2Pour accéder à l’atelier, il faut suivre un étroit couloir, d’autant plus sombre qu’il est peint en vert foncé (qui était aussi la couleur précédente de la façade), puis une volée d’escaliers de la même teinte, avec tomettes et contremarches en bois courbées par l’usure et les ans. Le mur est animé, à partir du virage, par une quantité d’affiches qui n’annoncent pas toujours des manifestations liées à l’estampe : la Souris déglinguée fait part de ses concerts, les Frigos et Paella sont très présents.

5Parmi les autres affiches qui s’accumulent sur le mur du palier, qui devient une espèce de mémorial, une qui annonce l’exposition Dashiell Hammett à la Bilipo en 2009-2010 (Les Ateliers Moret participent à la vie du quartier) ; une fait part d’une exposition de Pascale Hémery, « De l’encre au feu », présentée par les Ateliers Moret à l’Espace Lhomond, dans le 6^e cette fois, du 7 au 24 juin 2001 ; une rappelle l’exposition Cécile Reims à la BnF (c’est ici que Cécile fait depuis longtemps tirer ses planches) ; une affiche du Mois de l’estampe à Paris en 2003 ; une pour les héliogravures de Patrick Alfonse à la galerie François Mansart rue Payenne du 16 juillet au 29 septembre 2013 ; exposition Mario Avati au musée départemental de l’Oise à Beauvais, du 17 avril au 28 septembre 2014 ; annonce du Salon du livre ancien et de l’estampe au Grand-Palais. J’aperçois encore une affiche pour Coralie Nadaud, qui a été longtemps une collaboratrice de l’atelier, une pour Alain Combier, qui grave des villes imaginaires compliquées, que j’avais rencontré autrefois à Mougins chez Bernard Rémusat. Comme du lierre ou de l’ampélopsis, les affiches commencent à grimper sur la volée d’escaliers qui mène à l’étage supérieur…

6Juste avant l’entrée de l’atelier est accroché au mur un grand cadre peint en jaune doré renfermant un ensemble de photographies et de documents divers sur l’atelier, dans le but d’en raconter l’histoire aux visiteurs.

7Et Daniel Moret est un sentimental. Si l’atelier est en même temps un lieu pour le travail et une accumulation de souvenirs, c’est que lui-même est plein de souvenirs, qu’il raconte d’ailleurs volontiers.

9Daniel forme Didier Manonviller et Jean-Philippe Boucher, devenus ses associés en 1990. Si Jean-Philippe a quitté Paris pour l’Ardèche, Didier est resté. C’est lui qui, à partir de 1992, s’occupe notamment de l’aciérage.

10Daniel et Didier, vus de l’extérieur, forment un duo rigolo : même catogan, même moustache, mais il y en a un qui parle beaucoup et l’autre peu, un qui est encore mince et l’autre déjà moins.

11Ils se sont adjoint en 2013 deux garçons plus jeunes, qui non seulement impriment les estampes des artistes mais sont eux-mêmes de talentueux graveurs. Matthieu Perramant, qui vient de l’Ecole Estienne, est présent une semaine sur deux, puisqu’il partage son temps avec les Ateliers Rigal, à Fontenay-aux-roses (Hauts-de-Seine), qui n’ont plus de taille-doucier permanent. Thomas Fouque, lui, a été en partie formé par Françoise Roy, à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, entre 2005 et 2010 ; passé donner un coup de main rue Saint-Victor, il y est resté. Il grave à la pointe sèche des petites choses compliquées mais séduisantes : prix Corot à Graver maintenant en 2013 en même temps que Maria Chillón, prix Antalis à Pointe & Burin en 2014, il fait partie de la sélection du dernier prix Gravix cette année. Depuis un peu plus d’un an, Thomas et Matthieu, après les heures de travail, donnent dans l’atelier des cours de perfectionnements à des graveurs.

12L’atelier est constitué d’une seule grande pièce rectangulaire, avec deux hautes fenêtres donnant sur la rue Saint-Victor.

13Tout de suite à gauche, quand on entre, il y a, après un petit cabinet de toilette, un bac pour mouiller le papier, recouvert d’une planche mobile pour protéger l’eau et son contenu, et recevoir tasses et cafetières au moment de la pause. Puis s’ouvre une espèce de bureau, avec un ordinateur (on peut recevoir du Japon des images à graver), qui fait aussi vestiaire, bibliothèque, discothèque et fonds d’archives, le tout sur des étagères qui grimpent jusqu’aux 3, 80 m de plafond.

14C’est Daniel qui a aménagé cette installation, quand il a pris sa carte d’artisan, en 1980. Il a cassé la cloison qui, du temps de sa mère, séparait le bureau de l’atelier, et fait installer des mezzanines où s’entassent tout un tas de choses, du papier surtout – avec parfois des surprises, comme retrouver des estampes de Zadkine au milieu de vieux papiers conservés depuis le temps du père – des cadres, des planches, des plaques, des cartons à dessin, des caisses en plastique, des langes de feutre et des tissus divers. Ces accumulations sont masquées par de grandes estampes pincées sur des cordes à linge ou des cintres pendus au plafond (je reconnais une grande aquatinte de Bongibault).

15Après ce petit espace s’en ouvre un autre, où se dresse un grand meuble à tiroirs pour contenir du papier, des épreuves des pièces tirées sur place (quand ils ont fait l’exposition anniversaire, il y avait 450 artistes différents !) ; sur les étagères au-dessus, des livres sur l’art, dont les couvertures tachées de noir montrent qu’ils sont parfois consultés en plein travail.

16En ce moment (12 février) s’y trouve aussi une petite exposition d’estampes de Brigitte Perol-Schneider ; plus tard (quand j’y suis repassé le 31 mars), c’est une exposition de divers artistes maison, à l’occasion de la journée des Métiers d’art, qu’ont pu voir environ une centaine de personnes passées par l’atelier.

18La plus ancienne presse à taille-douce (je précise taille-douce ici parce qu’il y a aussi une petite presse à épreuves pour tirer des tailles d’épargne) de l’atelier est une Ledeuil en fonte, 30 cm de passage, que le père Moret avait acquise avant même d’ouvrir l’atelier ; elle est placée le long du mur de gauche. C’est la seule presse de l’atelier à laquelle n’a pas été ajouté un moteur.

19La plus grande, 90 environ de passage, est de fabrication Zaugg, anciennement Vincent Moreau. Elle vient de chez Jacques David, aux Buttes-Chaumont, un camarade du père Moret, à qui il l’a donnée quand son atelier a fermé ; elle avait dû imprimer les plaques de Fautrier, de Zadkine, de Dubuffet ou de Debré, auxquelles ledit Jacques David avait beaucoup collaboré.

20Il y a encore deux presses Ledeuil, une sur laquelle on peut imprimer jusqu’au format raisin (50 x 65 cm), et une plus grande, 80 cm de passage, dont l’histoire coïncide avec celle de l’atelier ; le père Moret y a installé le moteur, tout en gardant les volants au cas où.

24Le mur de droite est lui aussi tapissé d’estampes superposées (on retire peu, on recouvre, comme dans ces intérieurs anciens d’avant les radiateurs). Je distingue un nid de guêpes en manière noire de Judith Rothchild ; un BAT en couleurs de J. L. Msika (« A whole new outfit »), un peintre que Daniel a encouragé à faire de l’estampe : « La plupart des peintres n’osent pas se lancer dans la gravure, la technique les effraie », dit-il. J’aperçois une eau-forte de Houtin, une tête de mort faisant partie d’une grande estampe de Skolnikov, une partie d’une estampe de Thomas Fouque, un polymère d’une certaine Myriam Mihindou par-dessus une aquatinte de Pablo Flaiszman, un gros légume vert de Yayio Kusama, un grand bois d’Agnès Dubart.

25Je vois encore un Lars Bo encadré, au-dessus d’un BAT de Cécile Reims. De grands bois en couleurs gravés dans du contreplaqué par François Jeannet sont suspendus au-dessus du meuble sur lequel on brosse le papier humide et dans les larges tiroirs duquel s’étalent quantité de feuilles d’Arches. A côté, une grosse presse de relieur, qui sert surtout à essorer le papier trempé.

26C’est juste après cette presse que se trouve le grand bac (1 m de fond sur 1 m de long) dans lequel Didier Manonviller pratique ses aciérages. Il est maintenant le seul à le faire à Paris ; sinon, il faut aller chez Dutrou, près d’Auxerre. Autrefois, dans l’atelier, l’aciérage était le travail de Michel Becquet qui, alors, n’arrêtait pas de la journée. Aujourd’hui, la situation est bien différente, et Didier est loin d’être débordé. En effet, en dehors de ceux qui font des impressions en couleurs, préférant travailler avec l’acier qui pervertit moins les teintes, et sauf cas particulier et de plus en plus rare d’éditions importantes, les graveurs ne font plus que de tout petits tirages, pour lesquels l’aciérage ne se justifie pas.

27Il y a beaucoup de passage dans l’atelier. Aujourd’hui 2 mars 2015, se présente Elodie, stagiaire venue d’une école de graphisme de Montreuil (dans le 9-3) nommée CIFACOM, juste pour voir, si j’ai bien compris. Il y a aussi Darina, qui vient du lycée technique Maximilien Vox (5 rue Madame 75006), qui débarque pour un mois et demi de stage. Il y a Marie Alloy qui, elle, est un graveur chevronné ; elle a droit à un aciérage et elle vient d’Orléans pour étudier la question du tirage de ses plaques. Il y a encore un certain André Lavergne, graveur de timbres ; il vient faire faire des tirages d’essai pour un oiseau (une sterne antarctique) qu’il a gravé au burin, format in-4° à peu près ; c’est une commande des TAAF ou Terres australes et antarctiques françaises pour lesquelles il travaille régulièrement. Daniel Moret et Thomas Fouque se mettent à deux pour son essai.

28Et puis il y a France Dumas, qui fait son reportage en dessins pendant que Daniel me parle.

29Les Ateliers Moret ne se contentent pas d’imprimer. Ils font plein de petites expositions. Et ils sont sans aucun doute ceux qui, à Paris en tout cas, font le plus pour la pédagogie de l’estampe, toujours prêts à se déplacer pour faire des démonstrations et donner des explications sur leur métier, si bien qu’il n’est guère de manifestation intéressant l’estampe d’où ils soient absents. Et comme le duo n’est pas de nature pleurnicharde, cela se passe toujours dans la bonne humeur, pour le plus grand plaisir de leur public. Qu’ils en soient remerciés.