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Analyses et comptes rendus

Brandström Per. — MholaThe Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania

Marie-Aude Fouéré
p. 385-386
Référence(s) :

Brandström Per. — MholaThe Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania. Uppsala, Uppsala Universitet, Acta Universitatis Upsaliensis (« Uppsala Studies in Cultural Studies, 59 »), 2021, 264 p., bibl, index, ill.

Texte intégral

1Cet ouvrage au titre énigmatique et attrayant, Mhola — The Utopia of Peace, était prometteur mais le lecteur ressort déçu de sa lecture. Il traite pourtant d’un sujet de taille dans le champ des études sur l’Afrique de l’Est, puisqu’il porte sur les sungusungu, ces groupes d’autodéfense initialement organisés dans les campagnes pour se protéger des voleurs et des criminels, puis dupliqués en ville et devenant parfois de vraies milices armées. Tout le propos du livre tourne autour de la nature exacte de ces équipées masculines destinées à protéger la communauté villageoise mais se retournant parfois aussi contre elle.

2L’auteur, Per Brandström, retrace l’histoire de leur naissance et de leur développement dans le grand nord-ouest de la Tanzanie, région habitée par les populations sukuma et nyamwezi, au tout début des années 1980. À cette époque, les sungusungu ont pour objectif d’attraper et de punir les voleurs de bétail et toutes sortes de brigands sillonnant les campagnes tanzaniennes qui s’en prennent aux troupeaux ou aux possessions diverses des agriculteurs et des éleveurs. Ils visent aussi à réguler les violences internes à la communauté, comme les différends entre voisins ou les agressions contre les femmes. Il s’agit souvent dans ce cas moins de punir que de jouer un rôle de médiation et de réconciliation. Enfin, la mission d’ordre et de défense que se donnent les sungusungu s’accompagne d’un volet d’entraide, par exemple lorsque des bras nombreux sont requis pour labourer les champs communautaires ou faire les récoltes. Après avoir émergé au sein de quelques villages, ce mode d’organisation se répand rapidement tout au long des années 1980, à une époque où l’État tanzanien — sans le sou en raison des crises économiques mondiales et de grandes sécheresses, sans compter le discrédit dont il est l’objet après une longue décennie de villagisation forcée — ne parvient pas à assurer la sécurité de ses citoyens.

  • 1 C. Cross, Community Policing through Local Collective Action in Tanzania. Sungusungu to Ulinzi Shi (...)
  • 2 E. R. Masese & E. Mwenzwa, « The Genesis and Evolution of Sungusungu Vigilantes Group among the Ab (...)

3Par-delà l’étude de l’histoire et du fonctionnement de ces groupes d’autodéfense cherchant à apporter la paix (nommée mhola en langue sukuma, terme qui donne son titre à l’ouvrage), c’est donc du rapport État-citoyen qu’il est ici question, ainsi que des conceptions de l’ordre et de la justice. Si Per Brandström n’est pas le premier à s’intéresser aux sungusungu, c’est justement parce ces groupes d’autodéfense de Tanzanie, que le Kenya adopte à son tour dans les années 1990, renvoient aux grandes questions des sciences sociales sur l’organisation sociale et les représentations morales. Les sungusungu ont été étudiés par des auteurs aussi divers, et connus dans les études sur la Tanzanie, que Ray Abrahams, Horace Campbell et Suzette Heald dans les années 1980, et plus récemment par Charlotte Cross1. Au Kenya, ces groupes classés dans les catégories anglophones de vigilantism, vigilante groups ou non-State armed groups ont donné lieu à des études ciblées comme celle d’Eric Masese et Ezekiel Mwenzwa ou celle de Kennedy Mkutu2. Les uns y voient un mouvement des subalternes pour la justice sociale, d’autres plutôt un type de milices violentes et politisées portées au banditisme et au racket (encore plus au Kenya avec les groupes organisés armés tels que Mungiki, Chinkororo, Taliban, Jeshi la Mzee, etc.), d’autres enfin une forme de résistance populaire à l’État. Il est d’autant plus difficile de trancher entre ces différentes interprétations que l’appellation unifiée de sungusungu masque une grande variété de situations : certains groupes rassemblent quelques villageois cherchant à se prémunir du vol de bétail ou à pacifier leur village, tandis que d’autres sont des organisations armées et financées par des hommes politiques puissants pour piller ou assassiner.

4L’ouvrage de Per Brandström reste centré sur la Tanzanie, où le mode d’organisation sungusungu, même après qu’il s’est diffusé en ville sous la forme de milices de quartier et qu’il a été coopté par l’État et le parti, est resté moins violent et moins politisé qu’au Kenya. Ceci explique que l’auteur favorise l’interprétation selon laquelle les sungusungu donnent à voir les subalternes en action, cherchant des remèdes à une insécurité que l’État échoue à contrôler et attachés à des valeurs d’ordre et de justice autonomes par rapport à celles promues par l’État. En soi, cette position aurait pu remporter l’adhésion du lecteur mais elle nécessitait pour cela un argumentaire bien plus élaboré. Per Brandström fait valoir sa familiarité, certes impressionnante, avec le monde sukuma qu’il étudie : il a grandi dans une mission religieuse suédoise tenue par ses parents, jouant et étudiant avec ses camarades sukuma et parlant couramment leur langue. Mais les matériaux ethnographiques qu’il soumet pour cette étude restent peu immersifs, fondés sur des anecdotes et des récits rapportés — glanés au fil d’enquêtes de terrain portant sur d’autres sujets, comme il l’indique — plus que sur des observations en situation, tandis que la littérature secondaire constitue l’essentiel de son corpus. Un des chapitres les plus intéressants, « Voices from the Field », rapporte les biographies de trois leaders sungusungu, donnant chair à la fois à un imaginaire partagé de l’ordre et de la sécurité au village, aux protocoles mêmes du contrôle et de la protection communautaire et aux trajectoires individuelles d’engagement dans l’action et la médiation pour la paix et la sécurité. Il est dommage que les autres chapitres ne s’ancrent pas eux aussi dans de riches matériaux de terrain afin que les analyses des sungusungu qui sont proposées dans l’ouvrage relèvent à proprement parler de l’enquête ethnographique.

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Notes

1 C. Cross, Community Policing through Local Collective Action in Tanzania. Sungusungu to Ulinzi Shirikishi, Thèse de doctorat, Falmer Brighton, University of Sussex, 2013.

2 E. R. Masese & E. Mwenzwa, « The Genesis and Evolution of Sungusungu Vigilantes Group among the Abagusii Ethnic Group of Kenya », Elixir International Journal, 42, 2012, pp. 6485-6492 ; F. A. Mkutu, « Mitigation of Armed Criminality through an African Indigenous Approach : The Case of Sungusungu in Kenya », Crime, Law and Social Change, 53 (2), 2010, pp. 183-204.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie-Aude Fouéré, « Brandström Per. — MholaThe Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania »Cahiers d’études africaines, 250 | 2023, 385-386.

Référence électronique

Marie-Aude Fouéré, « Brandström Per. — MholaThe Utopia of Peace. An Ethnographic Exploration of the Sungusungu Movement in Tanzania »Cahiers d’études africaines [En ligne], 250 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 28 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/42020 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.42020

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Auteur

Marie-Aude Fouéré

Institut des mondes africains (IMAF), EHESS, Marseille, France

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