Est-ce que vous pouvez vous présenter pour nos lecteurs ? Qu’est-ce qui vous a amené, dans votre parcours personnel, à la peinture et à la gravure ?

Je suis né à Paris en 1977, dans une famille parisienne des deux côtés. Mon environnement Mes grands-parents maternels étaient férus d’arts (au pluriel) et ils avaient notamment exposé chez eux deux gravures de Piranèse. Les noirs et les effets de clair-obscur ont exercé sur moi une véritable fascination. Il s’agissait des Cascades à Tivoli et la Vue de l’arc de Titus (fig. 2). J’étais aussi captivé par la revue L’Illustration, même si aucun n’adulte ne pouvait m’expliquer les procédés techniques de ce que j’y voyais : les portraits des souverains, les représentations des attentats…

Mon environnement a également joué un rôle. Enfant, je vivais dans le quartier de la porte d’Auteuil. Il y avait un imprimeur qui réalisait des cartes de visite. La boutique était étroite et derrière le bureau il y avait la machine en activité. Je me souviens des bruits, de l’odeur.

Vous vous êtes donc très tôt intéressé aux multiples et aux procédés de reproduction. Comment ont-ils pris place dans votre formation ?

J’avais en effet envie de connaître l’estampe quand je suis entré aux Beaux-Arts de Paris en 1999. J’ai eu la chance d’y être formé à la peinture par Michel Gemignani, un des derniers prix de Rome et le fondateur des ateliers de la Glacière. J’ai également fréquenté d’autres ateliers en parallèle comme le modelage, le dessin, la morphologie, la fresque… Mais ce sont l’atelier de lithographie et l’enseignement de Michel Salsmann qui ont également compté dans ces années de formation. Pratique exigeante, la première année j’ai imprimé uniquement en noir puis je suis passé à la couleur.

Il y a aussi un artiste qui a beaucoup compté dans mon parcours : Lovis Corinth. J’avais eu l’occasion de rencontrer son œuvre gravé, mais la véritable révélation eut lieu lors de l’exposition du Musée d’Orsay en 2008. C’est un artiste essentiel pour moi, je me sens profondément proche de son art, de sa singularité.

Si je devais nommer d’autres artistes dont la pratique de la gravure m’a marqué, je citerais Gérard Traquandi ou encore Richard Davis…

Comment avez-vous poursuivi la pratique de l’estampe après la sortie de l’ENSBA ?

Yvonne Alexieff m’a tout appris de la gravure. Même si son atelier est ouvert à tous, elle a un haut niveau d’exigence. Elle prend la transmission à cœur et dispose d’un matériel de première qualité. Elle a formé de très nombreux graveurs professionnels.

Vous vous définissez comme peintre-graveur ?

J’aime l’idée et la référence aux artistes du XIX^e siècle. En France, une partie des peintres ne veut pas entendre parler d’estampe, peut-être en raison du caractère très technique du medium. Et par ailleurs, le monde de la gravure est assez renfermé sur lui-même. Ceci dit, ma pratique se limite à Paris Ateliers et je n’ai pas cherché à développer une carrière de l’estampe. Je n’effectue que des très petits tirages, à l’exception de quelques plaques imprimées par les ateliers Moret. Mais pour l’essentiel, je suis surtout motivé par la curiosité, par le plaisir. Je ne grave pas pour la vente.

Qu’est-ce que l’estampe vous a apporté dans votre pratique artistique générale ?

Depuis que je grave, j’ai expérimenté une des vertus cardinales du cuivre : la patience ! Ainsi la gravure intitulée La cravate (fig. 6) cette plaque s’est élaborée sur une longue période, oubliée des mois entiers puis surgissant par intermittence du fond d’un tiroir presque par hasard. Elle semblait travailler d’elle-même, comme malgré moi. J’aime ces heures solitaires à juxtaposer ces trames serrées dans le silence de l’eau-forte, l’outil à la main, telle une offrande au Temps. Par ailleurs, il m’a conduit à beaucoup plus dessiner qu’auparavant. Il y a des passerelles entre la peinture et la gravure. Les deux pratiques se répondent même si chacune a ses qualités propres.

Est-ce qu’il vous arrive de graver vos tableaux ?

Non, je préfère la gravure originale [NDLR à l’estampe d’interprétation]. Les paysages que je grave sur le motif par exemple, ce n’est pas quelque chose que je ferais en peinture.

Justement, pouvez-vous nous parler davantage de cette pratique particulière qu’est la gravure sur le motif ?

Le dessin sur le motif est un dessin d’observation qui est à la base de toute formation artistique. On voit une véritable explosion de la peinture et du dessin d’après photo, y compris aux Beaux-Arts. Les étudiants travaillent leurs toiles à partir de photographies, qui aujourd’hui sont même affichées sur ordinateur.

1J’ai réalisé ma première gravure sur le motif lors d’un séjour à Florence, en 2011, avec ma sœur, sur les bords de l’Arno (fig. 7a et 7b). Je grave plaque à la main, sur des matrices de petit format, plus ou moins de la taille d’un smartphone (fig. 8). Je vernis les plaques à Paris, puis je voyage avec les plaques et les pointes. Il m’arrive de réaliser quelques dessins avant de graver, aux dimensions, mais ce n’est pas systématique. Je dessine à la mine de plomb et au feutre avec différentes tailles de pointes pour penser au nombre de morsure que je souhaiterai effectuer ensuite. Donc je pense ces dessins POUR la gravure. Ensuite, il faut trouver le bon angle et le bon sujet.

2Le 1^er jet est rarement satisfaisant, donc je suis amené à retravailler en atelier, notamment à travers les différentes étapes de morsure. Les plus profondes produisent un effet de relief (fig. 9). Les états se succèdent et peuvent aller jusqu’à 7 ou 8. J’emploie éventuellement de l’aquatinte et plus rarement la roulette (fig. 10a et 10b).

Comment est-ce que vous percevez la relation entre votre travail de peintre et celui de graveur ?

Tout d’abord, il ne s’agit pas de pratiques parallèles, mais bien conjointes. La gravure s’inscrit dans le prolongement de la peinture, mais dans une temporalité très différente. La gravure suppose un travail d’élaboration plus lent et une approche par format plus que par sujet. Mes temps d’atelier étant limités à 3h par semaine, il n’est pas possible de beaucoup travailler, mais l’attente d’une semaine entre deux séances participe du plaisir. Il y a aussi l’attente de la morsure. Comme je le disais, la gravure m’a donc appris à être patient, dans une société où l’attente à presque disparu.