Comment êtes-vous devenu marchand d’estampes ?

Jeune, je n’avais pas de plan de carrière : après le bac, j’ai passé un an à la banque où je me suis ennuyé et j’ai démissionné. Je voulais travailler dans le domaine du livre et de l’édition. Par l’intermédiaire d’une relation de la secrétaire de mon grand-père, je suis entré en contact avec Christine Girand qui m’a engagé. Je suis ainsi rentré à 20 ans comme assistant à la galerie François Girand où je suis resté douze ans entre 1984 et 1996. Cette galerie se trouvait à côté de la galerie Paul Prouté, rue de Seine. François Girand était un marchand de gravures qui avait commencé sa carrière en 1949 : c’était ce que l’on appelait un casseur. La pratique était en effet courante chez les marchands d’estampes à l’époque de casser des albums et des atlas afin de récupérer des gravures commercialisées en feuille. Ces marchands s’intéressaient aux planches de topographie, de décorations, de botanique, aux cartes …… C’était une autre génération. C’était une très belle galerie, très haute sous plafond, qui avait un important volume d’affaires.

Comment s’est fait votre apprentissage ?

Je n’avais alors aucune idée de ce qu’était une gravure. J’avais reçu une culture artistique dans le cadre familial J’allais ainsi très souvent au Louvre : j’aimais m’y promener, retrouver certaines peintures. J’étais fasciné par Les Noces de Cana, L’Homme aux gants de Titien….. Je me souviens que ma grand-mère m’avait emmené voir l’exposition Van Gogh lorsque j’avais six ans, et cela m’avait impressionné. Mes parents n’étaient pas des amateurs d’art pointus, mais on allait voir les expositions du moment.

François Girand était avant tout un commerçant. Il avait une mémoire considérable : il connaissait parfaitement les atlas anciens, les livres de voyages, d’histoire naturelle, les traités de chasse…. Christine Girand quant à elle, avait développé le goût de l’estampe du XVIII^ème siècle en couleurs. Mais il y avait à la galerie peu de planches de maîtres anciens et modernes. J’ai cependant vu des choses incroyables : François Girand avait ainsi acheté un ensemble d’atlas provenant d’un collège de jésuites qui avaient classé les cartes par ordre alphabétique : à la lettre M, on pouvait avoir une carte du Maroc et une carte très rare de la Mauritanie dans des immenses registres. J’ai vu plusieurs fois des volumes complets de Piranèse, du Voyage pittoresque de Taylor et Nodier…. On avait aussi à la galerie des centaines de lithographies de Daumier. Quand je n’étais pas occupé, je me mettais au fond du magasin et je parcourais le Delteil : j’ai ainsi compris le génie du trait de Daumier.

Il y avait le rituel des nouveautés. Ainsi, tous les lundis chez Pierre Michel et Jean Paul Rouillon, les mardis, chez Prouté et Girand, les marchands français et étrangers pouvaient voir les nouvelles acquisitions. Tous les mois, il y avait entre 500 et 800 gravures nouvellement acquises. Grâce au volume de choses qu’on pouvait voir, j’ai pu me former. Vers vingt-deux ans, j’ai commencé à chiner : j’allais aux puces de Clignancourt, à Vanves, moins en salles des ventes. C’est déterminant dans mon goût du métier. Je suis marchand d’estampes, mais j’aurais pu être tout aussi bien marchand de peintures, de dessins, j’aurais été aussi heureux. Il se trouve que j’ai été formé et que j’ai appris à vivre du commerce de l’estampe, cette activité me réjouit. Un de mes grands plaisirs dans la vie est d’aller à Drouot au quotidien. Cela m’a façonné, m’a ouvert à des domaines que je ne connaissais pas.

L’autre chose très importante dans mon parcours, c’est lorsque deux-trois ans après mon entrée chez Girand, en passant devant la vitrine de la galerie Prouté, j’ai été saisi par le petit portrait de la mère de Rembrandt. J’ai été ému qu’il puisse se passer quelque chose sur un si petit bout de papier.

Je me suis formé également grâce aux marchands que je voyais, notamment un marchand suisse, Monsieur Vouille à qui j’ai posé beaucoup de questions sur les techniques, les papiers. L’avantage que j’avais, par rapport aux gens qui ont fait des études d’histoire de l’art, c’est que je pouvais toucher les choses, je pouvais les manipuler. C’est ainsi qu’on peut faire la différence entre un bon et un mauvais tirage.

Avez-vous été formé également par Girand ?

Pas tellement. Girand n’était pas un technicien de l’estampe, mais était un brillant commerçant. Les affaires étaient florissantes, l’ambiance était très joyeuse. Un grand marchand m’avait dit « François a été le plus grand courtier du monde ». Il avait commencé sa carrière après-guerre en allant en Angleterre, c’est ainsi qu’il s’est établi économiquement : compte tenu de l’histoire récente, les marchands allemands n’osaient pas aller à Londres. Les français étaient plus arrangeants. Girand achetait en Angleterre des choses qu’il vendait aux Allemands, ayant compris que l’Allemagne allait se rétablir économiquement. Il s’était constitué un réseau de marchands parce qu’il était très cordial. Il chinait tout le temps, faisait plus de 25000 km par an en Angleterre, autant en France. Il allait quotidiennement en salle des ventes.

Comment avez-vous décidé de vous lancer à votre tour dans le commerce de l’estampe ?

Entre vingt et vingt-cinq ans, je me suis donc formé artistiquement, mais je n’avais pas encore arrêté un choix de vie. Je voyais très souvent un courtier italien, Gianni Rustico : il connaissait tous les marchands de gravures en Europe, les marchés aux puces et collectait les gravures italiennes et les vues d’Italie. De retour en Italie, il les vendait. Je me suis dit que le métier qu’il faisait était formidable car il traversait l’Europe, allait visiter toutes les expositions. Je n’avais pas d’argent de famille et il était difficile de me mettre à mon compte. Or, à la suite de problèmes de santé, Christine Girand ne pouvant plus gérer la galerie l’a fermée en 1995. François Girand a été généreux et m’a offert un pécule correspondant à un an de salaire. En 1996, je me suis donc associé avec un ami, Jean-Bernard Gillot qui était libraire. Il avait une librairie qui était un lieu de rendez-vous et je faisais des salons car je n’avais pas encore de galerie. J’étais alors présent sur tous les salons : j’allais régulièrement déballer au marché Georges Brassens, je faisais les salons de quelques jours dans Paris, comme le Vieux papier, la Bastille… L’été j’allais au salon des antiquaires de Saint-Tropez. On était tous les week-ends sur les routes. En 1997, j’ai battu mon record en déballant cinquante et un week-ends sur cinquante-deux. À l’époque il y avait beaucoup plus de salons. J’y allais surtout pour vendre. La semaine, je constituais mon stock. J’ai commencé à aller régulièrement à Drouot à partir de 1997. En 2001, nous avons ouvert notre première boutique rue Jean Ferrandi, derrière la Fnac Rennes. Puis en 2004, on a proposé à Jean-Bernard de reprendre la librairie Alain Brieux, spécialisée dans le domaine médical et scientifique. Nous nous sommes donc séparés en 2005. Je me suis alors installé rue Rameau où je suis encore actuellement. Je suis à proximité de Drouot et du département des Estampes de la BnF. Je me suis alors dirigé vers la gravure d’artiste pratiquement en autodidacte. Depuis quelques années, je me suis également spécialisé dans l’estampe japonaise, parce que je me suis rendu compte que cela plaisait d’avantage à des gens jeunes que l’estampe ancienne et moderne réservée à des amateurs d’art. Les gens qui dépassent les sujets, par exemple les sujets religieux pour avoir le plaisir de la composition de l’œuvre, sont rares.

Qu’est-ce qui vous plait dans l’estampe ?

Un des grands plaisirs qu’offre l’estampe est la variété. Cela me plait de pouvoir m’intéresser à de l’imagerie populaire, de passer des écoles du Nord aux Romantiques. Être marchand d’estampes me permet également de découvrir des petits maitres qui peuvent me ravir. Mon plaisir est d’aller dans différents domaines. J’aime faire rentrer des curiosités.

Comment êtes-vous venu à l’estampe japonaise ?

François Girand en avait et j’ai commencé à déchiffrer les signatures. À force d’en voir, je me suis formé. Je me suis spécialisé dans ce domaine car j’aime cela et j’ai également eu une opportunité commerciale me permettant de constituer un stock, car plusieurs marchands spécialisés dans ce domaine ont arrêté leur activité. Vers 2010, j’ai ainsi pu acquérir un lot important d’estampes japonaises, ce qui m’a propulsé dans ce domaine.

L’estampe japonaise permet de toucher les jeunes générations. La moyenne d’âge des gens qui consultent le site internet de la galerie est de 65 ans. Or, l’estampe japonaise attire un public plus jeune. Par ailleurs, on peut avoir une estampe plaisante pour quelques centaines d’euros : les estampes de grands maîtres se vendent très cher, mais entre 200 et 1000 euros, on a déjà beaucoup de choses.

Vous trouvez encore des estampes japonaises en salles des ventes ?

Oui, tout à fait. À la fin du 19^ème siècle, ces estampes ont été exportées par millions en Occident. Il y a plusieurs marchés : le marché des choses courantes est plutôt assez occidental. Les chefs d’œuvres vraiment exceptionnels peuvent revenir au Japon. Je suis dans un quartier fréquenté par beaucoup de japonais, mais en quinze ans, je n’ai vendu qu’une fois une estampe japonaise à une japonaise. Pour eux, c’est le passé et il n’y a pas de goût pour le patrimoine dans la culture japonaise, du moins pour leur propre patrimoine. On reconstruit ainsi à neuf des temples anciens. En Occident, les gens sont très sensibles à l’estampe japonaise : regardez le succès des expositions Hokusai et Kuniyoshi. Cela rejoint aussi l’attrait pour les mangas. Il y a un réel goût pour la culture japonaise. Il y a plus de monde à Guimet que dans les salles présentant de la peinture française au Louvre ! C’est un souci pour l’estampe ancienne et pour l’art ancien en général ; malheureusement, le fossé se creuse. Bien sûr, s’il y a demain une exposition Caravage au Grand Palais, elle aura du succès, mais Laurent de La Hyre, Philippe de Champaigne….. les amateurs les apprécient, mais le grand public….Commercialement, je le constate avec ma clientèle. Il y a rarement de nouveaux clients, comme il y a rarement de nouveaux marchands.

Concernant le changement de goût, comment percevez-vous cette évolution ?

Il y a un marché des chefs d’œuvres et des curiosités. Si vous trouvez des estampes maniéristes, des François Desprez, des eaux-fortes pures, des curiosités de l’estampe, toutes périodes confondues, vous allez toujours les vendre. Mais pour ce qui constituait l’estampe commune, pour les périodes anciennes, c’est difficile. Par exemple, peu de personnes s’intéressent aux portraits gravés du XVII^ème siècle. Plus personne ne va vous acheter une gravure d’après Watteau ou d’après Boucher. Cela redémarre avec les peintres graveurs. La cartographie, les planches de voyages ne sont plus très prisées. Il y a des galeries d’estampes modernes et contemporaines qui préfèrent s’associer à des salons d’art contemporain, plutôt qu’à des salons présentant de l’estampe ancienne. Il y a, de plus en plus, cette complexité du prints, du multiple… en tant que responsable de la chambre syndicale, je dois être vigilant tout en étant ouvert. Il y a de plus en plus de ventes d’art moderne où on trouve la mention « d’après ». On met « impression en couleur », sans préciser comment c’est imprimé : avec une photocopieuse, avec des cuivres ou des pierres lithographiques ? Est-ce que l’artiste a contrôlé le tirage, est-ce que la signature est bonne…..On est confronté à cela de la part de gens qui font les choses de manière organisée et malhonnête. Un commissaire-priseur à qui je parlais de ce problème me disait qu’il en faut pour tous les prix, mais tout ne mérite pas d’être mis en vente publique. Quand c’est catalogué avec des données imprécises, il faut être méfiant, notamment en raison des progrès des moyens de reproductions.

Quel est le profil de vos clients ? Avez-vous des clients habitués ?

Il y a, parmi ma clientèle, des marchands et des collectionneurs français et étrangers que je vois très régulièrement. Je fonctionne avec un système de nouveautés : tous les trois mois, je présente des estampes acquises récemment, avec en alternance, des estampes japonaises et des estampes européennes. Il me faut à peu près six mois pour constituer un ensemble suffisamment intéressant. Je préviens alors mes clients afin qu’ils regardent sur mon site. Parmi ces clients, il y a une vingtaines de personnes qui m’achètent régulièrement : il s’agit de marchands français et étrangers et également de collectionneurs. Je mets à présent beaucoup de fiches sur mon site, ce qui me permet de toucher des clients occasionnels qui vont peut-être faire un ou deux achats dans leur vie et que je ne reverrai plus. C’est l’autre partie de ma clientèle. Il s’agit de gens qui vont faire des cadeaux par exemple, qui s’intéressent à une thématique, qui achètent une estampe pour décorer leur intérieur… C’est très varié. Il y a du reste, de vrais collectionneurs qui conservent leurs estampes en cartons, mais c’est très limité. Il existe certes, depuis quelques années, l’Association des Amateurs d’estampes. Mais tout un marché a basculé sur les salles des ventes : il y a des gens qui n’achètent presque plus qu’en salles des ventes. Ils ne vont plus dans les galeries parce qu’ils préfèrent le système des ventes ou pensent que les prix seront moins élevés, ce qui est loin d’être toujours le cas. C’est une concurrence considérable.

Comment internet a-t-il changé votre pratique ?

C’est devenu totalement incontournable. Il a fallu s’y mettre. Je me demande si cela a été si positif. Pour les clients probablement, mais peut-être pas pour les marchands. Avant, il y avait une dimension de l’itinérance qui était assez agréable. Quand il y avait une vente à Clermont- Ferrand, pas une vente prestigieuse avec catalogue, si vous n’étiez pas sur place, vous ne saviez pas ce qu’il y avait. Donc, il y avait pléthore de petits marchands qui achetaient sur place et revendaient, et nous faisions la tournée des marchands. À présent, mes confrères et moi, tous les jours, nous épluchons tous les catalogues des ventes qui ont lieu en France et en Europe, comme nos concurrents de New York. À présent, nous sommes en concurrence avec des marchands à qui auparavant nous revendions. Donc, avec internet, notre rôle d’intermédiaire entre le marché local et international, a été remis en cause. Évidemment, avec l’estampe, il y a cette complexité de la qualité du tirage, du retirage qui demande une expertise, mais pas sur tout. Beaucoup de gens n’y attachent pas d’importance.

Est-ce que beaucoup de gens achètent sans voir les œuvres ?

Assez peu, d’où la nécessité à partir d’un certain prix que les gens viennent en boutique. Ils sont rassurés, surtout les gens qui ne connaissent pas bien l’estampe. Pour un premier achat, il est mieux d’aller dans une galerie dès qu’on dépasse une centaine d’euros.

Où vous fournissez vous ?

Essentiellement dans les salles de vente. Je me suis aussi constitué un petit réseau et je continue à chiner : j’adore me promener dans les brocantes et les marchés aux puces en dehors de mon pur intérêt commercial.

Vous continuez à aller en région pour chercher de la marchandise ?

Comment classez-vous vos estampes ?

Je classe les estampes en quatre catégories : les gravures de maîtres, classées par école et par époque, puis par ordre alphabétique quand j’ai plus de choix, notamment pour la gravure française, ensuite, la décoration (les thèmes d’histoire naturelle, d’architecture), puis la topographie française et enfin la topographie étrangère.

Vous présentez également un peu d’estampes contemporaines, quelle est votre politique en la matière ?

C’est mon ancienne assistante, Justine Rouillé, qui m’a incité à travailler avec des vivants. Nous avons commencé avec des graveurs par amitié, comme Hélène Bautista, Pablo Flaiszman. Nous avons constitué un petit fonds. Comme je ne suis pas dans une rue très passante et que les salons ont disparu les uns après les autres, je ne fais pas un grand volume de commerce avec eux. C’est toutefois quelque chose que je vais continuer. C’est au gré des rencontres. Mais je vais continuer à être avant tout un marchand d’estampes anciennes. En France, à part pour quelques personnes éclairées, l’estampe est toujours considérée comme un parent pauvre. J’ai été à l’Original Print Fair de Londres où sont surtout exposées des œuvres de graveurs contemporains dont les prix sont très élevés pour des artistes qui ne sont pas connus en dehors du domaine de l’estampe. En France, les graveurs contemporains qui vendent leurs estampes à plus de 1000 euros sont rares. C’est un petit marché, ce qui est dommage.

Vous êtes président de Chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau (CSEDT) depuis 2018, quel est son rôle ?

La Chambre syndicale regroupe des galeries et des experts. Elle défend les intérêts des marchands et s’occupe de leurs relations administratives. Elle est rattachée au CDNA (syndicat du Commerce de Détail Non Alimentaire). Elle regroupe quarante-cinq marchands. C’est un tout petit syndicat. On est associé au Comité des galeries d’art, au SNCAO (Syndicat National du Commerce de l'Antiquité, de l'Occasion et des Galeries d'Art moderne et contemporain). Le CDNA représente environ 90000 salariés. Nos conventions du travail sont régies par ce syndicat. On est en relation avec le Ministère du travail pour tout ce qui concerne la vie des entreprises. Au sein de la CDNA, nous avons créé l’APCDNA (Association Paritaire des Commerces de Détail Non Alimentaires) qui permet le dialogue social dans chaque entreprise du syndicat.

Grâce aux subventions de l’APCDNA et aux cotisations des adhérents du syndicat, nous avons pu organiser sa communication en rémunérant quelqu’un à cette fin. Cette fonction est occupée actuellement par Nathalie Béraud. Nous avons une newsletter mensuelle qui fait part de la vie des galeries mais aussi des expositions, des publications sur l’estampe.

Quand j’ai pris la tête du syndicat, on venait juste d’arrêter le salon du Grand Palais co-organisé avec le SLAM. Je suis convaincu qu’il faut que le public revienne dans les galeries qui sont le cœur battant de notre profession : au-delà du côté commercial, la confrontation avec la connaissance des marchands est incontournable pour un collectionneur. J’ai proposé que chaque fin d’année, nous organisions la fête des galeries d’estampes et de dessins. C’est à présent la 4^ème édition : y participent une quinzaine de galeries qui exposent sur un sujet. Nous proposons un parcours à travers Paris.

Cette année, nous avons pu refaire un salon purement d’estampes, sans antiquités ni livres, même si nous avons d’excellentes relations avec nos collègues du SLAM et si certains d’entre nous exposent avec eux, notamment à l’occasion du Salon du livre rare et des arts graphiques qui se tient au Grand Palais éphémère cette année. Nous avons eu la possibilité de louer le réfectoire du Convent des Cordeliers qui était à la bonne taille, le lieu s’y prêtait. Il était important également de le faire en association avec le salon du dessin et de prendre part à cette semaine des arts graphiques et du dessin, car contrairement à la France où les conservateurs sont spécialisés soit dans l’estampe, soit dans le dessin, dans les pays anglo-saxon, il n’y a pas cette séparation. Les pièces d’un montant élevé sont souvent achetées par des institutions américaines, ce qui s’est produit lors de notre dernier salon. Nous entretenons d’excellentes relations avec les organisateurs du salon du dessin. Je pense que c’est un plus pour tout le monde : le salon du dessin est la locomotive mais il y a également d’autres manifestations en même temps. Cela a été un vrai succès. La plupart ont bien travaillé, surtout les marchands d’estampes anciennes. Pour la première année, j’ai voulu que le coût ne soit pas trop élevé en faisant prendre en charge une partie des frais par le syndicat, afin de lancer le salon. L’objectif est de promouvoir toutes formes d’estampes de toutes époques. Nous allons renouveler l’expérience au mois de mars prochain. Il y avait cette année dix-neuf places. Parmi les galeries présentent, 25% présentaient de l’estampe contemporaine.

L’estampe représente 4% du marché de l’art et il ne faut pas qu’il y ait de dissensions entre les marchands d’estampes. J’avais l’ambition de fédérer tous les marchands européens. Il y bien sûr l’IFPDA (International Fine Print Dealers Association), mais elle réunit surtout des marchands américains. Il existe des associations de libraires. En France, nous sommes plus facilement associés aux libraires. Je pense que les publics des libraires et des marchands de gravures sont très proches. Du temps du salon du Grand Palais, il y avait environ entre 15000 et 20000 visiteurs : les gens passaient d’un secteur à l’autre. Il y a beaucoup de libraires qui aiment l’estampe. Nous sommes aussi les cousins des marchands de dessins.

Quelle est la situation du marché de l’estampe ?

J’ai l’impression que cela se maintient : il n’y a pas vraiment de nouvelle génération de marchands, bien que nous ayons accueilli cette année Paul Ferloni au sein de la Chambre syndicale. Je n’entends pas parler de confrères qui font faillite. La difficulté est de trouver de la marchandise intéressante. Les sources d’approvisionnement se tarissent. Très souvent, quand les choses arrivent en vente publique, il est difficile pour un marchand français de les acheter car il est en concurrence avec les marchands étrangers, du moins pour les choses importantes. Il doit pouvoir les acheter et les revendre avec un bénéfice. Comme le marché s’est raréfié, on peut avoir des opportunités, mais les maisons de ventes ont pris une place prépondérante. Il y a moins de collectionneurs, moins d’amateurs donc moins de mouvement. Les choses sortent moins. Toutefois, quand on a de belles choses et qu’on est cohérent sur le prix, on parvient à les vendre.

Comment fixez-vous les prix ?

On prend en compte les résultats des ventes. Il y a également l’importance de la galerie qui entre en jeu : la même œuvre ne se vend pas au même prix dans une galerie très prestigieuse et dans une galerie débutante. Entrent en compte la crédibilité de la galerie, ses publications, ses catalogues, son histoire. Malgré tout, on se suit avec mes confrères parmi les marchands français. Les prix des marchands américains sont beaucoup plus élevés, parfois du simple au triple. Le coût du salon de l’IFPDA est très élevé : il faudrait vendre les pièces très chères ce qui nous obligerait à vendre nos plus belles estampes qui sont difficiles à avoir. Il faudrait proposer à la vente un ensemble d’artistes américains qu’on ne pourrait vendre que là-bas, sinon, il est très difficile d’y être présent. Peu de marchands français y participent hormis les galeries Paul Prouté et Martinez D.

Comment voyez-vous l’avenir du commerce de l’estampe ?

Je vous avouerai que je suis assez partagé : le côté pessimiste en moi craint que notre rôle d’expertise puisse être remis en cause par les progrès technologiques. Je crains aussi, d’un point de vue commercial, la montée en puissance des maisons de ventes qui, soutenues par des multinationales, pourraient d’une certaine manière contrôler totalement le marché de l’art. Mon côté positif me dit que nous sommes de petits poissons et que nous pourrons toujours tirer notre épingle du jeu car il y a trop peu d’argent à gagner pour les grands groupes. Je pense aussi que nous serons toujours soutenus par une clientèle qui aura plaisir à prendre le temps de voir les œuvres dans une galerie et à échanger avec des professionnels compétents et passionnés.

Galerie Christian Collin

11, rue Rameau 75002 Paris

Horaires : du lundi au samedi de 13h30 à 19h et sur rendez-vous en dehors des horaires d'ouverture. 

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