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Comptes rendus

Pérégrinations de l’estampe au xvie siècle. Transferts et usages.

Aude Briau
Référence(s) :

Compte-rendu de : Grażyna Jurkowlaniec et Magdalena Herman (dirs.), The reception of the printed image in the fifteenth and sixteenth centuries: multiplied and modified, New York/ London, Routledge, Taylor & Francis Group, 2020.

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Index chronologique :

16e siècle
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Texte intégral

1Plus que le titre descriptif de l’ouvrage, ce sont surtout les deux adjectifs du sous-titre, et qui seuls formaient le titre du colloque qui s’est tenu à Varsovie autour de « l’image imprimée » de la Renaissance les 28 et 29 juin 2018, qui déterminent sa problématique. En français, la traduction conduirait à prendre parti entre « multipliée et modifiée » ou « multipliable et modifiable », mais éluderait l’ambivalence que propose l’ouvrage à partir de ces deux propriétés constitutives de l’estampe de cette période, que ce soit dans le champ de la matérialité ou de la signification.

Fig. 1. Couverture de l’ouvrage

2L’introduction « People between multiplied things and modified images » insiste sur ces deux caractéristiques en même temps qu’elle annonce les trois sections selon lesquelles sont répartis les quatorze essais : « things », « people » et « images ». Elle définit ces trois notions à partir d’études de cas, annonçant le parti pris méthodologique de baser les démonstrations sur l’objet-source (object-base scholarship), que celui-ci soit toujours existant matériellement ou seulement documenté (S. Karr Schmidt).

  • 1 Bartsch qualifiait sa composition d’« ignoble et sans esprit », in : Adam von Bartsch, Le peintre-g (...)
  • 2 À noter que cet emploi mériterait un plus large développement jusque dans la peinture de chevalet. (...)

3Ce chapitre « things » considère avant tout l’aspect matériel de l’image imprimée montrant bien à quel point celle-ci était considérée comme un bien de consommation courante servant toutes sortes de créations : cartes à jouer, papier peint, astrolabes de papier, etc. Outre sa forme, sa typologie joue également un rôle, et deux essais proposent de voir au-delà des catégories traditionnelles. J. Wehn interprète la gravure d’ornement comme une manifestation de la « productivité artistique » chez Israhel van Meckenem, célèbre graveur de la fin du xve siècle longtemps déconsidéré et qui bénéficie désormais d’un regain d’intérêt1. Quant à M. Warren, elle envisage l’emploi de l’estampe dans la production de livres imprimés parisiens non pas comme une illustration destinée à être coloriée (« painted print ») mais plutôt comme dessin sous-jacent à l’usage des peintres miniaturistes (« print-assisted paint »)2.

4Les usages infinis qui peuvent être fait d’un tel objet modulable sont liés aux visées et aux besoins de ses usagers au sein d’un contexte socio-culturel précis. Dans le second volet « people », c’est donc l’activité des groupes et des individualités de part et d’autre de la chaîne de production - ceux qui conçoivent et ceux qui reçoivent - qui est mise en exergue. À partir du début du xvie siècle, une meilleure documentation des imprimeurs, éditeurs et graveurs, permet de mieux comprendre les objectifs qui les animent, qu’il s’agisse d’ambitions sociales (F. Speelberg) ou de réponses commerciales dans un contexte donné (A. Kocsis), comme d’observer les liens qui les unissent les uns aux autres (G. Jurkowlaniec & M. Herman). La réception fait quant à elle, l’objet des textes de G. Capriotti et K. Mroziewicz, qui montrent comment l’interaction des collectionneurs avec les images révèle leur perception individuelle

5La dernière partie « images » considère l’estampe comme vecteur de signification(s). De part, son caractère multiple et peu onéreux, l’image imprimée constitue pour la période traitée un outil de communication de choix, et sa diffusion rapide dans des contextes variés favorise son adaptation. Par des transformations plus ou moins importantes, une même image peut donc servir simultanément une multiplicité d’interprétations qu’elles soient scientifiques (G. Jurkowlaniec & M. Herman), politiques (J. Sikorska), artistiques (M. Łazicka ; J. Tátrai) et/ou religieuses (A. Handl ; J. M. Massing).

Fig. 2. Dalle funéraire d’Ambroży Pampowski, avant 1510, pierre calcaire, Środa Wielkopolska, église collégiale de l’Assomption. Photo: Tadeusz Sikorski.

Fig. 3. Albrecht Dürer, Saint Georges à pied, vers 1502-1503, burin, 112 x 70. Bibliothèque nationale de France, Estampes, Réserve Ca-4 (+, 3)-boîte écu.

6L’ensemble couvre un champ relativement vaste tant au niveau des lieux, des objets que de la chronologie abordés. Si les études de S. Karr Schmidt et J. Tátrai s’appuient sur des exemples dispersés à l’échelle du continent européen, les autres se limitent à des territoires plus circonscrits (Italie, France, Pays-Bas, Angleterre). En raison de l’étendue du territoire, et de son rôle moteur dans la production des images imprimées, un bon tiers des essais se concentre sur l’Europe centrale, avec un focus sur la Pologne des Jagellon (G. Jurkowlaniec & M. Herman, J. Sikorska, K. Mroziewicz). L’ouvrage, publié en anglais, permet alors une meilleure appréhension de cette aire géographique plus souvent méconnue des historiens de l’ouest. Quant à la dernière contribution (J. M. Massing), elle sert autant de conclusion que d’ouverture, en offrant des perspectives extra-occidentales sur la diffusion et la réception des estampes européennes.

Fig. 4. Artiste aztèque, Messe de saint Grégoire, 1539, plume et bois, 89,7 x 77,4 cm, Auch, musée des Jacobins.

  • 3 « Arrangement d’une courte composition polyphonique, généralement placée dans un livre de chant ou (...)

7De la même manière l’ensemble des contributions envisage très largement les différentes formes de l’image imprimée. Outre l’estampe en feuille ou d’illustration – en bois ou sur cuivre (taille-douce et criblé), sont abordées des formes plus spécifiques comme les cartes à jouer (L. Vandi), ou encore moins classiques telles que les estampes interactives (interactive prints) (S. Karr Schmidt) ou le bildmotet3 (A. Handl).

8Du côté de la chronologie en revanche, le livre déroge un peu à son titre. Moins que de l’image imprimée aux xve et xvie siècle, le livre traite d’un long xvie siècle : de l’extrême fin du xve siècle (J. Wehn, L. Vandi) jusqu’à la première moitié du xviie siècle (J. Tátrai, A. Handl). On regrette par conséquent l’absence d’études consacrées à des sujets plus précoces, qui auraient sans aucun doute trouvé leur place au carrefour des axes principaux de l’ouvrage.

9L’hétérogénéité apparente tend à démontrer la variété des pratiques autant que démontrer l’aspect universel de l’image imprimée. Au fil de la lecture, le découpage arbitraire (et nécessaire) en trois parties proposé par les directrices de l’ouvrage apparaît finalement comme un cadre de convention. La définition très large des notions pourrait être aussi bien appliquée au domaine de l’estampe, voire à d’autres disciplines artistiques, au-delà de la période traitée ; et par conséquent chaque texte aurait pu prendre indifféremment place dans l’un ou l’autre des chapitres.

10Cependant plusieurs thèmes transversaux, tels que le rôle de modèle de l’image imprimée pour les autres arts (J. Wehn, F. Speelberg, J. Sikorska, J. Tátraí, A. Handl), l’absence de sacralisation de l’objet gravé - qu’il s’agisse de la matrice ou de son impression, tour à tour découpé, réagencé, complété, recombiné, etc (G. Jurkowlaniec & M. Herman, J. Wehn, O. Horbatsch, G. Capriotti, K. Mroziewicz, M. Warren), ou encore la tension pouvant exister entre la codification des images héritée du Moyen Age et l’individualisation d’un objet produit en série (G. Jurkowlaniec & M. Herman, M. Warren, O. Horbatsch, A. Kocsis, K. Mroziewicz), assurent la cohérence de l’ouvrage par les éléments de réponse qu’ils apportent aux deux mots-clés « multiplied and modified ».

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Notes

1 Bartsch qualifiait sa composition d’« ignoble et sans esprit », in : Adam von Bartsch, Le peintre-graveur, Vienne 1808, VI, p. 196. Depuis, Plusieurs expositions monographiques lui ont été consacrées : Israhel van Meckenem (um 1440/45 - 1503): Kupferstiche - der Münchner Bestand, Achim Riether et Christophe Metzger, cat. exp. (Munich, Staatliche Graphische Sammlung München, Pinakothek der Moderne, 14 septembre - 26 novembre 2006), Munich, Staatliche Graphische Sammlung, 2006 ; Sacred and Secular: Israhel van Meckenem & early German engraving, Asuka Nakada (dir.), cat. exp. (Tokyo, The National Museum of Western Art, 9 juillet - 19 septembre 2016), Tokyo, The National Museum of Western Art, 2016 ; et l’auteur du présent essai lui a récemment consacré une thèse de doctorat : James R. Wehn, Inventing the Market: Authenticity, Replication, and the Prints of Israhel van Meckenem, Cleveland (OH), Case Western Reserve University, 2019, thèse de doctorat non publiée.

2 À noter que cet emploi mériterait un plus large développement jusque dans la peinture de chevalet. L’analyse infrarouge du panneau attribué à l’école d’Adrien Isenbrant a par exemple montré l’utilisation d’une gravure de Martin Schongauer (Lehrs 28) comme guide de la composition surpeinte (Londres, National Gallery, inv. NG1151). Voir : Rachel Billinge, “Links with Schongauer in Three Early Netherlandish Paintings in the National Gallery”, Leids Kunsthistorisch Jaarboek, n° 11, 1998, p. 88-91. Une telle recherche se heurte bien sûr, comme le souligne M. Warren, à l’accès aux techniques d’imagerie.

3 « Arrangement d’une courte composition polyphonique, généralement placée dans un livre de chant ou sur un panneau, dont la partition et le texte sont reproduits à l’intérieur de l’image qui lui correspond visuellement. » (A. Handl)

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Table des illustrations

Légende Fig. 1. Couverture de l’ouvrage
URL http://journals.openedition.org/estampe/docannexe/image/1800/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 127k
Légende Fig. 2. Dalle funéraire d’Ambroży Pampowski, avant 1510, pierre calcaire, Środa Wielkopolska, église collégiale de l’Assomption. Photo: Tadeusz Sikorski.
URL http://journals.openedition.org/estampe/docannexe/image/1800/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 883k
Légende Fig. 3. Albrecht Dürer, Saint Georges à pied, vers 1502-1503, burin, 112 x 70. Bibliothèque nationale de France, Estampes, Réserve Ca-4 (+, 3)-boîte écu.
URL http://journals.openedition.org/estampe/docannexe/image/1800/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 477k
Légende Fig. 4. Artiste aztèque, Messe de saint Grégoire, 1539, plume et bois, 89,7 x 77,4 cm, Auch, musée des Jacobins.
URL http://journals.openedition.org/estampe/docannexe/image/1800/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 327k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Aude Briau, « Pérégrinations de l’estampe au xvie siècle. Transferts et usages. »Nouvelles de l’estampe [En ligne], 266 | 2021, mis en ligne le 02 décembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/estampe/1800 ; DOI : https://doi.org/10.4000/estampe.1800

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Auteur

Aude Briau

EPHE, Université PSL - EA-4116 SAPRAT / Institut national d'histoire de l'art

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

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