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Quand les associations expérimentent : les dynamiques relationnelles locales à l’épreuve des appels à projets. Le cas du PIC La Locomotive

When associations experiment: local relational dynamics put to the test by calls for projects. The case of the PIC La Locomotive
Nina Aubry, Aurélien Martineau et Emmanuel Bioteau

Résumés

L’article interroge les effets des appels à projets (AAP) sur les associations et sur les dynamiques relationnelles locales dans lesquelles elles s’inscrivent. Il questionne la traduction concrète des injonctions à la mise en réseau et au multipartenariat. Le cas d’une expérimentation conduite dans le cadre du Plan d’investissement dans les compétences 100 % Inclusion et portée par un centre social associatif illustre la complexité et l’ambivalence des effets territoriaux des AAP. À partir de trois années d’observation participante, de données quantitatives sur les personnes accompagnées ainsi que de trente-huit entretiens semi-directifs réalisés avec des membres du consortium, l’article dresse un portrait précis des dynamiques relationnelles suscitées et transformées par la généralisation des AAP dans une commune nouvelle, rurale, du Maine-et-Loire. Alors que les logiques institutionnelles dont résultent les AAP sont déjà richement documentées, l’article appréhende les AAP à partir de ce qu’en vivent et en font les associations. Il expose comment ces projets en consortium peuvent renforcer les réseaux locaux, mais génèrent aussi des effets pernicieux et positionnent les associations en situation de dépendance et/ou de concurrence. À partir du cas étudié, la réflexion met notamment en avant des logiques de raffinage à l’œuvre entre les partenaires, quand concurrence et coopération s’entremêlent.

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Notes de l’auteur

Cet article est issu d’une recherche réalisée en association avec Patrick Colin et Lisa Colombier chercheurs sociologues de l’Université de Strasbourg UMR 7069 LinCS dans le cadre du PIC 100 % Inclusion porté par la Régie des Écrivains (SCIC en Alsace).

Texte intégral

Introduction

1Alors que la part des subventions dans les budgets des associations diminue fortement (Tchernonog et Prouteau, 2019) et que les commandes publiques (Perrot, 2008) et le financement par projet (Bertron, 2023) se généralisent, l’article s’intéresse aux effets territoriaux des appels à projets (AAP) des politiques publiques. À l’aune de l’intérêt croissant du champ interdisciplinaire de la science régionale pour les dynamiques relationnelles (Aubry et al., 2022), l’article questionne la traduction concrète des injonctions à la mise en réseau et au partenariat (Cabé et Granier, 2005) qui structurent leurs cahiers des charges. Au-delà de la mise en concurrence des associations, les AAP constituent-ils un levier de recomposition territoriale à travers le réordonnancement des dynamiques relationnelles sources de potentielles inflexions des trajectoires territoriales ? Il s’agit de s’intéresser à la diversité des chemins de développement (Torre, 2015) possibles pour un territoire à partir des projets que les acteurs élaborent à différentes échelles et à partir des liens qui se tissent et se transforment entre eux. Plus spécifiquement, l’objectif est d’établir dans quelle mesure la place et le rôle des associations dans les réseaux locaux se trouvent renforcés ou transformés par la réponse et l’obtention d’appels à projets. Nous interrogeons ainsi les impacts à moyen et long terme des AAP sur les associations sur les dynamiques relationnelles locales au sein desquelles elles s’inscrivent.

2L’étude de cas présentée fait la démonstration de la complexité et de l’ambivalence des effets des appels à projets en matière de dynamiques relationnelles : renforcement de liens entre acteurs, entre institutions, construction de nouvelles synergies territorialisées ou inversement ruptures entre acteurs ou organisations. L’article s’appuie sur l’analyse fine d’une expérimentation, le projet La Locomotive, conduite dans le cadre du Plan d’Investissement dans les Compétences 100 % Inclusion. Celui-ci visait, de septembre 2020 à décembre 2024, à accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi dans quatre territoires, lauréats de l’AAP, en Maine-et-Loire et en Alsace. Le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion a initié en 2018 un Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC) qui finance des expérimentations jusqu’en 2024 sur l’ensemble du territoire national. Le plan a pour objectif d’accompagner vers l’emploi ou la formation deux millions de demandeurs d’emploi et de jeunes peu ou pas qualifiés et éloignés du marché du travail. L’article se focalise sur les effets des dynamiques relationnelles à l’échelle du territoire rural de la commune nouvelle de Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire). Cette dernière, issue de la fusion de 13 communes en 2016, offre par son histoire un cadre d’analyse privilégié des transformations des relations entre les associations et les territoires qu’elles façonnent à partir des pratiques et vécus habitants. Ce cas d’étude donne particulièrement à voir la façon dont les AAP qui animent les territoires institutionnels et politiques viennent percuter ces relations. L’association du centre social du Chemillois est l’un des principaux porteurs du projet et pilote l’expérimentation à l’échelle de la commune nouvelle. À partir de trois années d’observation participante, de données quantitatives sur les personnes accompagnées ainsi que de trente-huit entretiens semi-directifs réalisés avec des membres du consortium, l’article dresse un portrait précis des dynamiques relationnelles transformées par la généralisation des AAP dans le secteur associatif. L’article appréhende ainsi les AAP à partir de ce qu’en vivent et font les associations plus qu’à partir des logiques institutionnelles dont ils résultent.

3Une première partie expose le cadre théorique dans lequel s’inscrit la réflexion, ainsi que le terrain d’étude retenu et la méthodologie adoptée dans le cadre de la recherche. La seconde partie développe en deux temps les résultats de l’enquête et met en exergue les effets ambivalents des AAP sur les dynamiques relationnelles locales, considérant ces dernières comme motrices des processus de développement et de recomposition des territoires.

Cadre théorique, cas d’étude et méthodologie

4En appréhendant les territoires, comme des construits sociaux, l’article interroge les réordonnancements des dynamiques relationnelles ainsi que les projets que les AAP suscitent et qui constituent autant d’éventuelles bifurcations des trajectoires territoriales. La notion de trajectoire, empruntée par analogie à la mécanique, la balistique ou encore à la physique, « s’est imposé[e] pour exprimer la dimension temporelle des processus de transformation » (Maurel 2009, p. 26) en sciences humaines et sociales ainsi qu’en géographie. À travers son pluriel, il s’agit d’envisager la diversité des itinéraires et chemins (Torre, 2015) possibles pour un territoire à partir de ses caractéristiques, mais surtout des projets que les acteurs élaborent à différentes échelles et à partir des liens qui se tissent et se transforment entre eux. Cette réflexion prend racine dans la mise en perspective de deux champs de la littérature relatifs d’une part aux ressorts de la généralisation des AAP dans le financement de l’action associative et d’autre part au rôle des dynamiques relationnelles dans les processus de développement territorial (Torre, 2018 ; Leloup, 2010).

Généralisation et enjeux territoriaux des AAP dans le secteur associatif

  • 1 Loi sur l’Aménagement et le Développement des territoires, LOADT (loi Pasqua).
  • 2 Loi sur l’Aménagement et le Développement Durable des Territoires, LOADDT, (loi Voynet).

5Les logiques d’AAP relèvent d’une transformation globale de l’action publique et de son financement. Omniprésentes, elles régissent de façon croissante de nombreux secteurs d’activités à l’image de l’animation territoriale (Breton, 2014) ou encore du secteur associatif (Laville et Salmon, 2015). Introduits par le New Public Management (Bezes, 2012 ; Hill et al., 2009), les AAP poursuivent les logiques de contractualisation engagées au cours des années 1980-1990 et accompagnent le désengagement progressif de l’État (Baudet-Michel et al., 2017 ; Taulelle, 2012 ; Dreyfus, 2010 ; Epstein, 2005). La recherche d’une rationalisation de l’action publique et d’une contractualisation du développement territorial apparaissent dès les lois de 19951 puis 19992 (Lapostolle, 2011). Pour autant le tournant managérial s’opère en France au début des années 2000 avec « la loi organique relative aux lois de finance promulguée en 2001 et mise en œuvre à partir de 2006 » qui introduit « au sein du secteur public une “culture du résultat” et de la performance auparavant limitée au secteur privé » (Chouraqui 2020, p.18). À mesure de la réduction des subventions (Tchernonog et Prouteau, 2019), les AAP sont mobilisés par la puissance publique comme des leviers pour encourager l’émergence de réponses « innovantes », à l’image du programme LEADER à l’échelle européenne (Lacquement et Chevalier, 2016), à des besoins laissés sans réponse par le marché et par un État-providence fragilisé (Klein, 1995) et remis en cause (Rosanvallon, 2015 ; Tibi, 2013). En ce sens, ces logiques « participent à une nouvelle approche de la politique de l’Aménagement du territoire, au sein de laquelle l’État conserve une capacité à dire la norme, même si les moyens qui y sont liés se limitent à une dotation à l’investissement » (Landel et Senil, 2008, p.68).

6La démultiplication des appels à manifestation d’intérêt (Dumont, 2021) témoigne du transfert des logiques du marché dans le champ de l’action publique et du développement local (Sédrati-Dinet, 2009). Cette transformation profonde renforce la concurrence interterritoriale, ainsi qu’entre les structures associatives (Klein, 2011). Dans le cas du Plan d’investissement dans les Compétences 2018-2024, « via l’instrument flou qu’est l’appel à projets, c’est surtout le principe de mise en concurrence des acteurs, notamment associatifs, qui est au centre du dispositif [même si] elle est dissimulée et édulcorée par un discours entrepreneurial et une volonté affichée de recherche de l’innovation » (Bertron, 2023, p. 99). Les disparités entre les associations se trouvent, dans ce contexte, renforcées par l’inégale dotation en compétences des structures (Glémain, 2020) et conduisent à une transformation des métiers dans le champ associatif (Avare et Sponem, 2008), du médico-social (Heichette, 2023) et de l’animation territoriale (Breton, 2014). La réponse aux appels à projets apparaît alors comme une ressource essentielle à la survie de certaines structures, au maintien de leurs activités et pour certaines au développement de nouveaux projets. Si l’objectif premier des AAP concerne ce dernier axe, la dégradation des financements pérennes et la généralisation de la régulation concurrentielle (Laville et Nyssens, 2001) peuvent tendre à les en détourner, pour financer des activités régulières. Paradoxalement les logiques concurrentielles s’accompagnent d’injonctions à la coopération : « les conditions d’accès aux ressources financières et au soutien institutionnel d’un projet sont subordonnées à la constitution préalable d’un réseau actoriel multiparties prenantes » (Aubry et al. 2022, p. 250). Si dans les AAP ce dernier prend souvent la forme d’un consortium d’acteurs (entreprises, collectivités, associations, etc.), il témoigne du mouvement de désengagement-réengagement de l’État (Cottin-Marx et al., 2017) et interroge les liens des associations avec les autres acteurs et leur place dans la gouvernance locale (Petrella et Richez-Battesti, 2012).

7Au-delà de l’exhortation à la « mise en réseau » (Cabé et Granier, 2005), nous questionnons la traduction concrète du multipartenariat des AAP et ses effets à l’échelle locale. L’attention croissante accordée aux dynamiques relationnelles dans les travaux sur le développement local, dans le champ de la science régionale repositionne en effet les jeux d’acteurs (Gumuchian et al., 2003) au cœur des processus de développement (Nadou et Talandier, 2020). Ces perspectives soulignent la diversité des liens qui se tissent et se délitent. Loin d’être déterritorialisés, ces réseaux contemporains dessinent des échelles de projet multiples (parfois au sein, entre ou au-delà de certains territoires institutionnels), et avec elles autant de potentielles inflexions des trajectoires territoriales. Dans le champ de la géographie, mais également au-delà dans le champ interdisciplinaire de la science régionale le territoire est envisagé comme un système (Leloup, 2010 ; Leloup et al., 2005) soumis à la coordination à une même échelle géographique des acteurs économiques, sociaux, politiques et culturels (Fontan et al., 2004).

8Cet intérêt renouvelé pour le concept de territoire procède de la convergence de trois approches dans le champ scientifique (Aubry et al., 2022). La reconnaissance de la dimension territoriale des processus de développement encourage d’une part, la prise en compte de la diversité des acteurs et l’encastrement social des activités économiques (Grossetti, 2000), une perspective qui se trouve d’autre part renforcée par l’institutionnalisation de l’innovation sociale qui acte de l’importance du rôle joué par la société civile. Enfin, l’avènement d’un « tournant territorial » (Pecqueur, 2006) impliquant la généralisation d’une conception dynamique du fait territorial, qui procède de dynamiques de territorialisation et de déterritorialisation continues, renouvelle en profondeur les prismes d’analyse. Les territoires sont pensés comme des construits sociaux en recomposition permanente (Bruno, 2011) et inscrits dans des échelles multiples et interdépendantes (Ripoll et Veschambre, 2005). Autrement dit, le territoire constitue, au-delà des échelles institutionnelles et politiques, par les appropriations, « un cadre générateur de liens sociaux et d’actions collectives » (Klein 2009, p. 6). L’étude se concentre ainsi sur les territoires vécus et pratiqués par les populations, mais également façonnés par les acteurs associatifs et interroge, dans une démarche dialectique, leurs liens (correspondance partielle ou totale, conflit) avec ceux politiques et institutionnels. Saisir ce mouvement de territorialisation implique d’appréhender les dynamiques relationnelles qui l’enclenchent et le nourrissent. Ces dernières révèlent en effet la territorialisation des projets de développement (Pierre et Bioteau, 2017) et à travers elle l’émergence de nouvelles échelles : européenne, mais également liées à des projets infra- ou interterritoriaux (Lacquement et Chevalier, 2016 ; Berriet-Solliec et Trouvé, 2013 ; Poulot, 2009). Les dynamiques relationnelles peuvent indiquer des processus de révélation ou de valorisation de nouvelles ressources territoriales (Vigne et Landel, 2022 ; François et al., 2013 ; Hadjou, 2009 ; Colletis et Pecqueur, 2005). Dans la perspective d’une logique sociale du développement (Moulaert et Nussbaumer, 2008), leur modification est associée à une transformation des rapports sociaux locaux (Klein, 2014) au profit d’une réponse nouvelle aux besoins des communautés (Fontan et al., 2008) et à son éventuelle institutionnalisation (Pradels et al., 2022 ; White, 2012 ; Bouchard, 2006).

9Les dynamiques relationnelles apparaissent, ainsi comme un des principaux moteurs du développement territorial (Torre, 2018). Si les actions associatives sont encastrées dans « des systèmes concrets de relations sociales » (Laville 2001, p. 120), la mise en réseau implique-t-elle nécessairement une transformation des usages ou le déploiement de logiques de coopération ? Les AAP constituent-ils un levier pour transformer les dynamiques relationnelles locales ou un éventuel frein, par leur temporalité, à un renforcement pérenne ? Plus spécifiquement, dans quelle mesure la place et le rôle des associations dans les réseaux locaux se trouvent-ils transformés par la réponse et l’obtention d’AAP ?

Le cas d’un centre social dans une expérimentation PIC 100 % Inclusion

10Le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion a initié en 2018 un Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC) qui finance des expérimentations jusqu’en 2024. Le plan a pour objectif d’accompagner vers l’emploi ou la formation deux millions de demandeurs d’emploi et de jeunes peu ou pas qualifiés et éloignés du marché du travail. Il s’agit pour les projets lauréats de l’APP PIC 100 % Inclusion : d’identifier, d’entrer en relation et d’accompagner vers l’emploi ou la formation les publics ciblés ; d’inventer et promouvoir de nouvelles alliances territoriales et de faire évoluer les pratiques professionnelles par l’expérimentation (Ministère du travail et Haut-Commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi 2019).

11Le projet La Locomotive est l’un des 65 lauréats et doit accompagner 2000 personnes, dont 500 sorties en emploi et 200 sorties en formation. La convention cible spécifiquement trois publics particulièrement éloignés de l’emploi : des travailleurs handicapés (10 % des personnes accompagnées), des résidents de quartiers prioritaires politique de la ville (25 %) ainsi que des jeunes de moins de 26 ans (30 %). Portée par une entreprise d’Insertion située dans l’Eurométropole de Strasbourg, l’expérimentation se déploie sur quatre territoires dans deux régions : Grand Est (Bas-Rhin) et Pays de la Loire (Maine-et-Loire) : le nord urbain de l’Eurométropole de Strasbourg, les communes à dominante rurale de Molsheim et Schirmeck, la ville de Cholet et la commune rurale de Chemillé-en-Anjou. La Locomotive a pour objet de créer un dispositif collaboratif d’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi et fragilisées (parcours d’une durée de 10 mois). Pour ce faire, un consortium de structures réunit 33 partenaires appartenant aux champs de l’emploi-insertion et de l’animation sociale territorialisée : 23 associations, 3 établissements publics à caractère industriel et commercial, 3 entreprises de droit privé, 2 coopératives et 2 collectivités territoriales.

12Le terrain d’expérimentation de Chemillé-en-Anjou, situé dans le département de Maine-et-Loire, est retenu comme cas d’étude privilégié à deux titres. En premier lieu, il s’agit de l’échelle où la composition du consortium a été la plus stable et les relations entre les structures les plus denses. Par ailleurs, le suivi scientifique longitudinal de cette échelle et du centre social déployé depuis une enquête de 2007 (Bioteau, et al. 2013) permet de mesurer et de contextualiser les effets de La Locomotive dans les réseaux d’acteurs locaux. Le projet y est coordonné par le centre social du Chemillois. La commune nouvelle de Chemillé-en-Anjou se compose de 13 communes déléguées et recensait en 2020, 21 187 habitants. Territoire rural, elle s’étend sur près de 324 km2 et connaît un contexte économique préservé (un taux de chômage inférieur de 5 points de pourcentage à la moyenne nationale en 2020) et des recompositions atypiques à l’image du reste des Mauges (Ohoussa et Margetic 2020 ; Mazaud et Pierre 2019).

13La commune déléguée de Chemillé, située au centre de la commune nouvelle, accueille le siège du centre social. Ce dernier a été créé en 1982 sous statut associatif et à dimension cantonale. Aujourd’hui, son périmètre d’intervention correspond à l’échelle de la commune nouvelle. En 2023, le centre comptabilisait près de 38,3 emplois-équivalents temps plein et plus de 1 100 familles adhérentes et 108 collectifs ou associations. Il est identifié comme moteur dans l’émergence d’initiatives ascendantes sur des sujets environnementaux et sociaux (Bioteau et Prugneau 2022) conformément à son projet social actuel en faveur du « développement social local, allant de la prise en compte de l’individu jusqu’au développement de dynamique collective » (CS du Chemillois, 2020, p.3). Il a également pour spécificité d’avoir en son sein un secteur « emploi-formation » qui accueille et accompagne des habitants à partir de 16 ans vers l’emploi et la formation professionnelle. L’expérimentation s’inscrivait donc dans la continuité des actions engagées par le centre social. Enfin, dans le cadre de La Locomotive, le consortium local à cette échelle est composé de neuf structures. Sept sont des associations (le centre social, un organisme de formation, deux associations intermédiaires de l’insertion par l’activité économique, un lycée professionnel privé, un opérateur de mobilité et un organisme de placement spécialisé) et deux sont des structures privées (une agence d’intérim et une coopérative d’activités et d’emploi).

Contexte de recherche et méthodologie

14Les résultats présentés relèvent de l’enquête de terrain mise en œuvre tout au long de l’expérimentation de septembre 2021 à décembre 2023. La recherche a eu un double objectif : produire la mesure d’impact à destination du Ministère du Travail, tout en prenant l’expérimentation comme objet scientifique et d’étude dans le champ du développement territorial. L’enquête a permis de saisir les effets territoriaux engendrés par le déploiement de l’expérimentation, deux principaux outils de recherche ont à cette fin été mobilisés.

  • 3 Patrick Colin, MCF en sociologie (MISHA), Lisa Colombier, doctorante en sociologie (CDPF) de l’Univ (...)

15Premièrement, l’équipe de recherche composée de géographes (Université d’Angers) et sociologues (Université de Strasbourg)3 a été partie prenante de l’ensemble des temps de travail du consortium (réunions, comités de pilotage et séminaires). Cette approche interdisciplinaire cherchait à saisir les effets de l’expérimentation sur les personnes, les structures et les territoires où elle prenait place. Ce positionnement a permis d’être en relation directe avec les acteurs et de développer un protocole de « recherche-action » dans le projet (Lavoie et al, 1996). L’observation participante a permis de collecter des données tout au long de l’expérimentation (Lapassade, 1991). L’équipe de recherche a également pris part à l’action en intervenant à la demande des acteurs sur des temps de formation, mais surtout en offrant par la présentation chemin faisant de résultats des enquêtes conduites des espaces de réflexivité et de réajustement du projet. La dimension participative et collaborative de la recherche a été omniprésente jusque dans la restitution de l’expérimentation en juin 2023 où lors d’une exposition co-organisée avec les membres du consortium, des pièces muséales élaborées avec des personnes accompagnées ont été présentées pour diffuser et vulgariser les résultats du projet de recherche.

16Deuxièmement, 38 entretiens semi-directifs ont été mis en œuvre auprès des acteurs de l’expérimentation sur Chemillé-en-Anjou en 2022 et 2023 : 15 ont été réalisés avec des personnes accompagnées et 23 avec des professionnels membres du consortium (dont 6 avec des responsables de structures). Qu’ils soient directeurs, professionnels accompagnants, bénévoles et voyageurs, les acteurs ont été interrogés en fonction de leur position respective dans le projet sur : l’engagement dans le projet, perception des parcours d’accompagnements, effets sur les structures en interne et dans les relations partenariales, suites envisagées au terme du projet. L’ensemble des entretiens ont été retranscrits, puis intégrés au sein du logiciel Nvivo® pour mettre en œuvre l’analyse qualitative thématique du corpus de recherche (Paillé et Muchielli, 2016).

De l’injonction au partenariat à la mise en concurrence : les effets ambivalents des AAP sur les réseaux locaux

17Pour saisir les impacts des AAP sur les dynamiques relationnelles au sein desquelles s’inscrivent les associations, deux niveaux d’analyse sont distingués. Il s’agit en premier lieu de comprendre la transformation des dynamiques relationnelles à l’échelle de la commune nouvelle : la réponse à l’AAP du PIC puis l’obtention du financement ont conduit à démultiplier et redéfinir les partenariats à l’échelle de la commune nouvelle, où devait contractuellement se concentrer l’expérimentation. Dans un second temps, nous interrogeons les effets de l’AAP sur la place des associations, et en particulier du centre social, dans le réseau dessiné par l’expérimentation d’une part et d’autre part dans ceux locaux qui ont plus généralement à trait à l’action sociale. Le suivi longitudinal réalisé a permis de montrer que si l’obtention du PIC 100 % Inclusion renforce le rôle de coordination locale du centre social, il fragilise également l’association et modifie ses rapports avec les pouvoirs publics d’une part et les autres associations d’autre part.

Répondre aux AAP et agir en consortium : du renforcement à la mise en scène du réseau partenarial local

L’AAP, une opportunité pour élargir et renouveler les dynamiques relationnelles

18Au-delà du désengagement de l’État, la légitimation de l’approche locale et partenariale des AAP repose notamment sur la promotion de l’expérimentation ainsi que sur la « territorialisation des problèmes sociaux » (Frigoli, 2004, p. 95). Le cahier des charges du PIC 100 % Inclusion stipulait ainsi que pour « proposer des parcours intégrés, remettant au cœur le bénéficiaire », était encouragé « le renforcement des coopérations existantes et la création de coopérations originale entre acteurs publics, associatifs et privés d’un territoire » (Ministère du Travail, 2019, p. 9). Dès la définition du projet, les structures doivent s’appuyer sur leurs relations partenariales antérieures voire en initier de nouvelles : « Les projets étudiés ont également contraint les acteurs associatifs des territoires concernés à trouver de nouvelles collaborations entre eux, se traduisant à la fois par une complémentarité de leurs actions, mais parfois aussi par une relation de méfiance confinant à la compétition » (Lusinchi et Petit, 2024, p. 51).

19Dans le cas de La Locomotive, le projet conduit à renforcer le réseau local d’action sociale, en l’élargissant et en renouvelant certains partenariats. Deux nouvelles associations ont ainsi été introduites dans le maillage associatif local. Ces deux structures d’insertion par l’activité économique intervenaient jusqu’alors marginalement à l’échelle du territoire, sur sollicitation de la DIRECCT et sans parvenir à répondre pleinement aux besoins des habitants :

On sentait une attente du public parce que des fois on avait un peu de mal à répondre à toutes les sollicitations de rendez-vous, faute de moyens ou de présence aussi (directrice AI 1).

Le projet financé par le PIC apparaît alors pour ces structures comme une opportunité pour renforcer leurs actions :

On s’est dit que, si on devait rêver, ça serait d’avoir un conseiller dédié sur ce territoire-là [la commune nouvelle]. Donc on l’a très vite incarné dans La Locomotive sur une présence d’un professionnel qui soit vecteur de ce que l’insertion par l’activité économique peut apporter sur ce territoire-là. Parce qu’on y était un peu connu, mais pas autant (directrice AI 2).

20N’omettons pas, toutefois, que l’entrée dans le programme PIC a également constitué pour les deux structures « l’opportunité » (Petit, 2023) de développer leur activité économique :

On n’avait pas beaucoup de clients présents sur Chemillé-en-Anjou, or il y a un tissu économique qui est dense. Donc on savait qu’il y avait matière à aller faire du lien entre ces acteurs économiques et le public potentiellement accueilli (directrice AI 1).

De leur point de vue, cette inscription ne peut cependant pas se réaliser sans tisser des liens avec les autres acteurs qui interviennent à l’échelle de la commune nouvelle avec qui elles sont moins connectées que ceux départementaux par exemple. Il s’agit à la fois d’un objectif à atteindre et d’une méthode pour entrer dans le territoire :

Il y avait aussi des leviers de faire ensemble et on n’avait peut-être pas le temps d’aller plus loin. Mais on se rendait compte qu’en effet, sur du maillage partenarial, il y avait des actions qui étaient possibles (directrice AI 1).

Cette ambition se traduit dans l’expérimentation par l’installation permanente d’une salariée dans les locaux du Centre Social. Alors que jusqu’alors ce dernier était en contact ponctuellement avec des interlocuteurs différents, la présence continue et régulière de la conseillère en insertion professionnelle a favorisé l’établissement de liens étroits entre les trois associations.

  • 4 Ces temps de travail partenarial financés par le projet sont multiples : 4 séminaires annuels de de (...)

21À mesure des actions d’aller-vers et d’accompagnement, le PIC a également conduit à renouveler certaines relations. Si à Chemillé-en-Anjou, le consortium ne s’élargit pas à mesure de l’action (compte tenu notamment des modalités de financement de l’AAP), les relations entre ses membres évoluent à mesure de la coopération. Des liens étaient par exemple déjà établis entre le centre social et un organisme de formation associatif qui intervient à l’échelle de la commune nouvelle, mais leur engagement au sein de La Locomotive a renforcé leur connaissance mutuelle. À propos de cette dynamique, les acteurs soulignent l’importance du financement des temps de travail partenarial dans le cadre du projet4 :

Le fait de travailler en collaboration avec tous ses partenaires, c’était la première fois en tout cas pour nous. Déjà, avoir un projet où on est financé pour être en réunion, c’est énorme ! On peut travailler vraiment en collaboration étroite avec tous ces partenaires présents sur le territoire (directrice organisme de formation).

Dès l’amorce du projet et de façon continue, ces espaces de dialogue conduisent à identifier d’une part les compétences disponibles, mais également à construire une représentation commune du territoire et des besoins qui y apparaissent, tels que l’apprentissage du français langue étrangère. Il s’agit alors de renouveler les partenariats pour coordonner les réponses à apporter :

Après, en début d’année, on a fait énormément de réunions, mais concrètement ? J’avais fait une visio avec le directeur du centre en février pour lui dire : je peux te répondre à la demande du « public FLE » parce qu’ils étaient en attente. J’ai dit : moi, j’ai les ressources en interne (directrice organisme de formation).

Densification des liens et émergence de nouveaux projets

  • 5 Vocabulaire employé par le ministère du Travail dans le cadre du PIC 100 % Inclusion et largement r (...)

22Si la réponse à l’AAP PIC 100 % Inclusion a suscité un renouvellement des dynamiques relationnelles, les actions mises en œuvre contribuent également à densifier les liens entre les structures. L’élaboration de parcours « sans couture »5 qui prennent en compte l’interdépendance des freins à l’accès à l’emploi impose aux acteurs d’intervenir dans de nouveaux registres et à coopérer avec de nouvelles structures. Si, à certains égards, le consortium constitue un vivier de partenaires potentiels, les relations en son sein se tissent avant tout à partir des actions de formation et de remobilisation sociale mises en œuvre de concert. C’est le cas par exemple de la Flashcoop organisée lors d’un séminaire à Chemillé-en-Anjou en décembre 2023. Ce dispositif accompagne un groupe de personnes accompagnées dans la découverte de l’entrepreneuriat en créant une entreprise éphémère sur sept jours et est porté par la coopérative d’activités et d’emploi qui assure habituellement seule son animation. Dans le cadre de La Locomotive, deux autres structures se sont associées à la démarche afin de l’adapter au plus près des besoins des personnes accompagnées. Dans le cas de ce groupe, il s’agissait principalement de personnes allophones, en très grande précarité, peu ou pas diplômés et pour certains socialement isolés. L’organisme de formation associatif qui assure les ateliers français langue étrangère, un lycée professionnel et la coopérative d’activités et d’emploi ont ainsi travaillé de concert pour accompagner un groupe de cinq personnes étrangères dans la création d’une entreprise temporaire de restauration.

23Alors que les accompagnements mis en œuvre par La Locomotive arrivent à leur terme en 2024, ces expériences successives favorisent l’émergence de nouveaux projets à la suite de l’expérimentation entre les structures du consortium. L’expérimentation révèle en effet des besoins locaux laissés sans réponse en matière d’insertion socioprofessionnelle et dessine ainsi pour une partie des acteurs des perspectives de nouvelles formes d’accompagnement communes au-delà du projet. Les habitudes de travail en consortium, la confiance réciproque et la construction d’une lecture commune fluidifient le partage des idées et la formulation de réponses potentielles aux enjeux locaux :

La Locomotive fait déjà des groupes et un territoire prêt à accueillir et à porter un projet de territoire. En fait, ça a préparé le terreau, vraiment (directrice AI).

L’expérimentation revêt ainsi un double rôle dans l’élaboration de nouveaux projets à l’échelle de la commune nouvelle : d’une part elle a révélé la difficulté que posait dans l’accès à l’emploi des personnes qui en étaient éloignées, la disparition de la seule entreprise d’insertion (services avicoles) jusqu’alors présente dans le territoire et d’autre part elle a préfiguré un groupe de structure et une échelle à partir desquels penser de nouvelles réponses à ces besoins. À l’échelle de la commune nouvelle, le Centre Social, les trois AI et la municipalité s’investissent désormais dans la création d’un chantier d’insertion. Afin de pouvoir solliciter le financement étatique, un groupe de travail se réunit régulièrement pour définir le projet. Il associe également des personnes accompagnées dans le cadre la Locomotive, ainsi que des entreprises privées de la filière bois locale pour identifier les champs non concurrentiels que le chantier pourrait investir. Comme le soulignent les porteurs du projet, l’expérimentation PIC influence le projet de chantier au-delà de la seule mise en relation des membres :

C’est que s’il n’y avait pas eu La Locomotive, on serait peut-être arrivé à la création d’un chantier, mais on ne l’aurait pas travaillé de cette manière-là. C’est vraiment la méthode et l’approche différente qu’apporte La Loco. Ça a été un facilitateur de temps, de moyens et de pratiques (directrice AI 1).

24L’enquêtée souligne ici une des singularités de La Locomotive qui cherchait à associer les publics cibles tout au long de l’expérimentation : de l’élaboration de l’accompagnement, à la gestion, l’évolution ou encore la restitution du projet. Cette méthode de co-construction a été spontanément transposée par les acteurs issus de La Locomotive au projet de chantier d’insertion. Des personnes susceptibles d’intégrer un chantier d’insertion prennent part à la réflexion relative à l’objet de la production et les futures conditions de travail. Le collectif réuni autour de ce projet cherche à capitaliser les outils de travail collaboratif expérimentés dans le cadre de l’AAP. À leur tour, ils participent également à leur diffusion quand ils associent des partenaires locaux extérieurs au consortium, tels que les acteurs de la filière bois au sein de laquelle le chantier envisage de s’inscrire.

Reconnaissance institutionnelle et partenariats, la mise en scène comme stratégie collective

25Au-delà de l’injonction, l’organisation partenariale des accompagnements mis en place auprès des personnes dites « éloignées de l’emploi » répond à la complexité des situations rencontrées. La pluralité et l’interdépendance des besoins des publics éloignés de l’emploi appellent, dans la perspective de parcours « sans couture », à une coordination renforcée. Dans le projet, cela prend la forme de réunions, auxquelles participent l’ensemble des membres du consortium, mais également des représentants des voyageurs. Entre octobre 2020 et juin 2023, 65 réunions ont regroupé 92 acteurs de 14 structures différentes. Ces instances dédiées à la gestion globale et opérationnelle du projet (financement, communication, identification des besoins, évolutions des modes d’accompagnement, etc.) constituent aussi une vitrine pour mettre en lumière l’intérêt des partenariats renforcés. Les discours produits sur les dynamiques relationnelles ont une visée performative et contribuent à renforcer cette réalité. C’est à ce titre que des acteurs hors du consortium peuvent y être conviés. La coordinatrice du projet pour le territoire de Chemillé-en-Anjou espère ainsi tisser des liens avec les assistantes sociales de la Maison Départementale des Solidarités quand bien même la légitimité du projet ne semble pas encore acquise :

Pour certaines AS [assistantes sociales], on n’est pas travailleurs sociaux, donc on n’a rien à faire dans le social. On leur a présenté La Loco, mais on n’a jamais eu de temps d’échanges et de rencontres et de coopération sur le rôle de chacun. Et quelles pourraient être les apports de La Loco pour vous ? Quelles seraient vos attentes ? […] Je ne désespère pas. J’ai relancé la directrice de la MDS [Maison Départementale des Solidarités] et je ne désespère pas (salariée 1, CS).

26Les réunions de coordination constituent une vitrine de l’action partenariale mais ne s’y limitent pas et offrent des temps de travail privilégiés entre les différentes structures : des calendriers d’activités communs et concertés sont établis, des besoins spécifiques sont identifiés et répondus collectivement à mesure du projet (atelier confiance en soi, diversification des ateliers sociolinguistiques en fonction des niveaux et projets des personnes accompagnées, etc.) et des actions communes, coanimées par plusieurs structures y sont élaborées.

27Cette portée opérationnelle est moindre dans le cas des comités stratégiques où la stratégie de mise en scène de la densité relationnelle est conscientisée et organisée. Ces derniers, planifiés annuellement, ont vocation à rendre compte de l’avancement du projet auprès des instances déconcentrées de l’État (DDEETS) et de la collectivité départementale (Direction de l’action sociale et territoriale et Direction de l’insertion). Des représentants des personnes accompagnées, des élus et des acteurs locaux (hors consortium) sont également conviés à cette instance. Il s’agit pour le consortium d’une opportunité de faire la démonstration de la plus-value d’une organisation collaborative. L’interconnaissance et les habitudes de coopération entre les structures sont mises en avant quand les tensions internes au consortium (modalités du cofinancement, harmonisation des outils de suivi et de remontée des dépenses, réactivité de certains partenaires) sont occultées. La plus-value d’un tel réseau local est corroborée par la présence et les récits des accompagnés. Si leur présence semble aller de soi pour les membres du consortium qui ont pris l’habitude de la co-construction, elle demeure inhabituelle pour les autres acteurs. À ce titre, leur parole, bien que singulière, fait l’objet d’une écoute spécifique et apparaît garante de l’expertise usagère (Heijboer, 2022). Ces contributions sont sincères mais n’en demeurent pas moins en partie instrumentalisées par les membres du consortium. Face aux élus et instances administratives, il s’agit d’une part de témoigner et d’illustrer la complexité et la singularité des parcours vers l’emploi ou la formation, mais également pour les membres du consortium de légitimer une expertise du « faire avec ». Cette stratégie vise à élargir le réseau local. Pour les associations du consortium, il s’agit d’un levier pour obtenir une plus grande reconnaissance institutionnelle et parvenir à tisser des liens avec des structures locales qui tendent jusque-là à se tenir à l’écart des dynamiques suscitées par l’AAP.

D’appels à projets en appels à projets : les associations en situation d’animation territoriale, de dépendance ou de concurrence ?

Les effets pernicieux des appels à projets : fragilisation et dépendance

28Les associations engagées dans le consortium entretiennent une relation ambivalente avec les logiques d’AAP. Si elles trouvent un intérêt dans les partenariats, leur investissement répond pour partie à une contrainte et fragilise les structures. Il reflète en effet une recherche complexe de financements. La démultiplication des AAP impose en effet une transformation des métiers avec l’introduction de tâches nouvelles (réponse, coordination, etc.). Certains membres du consortium ont ainsi découvert l’ampleur des tâches administratives (remontées de dépenses, feuilles de présence, etc.) que supposait le financement par projet :

Au début on teste des choses, on ne nous parlait pas trop de chiffres, pas trop de soucis, pas trop de tableaux. Et puis petit à petit, en fait on est rentré dans un dispositif. C’est très présent cette notion-là d’administratif, de suivi (salariée 2 CS).

Ces tâches se font au détriment de l’action ou impliquent une surcharge pour les salariés. Les équivalents temps pleins se trouvent alors découpés pour financer des postes qui préexistent aux AAP :

Sur mes 4 jours par semaine, j’ai 0,6 ETP qui est dédié à la Locomotive et 0,4 au reste, même si parfois j’ai d’autres choses. On a des projets avec d’autres partenaires aussi. Et moi je peux avoir du mal à voir la frontière (salariée, AI).

Certains parviennent à dépasser ces « points de friction » à l’appui du projet associatif :

À un moment, tu te décales. En fait, c’est quoi l’objectif ? C’est d’accueillir les gens. Après, on se débrouille de savoir si on les rentre dans un tableau ou l’autre (salariée 2 CS).

Pour les salariés enquêtés, même si les AAP assurent le financement de leur poste, ils contribuent à détériorer leurs conditions de travail et limitent les accompagnements possibles :

Je peux développer des projets, mais là il y en a tellement que des fois je me dis j’ai déjà tout mon temps qui est pris. Nous, on arrive à saturation et plus personne ne peut faire ce rôle-là d’accompagnement (salariée 1 CS).

29La temporalité des AAP interroge également la continuité des actions mises en œuvre dans le territoire. En plus de précariser certains salariés, la logique de projets rend les recrutements difficiles, les montées en compétences complexes et les remplacements parfois impossibles. Dans le cas du PIC, le projet devait durer trois ans, dont deux consacrés à l’accompagnement des publics ; mais il a été reconduit par deux fois pour une prolongation totale d’une année et demie supplémentaire. Plusieurs associations soulignent l’ambivalence des opportunités offertes par le financement. Si des besoins ont été identifiés, et que l’accompagnement peut en partie être financé par le PIC il est parfois difficile de recruter :

C’est complexe ; recruter quelqu’un qui a ce bagage-là, un champ de compétences très large. Dans un an, c’est fini la Loco (salariée organisme de formation).

Plus encore, c’est l’intégration d’un consortium territorialisé et expérimental, dans un laps de temps court qui apparaît trop ardu pour que des fonds soient engagés :

Lancer un recrutement maintenant ? Si quelqu’un débarque dans le projet sans connaître la Loco, le temps qu’il intègre les structures, le temps qu’il intègre ce qu’est La Loco, le projet est fini. Ça nécessité quand même un minimum de connaissances des partenaires, du territoire, etc. (salariée 1 CS).

30Ces difficultés se traduisent au-delà des structures dans les réponses apportées aux besoins locaux (accès aux droits, mobilité, logement, grande précarité, estime de soi, isolement, phobie sociale, etc.) et d’insertion socio-professionnelle (maîtrise de langue, formation, compétences, soft skills, emploi adapté, etc.). Dans le cas de la Locomotive, la pérennité des actions mises en œuvre et le maintien des accompagnements engagés demeurent un enjeu : « Soyons réalistes, demain, si on a plus les financements Loco, on ne peut plus mettre à disposition une psychologue » (salariée, organisme de formation). Si les associations espèrent maintenir certaines activités, elles peinent à concrétiser ces ambitions sans moyens spécifiques :

Aujourd’hui ça représente 70h de travail sur La Loco, ce qui n’est pas une paille. Demain, ça s’arrête. On a bien mis en mouvement la machine, on a bien mobilisé les partenaires. Après La Loco, il se passe quoi ? Je suis confiante sur la relation partenariale qu’on a créée il y a peu, mais il faut être bête de penser que s’il n’y a pas de financement, ça va continuer dans la même ampleur (salariée 1, CS).

31Alors que le PIC visait à financer la construction de partenariats, en fin de projet, les relations partenariales sont identifiées par les associations comme une réponse à l’arrêt du financement. Cette ambition est en partie déjà rendue caduque par les stratégies de certaines structures associatives : un des organismes de formation délocalise son activité à l’issue du projet au profit d’autres territoires où il est lauréat d’autres AAP. Le financement par projet interroge ainsi au-delà de la viabilité des associations les effets pour le territoire et ses habitants. Dans le cas de Chemillé-en-Anjou, une partie de ces derniers éloignés de l’emploi ont eu accès à un dispositif renforcé, mais qu’en est-il de ceux qui n’y ont pas encore eu accès ? Les rythmes des AAP peinent ainsi à rencontrer ceux des besoins territorialisés qui s’inscrivent dans le temps long et se trouvent sans cesse renouvelés à moins de changements profonds et systémiques.

Raffinage des partenaires potentiels et risques d’exclusion

32La place des partenariats dans les discours révèle également à quel point les dynamiques relationnelles constituent une ressource pour les associations. Le consortium forme un vivier de partenaires potentiels avec qui répondre à d’autres AAP, à l’image du projet de chantier d’insertion. En ce sens, le projet apparaît comme un levier de raffinage des partenaires potentiels : autrement dit de sélection des structures aux valeurs et modalités d’action proches mais également d’exclusion de celles considérées comme défaillantes. Pour les associations ces logiques constituent un enjeu supplémentaire. Au-delà du levier financier, il s’agit de tisser des liens et de faire la démonstration de la fiabilité des engagements pris afin d’accéder à d’autres projets.

33La Locomotive donne à voir deux modalités de raffinage ; la première repose sur la confrontation de systèmes de valeurs différents et la seconde s’appuie sur la mise à l’épreuve des compétences des structures. La question des cultures professionnelles s’est posée dans le projet suite à la participation puis au désengagement d’une agence d’intérim. La présence de cette dernière révèle l’ambition originale du projet :

Quand tu parles du projet de Loco, au tout départ, il faut oser imaginer que des personnes d’horizons différents veuillent bien prendre du temps pour travailler ensemble, avoir les mêmes objectifs, etc. (directrice organisme de formation).

L’objectif d’un accompagnement « sans couture » induit alors la rencontre de cultures professionnelles radicalement différentes :

Je suis un peu moins dans le social que la majorité des partenaires. Nous, il faut un peu plus de productivité et de rentabilité dans notre démarche. Je n’ai pas l’habitude de faire beaucoup de réunions pour peu d’actions dernières. Je pense que c’est la différence avec des personnes qui sont dans le social qui pensent à tout avant de se lancer (directrice agence d’intérim).

34Deux ans après l’amorce du projet, la confrontation de ces valeurs conduit au désengagement de l’agence d’intérim. Dans une perspective adéquationniste, celle-ci identifiait le projet comme une modalité d’accès à une main-d’œuvre peu qualifiée dans un contexte local de quasi-plein emploi :

J’ai tellement d’entreprises qui me sollicitent. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire au centre social ? Parce que ça grouille de monde quand même au centre social. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire venir des entreprises pour apprendre les métiers ? (directrice agence d’intérim).

Les associations intermédiaires engagées dans le projet ont peiné à comprendre le positionnement de l’agence et craint une éventuelle concurrence. De leur point de vue, le retrait de l’agence a permis de clarifier ce qu’impliquait la recherche de lucrativité :

Tu ne peux pas faire une Locomotive comme ça : tout le monde il est beau, tout le monde est gentil, on y va ! À un moment donné, nos valeurs nous rattrapent et c’est bien essentiel (directrice AI).

35Le raffinage se réalise également à partir de la confrontation de l’action et des engagements des structures. Une des associations en charge des questions de mobilité est par exemple identifiée comme défaillante. Les autres structures continuent de fonctionner avec dans le cadre de l’expérimentation, mais ne l’associent pas à d’éventuels futurs projets. Plus les liens se sont resserrés entre les membres du consortium, plus la stratégie de cette association est devenue marginale :

La contribution de certains partenaires me questionne et me mets en colère, je me demande ce qu’ils font dans le projet et quels sens ils y mettent. Cela pénalise les voyageurs et notre crédibilité est mise à mal quand nous parlons lors de nos présentations de la mobilité et que notre principal acteur n’est pas présent ou ne fait pas avancer les dossiers (salariée 2 CS).

36En réalité, l’association concernée opte, dans la course aux financements, pour une stratégie agressive et répond à de trop nombreux AAP pour s’engager pleinement :

Je te dis l’intérêt, il était pécunier au départ. Enfin, nous on est sur tout. On saute sur tout ce qui bouge. Tout ce qui est mobilité, on essaye d’être dessus même si ça rapporte pas. On essaye d’être dessus pour être un interlocuteur unique sur le département, pour rien laisser aux autres (opérateur mobilité).

Elle est perçue comme un acteur périphérique au sein du consortium, par l’ensemble des autres membres du consortium enquêtés à Chemillé-en-Anjou.

37Le schéma des dynamiques relationnelles d’une des salariées du centre social l’illustre (Figure 1). Les pointillés indiquent que les nouveaux liens tissés sont ambivalents et la localisation de l’association en périphérie du schéma, dans la catégorie des liens secondaires témoigne de la faiblesse des relations tissées. Même si un recrutement la dernière année du projet chez l’opérateur mobilité a renforcé l’accompagnement et resserré les liens, cette perception est majoritaire dans le consortium. L’association n’a ainsi pas été conviée à la réponse à l’AAP du programme Territoires Inclusion Mobilité Sobriété portée par le centre social et deux autres associations locales. Alors même que le projet porte sur des problématiques de mobilité, l’opérateur sera absent du projet à partir duquel de nouvelles dynamiques relationnelles s’organisent déjà.

Figure 1 : Schéma des dynamiques relationnelles au sein du projet selon l’une des salariées du centre social.

Figure 1 : Schéma des dynamiques relationnelles au sein du projet selon l’une des salariées du centre social.

38La quantification (figure 2) des modalités de collaboration entre les membres du consortium démontre que cette exclusion repose sur une expérience commune et non pas sur une forme de désengagement. L’opérateur a partagé plus de 15 réunions de coordination avec la majorité des membres et plus de 30 avec le Centre Social du Chemillois. Ces espaces visaient à réduire les ruptures et fluidifier les accompagnements en renforçant les complémentarités entre les différentes actions de formation ou de remobilisation sociale. Ils ont également fait naître des actions communes co-portées par plusieurs structures. L’observation récurrente de ces différents temps a mis en lumière les difficultés rencontrées par l’opérateur mobilité à d’une part rendre lisible le fonctionnement interne de sa structure et d’autre part à l’adapter, même partiellement, aux contraintes et objectifs de l’expérimentation et des structures partenaires.

Figure 2 : Modalité de collaboration entre les membres du consortium

Figure 2 : Modalité de collaboration entre les membres du consortium

Reconfiguration des relations avec les pouvoirs politiques locaux

39L’obtention d’AAP implique également des reconfigurations des relations entre les pouvoirs politiques locaux, en particulier avec la commune nouvelle et les services départementaux et les associations (Marival, 2011). Plus complexes que la « figure du remplacement », elles témoignent de « glissements, progressifs, mais néanmoins tangibles, dans les formes de circulation des financements, dans les modalités de pilotage/contrôle » (Cottin-Marx et al., 2017, p. 465). L’ampleur du projet et le nombre de structures engagés dans le consortium confèrent au centre social un statut nouveau à l’échelle locale. Alors que les relations entre les associations et les collectivités territoriales sont de plus en plus ambiguës avec la généralisation des « commandes publiques » (Perrot, 2008), le fort potentiel de coordination de l’association interpelle les pouvoirs locaux.

  • 6 Circonscription d’action sociale départementale, la Maison Départementale des solidarités constitue (...)
  • 7 Guichet polyvalent mis en œuvre par l’État pour favoriser l’accès aux services publics et limiter l (...)

40La Locomotive a impliqué une réorganisation des activités au sein du centre et la création d’un pôle social. Les échanges et collaborations ponctuelles, en dehors de l’expérimentation, entre le centre social et le Centre communal d’action sociale (CCAS) ou encore la Maison Départementale des solidarités (MDS)6 sont marqués par une défiance importante. Avec le pôle social, les salariés et responsables des deux structures évoquent, notamment en présence d’élus, le risque grandissant de mise en concurrence par le centre social de leur champ d’intervention. Alors que l’association était jusqu’alors identifiée comme une structure dédiée à l’animation socioculturelle, elle s’impose désormais comme un acteur majeur de l’accompagnement social. L’ampleur de l’expérimentation renforce un sentiment latent apparu à mesure des activités organisées par le centre social auprès des bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active puis de l’accueil de France Service au sein de leurs locaux depuis 2016. Ce sentiment est tel que la collectivité retire sa délégation de compétence pour France Services7. Le PIC vient en effet pour « agir en direction des publics les plus fragiles, en “additionnalité” de l’existant » (Dupont, 2022, 37), quitte à l’interpeller. Un projet urbanistique illustre cet enjeu. Lorsque la municipalité projette le réaménagement d’un bâtiment pour créer un pôle avec des associations, la MDS ainsi que le CCAS, aucun espace n’est réservé pour le centre social. Les locaux étaient pourtant jusqu’alors mis à disposition de ce dernier. Son « secteur action sociale » y est d’ailleurs installé depuis trois années. La collectivité rappelle ainsi symboliquement que l’association ne constitue qu’un partenaire parmi d’autres et refuse qu’elle occupe une position centrale dans le pôle territorial d’action sociale.

  • 8 L’appel a été lancé par le ministère des Solidarités et des Familles en 2023. 39 territoires ont ét (...)

41Paradoxalement, ce climat concurrentiel n’empêche pas la coopération entre le centre social et la collectivité. Elle s’impose même comme une nécessité pour les deux structures qui, à l’issue de La Locomotive, ont répondu ensemble à l’AAP Territoires Zéro Non Recours8. Lauréats, ils vont mettre en œuvre durant trois années un projet à l’échelle de la commune nouvelle pour lutter contre le non-recours aux droits et aux services. Alors que ce dernier fait l’objet d’une « mise à l’agenda des problèmes publics » (Rode, 2021, p. 68), cette expérimentation escompte répondre à des besoins locaux, dont l’ampleur a été révélée par le projet de La Locomotive (11 % des personnes accompagnées l’ont été pour « l’accès ou le recours aux droits sociaux »). Pour la municipalité, cela traduit un déficit d’ingénierie territoriale : les compétences développées par l’association en matière d’accompagnement social et en particulier les pratiques d’aller-vers (Avenel, 2023) sont essentielles pour faciliter l’accès aux droits. Du point de vue du centre social, le projet renforce les liens avec la collectivité et la reconnaissance de leur ancrage territorial. Si, historiquement, l’association tendait à minimiser la visibilité de son rôle dans la coordination territoriale (Bioteau et al., 2015), la réponse aux AAP successifs transforme les configurations locales. En 2007, le directeur du centre stipulait ainsi que :

[La structure] n’a pas aux yeux des élus de la Communauté de communes, pour fonction de coordonner les politiques sociales du territoire. Si dans la réalité c’est un peu ce qui se passe, ne pas l’afficher fait partie du doigté professionnel (directeur CS).

42L’ampleur des appels à projets obtenus bouscule cette habituelle discrétion. À mesure des projets, l’ampleur du rôle de coordination du centre social apparaît de façon de plus en plus évidente. Alors que la municipalité était absente du consortium, la démonstration des logiques collaboratives et des résultats confère un statut nouveau au centre social. Il affirme une forme d’expertise en matière de réponse aux AAP et d’animation de projet. La gouvernance territoriale « mixte » (Leroux, 2006 ; Gilly et al., 2004) qui en découle est par ailleurs facilitée par les interpénétrations entre municipalité et associations : un adjoint à l’action sociale est administrateur d’une des associations intermédiaires impliquées dans La Locomotive et une adjointe aux solidarités est membre du conseil d’administration du centre. Malgré les opportunités offertes par ces reconfigurations, à l’aube de ce nouveau projet, une défiance persiste :

Si je suis sur une bonne journée, je vais être objective, je vais dire c’est un super projet, ça va faciliter nos liens avec la mairie, avec le département, avec les assistantes sociales. Si je suis sur une mauvaise journée, je vais dire c’est la mairie qui va être maître des décisions, qui va piloter le truc et qui va nous dire ce qu’il faut qu’on fasse (salariée 1 CS).

Conclusion

43L’article s’est intéressé aux impacts des appels à projets sur les associations et, plus particulièrement, sur les dynamiques relationnelles locales au sein desquelles elles s’inscrivent. En étudiant les relations suscitées et transformées par le projet La Locomotive (PIC 100 % Inclusion), l’analyse a mis en exergue la complexité et l’ambivalence des effets des AAP sur les réseaux locaux d’action sociale et sur leurs capacités à moyen et long terme à répondre aux enjeux des territoires. Les résultats démontrent que les AAP constituent une opportunité pour élargir et renouveler les relations entre les acteurs locaux. Ils contribuent également à densifier ces liens au point de favoriser l’émergence de nouveaux projets à l’échelle de la commune nouvelle. Les observations réalisées conduisent à mettre l’accent sur l’importance de la mise en scène des logiques partenariales qui animent le consortium vis-à-vis d’acteurs extérieurs à ce dernier. Au-delà des effets d’opportunité, l’article met aussi en lumière les effets pernicieux des AAP qui fragilisent à certains égards les associations et les positionnent en situation de dépendance vis-à-vis des partenariats avec les autres structures locales. Pour illustrer les logiques de concurrence et de dépendance qu’impliquent les AAP, l’analyse expose les modalités de raffinage en cours au sein du consortium. Elle détaille également les reconfigurations des relations avec les pouvoirs politiques locaux qu’impliquent les expérimentations par appel à projets dans le secteur associatif.

44Il est enfin essentiel de souligner la prégnance des enjeux relatifs à la temporalité des appels à projets. Dans le cadre de La Locomotive, les « parcours sans couture » mis en œuvre mettent l’accent sur l’importance de la (ré)introduction d’espaces-temps pour rythmer le quotidien des personnes les plus éloignées de l’emploi. Quand bien même les structures impliquées dans le consortium essaient de maintenir certaines activités, la portée programmatique et la perspective de la fin du projet viennent heurter le fragile renouveau qui se dessine à l’échelle individuelle. Les personnes accompagnées expriment un désarroi face à cette temporalité contrainte :

L’après Loco ça m’inquiète, que ce soit fini, que tout s’arrête, que ce soit une coupure nette, qu’il n’y ait plus d’accompagnement, qu’on nous dise c’est fini. Qu’est-ce qui se passe pour les personnes qui n’ont pas trouvé d’emploi et de formation à la fin ? On a peur qu’on retourne dans l’oubli, qu’on redevienne les personnes invisibles (personne accompagnée).

45D’une certaine manière, il en va de même pour certains salariés au sein des structures d’accompagnement : qu’adviendra-t-il pour eux, aussi, après ? Si les associations identifient dans leurs actions une continuité entre les appels à projets, ces derniers se succèdent selon des périmètres thématiques et géographiques variables qui interrogent la permanence de la réponse aux besoins locaux. Certaines des personnes accompagnées parviennent à voguer au gré d’actions financées par des AAP quand d’autres dérivent plus encore vers le non-recours. À ce titre, le projet Territoire Zéro Non-Recours (obtenu en 2023) est saisissant et pose dès l’élaboration du projet la question de la pérennisation des actions. Paradoxalement, les AAP qui ont dans leur cahier des charges une portée territoriale peinent à rencontrer le temps long du territoire ; celui des institutions qui s’y inscrivent, mais également celui des besoins qui font l’objet d’une dépendance de sentier (Laperche et Uzunidis 2011 ; Fontan et al. 2008 ; Martin et Simmie 2008), au même titre que les trajectoires territoriales dont ils résultent.

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Notes

1 Loi sur l’Aménagement et le Développement des territoires, LOADT (loi Pasqua).

2 Loi sur l’Aménagement et le Développement Durable des Territoires, LOADDT, (loi Voynet).

3 Patrick Colin, MCF en sociologie (MISHA), Lisa Colombier, doctorante en sociologie (CDPF) de l’Université de Strasbourg et Jérôme Prugneau, géographe à l’Université d’Angers ont contribué au projet de recherche-action.

4 Ces temps de travail partenarial financés par le projet sont multiples : 4 séminaires annuels de deux jours et demi, des réunions territoriales mensuelles auxquels s’ajoutent des réunions inter-partenaires et pour certains acteurs non coordonnateurs du consortium jusqu’à une moyenne de plus de 6h de temps de travail en commun hebdomadaires.

5 Vocabulaire employé par le ministère du Travail dans le cadre du PIC 100 % Inclusion et largement remobilisé par les acteurs de l’expérimentation pour qualifier la fluidité à atteindre et l’absence de rupture entre les différentes étapes et composantes des parcours.

6 Circonscription d’action sociale départementale, la Maison Départementale des solidarités constitue un guichet unique pour accéder aux services sociaux à l’échelle de la Communauté d’Agglomération Mauges Communauté alors que le Centre Communal d’Action Sociale agit au nom et à l’échelle de la commune nouvelle pour mettre en œuvre une politique sociale locale.

7 Guichet polyvalent mis en œuvre par l’État pour favoriser l’accès aux services publics et limiter le non-recours via entre autres un accueil physique et un accompagnement numérique.

8 L’appel a été lancé par le ministère des Solidarités et des Familles en 2023. 39 territoires ont été retenus pour déployer un ensemble d’actions expérimentales durant trois années pour faciliter et simplifier l’accès aux droits et limiter le non-recours. Sont particulièrement l’accès au revenu de solidarité active, la prime d’activité, le chèque énergie, les aides personnalisées au logement ainsi que plus globalement aux services publics.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Schéma des dynamiques relationnelles au sein du projet selon l’une des salariées du centre social.
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/13367/img-1.png
Fichier image/png, 480k
Titre Figure 2 : Modalité de collaboration entre les membres du consortium
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/13367/img-2.png
Fichier image/png, 774k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Nina Aubry, Aurélien Martineau et Emmanuel Bioteau, « Quand les associations expérimentent : les dynamiques relationnelles locales à l’épreuve des appels à projets. Le cas du PIC La Locomotive »L’Espace Politique [En ligne], 53-54 | 2024-2/3, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 19 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/espacepolitique/13367 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13gh5

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Auteurs

Nina Aubry

Maîtresse de conférences en géographie et aménagement
UMR ESO-Angers CNRS 6590, Université d’Angers
nina.aubry@univ-angers.fr

Aurélien Martineau

Docteur en géographie sociale, Ingénieur de recherche, UMR ESO-Angers CNRS 6590,
Université d’Angers
aurelien.martineau@univ-angers.fr

Emmanuel Bioteau

Professeur de géographie
UMR ESO-Angers CNRS 6590, Université d’Angers
emmanuel.bioteau@univ-angers.fr

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