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Géopolitique locale de la ruralité : engagements citoyens et dynamiques alternatives

Objectif ZAN (Zéro artificialisation nette) et territoires ruraux : du débat national à la parole d’acteurs locaux

Objective ZAN (Zero net artificialisation) and rural territories : from the national debate to the words of local actors
Joachim Dendievel

Résumés

L’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) a pour but de lutter contre l’étalement urbain, de préserver la biodiversité ainsi que les espaces naturels agricoles et forestiers. Depuis son inscription dans la loi climat et résilience de 2021, il a donné lieu à une inflation d’expressions et de débats soulevés en particulier par les élus. Alors que les enjeux urbains, qu’il s’agisse du renouvellement urbain ou de la densification avaient déjà été balisés, il s’agit de comprendre comment la mise en œuvre du ZAN dans les territoires ruraux est abordée dans le débat national et dans l’expression d’acteurs locaux.
Un premier temps précise le cadre de la politique ZAN, son rythme et sa déclinaison en cascade à toutes les échelles de l’action publique. Un deuxième temps aborde les nombreuses expressions nationales des années 2022 et 2023 et surtout le débat parlementaire 2023 ayant abouti à la loi du 20 juillet 2023. Les associations de maires et le Sénat y ont porté le sujet des petites communes rurales considérées comme victimes du ZAN. Dans un troisième temps, l’analyse du débat parlementaire concernant les territoires ruraux permet d’identifier des controverses, à la fois sur le diagnostic, sur les rapports interterritoriaux, ou sur la manière d’aborder le développement territorial. S’appuyant sur les expressions d’acteurs locaux recueillies lors d’une enquête menée dans le Gard et l’Hérault de mars 2024 à mai 2024, une dernière partie montre que la mise en œuvre du ZAN dans les territoires ruraux est un sujet de tension où se jouent des questions d’identité et de contrôle de territoire. La mise en œuvre du ZAN est abordée différemment selon l’ancienneté du processus de planification et selon la diversité des enjeux identifiés par les acteurs.

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Texte intégral

1L’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) est inscrit dans la loi Climat et Résilience de 2021. Il a pour but de lutter contre l’étalement urbain, de préserver la biodiversité ainsi que les espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF). Il a donc un lien très fort avec les territoires ruraux qui regroupent les communes denses ou très peu denses (INSEE, 2021), des territoires où les ENAF occupent l’essentiel des sols. C’est par la sauvegarde des terres agricoles que la lutte contre l’artificialisation des sols s’est d’abord renforcée. Les territoires ruraux, par leur faible artificialisation, par leurs modes d’organisation, par leur rapport particulier à l’environnement (Rieutort, 2018), pourraient trouver dans le ZAN matière à être valorisées. Et pourtant la mise en œuvre de l’objectif ZAN privilégie le champ large du renouvellement urbain, de la densification, d’autres manières de faire la ville sur la ville, le bourg sur le bourg, et le village sur le village. Elle risque de se focaliser sur les espaces de fortes tensions, les plus grandes masses urbaines et de rendre moins visibles les espaces de faible densité et la manière d’habiter l’espace rural. Depuis la loi Climat et Résilience, les élus se sont emparés d’un sujet maîtrisé par les professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. On assiste dès lors à une inflation d’expressions sur le ZAN et à l’émergence de sujets qui cristallisent l’attention et le débat. C’est le cas des petites communes rurales. Comment les enjeux de sobriété foncière dans les territoires ruraux sont-ils abordés dans le débat national sur l’objectif ZAN et dans sa mise en œuvre locale ?

2Après avoir posé dans un premier temps le cadre de la politique ZAN, une deuxième partie d’attardera sur le débat national qui a pris de l’ampleur en 2022 et 2023 et a fait émerger le sujet des communes rurales. Plusieurs sources sont convoquées pour donner un contour à ce débat en commençant par les expressions de grands acteurs nationaux accessibles sur leurs sites à travers des articles, des dossiers ou des communiqués de presse. Le débat a rejoint la sphère politique avec le débat parlementaire qui a abouti à la loi du 20 juillet 2023, loi « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux ». La manière dont la presse nationale a couvert ce débat en 2022 et 2023 apporte un regard complémentaire sur l’émergence du sujet des communes rurales.

3Le débat parlementaire autour de la mise en œuvre du ZAN dans les territoires ruraux s’est construit autour de plusieurs thèmes qui seront analysés à partir des comptes rendus des séances publiques des deux assemblées (présentation, débats sur les amendements, explications des votes et votes). De mars à juillet 2023, ces séances ont duré plus de 13h au Sénat et plus de 17h à l’Assemblée nationale. Les vidéos et fichiers textes qui correspondent aux comptes rendus sont accessibles sur les sites des deux assemblées (Sénat, Assemblée nationale, 2023). Ils permettent de distinguer les expressions des sénateurs et des députés selon leur appartenance aux différents groupes politiques. L’analyse argumentative s’appuiera par moment sur de l’analyse lexicale et proposera une lecture des controverses (Seurat, Tari, 2021) qui ont jalonné le débat autour des territoires ruraux.

4En contrepoint, en changeant d’échelle et en s’intéressant à la mise en œuvre plus concrète de l’objectif ZAN dans les territoires ruraux, nous nous appuierons sur les paroles d’acteurs locaux recueillies dans le cadre d’une enquête menée du 21 mars au 21 mai 2024 dans les départements du Gard et de l’Hérault. Sur une quarantaine d’entretiens réalisés, dix sont ici retenus car ils abordent plus particulièrement la mise en œuvre du ZAN dans les espaces ruraux. En insistant sur la structuration du débat, sur la parole des acteurs, sur les territoires ruraux comme enjeux, la démarche choisie s’inscrit dans le champ de la géopolitique (Rosière, 2021 ; Subra, 2018).

L’objectif ZAN concerne la plupart des territoires

Qu’est-ce que l’objectif ZAN ?

5L’objectif ZAN est apparu en 2018 avec le plan biodiversité. Il a été précisé par la loi Climat et Résilience de 2021 qui reprend partiellement les propositions de la convention citoyenne pour le climat regroupées dans l’objectif « Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages », puis par la loi modificatrice du 20 juillet 2023. Il a pour but de lutter contre l’étalement urbain dont les impacts sont nombreux sur l’environnement : perte de ressources du sol notamment pour l’agriculture, menace pour la biodiversité par réduction et morcellement des territoires des espèces animales et végétales, déploiement des mobilités humaines génératrices de pollution et de gaspillage d’énergie ayant des conséquences sur le réchauffement climatique, destruction et imperméabilisation de certains sols avec effets sur les risques d’inondation et sur la captation du carbone des sols.

6Il fait suite à d’autres lois ayant le même but (loi SRU en 2000, loi Grenelle II en 2010). La loi Climat et Résilience donne une définition de l’artificialisation : « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Elle se distingue des lois précédentes en donnant une cible à atteindre, portée à l’horizon 2050 en conformité avec la feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation de ses ressources (2011). Après 2050, le ZAN sera effectif, c’est-à-dire que toute nouvelle surface artificialisée devra être compensée par une surface équivalente « renaturée ». Pour atteindre cette cible, des objectifs sont définis par décennies. L’objectif intermédiaire 2021-2031 est de diviser la consommation d’espace par deux par rapport à la décennie précédente, soit 125 000 hectares au niveau national au lieu de 250 000.

7Le ZAN n’est pas sans défauts. Il limite la question de l’artificialisation à une approche surfacielle qui efface toute approche qualitative : un hectare égale un hectare. Il ne permet pas de distinguer la qualité d’un sol agricole, d’une forêt, la richesse en biodiversité d’un espace naturel. Il ne permet pas non plus d’avoir de la nuance sur les espaces artificialisés. Il ne se préoccupe pas des surfaces agricoles dont certaines posent problème en termes de qualité des sols et de biodiversité (Offner, 2022).

La déclinaison territoriale de l’objectif ZAN

8La déclinaison de cet objectif se fait en cascade, dans les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) puis à l’échelle infra régionale dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT), dans les plans locaux d’urbanismes (PLU) et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) selon un calendrier précis. En bout de chaîne, les PLU et PLUi devront être mis à jour début 2028, ce qui pose une question de cohérence car cette mise à jour concerne les objectifs 2021-2031.

Dans son principe il ne s’applique pas uniformément à chaque territoire puisqu’à chaque échelle il doit s’adapter à la diversité territoriale, ce qui suppose des arbitrages et des choix au niveau du Sraddet et des SCoT. Pour autant, chaque territoire et chaque commune participe à un objectif collectif de réduction de la consommation foncière.

9La mise en œuvre du ZAN ne fait pas de distinction a priori entre urbain et rural car chaque composante de l’espace est intégrée dans les périmètres des Sraddet et SCoT. Mais d’emblée sont exclues de cette démarche les communes relevant du règlement national d’urbanisme (RNU) qui n’ont ni PLU ni carte communale et dont l’ouverture à urbaniser, soumise à autorisation préfectorale, est très limitée. Il s’agit de 8 375 communes en 2024, soit 21,07 % des communes (géoportail-urbanisme, 2024). Elles comportent généralement moins de 500 habitants. Pour une partie des territoires ruraux, la mise en œuvre de l’objectif ZAN ne devrait, au premier abord, pas changer grand-chose.

Des leviers à mettre en œuvre localement

10La mise en œuvre de l’objectif ZAN se fait localement. Elle suppose de porter un autre regard sur les sols, de penser aux limites de l’urbanisation, d’optimiser la ressource foncière. Elle questionne les manières de construire les nouvelles habitations, les zones d’activités, les équipements et les infrastructures en privilégiant le recyclage urbain. Elle s’appuie sur l’expérience acquise en termes de sobriété foncière depuis la loi Grenelle II de 2010 qui fixait déjà des objectifs justifiés de consommation d’espace au niveau des SCoT et au regard de la consommation de la décennie précédente. Elle investit une mixité d’actions qui consistent à réutiliser les friches, les logements vacants, à recomposer les espaces d’habitat ou d’activité, à densifier les espaces existants, à utiliser les dents creuses dans l’enveloppe urbaine ou villageoise (ADEME, 2018 et 2021). Elle fait évoluer des métiers dans le domaine du bâtiment, de l’aménagement, de l’architecture. « Le ZAN est le levier potentiel d’une transformation urbaine, économique, sociétale et politique dont on n’a pas fini d’apprécier la portée » (Martin, 2023).

11L’objectif ZAN, simple objectif en 2018, est ainsi devenu un « instrument » de politique publique (Lascoumes, Le Galès, 2005) avec ses outils de mesure, son calendrier, sa méthodologie. La perception des acteurs change et risque de se focaliser davantage sur les éléments de mise en œuvre que sur la finalité. « Dans ce processus fragmenté d’élaboration de la loi, l’instrument devient le pilote, jusqu’à occulter le sens même de l’action » (Offner, 2023).

Le débat national autour du ZAN

12Le débat national autour du ZAN s’intensifie en 2022 et 2023. Les sites de grands acteurs organisés, le débat parlementaire de 2023 ainsi que la presse nationale rendent compte d’une inflation d’expressions sur le sujet. Les territoires ruraux apparaissent progressivement au centre du débat.

4 types d’approches portées par des acteurs à l’échelle nationale en 2022 et 2023

13Une série d’acteurs organisés, confrontés à la mise en œuvre du ZAN, s’expriment sur leurs sites publics respectifs par des articles, des dossiers, des communiqués de presse. Cet ensemble hétérogène d’expressions permet d’identifier des similitudes ou des différences selon la manière d’aborder le ZAN et selon les revendications portées. 4 types d’approches ressortent.

14Un premier type d’approche défend un nouveau modèle d’aménagement du territoire. Il est soutenu par des acteurs spécialisés de l’urbanisme, des acteurs de l’intercommunalité et des acteurs publics de la transition écologique. Il s’agit de l’Agence de la transition écologique (Ademe), du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), des associations de collectivités (Fédération des SCoT, Intercommunalités de France, France Urbaine), de la Fédération des agences d’urbanisme, de l’Ordre des architectes. Ces acteurs s’appuient sur des expériences déjà engagées, défendent la planification, la construction de projets territoriaux mobilisant les acteurs locaux. Les espaces urbains et ruraux sont considérés comme participant, de manière complémentaire, à la construction d’un territoire. Ces acteurs défendent le modèle de la ville compacte mais aussi le renforcement des centralités dans les espaces ruraux afin d’améliorer l’accessibilité des services aux populations et d’éviter le mitage de l’espace préjudiciable aux ENAF.

15Un deuxième type d’approche est centré sur la question du logement et de la construction dans un contexte de crise du logement multiforme. Elle se retrouve dans les expressions des professionnels de la construction comme la Fédération française du bâtiment (FFB) ou de l’habitat social comme l’Union sociale pour l’habitat (USH), deux organisations qui ont formé en 2023, avec 8 autres, une « Alliance pour le logement » pour faire face à l’aggravation de la crise du logement. L’Union nationale des aménageurs (Unam) et la filiale de la Caisse des dépôts chargée du conseil et de l’accompagnement des collectivités, la SCET, prennent également en compte cette approche. La SCET estimait dans une brochure d’octobre 2022 que l’impact du ZAN entraînerait une baisse du PIB de 1,5 à 2 % par an en raison de ses effets sur le secteur de la construction (SCET, 2022). Paradoxalement, ces acteurs sont plutôt en soutien au ZAN. Ils cherchent de nouvelles pistes pour concilier ZAN et filières de la construction et pour rendre plus désirable la densification. L’Unam, dès 2020, considère qu’il faudrait redéployer la population en direction des campagnes au profit des bourgs centres, les mieux équipés en services (UNAM, 2020).

16Le troisième type d’approche part vient du bloc communal. Elle est défensive. L’Association des maires de France (AMF) et l’Association des maires ruraux de France (AMRF) ont réagi fortement à la mise en œuvre de l’objectif ZAN et notamment à des décrets publiés en 2022. L’AMRF invite l’Etat à changer de regard sur le monde rural. En colère et insistant sur l’injustice, elle dénonce « l’uniformité absurde » du ZAN à cause duquel « la ruralité est, de fait, mise sous cloche ». Parmi ses revendications phares, elle défend notamment un « plan Marshall » pour la rénovation des bâtiments (AMRF, 2022). L’AMF, qui a saisi le conseil d’Etat en juin 2022 sur les décrets d’application du ZAN, cherche à articuler ZAN et développement rural. Pour les territoires ruraux, elle demande une dérogation au ZAN pour les communes en zone de revitalisation rurale (ZRR) et l’autorisation de changement de destination des bâtiments agricoles (AMF, 2022).

17Le quatrième type d’approche est environnementaliste. Il est porté par les associations environnementales comme France nature environnement (FNE) et la Fédération pour la nature et l’homme (FNH) ainsi que par l’Office français de la biodiversité (OFB). Ces acteurs sont particulièrement attentifs à la planification et à la trajectoire ZAN. Ils replacent la protection des sols dans le contexte des transitions écologiques. Ils critiquent les reculs de la nouvelle loi du 20 juillet 2023. La FNE, en plein débat parlementaire, a produit une « note technique » en 2023 sur les communes peu denses qui montre que ces communes consomment plus d’espace que les autres (FNE, 2023).

Les types d’approches proposés ici comme les acteurs qui les portent pèsent dans le débat. Les acteurs qui se retrouvent dans le premier type ont produit de nombreux documents d’accompagnement pour la mise en œuvre du ZAN, les acteurs du bloc communal ont pesé sur le débat 2023.

Le débat parlementaire place les petites communales rurales au centre des enjeux sur le ZAN

18La convention citoyenne pour le climat de 2021 avait identifié un impact prévisible de la lutte contre l’artificialisation sur « les communes et intercommunalités, notamment en milieu rural, qui souhaitent pouvoir se développer, répondre aux aspirations des habitants, à la croissance démographique et aux besoins économiques ». Pour les petites communes, elle proposait de soutenir la rénovation des logements et la revitalisation des centres villes (Convention citoyenne pour le climat, 2021). De même, le débat parlementaire précédant le vote de la loi Climat et résilience (24 août 2021) n’a pas oublié les territoires ruraux, mais dans un cas comme dans l’autre, il s’agissait d’une thématique parmi d’autres. Le débat parlementaire de 2023 place au contraire au centre des enjeux du ZAN les petites communes rurales.

19La nouvelle loi consiste à retoucher la mise en œuvre de la loi Climat et Résilience. L’initiative en revient au Sénat qui propose une démarche transpartisane. Un consensus a été trouvé entre les deux chambres aux majorités différentes à l’issue d’une commission paritaire mixte et malgré des points de désaccords plus sensibles à l’Assemblée nationale. Cette loi intervient dans un triple contexte : celui du début de la mise en œuvre de l’objectif ZAN qui a mis en ébullition nombre de collectivités courant 2022, celui d’un contexte politique fracturé au début de l’année 2023 par le sujet des retraites, celui enfin de la préparation du renouvellement du Sénat en septembre 2023. La loi a été présentée par la Sénat en mars 2023, examinée à l’assemblée nationale en juin et votée en juillet.

20Les grandes mesures de la loi concernent les grands projets d’envergure nationale et européenne (autoroutes, lignes à grande vitesse, centrales nucléaires, grands projets industriels…), l’instauration d’une conférence régionale, l’extension des délais de mise à jour des documents de planification et d’urbanisme, la prise en compte des surfaces « renaturées » dans le décompte net de la consommation d’ENAF dès la décennie 2021-2031, la prise en compte de la spécificité des territoires littoraux et montagnards, l’élargissement d’outils juridiques pour les communes (droit de préemption, sursis à statuer). Mais la proposition phare de la loi réside dans son article 7 avec la création d’une garantie communale, pensée d’abord comme une mesure pour les petites communes rurales.

21Le Sénat, se pose comme un défenseur du « bloc communal » et des prérogatives des maires et notamment des maires des communes rurales (Rihal, 2023). Il soulève le cas des petites communes qui pourraient se retrouver sans capacité de mener à bien des projets par manque de foncier et sans capacité de se faire entendre par les régions dans le cadre de la répartition des enveloppes régionales.

L’espace rural domine les échanges comme le montre très largement les occurrences des termes relevant de l’urbain, du rural et du périurbain dans les séances publiques du débat parlementaire (document 1). L’espace est vu comme divisé en deux (rural/urbain), le périurbain à peine évoqué.

Document 1 : Occurrences des termes urbain/rural/périurbain dans les comptes rendus des séances publiques du Sénat et de l’Assemblée nationale lors du débat parlementaire 2023 aboutissant à la loi du 20 juillet

Sénat

Assemblée
nationale

urbain, urbains, urbaine, urbaines

60

75

rural, rurale, ruraux, rurales, ruralité, ruralités

254

411

Dont « garantie rurale »

45

165

Dont « ruralité », « ruralités »

22

44

périurbain, périurbains, périurbaine, périurbaines

3

3

22La « ruralité » est convoquée sans qu’elle ne donne lieu à une réelle définition, comme une réalité qui renvoie à une évidence, à une connaissance partagée au sein des deux assemblées, et l’usage du terme relève donc d’une représentation sociale, d’une dimension idéelle (Rieutort, 2018, p 47). Au Sénat, le pluriel n’est évoqué que cinq fois, dont deux pour l’action publique « France Ruralités », deux fois par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, une fois par un sénateur du groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (RDPI), afin de soulever une diversité de l’espace rural : « Mais je souhaite tout de même préciser qu’il y a plusieurs ruralités dans ce pays » (le ministre, 14 mars 2023).

23De nombreux amendements non retenus ont proposé d’exclure des obligations du ZAN les petites communes. Plusieurs seuils ont été proposés : 1500 habitants, 2000 habitants, 5000 habitants. Le ministre critique le principe du seuil de population, car les petites communes recouvrent des situations très diverses, du petit centre bourg aux communes incluses dans la première couronne d’une métropole.

24L’article 7 de la loi, établit une « garantie communale ». Le principe est de garantir un hectare minimum de consommation d’espace pour les communes, exposé comme une « surface minimale de développement communal ». Il s’agit de leur laisser une marge de manœuvre et de favoriser l’acceptabilité de la lutte contre l’artificialisation des sols. Par ailleurs la mesure est simple et lisible. La garantie rurale peut être mutualisée à l’échelle intercommunale. Elle ne vaut que pour la décennie en cours. Le ministre préférait une garantie calculée en pourcentage de l’enveloppe déjà urbanisée (1 %). Il ne défend plus cette option à l’Assemblée considérant que l’arbitrage avec le Sénat a eu lieu, mais elle y est encore défendue par les écologistes.

25À l’issue du texte voté à l’Assemblée, la garantie rurale est réservée aux communes peu denses et très peu denses au sens de l’Insee. Après la commission mixte paritaire (CMP), cette garantie rurale est étendue à toutes les communes. Elle perd par conséquent sa dénomination de « rurale ». Mais pour en bénéficier, il faut que la commune soit couverte par un PLU, un PLUi ou une carte communale et que ce document soit au minimum prescrit avant le 22 août 2026. Les nouvelles équipes municipales élues en 2026 auront ainsi la possibilité de le prescrire. Cette contrainte s’adresse directement aux 8 375 communes RNU. Le but caché est-il de généraliser rapidement les PLU et cartes communales 23 ans après la loi SRU qui crée les PLU ? Un débat a porté sur le coût important de la carte communale (entre 10 000 et 14 000 euros) et donc sur l’insuffisance de moyens d’accompagnement.

Quelle couverture presse ?

26La presse est également une source pour suivre les débats. En utilisant la plateforme europresse, une requête concernant les mots « artificialisation » et « Zan » utilisés dans les titres et sous titres d’articles permet d’identifier les articles dédiés à ces sujets ainsi que leur fréquence. Sans entrer dans une analyse exhaustive, mais en cherchant à repérer les échos des débats, la requête a porté sur deux types de presse, les 5 grands quotidiens nationaux d’opinion d’une part (Le Monde, Libération, le Figaro, l’Humanité, la Croix) et d’autre part le magazine à vocation professionnelle La gazette des communes. Elle montre une inflation du nombre d’articles traitant de ce sujet en 2022 et surtout 2023 (document 2). Rappelons que le terme ZAN n’apparaît qu’en 2018.

Document 2 : Nombre d’articles consacrés au sujet de l’artificialisation et du ZAN après requête sur les titres et sous titres de presse

Avant 2018

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Dans 5 grands quotidiens nationaux

6

3

3

6

2

5

27

Dans La gazette des communes

0

0

0

0

2

15

23

  • 1 Jean-Marc Esnault, directeur général du campus de formation agricole et de réflexion sur la ruralit (...)

27Avant 2017, les articles sont rares. Ils concernent surtout le besoin de protéger les terres agricoles. Après 2018, la palette de sujets concernant l’artificialisation s’élargit à la biodiversité, aux projets d’infrastructure, aux friches ou à l’extension des zones commerciales. Il faut attendre début 2023 pour qu’un article d’un quotidien national évoque explicitement « une injustice pour les campagnes » : si les « chiffres ont la dent dure à l’encontre des campagnes », ils « ne constituent pas la vérité à eux seuls », il ne faut pas « briser le rêve »1, celui de vivre à la campagne dans une maison. La presse nationale suit le débat parlementaire à partir du mois de mars 2023 et se fait l’écho des inquiétudes des maires et des collectivités confrontés à la mise en œuvre de l’objectif ZAN.

28Dans La gazette des communes, le sujet des territoires ruraux arrive plus tôt, dès avril 2021 et surtout octobre 2021 dans un article consacré au congrès des maires de France. Aucune séance de ce congrès n’est consacrée au ZAN mais il apparaît « en arrière-plan de nombreux débats durant ces trois jours ». Des propos du géographe Éric Charmes sont retranscrits dans cet article mettant l’accent sur « une menace très forte pour les dynamiques de développement des territoires ruraux, un risque de mise sous cloche ». La gazette des communes aborde en 2022 et 2023 une palette large de sujets liés au ZAN : zones d’activités, décrets d’application, pistes cyclables, projets nationaux, fiscalité, immobilier d’entreprise, friches, logements vides, rôle des régions, renaturation, industries.

  • 2 La Gazette des communes, 31 juillet 2023.

29Une fois la loi votée en juillet 2023, la presse nationale comme La gazette des communes font état de la critique de la garantie communale de la part de la fédération des SCoT : « un coup de canif dans le travail réalisé par les SCoT depuis des années »2. Les déclarations du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquier, devant le congrès de l’AMRF fin septembre 2023, annonçant sa volonté de retirer sa région du dispositif ZAN, sont largement relayées par la presse en octobre et novembre. La loi est qualifiée de « ruralicide ». Cette sortie surprend alors que c’est le sénateur Jean-Baptiste Blanc du groupe Les Républicains (LR) qui a été à la manœuvre au Sénat pour proposer la loi du 20 juillet 2023. Elle est suivie d’une mobilisation aboutissant à l’envoie d’une lettre à la première ministre signée par 2000 élus.

30La focalisation du débat ZAN sur les territoires ruraux et notamment sur les petites communes s’est affirmée dans le contexte post loi Climat et Résilience qui a vu une inflation d’expressions sur la mise en œuvre du ZAN. Elle est devenue centrale dans le débat parlementaire initié par le Sénat pour trouver une issue dans la garantie communale d’un hectare votée dans le cadre de la loi de 2023.

ZAN et territoires ruraux : termes du débat et controverses

31La séquence parlementaire a ouvert des débats sur la prise en compte des territoires ruraux qui révèlent quelques points forts et des controverses (Seurat et Tari, 2021).

Un sentiment de mise à l’écart

32Les expressions qui dénoncent un risque de mise à l’écart des communes rurales jalonnent le débat parlementaire. Les territoires ruraux risqueraient d’être « condamnés », « sacrifiés », « oubliés », « gelés ».

Le sénateur Bruno Sido du groupe LR, (14 mars 2023) : « Les élus ruraux ont tout simplement peur d’être sacrifiés dans la répartition du ZAN. Ils ont peur d’être encore une fois les grands perdants et ils craignent qu’on ne leur enlève leur droit de construire ».

La mise à l’écart est vécue ici comme un risque de dépossession du droit des élus. Elle vient heurter la volonté de répondre aux besoins des territoires et s’oppose à la défense d’une « ruralité vivante », terme plusieurs fois employé.

33L’expression imagée « mise sous cloche » est également utilisée pour dénoncer un risque d’immobilisme et d’entrave au développement des territoires ruraux. Elle n’est pas neuve dans l’aménagement du territoire et critique les excès des politiques de préservation et de patrimonialisation des villes et villages (Géoconfluences, 2023) qui empêchent la réalisation de projets. Elle est utilisée en 2021 par Éric Charmes au congrès des maires de France, repris dans le revendicatif de l’AMRF. Lors du débat parlementaire elle est utilisée deux fois dans les échanges au Sénat et quatre fois à l’Assemblée nationale. Sur ces 6 occurrences, cinq sont le fait de parlementaires Les Républicains alors que Valérie Létard, rapporteuse du projet de loi au Sénat, en a aussi fait usage : « Si le ZAN est perçu comme une nouvelle inégalité, comme une mise sous cloche des territoires ruraux au profit de la consommation des zones urbaines, comme organisant le sous-développement de certains territoires, il échouera » (14 mars 2023). Le terme est ensuite repris par Laurent Wauquiez en septembre 2023. Porté par l’AMRF, il est donc repris politiquement quasiment exclusivement par Les Républicains.

34Avec un sens proche mais accentuant le mépris envers les habitants des territoires ruraux, certains parlementaires évoquent les « réserves ».

Le sénateur Olivier Paccaud du groupe LR (14 mars 2023) : « Veut-on faire de la ruralité une réserve de Peaux-Rouges ? Veut-on transformer nos campagnes en conservatoires de la vie rurale ou en écomusées ? »

La sénatrice Angèle Préville du groupe Socialiste, Ecologistes et Républicains (SER) (16 mars 2023) « Nous ne pouvons nous résoudre à devenir une sorte de réserve d’indiens sacrifiés à l’hôtel du ZAN au prétexte que notre territoire capte du carbone ».

Ce terme est utilisé dans ce sens 2 fois par des sénateurs du groupe SER et 2 fois par des sénateurs du groupe LR, ce qui montre que les mêmes effets de langage peuvent être utilisés par des groupes différents.

Les communes rurales consomment-elle plus de foncier que les communes urbaines ?

35Sortons des qualificatifs pour retourner au quantitatif. La défense des petites communes s’appuie sur l’idée que les espaces ruraux sont moins abîmés par l’artificialisation que les espaces urbains. Certaines statistiques sont mises en avant : 5 % des communes sont responsables de 38 % de l’artificialisation sur les 10 dernières années.

Le sénateur Franck Menonville du groupe Les Indépendant-République et territoires (LIRT) (14 mars 2023) « Force est de constater que ce sont les communes qui ont le moins artificialisé qui se verraient imposer les contraintes les plus fortes, ce qui freinerait ainsi leur développement. À l’inverse, celles qui ont fortement artificialisé disposeraient d’enveloppes toujours importantes. »

36Ces argumentaires partent d’une comparaison entre communes indépendamment du nombre d’habitants accueillis. Elles mettent en avant les petites communes qui ont très peu consommé d’espace. Avec la réduction de la surface à artificialiser, la marge d’action devient alors très étroite voire nulle. C’est le cas des 573 communes qui n’ont pas consommé d’espace au cours de la période 2009-2022.

Le sénateur Philippe Folliot du groupe Union Centriste (UC) (14 mars 2023) : « À cet égard, la loi Climat et résilience est particulièrement injuste, en cela qu’elle pénalise les bons élèves. Comme l’ont dit certains de mes collègues, la moitié de zéro est égale à zéro ! »

En réaction, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu avance le fait que la moitié de la consommation d’espace allouée à l’habitat est due à des opérations dont les densités sont inférieures à 8 logements/ha.

37Les chiffres avancés qui semblent s’opposer proviennent du même document du Cerema qui fait état à la fois d’une très forte polarisation de la consommation d’espaces sur les littoraux et dans les aires métropolisées et d’autre part d’une somme de « petites opérations » portées par un très grand nombre de communes. C’est pourtant cette dernière réalité qui contribue le plus à la consommation d’ENAF. Les communes rurales « représentent 65,4 % de la consommation d’espaces entre 2013 et 2019, pour 21,8 % des nouveaux habitants et 29,7 % des nouveaux ménages ». En contraste, « les communes denses (38 % de la population nationale) représentent 5,6 % de la consommation d’espaces » si bien que « le rural est donc un contributeur important à la consommation d’espaces, avec un accueil réduit en population, ménages et emplois ». (Cerema, 2023, p38 et p57). Par ailleurs 7 697 communes perdent des ménages tout en consommant de l’espace. Derrière la controverse, c’est la manière d’aborder l’équité qui est questionnée : au niveau du droit de chaque commune ou au niveau des populations ou des emplois à accueillir ?

38En novembre 2023, France Stratégie publie une note et deux cartes de France (Arambourou H., Bouvart C. et Tessé S., 2023) proposant une analyse basée sur deux données : la consommation d’espace et l’efficacité de la consommation, soit le rapport entre cette consommation et l’accueil de populations ou d’emplois. L’analyse portée sur les communes montre que les écarts sont importants dans chaque catégorie de communes : communes denses, communes à densité intermédiaires et communes rurales (bourg rural, communes à l’habitat dispersé, communes à l’habitat très dispersé). Les ordres de grandeurs nationaux ne résistent pas à la prise en compte des particularités locales.

Planification vs communes

39Une grande partie des débats tourne autour de l’idée qu’il faut laisser de la liberté aux maires et que le sujet de la lutte contre l’artificialisation doit se faire en priorité à cette échelle. La défense du rôle des communes ne remet-elle pas en cause les réalités interterritoriales (Vannier, 2010) et la planification à l’échelle des SCoT ?

La garantie communale est devenue au fil des débats un symbole qui va bien au-delà de son effet concret.

Le sénateur Fabien Genet du groupe LR (16 mars 2023) : « Dans notre esprit, la garantie rurale doit également constituer une preuve réelle de l’attachement de la nation à ses campagnes ».

40Le maire devient le symbole de la défense des campagnes en opposition à l’Etat qui impose « d’en haut » une vision uniformisatrice et en opposition à la planification régionale vue par plusieurs groupes politiques avec suspicion. Mais dans les débats, il est très peu fait allusion à la planification stratégique des SCoT. Or il s’agit d’un élément très important dans la mise en œuvre du ZAN car les discussions et arbitrages entre communes se feront au sein des SCoT autour d’un projet de territoire. Quel sens donner à cet oubli ? Il est vrai que toute la France n’est pas couverte par des SCoT mais cette couverture progresse et un grand nombre de petites communes découvrent les SCoT. On compte 249 SCoT opposables en 2022, 389 fin 2023 et 423 SCoT sont attendus en 2024 couvrant 65,54 % des communes (geoportail-urbanisme, 2024). S’ajoutent les SCoT en court d’élaboration. Sont ainsi identifiés les périmètres de 471 SCoT qui couvrent 86 % des communes, 75 % du territoire et 96 % de la population (Ministère de l’écologie, Fédération des SCoT, 2022). Le débat semble ainsi occulter le cœur de la mise en œuvre du ZAN. La garantie communale agirait comme un tampon pour les petites communes qui pourraient se retrouver isolées dans le cadre de l’élaboration des documents de planification.

41À l’Assemblée nationale, les députés du groupe Ecologistes critiquent la garantie communale argumentant que l’artificialisation n’est pas corrélée à un développement rural en termes d’emplois ou de dynamique démographique. Le groupe s’appuie sur la note technique de l’association FNE publiée en juin 2023. Elle montre que 9 000 communes ont consommé moins d’un hectare. Ces communes comptent en moyenne 196 habitants. La garantie communale les inciterait à consommer plus d’espace qu’elles n’en ont effectivement besoin. La note prend l’exemple de la communauté de communes des baronnies en Drôme Provençale qui compte 21 000 habitants et comporte 67 communes. Elle a consommé 77,94 ha entre 2011 et 2021 et devrait donc avoir pour cible 39 ha entre 2021 et 2031 en appliquant la réduction de 50 %. Or, en attribuant un hectare aux 67 communes, l’enveloppe est largement dépassée ! Et rend impossible toute autre projet, toute planification à l’échelle de l’intercommunalité.

42Après le vote de la loi, la fédération des SCoT s’oppose fortement à la garantie communale considérée comme contraire à la planification territoriale et à l’intercommunalité :

  • 3 La Gazette des communes, 31 juillet 2023, témoignage.

La garantie universelle est une inversion complète de la façon de faire de l’aménagement du territoire. C’est un coup de canif dans le travail réalisé par les Scot depuis des années. Elle va surtout pénaliser le milieu rural : une fois que chaque commune aura son hectare, que va-t-il rester à l’intercommunalité pour développer des projets structurants pour le territoire ? Cela risque d’amener à un détricotage des coopérations territoriales, et les grands perdants en bout de chaîne pourraient être les intercommunalités3.

43Qu’en est-il un an après ? En Occitanie, le projet de territorialisation du ZAN s’appuie sur les 58 SCoT et sur 23 établissements publics de coopérations intercommunales (EPCI) sans SCoT, soit un ensemble de 84 « territoires » comme les nomme la région. Parmi ceux-ci, la région a identifié 21 territoires où se reproduit l’exemple des baronnies présenté plus haut, accréditant le constat fait par la fédération des SCOT. Le risque est un éparpillement de la consommation d’espace entre petites communes sans lien avec un projet de territoire.

Artificialisation et développement territorial

44« Nous aussi avons droit au développement » revendique la sénatrice du Lot Angèle Préville (16 mars 2023) en écho au sentiment de mise à l’écart. La thématique du développement revient souvent dans le débat. La dynamique récente des espaces ruraux est parfois mise en avant par les élus.

45Pour les parlementaires, le développement est-il compatible avec l’objectif ZAN ? Nous traitons cette question à partir de l’usage que font les députés des termes « développement » et « développer » en utilisant le compte rendu intégral des séances publiques à l’Assemblée nationale. Ces mots reviennent relativement souvent (188 fois pour le mot « développement » et 64 fois pour le mot « développer »). Un logiciel de textographie (TXM) a permis de contextualiser chaque usage de ces deux termes en retenant les 20 mots qui les précèdent et les 20 mots qui les suivent. Pour chacune des 252 expressions ainsi obtenues, ont été relevés son auteur et son groupe politique d’appartenance. Parmi ces expressions, 153 font un lien direct avec l’artificialisation des sols et un tiers se rattache explicitement au contexte des communes rurales. Les 2 termes sont utilisés surtout dans un sens général sans qu’ils soient définis et sans qu’il soit fait référence à différents modèles de développement territorial (Baudelle, Guy, Mérenne-Schoumaker, 2011 ; Talandier, 2023). Ils font donc écho à un sens qui semblerait évident. Utilisés par les élus, nous pouvons faire l’hypothèse qu’ils renvoient à la capacité des élus à agir, à vouloir faire évoluer leur territoire pour mettre en œuvre des projets ou répondre à des besoins d’accueil de population, d’emploi, de services, en opposition au risque d’immobilisme.

L’analyse de ces expressions permet d’identifier 5 grandes positions soutenus par les députés. Elles sont reprises dans les colonnes du document 3.

46Pour les deux premières positions, le lien avec le contexte rural est plus fort :

  • La première position considère que l’absence d’artificialisation « tue » ou « empêche », « interdit », « entrave », « menace », « bride », « cadenasse » le développement des communes. Dans la moitié des cas, ces expressions renvoient au contexte des petites communes ou des territoires ruraux.

  • La deuxième position considère l’artificialisation comme une surface de développement. Elle est exprimée quand une correspondance est faite entre garantie communale et surface de développement.

47Pour les trois autres positions, le contexte territorial est surtout abordé de manière générale, mais s’exprime aussi dans le contexte rural.

  • La recherche de conciliation entre développement et sobriété foncière est la position au cœur du consensus trouvé au Sénat.

  • Une autre position considère qu’une artificialisation peut être justifiée si elle répond à des besoins ou à des projets qu’ils soient urbains ou ruraux.

  • Pour la dernière position, le développement peut se faire sans artificialisation.

Document 3 : Synthèse du positionnement des groupes politique sur la relation entre développement territorial et artificialisation lors du débat parlementaire

Document 3 : Synthèse du positionnement des groupes politique sur la relation entre développement territorial et artificialisation lors du débat parlementaire

48Les aplats de couleurs du tableau du document 3 correspondent aux positions identifiées ci-dessus quand elles sont exprimées par les députés de chaque groupe politique. Ainsi, pour le groupe « Les Républicains », la couleur bleue indique que les députés de ce groupe ont exprimés trois positions : « L’absence d’artificialisation tue le développement » ; « l’artificialisation = une surface du développement », « concilier développement et sobriété foncière ». Trois premiers constats peuvent se faire : tous les groupes politiques admettent un lien entre développement et consommation d’espace. Tous les groupes s’accordent sur la sobriété foncière. Par ailleurs, si les expressions sont plurielles voire nuancées au sein de chaque groupe, elles se distinguent également.

49Pour les groupes LR et RN le développement est premier : toute forme d’atteinte à la possibilité de s’étendre est vue comme une interdiction de se développer et la conciliation entre développement et sobriété foncière est acceptée dans la mesure où un développement semble possible.

50Pour les groupes Renaissance, Démocrates, SER, GDR et Liberté, indépendants, outre-mer et territoire (LIOT), la recherche de conciliation entre développement est sobriété foncière est centrale. Limiter l’artificialisation, prendre en compte les enjeux de protection sont intégrés à la réflexion. L’artificialisation doit s’adapter, répondre à des besoins et des projets tout en s’affirmant comme une modalité indispensable au développement.

51Pour les groupes La France insoumise (LFI) et Les Ecologistes, un développement sans artificialisation peut s’envisager. Ils prônent un autre modèle de développement et le renouvellement urbain et rural. L’artificialisation n’est pas pour autant complètement abandonnée mais ne devient plus centrale. Des membres du groupe LFI mettent par exemple en avant l’idée d’un « plan Marshall » pour la rénovation des bâtiments revendiqué par l’AMRF.

Comment est reçue localement la mise en œuvre de l’objectif ZAN en 2024 ?

52Une enquête portant sur la mise en œuvre de l’objectif ZAN centrée sur les SCoT du Gard et de l’Hérault, a été menée auprès d’une quarantaine d’acteurs de ces deux départements du 21 mars au 21 mai 2024, notamment auprès d’agents et salariés des structures d’aménagement d’une part et auprès d’élus d’autre part. Sont retenus ici le regard de 10 acteurs et actrices liés aux territoires ruraux. Ils témoignent d’une variété d’appropriations, d’approches, de questionnements.

Comment les présidents départementaux de l’AMRF perçoivent-ils la mise en œuvre du ZAN ?

53Voici le regard croisé de deux présidents de l’AMRF départemental. L’un est jeune, maire depuis 2020 d’une commune de 1 200 habitants proche d’Alès, élu communiste. L’autre est élu socialiste d’une commune de 450 habitants depuis 1983, c’est sa dernière année de mandat. L’association AMRF est dynamique d’un côté, passée récemment de 40 à 100 membres. Pour l’autre c’est plus complexe, le maire n’a pas le temps d’organiser des réunions. Les deux entretiennent de bonnes relations avec leurs intercommunalités qui transcendent les appartenances politiques.

54Des parcours différents mais d’abord des points communs quand on aborde le ZAN comme l’adhésion aux objectifs de préservation des ENAF, avec dans les deux cas un focus sur les terres agricoles, à « sanctuariser » pour l’un quand l’autre affirme « une terre agricole doit rester une terre agricole ». Et des constats croisés sur l’artificialisation qui s’est faite « à outrance » ; « on s’est trop étendu », notamment sur des bonnes terres ou en bord de rivière. La nuance arrive rapidement. « Dans le monde rural, je ne connais pas d’artificialisation honteuse » à part quelques bâtiments agricoles.

55Deuxième point commun, le sentiment d’une injustice, l’idée que le monde rural « paie » ou est « puni à cause du péché originel des métropoles ». L’artificialisation, c’est d’abord le fait du monde urbain. L’injustice recouvre aussi le sentiment de ne pas être assez écouté, à l’échelle nationale mais aussi parfois à l’échelle locale face aux plus grandes villes si bien que l’un des deux présidents évoque l’attitude d’abattement de ses collègues maires ruraux.

Derrière cette injustice, c’est la vie villageoise qui se sent menacée.

On essaie de vivre, d’évoluer, de ne pas rester figés. On nous dit « circulez » […]. Il faut que nos villages continuent d’avoir une vie active et pas végétative, pas une vie de hameau. C’est la vie sociale qui est aussi en danger.

On veut que les jeunes restent pour vivre au pays, avoir des écoles, des commerces, une vie. Ici on a des commerces, 3 écoles, une vraie vie associative, culturelle. […] il faut que l’on puisse vivre dans nos villages.

56Les deux présidents soulèvent d’autres sujets. Pour l’un, le récent porté à connaissance « feu de forêt » porté par la Direction Départementale des Territoires et de la mer (DDTM) restreint la possibilité de construire et est finalement « pire que le ZAN ». Il pointe également le manque de moyens pour la rénovation.

Ce qui manque dans cette loi : qu’est-ce qu’on fait sur l’ancien. […] J’ai un grand bâtiment en vente à 150 000 euros mais il faut presque 200 000 euros de travaux. Donc personne n’achètera jamais si on n’a pas des aides pour arriver à rénover. […] les moyens ne suivent pas à part quelques fonds friches. Ce n’est pas ce que propose l’agence nationale de l’habitat qui permet de faire ces grosses rénovations. Aujourd’hui ça coûte encore moins cher de construire du neuf que de rénover.

Le président considère que le ZAN arrive sans qu’il y ait d’alternative et il craint de nouvelles fractures :

Ce qui va se passer, c’est qu’il n’y a que ceux qui auront les moyens à terme qui pourront se permettre d’acheter le peu de terrains constructibles ou des maisons existantes à rénover. Et donc on pourrait se retrouver avec les campagnes pour les riches et les villes pour les pauvres », raison pour laquelle il est ouvert « à titre personnel » aux logements sociaux dans les communes rurales.

57L’autre président regrette le manque d’investissement des bailleurs pour la réhabilitation de logements vacants. Il constate que la demande sociale du monde rural se rapproche de celle du monde urbain alors que les moyens ne sont pas les mêmes et les besoins difficiles à satisfaire, notamment pour les mobilités. Sous forme de boutade, il lance « pour moi le monde rural n’existe plus ». Face à la densification, il est ouvert à l’utilisation des dents creuses de manière plus affirmée que l’autre président qui craint pour l’imperméabilisation des sols, mais elle se heurte aux propriétaires privés qui ne cherchent pas à vendre. Il en est de même des résidences secondaires qui, dans son département, correspondent surtout à des maisons familiales qui ont été transmises aux enfants. Par ailleurs, il pense que c’est compliqué de prévoir 15 logements à l’hectare et craint de futurs problèmes de stationnement ou de voisinage. Le propos est très nuancé. La construction de parcelles de 200 ou 300 m2 entraîne des réactions d’habitants du type « on nous importe la ville », mais pour l’élu, « au nom de quoi on peut empêcher les gens qui n’ont pas de gros moyens d’avoir une maison individuelle ? ».

58Il évoque également une manière d’aborder l’aménagement du territoire spécifique au monde rural, qui correspond davantage à une « gestion du patrimoine familial », à un aménagement « à la parcelle » ou « au coup par coup ». L’évolution générale du village n’est pas abordée et bien souvent, il s’agit de construire 2 ou 3 maisons.

59Dès lors la garantie communale d’un hectare permet de conserver la capacité du maire à d’agir. Elle n’est pas parfaite car le compteur a déjà commencé à tourner et certaines communes, en 2024, ont déjà consommé ce fameux hectare pour la décennie 2021-2031. Pour l’un des présidents, le un hectare a « été porté par des sénateurs de droite, mais je suis d’accord ». Ce qui est reproché par l’un est la prise de pouvoir des techniciens sur les politiques, pour l’autre c’est la méthodologie : « La confiance c’est très important. Ça n’a pas de prix. On est un peu remonté ». Il reconnait que « parfois l’Etat fait des choses bien », c’est le cas pour France Service et pour Villages d’avenir. Mais les deux présidents considèrent que le ZAN s’est construit de manière descendante, sans prendre le temps de construire un dialogue avec les territoires.

Comment les chargés de mission SCoT de 3 EPCI ruraux perçoivent-ils la mise en œuvre du ZAN ?

60Les communautés de communes du Grand Pic Saint Loup, du Piémont Cévenol et de Cèze Cévennes sont les 3 EPCI ruraux retenus ici. Le document 4 permet de les localiser (N° 1, 2 et 3). Ils se situent dans l’arrière-pays, entre axe languedocien et Cévennes. En s’appuyant sur la typologie des espaces ruraux de l’Insee (document 4), sur la typologie des dynamiques d’artificialisation élaborée par France Stratégie (Arambourou H., Bouvart C. et Tessé S., 2023) ainsi que sur celle des espaces ruraux élaborée dans le cadre de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) (Acadie, Talandier, 2023), plusieurs caractéristiques peuvent être soulignées.

Document 4 – EPCI et espaces ruraux du Gard et de l’Hérault

Document 4 – EPCI et espaces ruraux du Gard et de l’Hérault

61Dans la communauté de communes du Grand Pic Saint Loup dominent très largement les communes rurales sous forte influence d’un pôle, ici Montpellier. Pour France Stratégie, cette intercommunalité connaît une forte artificialisation considérée comme efficace c’est-à-dire que le processus de sobriété foncière est déjà engagé pour l’habitat et l’accueil des activités. Il s’agit, pour l’ANCT, d’une intercommunalité composée surtout de communes résidentielles aisées avec une forte proportion de cadres.

62Les deux autres EPCI connaissent une mosaïque de situations avec surtout des communes peu denses, hors influence d’un pôle ou sous faible influence. Le rythme de l’artificialisation comme son efficacité correspondent à la moyenne nationale. La typologie des espaces ruraux élaborée dans le cadre de l’ANCT les distingue : variété de situations avec des communes plutôt résidentielles et des petites polarités pour le Piémont Cévenol, communes touristiques et productives pour Cèze Cévennes.

63Le périmètre de la première communauté de communes correspond également à celui du SCOT et comprend 36 communes. Le chargé de mission rappelle que le SCoT a été approuvé en 2019 avec la préservation de l’identité rurale comme ligne directrice. L’enjeu est également de donner une cohérence au territoire dont la partie sud est soumise à l’attraction de Montpellier. Un important travail a été engagé juste avant la loi Climat et Résilience. Les élus ont intégré les grands objectifs de sobriété foncière si bien que l’urbanisation n’est plus considérée comme une menace alors que la population avait doublé depuis les années 80. Le ZAN vient toutefois perturber le travail précédent, notamment sur la manière de mesurer l’artificialisation car les fichiers fonciers sont moins précis que la base locale d’occupation des sols. Une étude sur l’évaluation de la qualité des sols a permis de déterminer des zones d’inconstructibilité. Les gisements fonciers ont fait l’objet d’une autre étude dont il ressort qu’ils permettraient d’absorber 20 ans la croissance démographique. Le chargé de mission insiste sur l’importance de prévoir des gardes fous pour la division parcellaire, processus déjà bien engagé. Par ailleurs, une offre diversifiée de logements est recherchée car il manque des surfaces type T1, T2 ou T3 plus adaptées aux jeunes et aux personnes âgées mais également un peu de diversité sociale avec des initiatives de bail réel solidaire (BRS) bien que celles-ci se cantonnent aux secteurs où la pression foncière est la plus forte. Le SCoT cherche à renforcer les centralités et l’enjeu des mobilités est identifié comme très important. Autre élément de réflexion : faire évoluer les Zones d’activité économique (ZAE), surtout constituées de propriétaires privées, vers de la location pour permettre d’être beaucoup plus réactif face aux évolutions économiques à venir.

64La deuxième communauté de communes comporte 34 communes dont 7 en RNU. Le SCoT, en voie de finalisation, est également mono-EPCI. Pour la chargée de mission, il s’agit d’un « territoire rural » avec un peu d’urbains, la ville la plus peuplée comportant 3 500 habitants. L’enjeu principal est de faire vivre le territoire, de rompre avec un modèle de ville dortoir car les habitants travaillent et font leurs courses en dehors de l’EPCI. Les points essentiels soulevés sont la rétention foncière, les résidences secondaires présentes dans quelques communes, les ZAE qui sont pleines et nécessitent des extensions pour accueillir de l’emploi local mais surtout les représentations des élus qui se crispent sur les parcelles inférieures à 2 000 m2, persuadés que les gens qui viennent dans le territoire souhaitent une maison individuelle sur grande parcelle. Pour la chargée de mission, ce modèle correspond à un public de cinquantenaires, les familles plus jeunes seraient satisfaites avec des parcelles de 600 m2 et une demande existe certainement pour des petits collectifs bien pensés. Toutefois, les élus ne sont pas prêts et il manque de modèles alternatifs. Il faudrait une évolution en douceur. S’ajoute l’impression de ne pas être représenté ou écouté par l’interlocuteur régional.

65Le troisième EPCI comporte 23 communes et fait partie d’un SCoT plus vaste dominé par une grande ville voisine. Le SCoT date de 2013 et la procédure de révision commence juste. L’EPCI se sent un peu isolé même si la chargée de mission participe aux travaux du SCoT et anime des réunions régulières dans cet EPCI construit autour de la préservation de la ruralité et du tourisme. La question agricole est centrale notamment le sujet de l’abandon des terres, de l’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs. Un travail de prospective a été engagé pour croiser les atouts du territoire et les filières agricoles. Les enjeux concernant le bien vivre, le bien travailler, la qualité de l’accueil et des services passent bien avant la consommation d’espace. Elle considère que l’artificialisation du territoire est très légère. Il n’y a pas de grosses activités et pas de grands lotissements. Le ZAN n’a pas encore été abordé dans les réunions du SCoT, le sujet est juste amorcé et beaucoup de points ont besoin d’être clarifiés. « Les maires ne comprennent pas. Certains n’ont pas consommé un hectare les dix dernières années ». Des études sont en cours sur les friches (le territoire a un passé minier) et sur la vacance de logements, assez importante dans certaines communes. Le classement « petite ville de demain » du principal bourg aide également dans ce sens. La chargée de mission se questionne sur les besoins futurs, en estimant que les personnes viennent vivre dans le territoire pour avoir un extérieur mais que le modèle de la maison individuelle peut évoluer. « Peut-être que ma génération va voir les choses autrement : si on a accès aux services, aux loisirs, aux transports, cela peut changer ».

Ces trois exemples montrent une grande diversité de situations et d’approches qui relèvent tant des disparités territoriales que de l’appropriation des enjeux de la part des élus. Le rythme dans lequel s’est engagée la réflexion au sein du SCoT semble déterminante.

Comment trois maires de communes rurales et président ou vice-président d’EPCI ou de SCOT abordent-ils la mise en œuvre du ZAN ?

66Deux des trois maires sont vice-présidents des EPCI numéro 1 et 3 vus précédemment. Leur parole sera examinée en complément de celle des chargés de mission analysée ci-dessus. Les communes dont ils sont maires comptent respectivement 2 647 habitants et 555 habitants. Le premier est en charge du SCoT, le second participe au SCoT dont la révision débute. La troisième maire est présidente d’un SCoT mono EPCI bien plus urbain et périurbain, le SCoT de Lunel agglo approuvé en 2023 qui se déploie selon une direction Nord Sud entre Nîmes et Montpellier (document 4, N° 4). Il comprend 14 communes dont un territoire rural au Nord du SCoT. C’est dans cette partie que se trouve la commune rurale dont la présidente est maire. Cette commune compte 985 habitants. Il s’agit donc de trois maires dont le point commun est la responsabilité intercommunale mais dont les communes, de taille différente, se trouvent dans des environnements ruraux différents.

67Beaucoup de points communs ressortent des entretiens au premier rang desquels l’attachement à l’identité rurale. Pour la maire du SCoT de Lunel agglo, il s’agit de conserver le « côté traditionnel » avec une attention portée sur les toits qui doivent être « intégrés » au village. Un conflit apparaît quand on « impose une vie urbaine ». Les trois maires sont aussi attachés au lien social, partie prenante de l’identité villageoise, un lien social perdu qu’il s’agit de retrouver pour l’une, regrettant que les « urbains » qui s’installent au village fassent la fête autour de leur piscine privée plutôt que sur la place du village ; un lien social à renforcer dans les projets à venir pour un autre maire qui propose des résidences partagées pour les personnes âgées.

68Autre point commun, le constat que les maires ruraux de leur EPCI sont très partagés sur le ZAN. Certains maires de villages sont pour le ZAN car « ils ne veulent pas qu’on vienne » chez eux. Dans un EPCI, « la moitié des maires sont dans l’attente avec certains qui y sont farouchement opposés ». Le vice-président de l’EPCI du territoire rural le plus éloigné, a accueilli le ZAN avec « bienveillance » car il considère que la logique est « vertueuse » et pose des questions à ses yeux essentielles : « pourquoi s’agrandir ? pourquoi construire ? ». Il admet que les titres de la presse sur le ZAN font « peur ». Le discours qui semble dominer de la part de leurs collègues maires correspond à une partie du discours politique relevé dans le débat parlementaire. « On ne nous écoute pas », « on va nous empêcher de faire ce que l’on veut », qualifié par l’une des maires « d’esprit gaulois ». Le ZAN est parfois vécu comme une « atteinte à la souveraineté » du maire. Les trois interviewés sont placés dans une situation qu’ils jugent « complexe ». Les discussions sur la répartition de l’enveloppe foncière s’apparentent à une « foire d’empoigne », une « défense de leur pré-carré ». Une complexité qui n’est pas un renoncement. Pour l’un, il ne faut pas « raisonner par commune » mais raisonner dans une « logique territoriale » et « en partenariat avec les échelles voisines » : « pour moi l’avenir de nos zones rurales passe par là ». Pour l’autre, la clé est de faire le tour des communes, même si elle s’apparente à une démarche de « marchand de tapis », et surtout d’éviter de rentrer dans un discours « trop radical, trop théorique ».

69Ils abordent la densification à venir d’une manière très différente. Pour la maire du SCoT Lunel agglo, la densification, synonyme d’urbanité, est rejeté par les villages. Pour elle, le village de demain n’existe pas, les quelques modèles proposés correspondent à des opérations très isolées comme la réhabilitation d’un vieux bâtiment. Le maire du SCoT Grand Pic a la même préoccupation que son chargé de mission vis-à-vis de la division parcellaire qui peut devenir un problème « insurmontable » en raison des problèmes d’assainissement ou de voisinage et qu’il faut donc encadrer. Mais il concède qu’il a changé depuis son premier mandat. Il défendait auparavant les parcelles supérieures à 1 000 m2. Il se prononce pour une « révolution culturelle ». Son changement s’est nourri des échanges au sein de la fédération des SCoT mais aussi des tous récents webinaires au sein de l’AMF. Il a fait appel à une école d’architecture pour faire travailler des étudiants sur la densification du village. Pour lui, ces jeunes « ouvrent l’imaginaire ». Mais ce n’est pas simple. « Faire des collectifs ? J’en ai fait un et j’ai failli me faire lyncher. Ce sont des logements sociaux au cœur du village. Ce n’est pas dans les habitudes ». Le troisième maire est dans un autre contexte territorial. Pour lui, la priorité est de réinvestir des espaces qui ont été « oubliées », le bâti ancien au cœur des villages, au lieu de poursuivre la construction de nouvelles habitations plus loin. Il faut dire que le territoire a quelques exemples d’anciennes citées minières comme Bessèges qui comptait 12 000 habitants à la fin du XIXème siècle et en compte moins de 3 000 aujourd’hui.

Comment les responsables des services urbanisme des DDTM abordent-ils la mise en œuvre du ZAN dans les territoires ruraux ?

70Les deux responsables des services urbanisme des DDTM des deux départements abordent la question du ZAN comme une nécessité en insistant sur la sauvegarde d’une biodiversité riche et fragile. Dans un des départements, c’est la ressource en eau qui entraine des refus d’ouverture à l’urbanisation. La question des territoires ruraux est vue avec nuance et intègre la priorité régionale de rééquilibrage en faveur de ces territoires qui est l’un des axes de la territorialisation du ZAN en Occitanie. La nécessité du changement est affirmée. L’un pointe les 4 000 m2 consommés par nouvel habitant dans certains territoires ruraux : un facteur d’attractivité pour les élus qui souhaitent promettre le grand jardin aux jeunes ménages, une justification contestée par le responsable qui considère qu’ils n’ont pas besoin d’autant de terrain. Pour l’autre :

Je pense que la ville américaine n’est pas le modèle qu’attendent les gens qui s’installent dans le rural. Pourtant, c’est ce qu’on est en train de faire. Un village-centre avec une certaine taille et quelques maisons autour, ça marchait. Quand on a une gangue de lotissements qui sont introspectifs, sans vie sociale, sans rapport ni avec la nature, ni avec le paysage, ni avec le centre du village, finalement, ça n’a plus beaucoup d’intérêt. Dans le département, on a eu un tel développement que ce seuil de bascule est déjà passé. Rajouter une nième couche de lotissements autour des villages n’apporte aucune qualité.

71Ils appellent par conséquent à trouver un autre modèle, mais ce n’est pas facile car « le modèle de développement qu’on a connu depuis plusieurs années est tari et les élus n’en ont pas d’autres ». Dans un département, la DDTM a construit une plaquette de sensibilisation « Réussir la densification » avec le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) en partageant des expérimentations existantes. Deux opérations de 7 logements sont montrées en exemple pour le rural, la réhabilitation d’une ancienne grande maison villageoise et la création d’habitats participatifs composés de logements imbriqués et accolés. De plus, l’initiative « village d’avenir » a été lancé récemment et concerne 18 villages du département.

72Mais des approches différentes existent également. Dans le département de l’Hérault, la consigne préfectorale de réduire de moitié la consommation d’espace est affirmée dès 2018. La territorialisation du ZAN est abordée comme devant être limitée car tous les territoires doivent s’inscrire dans une trajectoire de réduction. Dans le Gard, une prudence est clairement exprimée sur la répartition urbain/rural afin de laisser au SCoT son rôle. La DDTM propose plutôt une vision de la territorialisation à partir de l’armature urbaine. Et devant la fronde des élus qui s’est exprimée, un regard plutôt optimiste est porté sur l’avenir : « Lors des prochaines élections, de nouveaux élus auront intégré le ZAN ».

Bilan des entretiens

73L’identité rurale est bousculée par le ZAN, à la fois comme identité remise en cause par un processus vu de l’extérieur et essentiellement urbain et contre lequel il faudrait se prémunir, mais aussi comme identité à construire : quel village pour demain, quel nouveau modèle d’habitation proposer ? Cette identité renvoie assez rapidement à l’habitat avec grandes parcelles et donc à un passé relativement récent plutôt qu’à celui du village compact pourtant bien présent dans les territoires concernés. Des représentations générationnelles s’expriment avec beaucoup d’incertitude : que souhaite réellement la jeune génération comme mode d’habitat ?

74La question identitaire rejoint celle du contrôle du territoire (Subra, 2016) que semble réveiller le ZAN, avec un rapport entre communes et intercommunalités qui n’est pas stabilisé. Le panel de personnes interrogées porte un biais, celui de privilégier des acteurs d’intercommunalités. Elles se trouvent dans des positions complexes et doivent composer avec des maires qui défendent leur commune. Ceux-ci se positionnent sur un gradient de refus ou d’adhésion au ZAN, où domine une position plutôt attentiste et où ne sont pas absentes des attitudes de crainte et de méfiance construites a priori, avant même qu’un travail s’amorce sur le ZAN dans l’intercommunalité.

75L’enquête permet de faire apparaître deux éléments qui se rejoignent et semblent déterminants dans le positionnement des acteurs. Le premier est le processus de construction du projet de territoire, les liens établis localement entre maires qu’il n’est pas simple de saisir, l’ancienneté des SCoT et du dialogue déjà établi sur la sobriété foncière. Une différence entre EPCI apparaît au niveau du degré d’appropriation des enjeux. Le deuxième élément est l’insertion des chargés de mission et des élus dans un réseau d’acteurs : les liens avec la fédération des SCoT, avec la DDTM, avec les associations de maires, le dialogue avec les voisins, comptent beaucoup dans la perception des enjeux et le dépassement des blocages.

76Enfin, les enjeux qui affectent les espaces ruraux abordés par l’intermédiaire de cette enquête permettent de percevoir des éléments de diversité. Une première intercommunalité rurale sous influence d’une métropole a déjà construit une expérience de sobriété. Le chargé de mission SCoT comme le vice-président sont vigilants, parfois prudents, parfois novateurs et cherchent à règlementer la division parcellaire qui semble le potentiel le plus important de densification mais aussi un facteur de risque qui pourrait dégrader la qualité du territoire. Ils semblent armés pour le ZAN et le prix élevé du foncier qui entraine une difficulté de mixité sociale auxquels ils sont attentifs peut constituer un atout pour densifier. Dans une situation qui semble proche, la partie rurale de Lunel agglo paraît pourtant, d’après la présidente du SCoT, dans un positionnement différent, plutôt défensif, cherchant à se préserver de l’urbanisation toute proche, un espace rural qui n’est pas demandeur d’une forte évolution. Dans une position intermédiaire, l’intercommunalité Piémont Cévenol avait tout pour aborder le ZAN avec difficulté : premier SCoT, position d’arrière-pays plus éloigné, attachement à la maison individuelle, difficultés à aborder la densité de la part des élus. Elle trouve toutefois un premier chemin avec un SCoT adopté en septembre 2024, une réduction prévue de 56 % de la consommation foncière par rapport aux 10 dernières années, après la construction d’un projet de territoire articulé autour de centralités et l’apport d’une agence d’urbanisme. Nous faisons l’hypothèse que la qualité de dialogue entre élus au sein du SCoT a été déterminante. Enfin, le dernier territoire vit une autre histoire, moins de pression foncière, des difficultés passées, des logements vacants plus nombreux, un vrai sujet autour de la réhabilitation et des friches, une vision du territoire où l’attachement aux paysages devient un atout pour le tourisme. Les discussions sur le ZAN commencent avec une volonté de prendre sa place au sein d’un très grand SCoT dans un EPCI où la qualité du dialogue entre élus semble ancrée. Le point de départ est ici plus tardif et positif, mais les enjeux de réhabilitation nécessiteraient des investissements importants.

Conclusion

77L’objectif ZAN, politique naissante, cherche à préserver les terres naturelles, agricoles et forestières ainsi que la biodiversité en luttant contre l’étalement urbain dans la continuité de lois antérieures. Il est devenu, avec la loi Climat et Résilience, un instrument d’une politique publique avec son mode de calcul, sa temporalité et ses objectifs par décennies. Il vient questionner les modèles d’aménagement et de développement des territoires. Sa mise en œuvre laisse aux collectivités qui le déclinent en cascade le soin d’aborder la territorialisation du ZAN et la prise en compte de la diversité territoriale.

78À partir de l’entrée en application de la loi Climat et Résilience, une inflation d’expressions marque les années 2022-2023 et atteste d’une appropriation progressive des enjeux par les parties prenantes de la construction de la ville. Le débat parlementaire initié par le Sénat en 2022-2023 place les petites communes rurales au cœur des préoccupations. Elles sont apparues comme symboles d’une ruralité qui craignait d’être délaissée par cette politique vécue par les élus comme verticale quand bien même il apparaît que les espaces ruraux contribuent assez fortement à l’artificialisation du territoire. La mesure phare de la loi modificatrice initiée d’une manière transpartisane au Sénat est la garantie communale d’un hectare qui agit comme un tampon préservant la capacité des élus des petites communes à agir, mais risque de compromettre, dans un certain nombre de territoires, la construction de projets intercommunaux. Le débat n’est pas sans controverses. Elles portent sur la contribution des territoires ruraux à l’artificialisation des sols, sur le rôle respectif de la planification et des communes dans l’aménagement de l’espace, et sur la relation entre développement territorial et artificialisation des sols.

79Ce débat ne retranscrit qu’une partie des questions qui se posent localement dans la mise en œuvre de l’objectif ZAN. Une enquête menée dans le Gard et l’Hérault auprès de chargés de mission et d’élus ruraux témoigne d’une identité rurale bousculée par le ZAN qui ne se limite pas à des réflexions défensives car les acteurs ne sont pas insensibles à la préservation des ENAF. S’ouvrent des questionnements sur la densification sans que les acteurs ne soient tous en mesure de penser des alternatives aux modèles passés. Des rapports de force existent entre les élus locaux et les services de l’Etat, avec la région, au sein d’un SCoT ou d’un EPCI. L’expression des acteurs rencontrés diffère selon l’ancienneté des SCoT mais aussi selon les enjeux identifiés dans leurs intercommunalités : enjeux de maîtrise de la division parcellaire pour l’espace rural le plus proche de la métropole, enjeu de conservation de l’identité du bâti dans un espace rural entre Nîmes et Montpellier, enjeu d’acception de la sobriété foncière et de structuration des polarités pour un EPCI d’arrière-pays, enjeu de réhabilitation de l’habitat ancien et dégradé pour l’espace rural plus éloigné. Les acteurs intercommunaux évoquent une grande complexité mais trouvent des issues dans l’écoute et le dialogue de proximité comme dans l’insertion dans des réseaux d’échanges à plusieurs échelles.

80Comme les autres politiques de transition, l’objectif ZAN confronte les sociétés à des dynamiques complexes de transformation. Les discussions ouvertes ne sont pas closes et le vécu des élus des territoires ruraux résonne au-delà des enjeux fonciers. Le 15 juin 2023, alors que le débat parlementaire sur le ZAN trouvait progressivement son issue, a été lancé le plan « France ruralités ». Le synchronisme n’est pas le fruit du hasard et montre que les territoires ruraux ont pris une place grandissante dans le débat public et nécessitent une politique publique basée sur une vision d’ensemble adaptée aux particularités et associant les acteurs.

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Notes

1 Jean-Marc Esnault, directeur général du campus de formation agricole et de réflexion sur la ruralité « The Land », interrogé dans le Monde le 12 janvier 2023.

2 La Gazette des communes, 31 juillet 2023.

3 La Gazette des communes, 31 juillet 2023, témoignage.

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Table des illustrations

Titre Document 3 : Synthèse du positionnement des groupes politique sur la relation entre développement territorial et artificialisation lors du débat parlementaire
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/13661/img-1.png
Fichier image/png, 112k
Titre Document 4 – EPCI et espaces ruraux du Gard et de l’Hérault
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/13661/img-2.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Joachim Dendievel, « Objectif ZAN (Zéro artificialisation nette) et territoires ruraux : du débat national à la parole d’acteurs locaux »L’Espace Politique [En ligne], 53-54 | 2024-2/3, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 19 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/espacepolitique/13661 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13ghd

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Auteur

Joachim Dendievel

Agrégé d’histoire-géographie ; doctorant en aménagement de l’espace et urbanisme
Le Mans Université
Joachim.Dendievel@univ-lemans.fr

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Droits d’auteur

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