• 1 https://lezard-graphique.com/

1Lézard Graphique ou Lézard1 est une signature et une adresse connues de nombreux graphistes français et étrangers. L’imprimerie sérigraphique de Jean-Yves Grandidier s’est imposée au fil du temps comme la marque d’un artisanat noble et exigeant. Du premier petit local dans la Krutenau, vieux quartier de Strasbourg, occupé en 1979, à l’implantation définitive à Brumath en 2001, son parcours est riche de rencontres d’exception, d’expériences techniques, d’innovations sérigraphiques ; une vie dessinée en couleur, en papier et en intensité.

• 2 L’entretien a été réalisé en deux fois : les 26 mars et 2 avril 2021. Il a été complété en septembr (...)
• 3 Je tiens à exprimer tout d’abord ma gratitude à Jean-Yves Grandidier pour sa disponibilité. Tous me (...)

3Nous avons bien conscience qu’il est impossible de retranscrire de manière exhaustive quarante années de vie active, aussi denses que passionnantes2, mais les affiches réalisées, en grande partie conservées au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, sauront bien, à qui aura la curiosité de les consulter, traduire, à travers leur langage spécifique, ce que les mots ne suffisent pas à transmettre3.

• 4 « Lana : papeterie vosgienne fondée en 1590, réputée jusqu’à nos jours pour la qualité de sa produc (...)
• 5 « Dessin, visible par transparence, dont l’empreinte est imprimée dans l’épaisseur de la pâte à pap (...)

6Je suis né à Épinal, la cité des images, de l’imagerie de Pellerin ; dans une famille ouvrière, papetière du côté de mon père et textile du côté maternel. J’ai toujours été élevé dans le papier, dans l’amour du papier et dans un environnement d’images d’Épinal, ce qui était très répandu dans le milieu ouvrier vosgien. Mon père aurait aimé faire une école d’art, mais dans ces milieux-là (mère femme de ménage et père travaillant à la SNCF) ce n’était pas possible. Il a donc fait du dessin industriel. Il travaillait dans une papeterie : Lana4, une papeterie de papiers spéciaux, située dans les Vosges, une région de tradition papetière. Dans les années 1950, le propriétaire de la papeterie, Monsieur Lécole, a voulu se lancer dans le filigrane artistique, ce qu’on appelle le filigrane ombré5. Il a alors invité en résidence un des grands graveurs filigraneurs italiens de chez Fabriano, le plus vieux moulin à papier recensé en Europe, et ce Monsieur Couvèze a initié mon père.

• 6 « Papier fabriqué manuellement, exclusivement à partir de pâte de chiffon, au moyen d’une forme. Sy (...)

7Mon père était passionné de papier. Cette passion lui a fait rencontrer divers autres passionnés comme Monsieur Péraudeau, qui avait remonté le moulin Richard de Bas à Ambert en Auvergne. Dans ce moulin, on faisait du papier à la cuve6 pour des artistes. J’y ai passé beaucoup de temps et participé à toutes les étapes de fabrication. Pendant les vacances, je travaillais en équipe à la production ou à l’entretien des machines. À la grande époque dans les années 1950, 1960, beaucoup de leurs papiers furent utilisés par Picasso, Dali, Mathieu et de nombreux artistes d’après-guerre.

• 7 Philippe Lacoue-Labarthe (1940-2007), professeur de philosophie et d'esthétique à l'Université de S (...)

8J’aurais aimé arrêter le collège en 3^ème pour essayer de rentrer aux Beaux-Arts. Mes parents ont voulu que je passe d’abord mon bac. Je l’ai obtenu en 1972, puis j’ai tenté le concours de deux écoles d’art : les Arts Décoratifs de Strasbourg et les Beaux-Arts de Nancy. J’ai échoué à Strasbourg et j’ai réussi à Nancy. À l’époque, les écoles nationales des Beaux-Arts comme celle de Nancy étaient terriblement scolaires. L’enseignement était très directif, alors même qu’on était quelques années après Mai 1968. Cette ambiance stricte ne me convenait pas très bien. J’ai obtenu mon passage en 2^ème année mais j’étais un étudiant lambda parmi les autres. Et j’ai décidé de partir. Je suis alors venu à Strasbourg où je me suis inscrit à l’Université en Arts plastiques. C’était la fac, les cours n’étaient pas obligatoires, ce qui me permettait d’aller dans les autres universités de Strasbourg. J’allais en auditeur libre assister à des cours qui m’intéressaient en ethno, socio, philo, psycho ; je suivais l’enseignement d’excellents professeurs comme Philippe Lacoue-Labarthe7. En revanche, je n’étais pas un étudiant très assidu en arts plastiques.

• 8 Il s’agit de la revue New graphic design, [1958-1965], international review of graphic design and r (...)
• 9  Wolfgang Weingart (1941-2021), graphiste, typographe et enseignant à l’école de design de Bâle à p (...)
• 10 Grapus est un collectif fondé en 1970 par Pierre Bernard, François Miehe et Gérard Paris-Clavel. Il (...)

9Je passais beaucoup de temps en bibliothèque à Nancy. Elle était notamment abonnée au trimestriel suisse Graphisme international8, ce qui m’a permis de découvrir, dès 1973, le travail du graphiste Weingart9. Ses affiches correspondaient à une démarche politique et intellectuelle très forte, c’était du punk avant l’heure. Le mouvement punk arrivera en 1974-1975. Il n’y avait alors pas d’équivalent en France même par rapport à Grapus10 dont le travail graphique sortait vraiment de l’ordinaire.

• 11 Cette grève a duré de mars à mai 1976. Les grévistes s’opposaient à la réforme du second cycle d’Al (...)

10En 1976, il y a eu des grèves11 à l’Université et en arts plastiques on était assez actifs avec les autres étudiants. C’était un peu nous qui étions en charge de la communication des grèves, d’annoncer les manifs, les assemblées générales... Comme l’Atelier des Beaux-Arts de Paris pour Mai 1968, on servait d’agence de communication pour le mouvement étudiant. Et ainsi, sans le vouloir vraiment, on a fait de la sérigraphie. La sérigraphie est une technique simple, n’importe qui peut la pratiquer avec très peu de moyens financiers ou techniques.

• 12 Système de lettre-transfert de la firme Letraset créé en 1959. Voir le Dictionnaire encyclopédique (...)
• 13 En photogravure le typon est devenu le terme générique désignant le « film positif ». Voir le Dicti (...)

11Des amis en arts plastiques ont acheté un atelier de sérigraphie publicitaire à Metz. Sans m’associer financièrement, ils m’ont proposé de venir travailler bénévolement avec eux. C’était une expérience intéressante et j’y allais toutes les semaines. Je vivais en autonomie totale depuis l’âge de 18 ans et je devais tout de même gagner ma vie. J’ai fait pas mal de petits boulots. J’ai été moniteur de voile, ce qui était beaucoup mieux payé que d’être balayeur ou veilleur de nuit. N’ayant à l’époque aucun plan de carrière, aucune vision de l’avenir, aucune idée d’une activité future ou d’un métier. Je traînais dans les milieux culturels un peu marginaux. Avec mes amis, on avait imprimé quelques affiches pendant les grèves mais on ne connaissait rien à la sérigraphie. On travaillait principalement pour des copains qui n’avaient pas les moyens d’aller dans de vrais ateliers de sérigraphie, des groupes de gauche ou d’extrême gauche, des groupes, de punk, de jazz, de rock. On a fait des affiches pour Bernard Lavilliers, on connaissait son manager qui était originaire de Metz. Nos clients n’étaient dans l’ensemble pas très exigeants sur la qualité, ce qui nous permettait de faire nos armes sans trop de problèmes. C'était bien avant le Mac, et on travaillait sur des films avec des Letraset12, sorte de décalcomanie. C’était du bricolage manuel avec les lettres transférées directement sur les typons13. La réalisation des affiches-programmes nous prenait un temps fou. Mais dans la mesure où notre temps n’était pas spécialement facturé, ni rémunéré, cela ne posait pas de problème !

• 14 « Dispositif destiné à la reproduction des illustrations, constitué d’un châssis portant à l’une de (...)
• 15 Le prépresse (ou préimpression) correspond à l’ensemble des opérations qui précèdent l’impression d (...)

19Quand on a commencé la sérigraphie fin 1970, début 1980, on avait un appareil qui s’appelait un banc de repro14, système qui permettait de faire des films peu onéreux. On parvenait même à photographier des petits volumes, c’était plein de « bidouilles ». Plus tard, J’ai embauché un technicien sur Mac en prépresse15. Quand j’achetais du nouveau matériel, que ce soit pour imprimer ou pour réaliser les écrans, le but était de produire mieux : moins cher, plus rapidement et de meilleure qualité. Je me demandais aussi ce que je pouvais faire en plus.

• 16 Les encres UV conçues pour sécher sous rayonnement ultra-violet offrent une grande stabilité lors d (...)

21En 1979, les seules encres disponibles sur le marché de la sérigraphie étaient des encres à solvants (à base de produits pétroliers, reconnues aujourd’hui toxiques pour l’environnement). Les encres UV16 à séchage rapide ultra-violet n’existaient pas encore. On disposait d’un grand choix de couleurs produites par une quinzaine de fabricants. La qualité des couleurs était alors très bonne — l’interdiction de nombreux composants ne permet plus maintenant d’obtenir la même qualité d’excellence…

• 17 Ensemble des techniques d’étude et de mesure de la couleur telle qu’elle est perçue par l’œil humai (...)

26Les fabricants d’encre ne vendent pas pour Lézard Graphique, l’imprimerie est beaucoup trop petite pour les intéresser. Ils veulent commercialiser des tonnes d’encre, remporter de gros marchés. Cependant, je travaillais avec des fabricants d’encre qui voulaient tester leurs nouveaux produits avant de les proposer sur le marché. Ainsi j’ai pu créer des liens avec des chimistes coloristes et des ingénieurs spécialisés en colorimétrie17. Ils me fournissaient de l’encre, je travaillais avec ces encres et je leur faisais des rapports plusieurs fois par semaine. Grâce aux discussions que j’ai eues pendant des heures et des heures avec eux sur les encres, les pigments, j’ai compris plein de petit trucs essentiels.

• 18 Une des particularités des affiches de Lézard Graphique est l’emploi de coloris métalliques comme l (...)

27Je demandais aux fabricants, un broyage supplémentaire de mes pigments afin qu’ils soient plus fins que les pigments standards, qu’ils soient plus toniques et qu’ils possèdent plus d’intensité. Et parallèlement comme les encres étaient de moins en moins chargées en pigments, j’achetais du pigment pur, du concentré pigmentaire avec lequel je renforçais les couleurs d’origine. Les clients trouvaient qu’au Lézard, on avait de bonnes couleurs sorties du pot. Avec l’expérience, j’obtenais des couleurs particulièrement intenses. Par exemple, je mettais dans un rouge une petite pointe de vert (la complémentaire) afin de raviver la couleur. Optiquement on ne le voit pas mais on le ressent. Tous ces petits artifices permettant de tonifier la couleur18 ne sont pas dans les livres, c’est le métier.

• 19 RIP est un sigle anglais : raster image processor (processeur d’images tramées). Le RIP traite des (...)
• 20 J.-Y. Grandidier ajoute : « Arlequin est un logiciel colossal développé pour l’offset, il n’a pas é (...)

29Je connaissais un grand patron qui fabriquait des machines permettant de réaliser des écrans de sérigraphie. Cette nouvelle machine CTS Signtronic, faite pour remplacer le film, était un assemblage de technologies venues du monde entier. Le patron/inventeur était Hollandais, l’atelier de fabrication était implanté en Suisse, le Rip19 de pilotage avait été développé à Montréal, les composants provenaient des États-Unis, le logiciel de pilotage Arlequin20 avait été conçu par Agfa en collaboration avec des Allemands de l’Université de Francfort et des Belges. Tous ces ingénieurs, techniciens, informaticiens avaient cependant besoin de nous, imprimeurs sérigraphes, pour la mise au point pratique de cette machine.

• 21  « Feuille de matière plastique transparente (acétate, en général) recouverte d’une émulsion photos (...)

30En 2005, le patron m’a appelé en me disant : « Je pense que la machine est au point mais ça m’intéresserait que tu en aies une afin de nous aider au développement technique ». C’est ainsi que Lézard Graphique a été la première imprimerie en France à utiliser cette nouvelle technologie sans film21. Et tous les clients francophones et du monde entier qui achetaient cette machine étaient ensuite envoyés par le fabricant chez Lézard Graphique afin qu’on leur apprenne à s’en servir. Il existe aujourd’hui environ 300 machines dans le monde.

• 22  CTP est un sigle tiré de l’anglais Computer to plate, qui signifie : « de l’ordinateur à la plaque (...)

31La nouvelle machine CTS grave comme le CTP (computer to plate)22 en offset. Elle reporte directement l’image sur la plaque en offset ou sur l’écran de sérigraphie. Il n’y a donc plus d’étapes intermédiaires. Avec le CTS, l’image décomposée est envoyée sur un mur de miroirs. Ce mur de 5x5 cm est constitué de petits miroirs motorisés qui bougent et renvoient la lumière sur l’écran pour sensibiliser l’émulsion. La machine parvient à faire un écran avec un point de trame extrêmement fin. Les puissances de calcul sont de plus en plus rapides, et ainsi la qualité de transfert de l’image est devenue quasiment parfaite avec les machines numériques.

• 23 Fabriquée tout d’abord en verre au début des années 1880, puis en matière plastique au début des an (...)

33Cette machine CTS était une révolution et je me suis dit qu’elle était capable de faire autre chose que ce qui était proposé par les vendeurs. Avec mon collègue, on a fait des centaines de tests. On est parti du Mac, du Mac on est passé à ce CTS, après on a réalisé un écran, puis on a gravé et imprimé ; il faut transférer l’image d’un écran sur la feuille de papier pour savoir si c’est vraiment réussi. Un écran est toujours beau mais on ne peut pas s’en contenter, l’épreuve de la feuille est nécessaire. Pendant deux ans, nous avons passé des dizaines et des dizaines d’heures à réaliser des tests, des essais, des choses que le fabricant ne soupçonnait même pas. Cette machine nous a ouvert des possibilités notamment sur les trames23. Les trames achetées avec cette machine étaient des trames offset, les trames de sérigraphie n’existent pas. Mais par mes « bidouilles », j’ai pu entrer au cœur de cette technique et réaliser une trame spécifique pour la sérigraphie ; une trame qui est une extension de la trame aléatoire (stochastique) utilisée en offset. Les graphistes l’ont appelé la trame Lézard ou la trame « Asticot » en référence à ce qu’on voit si on l’agrandit.

• 24 Frédéric Teschner (1972-2016), était membre de l’Alliance graphique internationale depuis 2010. Il (...)
• 25 La ville du Havre organise depuis 2009 une manifestation intitulée Une saison graphique. Le graphis (...)
• 26 Frédéric Teschner a réalisé 5 affiches originales qui combinent les 5 lettres du mot Havre à une sé (...)

34Ce sont les affiches de Frédéric Teschner24 conçues pour le Havre25 qui ont servi de banc d’essai. On voulait obtenir différentes trames sur une même affiche26. Manuellement, on colle un bout de film avec une trame, puis un autre bout de film avec une autre trame, c’est fastidieux mais possible. On a cherché à obtenir le même résultat avec la machine, et on y est parvenu. Je sentais le potentiel caché de cette machine mais je ne pouvais pas passer mon temps à faire de la recherche. Le fait d’avoir Fred avec un projet cohérent, m’a permis d’avancer vite. On a travaillé en collaboration avec lui.

• 27 Frédéric Teschner, sous la direction d’Alexandre Dimos et de Geneviève Munier-Teschner. Brest, Pass (...)
• 28 Bitmap : mot anglais, qui associe bit (nombre binaire) et map (carte). L’image obtenue en mode bitm (...)

35La rencontre avec Frédéric Teschner27 m’a conforté dans mes recherches et m’a obligé à aller plus loin. Frédéric avait une grande liberté avec Le Havre. Il pouvait expérimenter et on a fait plein d’essais. Il travaillait sur le côté graphique de la trame et moi sur le côté technique, sur les fichiers et les écrans. L’esthétique pour lui, la technique pour moi. Il cherchait à changer les rapports sur une même affiche. Il s’agissait d’affiches imprimées en quadrichromie (4 couleurs) Cyan, Magenta, Jaune, Noir et dans chaque couleur, nous sommes parvenus à changer le rapport, c’est-à-dire à imprimer plusieurs tailles de trames en une seule fois. Par exemple, dans le cyan, on imprimait une trame 100, une trame 75 et même différentes formes de point, rond ou elliptique en un seul passage machine. Normalement pour obtenir des trames différentes, hors le Bitmat28 qui donne un résultat grossier et qui ne permet pas tout, il faut passer plusieurs fois pour obtenir plusieurs trames dans la couleur. Avec mon technicien, on a trouvé des combines pour entrer dans les systèmes de pilotage de la machine CTS qui servaient à faire nos écrans. On pouvait donc imprimer deux, trois trames différentes en un seul passage en fonction des puissances de calcul. On obtenait des fichiers de la même image en plusieurs trames.

• 29 Fanette Mellier (née en 1977) suit les cours de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbour (...)
• 30 Je ne suis pas à vendre, Les Charmettes, Chambéry, 2009. L’exposition traitait des rapports de Rous (...)
• 31 Multipli, Festival Midi Minuit Poésie, Nantes, 2010.
• 32 The Averty Show. Exposition au Confort Moderne, Poitiers, 2015. À la fois affiche et papier peint, (...)
• 33 Lanterna Magica. Exposition Fotokino, Centre Pompidou, 2018. https://fanettemellier.com/project/lat (...)
• 34 Instrument optique objectif qui permet d'obtenir une projection de la lumière sur une surface plane (...)

38Fanette29 avait une demande différente, elle est plus encline à accepter des contraintes ou des impératifs liés à la technique. Fanette arrive avec une idée générale, bien préparée en amont, avec envoi de fichiers. Mais ensuite elle utilise la machine de sérigraphie comme le pinceau. Elle explore aussi avec la machine. Elle a l’idée de base qui est la colonne vertébrale et après il y a des portes qui s’ouvrent. Nous expérimentons ensemble, il y a un certain nombre d’affiches de Fanette qui sont d’ailleurs signées « Fanette et Lézard » ; la signature était mélangée car il s’agissait vraiment d’un travail à quatre mains. Elle venait régulièrement, pour la majorité de ses travaux, à commencer pour Chambéry30, notre première collaboration, mais aussi pour la Maison de la poésie à Nantes31, le Frac Aquitaine, pour Poitiers sur le projet Averty32. C’était beaucoup de discussions en amont, elle m’envoyait les images, m’appelait, on discutait, elle retravaillait, m’envoyait les fichiers, m’appelait… Les projets étaient toujours stimulants comme celui par exemple de la lanterne magique33 pour Beaubourg. Elle voulait une affiche qui puisse se lire des deux côtés tout en conservant un effet de transparence, à la façon d’une camera obscura34.

• 35 Ralph Schraivogel est né en 1960 à Lucerne en Suisse. De 1977 à 1982, il étudie le design graphique (...)
• 36 https://www.centrenationaldugraphisme.fr/assets/OUTILS-PREAC/ralph-schraivogel-dossier-pedago-final (...)

39On travaillait de la même manière avec Ralph Schraivogel35. Il m’envoyait des roughs, à l’ancienne. Il ne fait pas une affiche en huit jours, il met plusieurs mois à concevoir une image36. Je me souviens d’une longue discussion entre nous sur un ordre de fichier où l’on n’était pas d’accord. Il pensait qu’il fallait faire chrome sur bleu pour réaliser son idée et moi je pensais qu’il fallait commencer par le bleu puis le chrome. On a décidé de tester les deux hypothèses, en commençant par ma proposition, car j’étais quasiment sûr que ça correspondait à ce qu’il avait en tête. C’est moi le technicien et c’est moi qui avais raison sur l’ordre des fichiers, car ce qu’il me racontait ne me semblait pas en cohérence avec la façon dont il voulait le faire. C’est le métier, c’est l’expérience. Les graphistes avec lesquels j’ai travaillé m’ont permis de progresser dans mon métier.

• 37 https://www.revuedesdeuxmondes.fr/warhol-american-dream-factory/
• 38 Pierre Bernard (1942-2015) est diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs en 1964. (...)
• 39 La journée avec l’Alliance Graphique Internationale (AGI), lundi 7 décembre 2015 à La Colline, Théâ (...)

40J’ai toujours été un grand fan de Pop Art. C’est aussi ce qui a influencé mon choix de carrière. Les premiers travaux d’Andy Warhol37 sont très mal imprimés. Il n’y avait pas à l’époque de support « propre » comme maintenant avec du beau repérage. Les affiches de Mai 1968 sont aussi des images très basiques avec une couleur voire deux comme sur celles de la Factory. Pierre Bernard38 et le groupe Grapus travaillaient aussi dans cet esprit, il photocopiait, découpait, collait… La dernière affiche de Pierre Bernard réalisée pour l’Agi (Alliance graphique internationale) à La Colline39 présente une affiche avec une main. Cette main est la sienne prise sur la photocopieuse. Aujourd’hui, les graphistes vont sur le net et trouvent l’image qui leur convient. Mais au final, l’image prise par la photocopieuse traduit une autre sensation que celle qui vient du numérique. Pierre Bernard voulait refaire des affiches comme on les faisait dans les années 1970 avec des bouts de papier, de la colle, des ciseaux. Ce sont des pratiques d’une génération passée, une culture du bricolage que la nouvelle génération a grandement occulté.

• 40 À l’occasion du départ en retraite de Jean-Yves Grandidier en 2018, Fanette Mellier réalisa une sor (...)

44Je n’ai jamais fait de publicité pour me faire connaître. La meilleure publicité pour un artisan est son travail et son savoir-faire. La seule communication pour Lézard était celle des cartes de vœux. Les premières cartes étaient imprimées à 100 exemplaires. Je n’avais pas encore un réseau de graphistes, d’amis et je les faisais seul. Les dernières ont été imprimées à 1100 exemplaires et elles étaient le résultat de mes complicités avec les graphistes. Les cartes permettent de faire de la publicité mais elles m’offraient surtout l’occasion de partager de beaux moments avec des graphistes.