Achat d’une rare épreuve d’Otto Dix par l’historial de la Grande Guerre de Péronne
Texte intégral
Otto Dix, Soldat und Nonne, Vergewaltigung (Soldat et nonne, viol), aquatinte et pointe sèche. 7/70. 478 x 362mm. Signée en bas à droite. Achat : Vente Sotheby’s Londres, 19 mars 2021. Lot n° K.120.
1L’Historial de la Grande Guerre de Péronne, Musée de France, est un musée départemental de la Somme, inauguré en 1992. Il conserve une importante collection d’œuvres d’artistes-combattants célèbres pour leur production de guerre : Fernand Léger, Steinlen, Dunoyer de Segonzac, Nevinson, Devambez, André Mare, Pechstein, Parmi ces grands noms, il en est qui produisirent encore après-guerre un témoignage de ce qu’ils vécurent et virent. C’est le cas d’Otto Dix, qui jusqu’en 1936 ne cessa de représenter la guerre qu’il fit en tant qu’adjudant mitrailleur sur le front du nord et celui de l’est.
2L’Historial de la Grande Guerre a le privilège de conserver la série des 50 eaux-fortes éditée en 1924 et réunies dans le coffret « Der Krieg » (tirage 69/70). Le musée avait pu en 1989 concevoir, dans le cadre de la construction du bâtiment, une salle dédiée et présenter sur des pupitres la totalité de cette œuvre, au cœur du parcours, comme la révélation la plus réaliste de la tragédie de cette guerre mondiale.
3Cinq ans après l’armistice, Otto Dix est encore obsédé par les horreurs du champ de bataille, faisant des cauchemars de son vécu dans les tranchées. « J’avais choisi le reportage véridique » est sa formule pour justifier la noirceur de ses eaux-fortes. Parallèlement, il peint le tableau « La Tranchée » dès 1923, détruit par les nazis, mais qu’il poursuivra avec deux autres grands compositions peintes (La Guerre et Flandres). Tout ce travail, doublé de la nécessité pour lui de diffuser par la vente ses gravures, renforce sa volonté d’alerter ses compatriotes contre la menace d’un nouveau conflit.
4Otto Dix maîtrise parfaitement l’art de l’eau-forte en jouant avec les fonds clairs de la feuille ou au contraire les noirs profonds, ainsi qu’avec les variations de l’aquatinte donnant l’impression d’encres diluées. Tout cela permet de traduire une violence extrême, souvent accentuée par le soin de cadrer en gros plan des sujets parfois insoutenables, concernant des combattants dont les seuls éléments d’uniformes visibles sont ceux de soldats allemands, jamais ceux d’ennemis.
5La violence guerrière faite aux corps domine avec cadavres, squelettes, crânes, viscères, alors que l’impact psychique n’est pas écarté non plus. La déshumanisation des corps est au cœur de « Der Krieg » car la guerre est selon Dix « l ‘œuvre du diable », touchant aussi des civils, tels ceux pourchassés par des avions ou des femmes rendues folles de désespoir et de terreur.
6Montrer ce qui est tabou est pour Dix un devoir : la sentinelle morte par suicide au fusil est l’unique représentation connue de toute la production de guerre, et le viol d’une femme est l’une des rares scènes de violence réaliste de cette période. Certes, ce thème existe dans les lithographies françaises dénonçant les atrocités allemandes, mais elles appartiennent plus au domaine de l’humour scabreux et facile de la haine de l’ennemi.
7Otto Dix révèle le viol dans sa dimension de crime de guerre et il est le seul à le faire. Avec l’estampe « Soldat, nonne ; viol » Otto Dix prétendait porter la série « Der Krieg » à un niveau de violence supplémentaire, celle faite au corps. Mais son éditeur Karl Nierendorf a préféré la supprimer afin d’espérer mieux vendre cette production. Celle qui peut être considérée comme la 51ème du coffret a été acquise par l’Historial de la Grande Guerre, devenant ainsi le seul musée de France à posséder la série complète et enrichie de « l’indésirable » écartée par auto-censure.
8À l’exemple de ce conflit qualifié de « guerre totale », l’artiste allemand produit une œuvre traduisant le summum de l’horreur car il s’agit d’un soldat allemand, bien reconnaissable à son bonnet, non équipé de son ceinturon, par conséquent au repos dans une zone de cantonnement, qui viole une religieuse à cornette. Les notions de corps et d’intimité ainsi atteints dans la violence extrême de la guerre démontrent ainsi le summum de l’indicible et la banalisation des crimes universels.
91924 fut l’année de l’exposition « Guerre à la guerre » qu’Ernst Friedrich présenta dans son musée de Berlin, prônant le pacifisme à travers le slogan « Plus jamais la guerre » que partageait Otto Dix. Par sa prise de position dénonciatrice, il voulut avant tout s’opposer à l’oubli de la guerre de 1914-1918, tout en luttant contre l’héroïsation guerrière que le nazisme mettait déjà en valeur par une propagande bien orchestrée.
10Bibliographie :
11Otto Dix, The War/Der Krieg, Cinq Continents-Historial de la Grande Guerre, 2003.
12Otto Dix : La Guerre, l’intégrale des 50 eaux-fortes d’Otto Dix, Gallimard-Historial de la Grande Guerre, 2015.
Table des illustrations
Légende | Otto Dix, Soldat und Nonne, Vergewaltigung (Soldat et nonne, viol), aquatinte et pointe sèche. 7/70. 478 x 362mm. Signée en bas à droite. Achat : Vente Sotheby’s Londres, 19 mars 2021. Lot n° K.120. |
---|---|
URL | http://journals.openedition.org/estampe/docannexe/image/1810/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 554k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Marie-Pascale Prévost-Bault, « Achat d’une rare épreuve d’Otto Dix par l’historial de la Grande Guerre de Péronne », Nouvelles de l’estampe [En ligne], 266 | 2021, mis en ligne le 02 décembre 2021, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/estampe/1810 ; DOI : https://doi.org/10.4000/estampe.1810
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page