, qui est par ailleurs remise en question.
- 32 L’importance croissante des fonds dans les budgets communaux, mais aussi leur caractère stratégique (...)
61Le resserrement du volet urbain autour de quelques axes et la mise en concurrence des collectivités a accéléré le recours à l’aide de cabinets spécialisés dans le recours aux subventions européennes voire aux recrutements de spécialistes des politiques de l’UE. Ces agents sont chargés d’identifier les potentiels bénéficiaires et d’intermédier la relation entre leur collectivité et l’autorité de gestion32. Ils se chargent notamment d’expliquer les conditions d’accès aux financements européens, lesquelles peuvent entrer en dissonance par rapport aux besoins exprimés par les territoires :
- 33 Entretien, EPT Grand Paris Grand Est, 02/02/2016.
Pour beaucoup de gens, il s’agit de faire accepter que nous ne sommes pas ouverts à tous les projets et qu’il faut rentrer dans ce cadre, et donc la voirie c’est possible, les écoles ce n’est pas possible et en même temps vu les enveloppes c’est obligatoire... On cherche toujours à rentrer dans le programme alors qu’à un moment donné, il faut s’arrêter, lire le programme33...
62Il est aussi important que les coordinateurs de dossiers au niveau local garantissent aux porteurs de projets l’accessibilité des fonds, pour ne pas devoir justifier le durcissement de leurs conditions d’accès :
- 34 Entretien, EPT Grand Paris Grand Est, 02/02/2016.
Il y a un rapport de force. Avec les villes, sur l’axe 1, huit dossiers ont été présentés. Je savais très bien qu’il n’allait pas y en avoir plus d’un qui serait accepté mais en même temps, les villes voulaient que tous les dossiers soient présents. Donc, tous les dossiers ont inclus dans le programme et il y en qui étaient clairement inéligibles et on a réussi à le démontrer, ce qui n’a pas empêché de mettre le projet de la ville en question34.
63Les municipalités peuvent choisir d’inclure l’ensemble des projets remontés pour leur propre compte ou celui d’opérateurs intervenant sur leur territoire, déléguant ainsi à la région la responsabilité de la sélection, afin de ménager les équilibres locaux.
Le recours aux financements européens suppose aussi de clarifier les modalités d’intervention et d’exposer leur plus-value par rapport aux autres financements publics et dotations nationales qui s’inscrivent dans un dialogue entre les autorités.
64Le travail mené par les services de la région et les référents locaux est donc de s’assurer que les projets répondent aux critères d’éligibilité quitte à tordre les opérations de manière à leur donner une plus grande ampleur comme le relève cet interlocuteur au sujet du projet de plate-forme linguistique portée au sein de l’ex-CA de Clichy-Montfermeil :
La plate-forme linguistique à la base, l’idée c’était que les cours de français portés par la ville de Montfermeil et les Ateliers sociolinguistiques, qui étaient portés par des associations, puissent bénéficier de subventions. C’était ça à l’origine. Puis on s’est dit que les projets sont trop petits, on ne pourra pas bénéficier de fonds européens et donc la seule manière, il faut qu’il y ait un porteur pour tout le monde et qu’on mutualise un peu. Il y avait une coordination qui se faisait mais moins formelle. Du coup, la réflexion était portée par ma collègue de la direction de l’emploi, de la formation et de l’insertion, qui était d’accord pour mutualiser les choses. Au départ, c’est parti du financement de l’action. Et pour finir on est arrivé sur cette plateforme35.
65La référence au cadre d’intervention de l’Union européenne ne doit pas pour autant rentrer en contradiction avec le contexte territorial. Pour cela, le Conseil régional tend à adapter ses critères de manière à faciliter l’accès aux fonds :
- 36 Entretien, Conseil régional Île-de-France, 09/09/2016.
C’est trop loin, et cela prône une méconnaissance des quartiers en difficulté français […] C’est du devoir de l’autorité de gestion de les adapter au mieux, et d’avoir, politiquement et techniquement, une prise en compte adaptée du territoire et un effet de rattrapage sur les autres36.
66Ce filtre permet aussi d’inscrire l’intervention européenne dans les temporalités de l’action publique locale, même si les effets ne sont pas immédiatement perceptibles, particulièrement lorsqu’il s’agit de projets de renouvellement urbain ou de développement territorial. Par conséquent, il parait difficile d’évaluer à court terme l’effet de levier généré par la politique de cohésion :
C’est ça la différence. Les exigences de l’horizon 2020 sur un an à trois sont trop élevées sur des objectifs quartiers mais regardons sur 5-10 ans. Si on met une « patate » sur une zone de développement économique en quartiers où il n’y a rien, où il y a de la dynamique. Sur les deux premières années ça va être très faible mais sur 5-10 ans avec une bonne structuration cela peut être plus important que sur d’autres territoires. Je dis que c’est totalement déconnecté de la réalité. Paradoxalement, il y a une manne financière et une dynamique dont on a besoin en quartier. On passe d’une nouvelle logique : celle de renouvellement urbain à celle de développement urbain parce qu’on ne peut plus se permettre d’attendre, parce qu’on a passé différentes phases et parce qu’on sait que le potentiel va être démultiplié sur un horizon qui dépasse la deuxième, troisième année37.
67À travers cet accent mis sur le développement urbain, il s’agit aussi naturellement, pour le Conseil régional, de valoriser ses propres dispositifs et de vérifier la façon dont ceux-ci sont articulés avec la politique de cohésion :
Quand la gouvernance n’inclut pas la Région, quand ils font un diagnostic de territoire et qu’ils ne mentionnent pas le PACTE. Oui ça nous met tout de suite la puce à l’oreille… Il n’y pas de vision d’ensemble. Ils n’articulent pas leurs politiques donc ça c’est vrai que ça a été reproché38.
68En revanche, la correspondance entre le volet urbain et les autres dispositifs régionaux n’est pas évidente. Cette articulation est très dépendante de la collaboration engagée entre les différentes directions du Conseil régional. Certaines d’entre elles n’ont pas souhaité y participer car elles n’y trouvaient pas d’intérêt. Dans ces conditions, il est d’autant plus difficile de vérifier la convergence des objectifs, c’est ce que traduisent ces propos d’un technicien du Conseil régional :
Dans les appels à projets, tout le monde demande qu’il y ait des convergences : politique de la ville, ITI… En fait ici il y a quelques experts métiers qui sont capables de nous le dire… Ils nous disent qu’il y a convergence avec la stratégie de Lisbonne mais, franchement, je ne sais pas comment on vérifie ça. Je ne sais pas qui a lu le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, c’est pareil pour le schéma directeur de la Région Île-de-France (SDRIF). Cela étant, il y a les chargés de missions territoriaux, qui sont censés connaître très bien leur territoire, mais ils vont s’y connaître sur certaines compétences et pas sur toutes. Mais nous ici on travaille très bien avec eux sur l’emploi et le développement économique d’une manière générale. On travaille très bien avec l’Unité Société, donc ceux qui sont sur la politique de la ville. En revanche, on travaille très mal avec l’Unité aménagement. Donc le lien avec le SDRIF ou avec le Contrat de plan État-Région on ne l’a pas fait dans le cadre des ITI. Sur le schéma régional de cohérence écologique, on l’a fait39.
69De même, la faiblesse de montants alloués, conjuguée à cette difficulté d’articuler les agendas des différentes politiques régionales mais aussi nationales comme le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), introduisent un biais dans la capacité des services régionaux – et en premier lieu la direction chargée de la mise en œuvre de la politique de cohésion – à porter une dynamique autour des fonds européens :
La Région est consciente de la faiblesse des montants. Le problème, c’était qu’après la sélection des ITI, ils étaient faibles dans la globalité. C’est la première fois que l’on a plus de FSE que de FEDER alors que les projets FEDER sont « beaucoup plus faciles à monter ». C’était à peu près un million par ITI. C’est coordonné au changement d’exécutif, au changement de visions, d’utilisation des fonds européens. On a eu deux choses intéressantes. On a eu la volonté dans la construction, dans la méthode de se dire : on va aider les projets, les approches territoriales, on va être pragmatique, on va les aider, à non pas créer de nouveaux projets parce que l’on sait très bien ce que ça fait et que l’on n’est pas sûr d’obtenir les fonds, ni d’avoir la capacité, ni l’ingénierie pour soutenir ce projet. On s’est dit que l’on était arrivé sur une période qui était double où la Région n’était pas encore prête à intervenir au titre du NPNRU parce que l’on n’avait pas de dispositif, le nôtre se finissait en 201340.
70En l’absence de certitude sur les contreparties disponibles, l’usage du FEDER permet d’interroger une nouvelle fois les représentations que ce fonds alimente en matière d’innovation. Toutefois, c’est bien le constat, formulé ici, d’une non-innovation qui va entraîner son recours par les collectivités. Ce conflit autour de l’usage du FEDER souligne à nouveau l’absence d’unité s’agissant de la définition des priorités de l’action publique régionale et de leur articulation avec les priorités locales.
71En tout état de cause, un accord doit être trouvé sur les opérations retenues en lien avec les objectifs de l’UE. Tout le travail effectué en amont par les services de la Région consiste à guider les autorités urbaines dans le choix des projets éligibles sans porter atteinte au principe de libre administration des collectivités, avant de laisser le comité de programmation régional décider du financement. La Région se pose ici comme intermédiaire dans un processus de coordination non hiérarchisé, qui passe par la « mise en compatibilité des acteurs et de leurs intérêts autour de l’enjeu d’un territoire et de son développement » (Leloup et al, 2023, p.156). Pour autant, cette intermédiation n’est pas exempte de contraintes de nature à peser sur les choix priorités d’investissements des autorités locales et à créer un déséquilibre dans leur relation avec le Conseil régional.
Ainsi, en dépit de l’existence de réalités territoriales différentes, les règles de la contractualisation l’emportent sur la préservation des particularismes locaux. L’intervention de l’UE, parce qu’elle invite les territoires à participer à la réalisation de la stratégie Europe 2020, leur impose de s’adapter au risque de se voir refuser l’accès à ces fonds.
72En matière de développement urbain, l’UE s’est dotée de moyens et d’instruments spécifiques de manière à répondre aux objectifs fixés par les traités et les stratégies successives. Si elle n’est désormais plus la seule politique de l’Union européenne à se pencher sur le développement urbain, la politique de cohésion, en dépit de son tournant sectoriel, reste en prise directe avec les États et leurs échelons infranationaux.
73En Île-de-France, la mise en œuvre du volet urbain de la politique de cohésion permet à la collectivité régionale d’investir directement les questions urbaines et plus largement le sujet de la cohésion territoriale à côté de l’État et des départements. En revanche, pour les autorités urbaines participantes, la politique de cohésion n’est pas considérée autrement qu’au travers des ressources qu’elle fournit aux différentes politiques sectorielles ou pilotées par l’État.
De même, si la participation au volet urbain permet aux collectivités d’acquérir des réflexes et des pratiques reproductibles, l’usage des fonds ne garantit pas pour autant un effet de levier ou l’engagement dans d’autres programmes européens.
74La mise à l’agenda local de ces sujets peut déterminer un engagement dans d’autres programmes communautaires ou la participation à des réseaux thématiques lesquels sont surtout le fait de choix individuels et d’opportunités résultant autant d’initiatives d’élus soucieux de renforcer leur capitale politique, que de l’échange d’expériences entre techniciens (Healy, Russeil, 2015).
75Dans un contexte de restriction budgétaire imposant aux collectivités et leurs groupements d’arbitrer leurs priorités d’investissement, le recours aux financements extérieurs et notamment européens est une solution de plus en plus envisagée, en dépit de modalités d’accès à la fois compétitives et exigeantes et participant à en limiter l’accès. Comme nous l’avons vu, le recrutement d’agents dédiés peut faciliter la transmission d’informations et le travail administratif. Cependant, il ne peut se substituer à la production d’une vision partagée du territoire, produit d’échanges, de coopération, d’expérimentation entre les différentes échelles de l’organisation territoriale et ouverte à une diversité de partenaires.