• 1 La version dite « de Séville » fait l’objet de commentaires et des notes dans Georges Bataille, « R (...)
• 2 Voir l’étude de cette collaboration dans Pierre Dourthe, Bellmer, le principe de perversion, Paris  (...)

2Les illustrations pour la seconde version, dite de « Séville1 », ont donné lieu à de nombreuses études et à de multiples hypothèses sur la collaboration entre l’auteur et Bellmer2. La genèse de ces héliogravures restait assez peu connue, mais la récente apparition d’archives inédites permet d’apporter de nouveaux éléments au dossier et d’éclairer la pratique de cette technique chez un des plus éminents surréalistes.

• 3 Publié chez Jeanne Bucher à Paris en 1939. Hans Bellmer y reproduit par la technique de l’héliograv (...)
• 4 Les archives des éditions des Quatre Vents sont déposées à l’IMEC depuis 1996.
• 5 Lettre de Bellmer à Breton datée du 14 mai 1945 (Castres vers New York), bibliothèque littéraire Ja (...)
• 6 D’après un entretien avec Robert Valançay, le 22 juillet 1982, in Paul Éluard et ses amis peintres, (...)
• 7 Alain Gheerbrant, Léon Aichelbaum, K-éditeur, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1991, p. 14.

3L’illustration d’Histoire de l’œil arrive historiquement très vite dans la carrière de l’artiste. La pratique de l’estampe chez Hans Bellmer commence en effet à la fin de 1938 par l’illustration d’un petit ouvrage de Georges Hugnet intitulé Œillades ciselées en branche3. Il semble qu’ensuite les contraintes de la guerre et la clandestinité ne permettent plus à l’artiste de s’exprimer par les techniques de la gravure. Du seul fait de sa nationalité allemande, Bellmer doit passer rapidement en zone libre, mais il sera interné dans plusieurs camps de concentration français avant de pouvoir s’échapper et ainsi d’entrer dans la clandestinité. Ces années d’errance dans le sud de la France sont d’une extrême précarité, et il ne doit sa survie qu’au travail du portrait qu’il exécute pour la bourgeoisie locale. Il faut donc attendre le début de l’année 1945 pour qu’un nouveau projet d’illustration associe Hans Bellmer à l’œuvre d’un écrivain. Henri Parisot et Gaston Bonheur, directeurs des éditions des Quatre Vents4, demandent à l’artiste de réaliser dix dessins pour une réédition de La Sorcière de Jules Michelet avec une préface de Georges Bataille. Hans Bellmer se retira du projet rapidement après que l’éditeur eut demandé des dessins conformes au goût du public5. Le contact avec les éditions Quatre Vents avait pourtant été proposé par Henri Parisot, vieille connaissance de Bellmer puisque c’est lui qui l’avait fait venir à Paris en 19356 afin de l’introduire dans le groupe surréaliste. C’est encore lui quelques années plus tard qui introduit, en tant que collaborateur de K-éditeur, bon nombre d’artistes restés en Europe7, dont certainement Bellmer.

• 8 Ibid, p. 29. Alain Gheerbrant révèle que c’est lui-même qui a eu l’idée de rapprocher Bataille et B (...)
• 9 Alain Gheerbrant, Léon Aichelbaum, op.cit., p. 12. Cette affirmation est à élargir à plusieurs grav (...)
• 10 Ibid.

4Toutefois l’abandon de ce projet n’empêcha nullement qu’en 1947 Bellmer et Bataille se rencontrent à l’initiative d’Alain Gheerbrant8, fondateur de K-éditeur, pour l’illustration d’Histoire de l’œil. L’ouvrage est illustré de six héliogravures reprises au burin et conçu clandestinement par « un maître-imprimeur qui n’était pas novice dans l’art de l’impression clandestine9 ». Le stock fut néanmoins à moitié détruit chez l’imprimeur par le ministère de l’Intérieur10 de l’époque et la police française. Le texte d’Histoire de l’œil a des affinités plastiques si évidentes avec l’œuvre de Hans Bellmer que l’érotisme du texte semble souligner l’érotisme des gravures tout en maintenant une certaine distance, laissant aux images leur autonomie plastique.

• 11 Il s’agit de Hans Bellmer letters to Pierre Andrieu, 1946-1948, Getty Research Institute (Accession (...)
• 12 Joë Bousquet, Lettre du 10/04/1945, in Correspondance, texte établi et présenté par Suzanne N. Andr (...)

5Cependant, la genèse de la réédition commence deux ans plus tôt, comme le révèlent les nouveaux documents d’archives conservés au Getty Research Institute de Los Angeles11. Les premiers dessins datent probablement du début de 1945, puisque son ami Joë Bousquet lui écrit : « Je suis bouleversé par votre femme-phallus et je vois ce que donnerait un texte de moi pleinement érotique et que vous feriez aboutir12 ». Si Joë Bousquet a vu les images du projet, cela signifie que Hans Bellmer avait eu l’aval de l’éditeur et de Georges Bataille dès l’année 1945 pour remplir ce contrat, et ce malgré son retrait du projet Michelet.

• 13 La première mention du nom de son ami Pierre Andrieu (8 rue Salenques à Toulouse) apparaît dans une (...)
• 14 Il s’agit de photographies érotiques de Nora Mitrani qu’il rencontre en avril 1946.
• 15 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 26 mars 1946 (depuis Castres vers Toulouse), HBPA.

6Au mois de mars 1946, les choses se précipitent et Hans Bellmer reçoit le matériel de gravure comme il le relate dans une lettre à Pierre Andrieu13, « En dernière minute, j’ai trouvé ici à Castres un retoucheur-photographe avec lequel j’ai mis au point de mon mieux, les quelques photos-modèles en cause14. […] Je pense quand même de passer un jour à Toulouse, soit pour aller ensuite à Carcassonne, d’où l’on me signale quelques portraits, soit pour me mettre en contact avec une personne (à trouver) qui tire des eaux-fortes, qui saurait me donner des tuyaux pour faire des eaux-fortes et qui pourrait m’aider à trouver à Toulouse, des épingles à graver (cela s’appelle comme ça ?). On vient de m’envoyer sept planches merveilleuses en cuivre et je recevrai demain ou après-demain les vernis. Histoire assez passionnante de faire, la première fois dans ma vie des eaux-fortes. Je vous ai déjà si souvent importuné avec des demandes pareilles que je n’ose presque plus vous demander de voir si vous ne pouviez pas me découvrir un imprimeur, etc. ou graveur… ou clicheur… qui fait des eaux-fortes, qui sait les mordre dans le bain d’acide et qui a une presse pour les tirer !15 »

• 16 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 15 mai 1946, HBPA. « Une jeune fille d’ici, de bonne famille, (...)

7On sait aussi qu’une partie au moins des dessins auront pour source d’inspiration une série de photographies érotiques avec Nora Mitrani qu’il nomme « photos-modèles »16. Hans Bellmer pense donc l’héliogravure comme une suite ou un rapprochement de la photographie et du dessin. C’est comme si l’héliogravure avait à la fois les propriétés de la photographie et les qualités du dessin.

• 17 Cela est corroboré par une autre lettre de Hans Bellmer à Robert Valançay, datée du 14 mai 1946 (de (...)
• 18 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 30 avril 1946 (depuis Castres), HBPA. « Maintenant je dois me (...)
• 19 Lettre de Bellmer à Valançay, datée du 8 juillet 1946 (chez Jean Brun, 32 rue Nôtre-Dame, Revel), R (...)

8Comme il s’agit des premières eaux-fortes de l’artiste, au-delà de son enthousiasme à aborder une nouvelle technique17, s’ajoute une propension à produire de nombreux dessins préparatoires et à laisser mûrir une longue réflexion18. « Et avec tout cela, écrit Hans Bellmer à Robert Valançay, je fais des eaux-fortes, les premières de ma vie ! c’est une technique rebelle à mes habitudes graphiques. Le premier cuivre est à peu près terminé, si je peux tirer plusieurs épreuves, je vous en enverrai une avec le dessin pour votre exemplaire des “Œillades” [ciselées en branche]19 ».

• 20 Toute la correspondance avec Andrieu relate l’extrême difficulté de cette période pour Bellmer qui (...)
• 21 François Houpe est maire de Castres de 1944 à 1952. Voir notamment la lettre monogrammée de Bellmer (...)
• 22 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 15 juin 1946 (depuis Revel), HBPA.

9Bien que le projet soit retardé par la procédure de divorce qu’entame la femme de Bellmer20, l’avancement du travail passe par plusieurs étapes d’ordre technique pour trouver tous les acteurs qui interviennent dans le processus de production d’une gravure. À la fin du mois de mars 1946, Bellmer rencontre le maire de Castres, François Houpe21, qui semble vouloir l’aider, mais leur collaboration échoue, à cause peut-être du sujet, particulièrement scandaleux pour l’époque et non moins douteux pour un notable local. Ce n’est cependant pas la seule tentative puisque Bellmer écrit à Pierre Andrieu l’adresse d’un autre graveur : « M. Laborde qui est ouvrier (graveur etc.) à la maison “Sirvese” rue de la Colombette [31250 Revel], n° 7622 ».

• 23 Lettre de Bellmer à Andrieu non datée [26 juin 1946] (depuis Revel), HBPA. « [Jean] Brun vous porte (...)
• 24 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 25 juin 1946 (depuis Revel), HBPA.

10En définitive, dès la fin du mois de juin 1946, les cuivres seront tirés chez monsieur Tourniac à Toulouse23. Hans Bellmer relate dans sa correspondance ses expériences et ses doutes lorsqu’il avance à tâtons dans la difficile étape du cliché report et du mordançage inhérent au travail de l’héliogravure. « Dès mon arrivée à Revel, écrit-il à Pierre Andrieu, je me suis “lancé dans la morsure” c’est passionnant… mais vous pensez bien que cela ne va pas sans travail. L’apprentissage de l’expérience concrète est à faire. Jeudi, je vais à Castres. J’envisage de venir à Toulouse vendredi si possible, car les deux cuivres sont prêts à tirer. Je compte les envoyer demain à mr. Tourniac. Avez-vous pu retrouver mon bistouri ? Avez-vous retiré mon négatif chez Bouillères ? [sic] Je me suis débrouillé en matière “cuvette” : un photographe d’ici m’en a prêté une et de plus, un quincaillier m’en fait deux en fer pour 350 frs les deux (reste à savoir si je réussirai à les ripoliner efficacement). Une chose est grave : il n’y a nulle part de l’acide nitrique, de façon qu’il ne me reste qu’à vous demander de rester, si vous voulez bien, aux aguets de ce liquide précieux, soit en repassant chez Baillaud, rue de la Pomme [Toulouse], soit en repassant chez le marchand de couleur qui vous en a promis… une bouteille de bière pleine ferait mon affaire24 ».

• 25 Il s’agit soit de Sade, Marquis de Sade. Œuvres, Textes choisis par Maurice Nadeau et précédés d’un (...)
• 26 Il s’agit d’Édouard Bouillière (1900-1967), professeur à l’école des Beaux-Arts de Toulouse en 1940
• 27 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 18 juillet 1946 (depuis Revel), HBPA. La collaboration de Bell (...)

11Il apparaît aussi qu’au même moment Hans Bellmer fait appel à un photographe pour élaborer des clichés et des agrandissements lui permettant, soit d’insoler les plaques de cuivre qu’il reprendra ensuite lui-même au burin, soit de faire des photographies pour un autre projet en rapport avec une publication de Maurice Nadeau25. Les lettres qui s’échangent sont confuses à ce sujet. De fait, « ce soir je termine la morsure d’un cuivre… quel travail…, écrit Bellmer, le photographe ici m’a laissé tomber après m’avoir retardé de deux semaines ! vu l’urgence de la chose (mon portrait pour le livre de [Maurice] Nadeau), j’ose vous demander ce service : voudriez-vous donner les deux négatifs ci-inclus à Bouillères26 [sic] et d’en faire faire deux agrandissements de chacun selon les indications ci-jointes ?27 ». Il apparaît donc qu’Hans Bellmer se lance dans plusieurs projets à la fois, mêlant photographie et gravure. Il ne s’agit pourtant pas encore des photographies de la seconde poupée qui ne paraîtront qu’en 1949, ce qui confirme une pratique intense de la photographie comme modèle préparatoire aux gravures et comme support de l’héliogravure.

• 28 L’édition des 120 journées de Sodome ne s’est jamais faite, mais Bellmer a réalisé le frontispice ( (...)
• 29 Lettre de Bellmer à Valançay, sans date [juillet 1946] (Revel), RVC.

12Le dénuement matériel de l’artiste à cette époque est aussi un facteur déterminant qui explique pourquoi les photographies et les dessins préparatoires sont si nombreux. « Je me suis mis, par la force du nécessaire, à apprendre l’eau-forte, écrit Hans Bellmer à Robert Valançay. J’ai fait deux cuivres d’essai dont on tirera lundi, à Toulouse, des épreuves. Je dois faire six eaux-fortes pour l’Histoire de l’œil et ensuite des frontispices pour une réédition des 120 journées de Sodome²⁸. On verra ce que cela donne. Cette technique entièrement nouvelle pour moi est infiniment plus raide que le crayon et récalcitrante devant tout automatisme… mais je ne suis qu’aux débuts. Le malheur est que je n’ai pas de cuivres à gaspiller, seul moyen d’entrer dans le hasard et l’automatisme29 ».

• 30 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 15 août 1946 (depuis Revel), HBPA. « [Jean] Brun m’a trouvé de (...)
• 31 Tout cela est corroboré par la lettre qui suit : Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 2 septembre 1 (...)
• 32 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du 20 août 1946 (depuis Revel), HBPA.

13Le manque de moyens matériels est toutefois rapidement contourné, mais le papier de qualité reste le plus difficile à se procurer, bien que Bellmer utilise par choix esthétique du papier buvard rose – comme pour l’édition de Justine ou les Malheurs de la vertu, ou d’autres papiers moins conventionnels30. Ce travail sur le papier avec les contraintes qu’il suppose31 est surtout révélateur d’un engagement de l’artiste à renouveler le procédé de la gravure, et la longue lettre qu’il adresse à Pierre Andrieu fin août 1946 montre une volonté de le mettre au service de son univers plastique. « Le cuivre que j’ai actuellement sous les mains, écrit Bellmer, me paraît jusqu’alors et de loin, le meilleur techniquement, comme profondeur et netteté des traits, c’est un vrai plaisir de le voir à côté des autres qui, simplement n’étaient pas assez mordus. Mais j’ajoute que cette fois-ci, après la morsure, je travaille amplement au burin et à la pointe. Ce qui est long et fatigant. Surtout parce que je ne possède qu’un seul burin, celui que j’ai trouvé rue de la Pomme, et il est plus que douteux ; soit qu’il a été chauffé à blanc par l’aiguisage, sur la meule, soit que c’est un burin pour le bois ; en un mot, la pointe ne tient pas, et je suis obligé de l’affûter toutes les cinq minutes. J’ai alerté Brun et mr. Gherbrant [sic] et encore Bataille de me trouver vernis et burins. À propos de gravure, encore, Brun a vu Duchamp. Et Duchamp dit que j’aboutirai, tout en réinventant l’eau-forte, à la gravure à la pointe sèche, qui me permettra de dessiner sur le cuivre comme au crayon. Moi je pense que j’aboutirai à l’eau-forte opposée à la gravure au burin et à la pointe sèche, dans le sens d’une opposition comme vous l’avez vu dans mon dessin de la femme phallus (matière et forme). Cas où l’eau-forte se chargeant de représenter la matière et ses structures. Ceci reste à trouver : simple question d’expérimentation avec des vernis-poussière, dépolissages etc., c’est-à-dire il reste à trouver des procédés qui en eau-forte seraient comparables à la décalcomanie, au frottage, à l’empreinte, aux “fumages”, aux écoulements d’une goutte d’encre de Chine tombée dans un verre d’eau. Là il y a tout un domaine expérimental à travailler32. ».

• 33 Dans un entretien de Fabrice Flahutez avec le peintre Christian d’Orgeix (Paris, 27 fév. 1997) qui (...)

14L’attrait pour la technique et le jeu qu’il entraîne ont permis à l’artiste de faire de l’estampe un laboratoire des formes33. Cette démarche se développe dans l’Histoire de l’œil, avec la superposition des motifs de la femme, mais trouvera son accomplissement dans Petit traité de morale (Éd. Georges Visat, 1968), où il s’agira d’une fabrique d’images hybrides donnant aux condensations freudiennes une application graphique par l’impression de deux cuivres l’un après l’autre sur la même feuille.

• 34 Lettre de Bellmer à Andrieu non-datée [18 septembre 1946] (depuis Carcassonne), HBPA. « Vous ai-je (...)
• 35 Sade, The 120 days of Sodom; or The romance of the school for libertinage, Being an English renderi (...)
• 36 Voir Patrick J. Kearney, The Paris Olympia Press: An Annotated Bibliography, Londres, Black Spring (...)
• 37 On pourrait émettre deux hypothèses : soit ces cuivres seront réutilisés pour l’édition de À Sade : (...)

15Bellmer passe donc la fin de l’été 1946 à travailler ses planches. Toutes ses « trouvailles » et ses audaces techniques pour Histoire de l’œil seront aussi le point de départ d’un autre projet de dix gravures afin d’illustrer les 120 journées de Sodome du Marquis de Sade34, sans que ce dernier projet voie le jour, en tout cas sous cette forme. Le texte des 120 journées de Sodome sera publié en 1954, dans sa traduction anglaise, avec une préface de Georges Bataille35, mais sans les illustrations. Cette édition anglaise indique simplement qu’à l’origine de ce projet, était impliqué un ami de Jean-Jacques Pauvert, Maurice Girodias (1919-1990), fondateur d’Olympia Press36, mais laisse en suspens le devenir de ces dix gravures qui seront probablement reprises pour d’autres projets37.

• 38 Lettre d’André Breton à Enrico Donati, 10 décembre 1946, (Enrico Donati letters received and manusc (...)
• 39 Lettre de Bellmer à Andrieu datée du dimanche 30 septembre 1946 (depuis Castres), HBPA.
• 40 Voir Lettre à en-tête de la Société anonyme du Grand café NOT de Bellmer à Andrieu datée 20 juin 19 (...)
• 41 Le Vermoulu et le plissé ou La Cathédrale, héliogravure (réalisée par Louis Maccard) et eau-forte d (...)

17En septembre 1946, Hans Bellmer évoque régulièrement la genèse des gravures pour Bataille comme un travail de longue haleine38 et techniquement complexe, à tel point qu’il recommande déjà explicitement d’en déléguer la tâche à autrui. « Ce mardi en cause, premier octobre, je dois commencer les gravures pour New York, écrit Bellmer à Andrieu. Malheureusement j’[en] ai encore deux à faire pour l’Histoire de l’œil étant en retard à cause de mon déménagement de Revel. […] Je me rends compte depuis mes gravures pour l’œil [et] dire que j’aurai à faire dix grandes gravures (le format dépasse de deux centimètres celui de ce papier à lettres) très travaillées. Vous en connaissez déjà quelques sujets (l’enculée etc.) j’avais pensé de faire faire la « cuisine », le travail préparatoire, la première morsure sur le cuivre par une maison d’héliogravure à Paris. Je m’adresserai à Marcel Duchamp qui me donnera certainement des tuyaux. La moindre des choses serait qu’une maison de reproduction me photographie sans trame mon dessin sur le cuivre. Croyez-vous que Laffont à Toulouse le ferait ?39 ». Dans l’apprentissage de la morsure, l’artiste va nuancer petit à petit les tirages de ses gravures. Ainsi, les noirs des premières planches d’Histoire de l’œil seront beaucoup plus francs et durs, tandis que dans les gravures des années suivantes comme La Cathédrale⁴⁰, ils seront plus légers. Hans Bellmer attache donc une grande importance au résultat de l’impression, et bien qu’il laisse à un professionnel le soin de faire l’héliogravure, il contrôle les reprises au burin ou à la pointe sèche ainsi que les tirages41. Il adoptera cette attitude à la fin des années 1960 avec son principal graveur d’interprétation, Cécile Reims-Deux.

• 42 Le Chapeau-main, une gravure à l’eau-forte en deux couleurs avec une base héliogravée d’après un de (...)
• 43 Lettre de Bellmer à Breton datée du 8 mai 1947 (Carcassonne vers Paris), (BLJD), Fonds Breton, BRT. (...)
• 44 Lettre de Bellmer à Andrieu datée 12 octobre 1946 (depuis Carcassonne), HBPA : « sous le coup de la (...)

18On retrouve ce perfectionnisme pour l’impression de la gravure destinée au catalogue de l’exposition internationale du surréalisme en 194742. Hans Bellmer l’écrit à André Breton en ces termes : « Mon dessin pour la gravure (catalogue)est parti hier pour Paris, chez mon imprimeur-graveur… car l’urgence étant donnée j’ai dû me décider à faire une héliogravure. Voudriez-vous me dire quand vous désirez recevoir le cuivre aciéré ? Le graveur travaillant je crois assez vite, m’aurait envoyé le cuivre non aciéré pour me permettre de développer des nuances, de faire des reprises éventuelles ! En cas de très grande urgence, je demanderais l’aciérage immédiat après vue d’une épreuve.43 » Ce passage progressif à des estampes aux traits plus nuancés s’explique par plusieurs paramètres, dont l’emploi du perchlorure de fer44, et aussi par les conseils éclairés de graveurs expérimentés qu’il fréquentera dès son retour à Paris.